Canton de Fribourg
Kantons Freiburg

Canton

de Fribourg/Freiburg

(Confédération helvétique)

Capitale: Fribourg / Freiburg
Population: 341 537 (2023)
Langues officielles: allemand et français
Groupe majoritaire: français (68,4 %)
Groupes minoritaires: allemand (26,2 %), itaien (2,3 %), anglais (2,9 %), autres langues non nationales (17,8 %); franco-provençal (langue autochtone non nationale)l
Système politique: canton souverain au sein de la Confédération suisse depuis 1481
Articles constitutionnels (langue): art. 2, 6, 17 et 64 de la Constitution du 16 mai 2004
Lois linguistiques: Loi sur les langues officielles et la promotion du bilinguisme (avant-projet de loi, 2025)
Lois scolaires: Règlement sur les établissements publics (1992-2024); Loi sur l'Université (1997-2023); Règlement sur les études gymnasiales (1998-2022); Règlement concernant l’admission à l’Université de Fribourg (2006); Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (2007-2010); Règlement concernant les études en écoles de culture générale (2008-2022); Loi sur la scolarité obligatoire (2014-2024); Loi sur la Haute École pédagogique Fribourg - LHEPF (2015); Règlement de la Loi sur la scolarité obligatoire (2016- 2023); Loi sur l'enseignement secondaire supérieur (2018-2023); Règlement sur l'enseignement secondaire supérieur (2022).
Lois à portée linguistique:
Loi sur l'expropriation (1984-2023); Loi sur le registre foncier (1986-2023); Règlement d’exécution de la loi sur le registre foncier (1986-2025); Loi d’organisation du Tribunal administratif (1990);  Code de procédure pénale (1996); Loi sur la publication des actes législatifs et de la Feuille officielle (2001-2023); Loi sur le Grand Conseil (2006); Règlement sur l’élaboration des actes législatifs (2006-2022); Loi sur la justice (2010-2023); Ordonnance sur la formation du personnel de l'État (2023); Code de procédure et de juridiction administrative (1991-2024); Loi sur l’exercice des droits politiques (2001); Règlement du Grand Conseil (2001-2023); Loi sur le Service du registre du commerce (2003); Loi d’organisation du Tribunal cantonal (2007); Code de procédure civile (2008-2013); Règlement sur le droit de cité fribourgeois (2008); Ordonnance relative à l'information sur les activités du Conseil d'État et de l'administration (2011); Règlement du Tribunal cantonal sur l'information du public en matière judiciaire (2012-2022); Règlement sur l'état civil (2013); Ordonnance sur le guichet virtuel (2013); Ordonnance sur la gestion des séances du Conseil d'État (2014); Loi sur le notariat (2021); Loi sur les marchés publics (2022). 

Plan de l'article

1 Situation géographique
1.1 Frontières et enclaves
1.2 Le rôle des districts

2 Données démolinguistiques
2.1 Les germanophones
2.2 Les francophones
2.3 La répartition linguistique

3 Bilinguisme institutionnel et bilinguisme individuel
3.1 Le canton de Fribourg
3.2 Le bilinguisme des communes
3.3 Le bilinguisme individuel

3 Bref historique du canton de Fribourg
3.1 La période gauloise
3.2 La romanisation
3.3 La fondation de la ville de Fribourg
3.4 Fribourg ville libre (1477)
3.5 La Réforme protestante et la Contre-Réforme catholique
3.6 L'Ancien Régime patricien (1602-1798)
3.7 La Révolution française
3.8 La restauration et le régime libéral

4 Les dispositions constitutionnelles
4.1 La territorialité des langues
4.2 La liberté des langues

5 La politique linguistique du canton de Fribourg
5.1 Les langues de la législation et de la réglementation
5.2 Les langues de la justice
5.3 Les langues de l'administration cantonale
5.4 Les langues de l'administration communale
5.4 Les langues de l’éducation
5.5 Les médias fribourgeois

1 Situation géographique

Le canton de Fribourg constitue l’un des trois cantons officiellement bilingues à séparation territoriale de la Confédération suisse avec les cantons de Berne et du Valais. Le canton (1671 km²) est limité au nord et au nord-est par le canton de Berne, au sud et au sud-ouest par le canton de Vaud (voir la carte au sigle FR pour Fribourg). 

La capitale du canton, Fribourg (en all.: Freiburg), est située sur la frontière linguistique séparant la partie francophone à l’ouest et la partie germanophone à l’est. La Sarine traverse la ville de Fribourg; elle est devenue le symbole de la limite linguistique parce que c'est le cas à Fribourg même. 

1.1 Frontières et enclaves

Les frontières du canton de Fribourg ne sont pas aussi rigides que dans les autres cantons suisses. Il suffit de consulter la carte ci-contre. Les numéros de 1 à 7 indiquent la répartition des sept districts:
 
(1) = district de La Sarine
(2) = district de La Singine
(3) =  district de La Gruyère
(4) = district de La Veneyse
(5) = district de La Glâne
(6) = district de La Broye
(7) = district de Le Lac
 

Le district de La Broye (n° 6) est une région fortement découpée au sein du canton de Vaud (La Broye vaudoise). Il est constitué d'une surface attenante (6a) au district de la Sarine (n° 1) et de trois enclaves dans le canton de Vaud: Estavayer-le-Lac (6b), Surpierre (6c) et Vuissens (6d). Dans ce même canton de Vaud, il subsiste une 4e minuscule enclave, Tours qui fait partie de la commune de Montagny dans le district de La Glâne (n° 5).

Fribourg possède une autre enclave dans le district bernois de Laupen du canton de Berne (B): la localité de Wallenbuch qui fait partie de la commune de Corminboeuf (prononcé [kɔʀmɛ̃bœf]) dans le district du Lac (n° 7). De plus, le canton de Berne a également une enclave dans le district du Lac: la commune de Münchenwiler (A), appelée "Villars-les-Moines" en français. Finalement, le canton de Fribourg partage des portions du lac de Neuchâtel (C) avec les cantons de Vaud, de Neuchâtel et de Berne.

1.2 Le rôle des districts

Le canton de Fribourg est divisé en sept districts, chacun comprenant un certain nombre de communes. Les districts sont à la fois des entités politiques, administratives et judiciaires. Ils sont dirigés par un préfet (et de son personnel), qui représente le Conseil d'État cantonal, assure la gestion des affaires locales, traite les activités judiciaires et des périodes électorales, coordonne les fonctions de coordination et sert de lien entre la population, les communes et l'État.

Le préfet de chaque district est l'autorité responsable de l'administration locale et il est élu par les assemblées électorales de chaque district pour un mandat de cinq ans. En résumé, il assure le maintien de l'ordre et la gestion des affaires administratives au niveau du district. Les préfectures offrent donc des services de proximité, notamment dans le domaine des permis (construction, chiens, patentes, lotos, etc.), des manifestations publiques et de diverses autorisations. Les préfectures bilingues sont celles du Lac et de la Sarine, la Singine étant germanophone, toutes les autres sont francophones.  

2 Données démolinguistiques

Au recensement fédéral de 2000, le canton de Fribourg comptait 241 706 habitants, dont 63,2 % de francophones et 29,2 % de germanophones. On comptait également 1,8% d'italophones et 0,1% de Romanches, ainsi que plusieurs langues non nationales (6,2%). À cela s’ajoute le franco-provençal (parfois appelé arpitan), langue autochtone non nationale, pratiquée ou connue de quelques milliers de francophones – qui continuent de la désigner du vocable de «patois». Contrairement au canton de Berne, les francophones sont majoritaires dans le canton de Fribourg. Le français, l'italien, le romanche et le franco-provençal sont des langues romanes, alors que l'allemand est une langue germanique. Seuls le français et l'allemand bénéficient du statut de langue officielle.

Il faut toujours se rappeler que, en Suisse, toute personne, n'étant ni de langue maternelle française ni de langue maternelle allemande, mais ayant fait sa scolarité dans l'une de ces deux langues ou l'ayant adoptée comme deuxième langue, est considérée comme francophone ou germanophone. C’est pourquoi on ne tient compte bien souvent dans les statistiques officielles que des francophones OU des germanophones. Autrement dit, on est francophone ou germanophone selon l'endroit où l'on réside! D'ailleurs, le canton de Fribourg est divisé par le Röstigraben, une frontière linguistique. En effet, la rivière Sarine agit comme une frontière naturelle entre les deux communautés linguistiques, séparant longitudinalement les deux langues présentes dans le canton, le français et l’allemand. C’est pour cette raison que le canton de Fribourg est qualifié de «canton bilingue».

2.1 Les germanophones

Comme dans toute la «Suisse allemande», les germanophones du canton de Fribourg parlent le suisse alémanique appelé le Schweizerdeutsch ou Dialekt. Cette variété d’allemand régional est demeurée très vivante dans toute la Suisse alémanique. De façon générale, les germanophones de Suisse n'aiment pas s'exprimer en «allemand d'Allemagne» qu'ils apprennent à l'école primaire. Beaucoup préfèrent même parler en français plutôt qu'en «bon allemand». 

Dans le canton de Fribourg, les germanophones parlent principalement la variété singinoise appelée Senslerdeutsch (ou Seislertütsch), mais depuis quelques décennies elle a tendance à être remplacée par la variété bernoise, le Bernerdeutsch (ou Bärntütsch). Quoi qu'il en soit, le suisse alémanique, une langue germanique, est non seulement employé à la maison, entre amis, dans la rue, dans les communications informelles, mais il envahit aussi toute la vie sociale: les affaires, les écoles, les tribunaux, la radio et la télévision, le Parlement cantonal, etc. En fait, les Suisses alémaniques utilisent l’«allemand d'Allemagne» surtout lorsque les circonstances de la vie publique les y obligent, mais ils n’écrivent qu’en «allemand d'Allemagne». Bref, c'est une façon des Suisses alémaniques de s'identifier différemment des Allemands s’exprimant en Hochdeutsch.

La distance linguistique entre l’allemand et les variantes du suisse allemand peut être est considérable, de sorte qu'une très bonne connaissance de l’allemand n'assure aucunement la compréhension de l’une ou de l’autre forme du suisse alémanique. Ainsi, même les individus originaires d’Allemagne et établis en Suisse pour des motifs professionnels doivent suivre des cours pour acquérir une maîtrise du suisse allemand local. On peut consulter une liste de mots différents en suisse allemand et en allemand standard en cliquant ici s.v.vp.

2.2 Les francophones

Pour ce qui est des francophones, ils sont répartis principalement dans les districts et communes à l’ouest du canton, alors que les germanophones habitent l’Est. Les langues officielles du canton sont l’allemand et le français, mais ce statut bilingue ne s’étend pas à tout le canton. La partie occidentale est unilingue française, la partie orientale unilingue allemande. C’est ce qu’on appelle une politique d’unilinguisme territorial, sauf que dans tous les districts on trouve des minorités germanophones ou francophones.

Il faut noter qu’une partie des francophones sont en réalité des bilingues français / franco-provençal, puisque ces parlers se sont assez bien maintenus dans certaines communes du canton, malgré le bannissement du «patois» dans les écoles fribourgeoises par une loi cantonale de 1886.

C’est en particulier le cas dans le district de La Gruyère (n° 3) attenant au canton de Vaud, où le gruérien est compris par une grande partie de la population, même si la transmission intergénérationnelle n’est plus assurée. Il convient de mentionner aussi le broyard, parler franco-provençal du district de La Broye (n° 6), maîtrisé par seulement quelques rares personnes.

À ces parlers romans s’ajoute une langue mixte, franco-germanique, longtemps parlée dans la basse-ville de Fribourg, et qui compte aujourd’hui quelques rares adeptes, le bolze, composé d’éléments de singinois (variante de suisse-allemand du district de la Singine), de franco-provençal et de français.

On peut lire aussi le texte de référence du linguiste Manuel Meune sur le franco-provençal.

2.3 La répartition linguistique

Au plan administratif, le canton de Fribourg est partagé en sept districts qui non seulement forment autant d'arrondissements judiciaires, mais qui sont eux-mêmes constitués d'entités appelées «communes», elles-mêmes composées parfois en plusieurs localités ou villages. En 2025, le canton de Fribourg comptait 121 communes. Seules trois communes sont considérées statistiquement comme des villes (plus de 10 000 habitants): Fribourg (37 645), Bulle (27 217) et Villars-sur-Glâne (12 444). Cependant plusieurs autres communes jouissent du titre de ville du fait de leur histoire. Depuis ces dernières années, il y a eu de nombreuses fusions communales afin d'éliminer de nombreuses petites localités de quelques centaines de personnes, parfois moins.

- Les districts

Quatre districts sont francophones et majoritairement catholiques: La Gruyère, La Glâne, La Veveyse et La Broye. Un seul district est germanophone et catholique: La Singine (en all.: Sense). Quant aux districts du Lac et de La Sarine, ils sont en considérés comme bilingues et partagés entre protestants et catholiques. Lorsqu'on consulte le tableau qui suit, il faut se rendre à l'évidence qu'il existe des minorités de part et d'autre de la frontière linguistique appelée le Röstigraben. Les réponses dépassent les 100%, car il était possible de cocher plus d'une case.
 
District
(Source: OFS, 2023)
Langue principale Population Allemand Français Autres
langues
District de La Broye français 28 137   6,8 % 89,7 % 14,9 %
District de La Glâne français  21 162   2,0 % 89,8 % 15,8 %
District de La Gruyère français  49,229   6,0 % 86,6 % 21,1 %
District de La Sarine français-allemand 88 927 11,5 % 80,8 % 21,2 %
District du Lac allemand-français  33 472 65,1 % 32,0 % 16,4 %
District de La Singine allemand  40 457 85,7 12,5 % 12,2 %
District de La Veveyse français 17 655   3,1 % 88,2 % 15,2 %

Cinq de ses sept districts du canton portent le nom d'une rivière: la Veveyse, la Glâne, la Broye, la Singine et la Sarine. Comme on pourra le constater, la frontière linguistique n'est pas aussi rigide dans le canton de Fribourg que dans les autres cantons suisses puisqu'il y a des minorités linguistiques dans tous les districts. On peut résumer la situation de la façon suivante:
 

District Nombre de communes Population principale Chef-lieu
La Broye 31 francophone Estavayer-le-Lac
La Glâne 20 francophone Romont
La Gruyère 28 francophone Bulle
La Sarine 27 francophone Fribourg/Freiburg
Lac (See) 15 francophone et germanophone Morat/Murten
La Singine/Sense 27 germanophone Tafers/Tavel
La Veveyse 9 francophone Châtel-Saint-Denis

Il est bien écrit sur les tableaux précédents les termes «langue principale» et «population principale», car la notion de «langue officielle» demeure floue dans le canton de Fribourg, car elle ne repose pas sur des critères cohérents, mais souvent impressionniste. En principe, la langue principale devrait être la langue officielle, mais la réalité est plus complexe.

- La ville de Fribourg

Fribourg est la capitale du canton, une ville considérée comme bilingue en raison de sa population mixte. Elle compte 12 quartiers répartis autour de son centre historique de l'Auge et du Bourg: Palatinat, Jura-Torry, Alt, Gambach-Guitzet, Places, Beaumont-Vignettaz, Neuveville, Pérolles, Bourguillon et Schoenberg.

Historiquement, les quartiers situés sur la rive gauche de la Sarine étaient autrefois associés à la haute société, la bourgeoisie et la langue principalement employée était le français. À l'opposé, de l’autre côté du cours d’eau, les quartiers habités par des classes socio-économiques plus pauvres employaient davantage l'allemand comme langue de communication.

Aujourd'hui, il n'y a pas de quartiers clairement définis comme étant uniquement francophones ou germanophones. Si les quartiers historiques ont connu jadis une forte influence française, les quartiers plus récents sont beaucoup plus diversifiés et les germanophones sont répartis un peu partout, bien que l'on puisse percevoir une plus forte présence germanophone dans quelques quartiers.

Ainsi, d'un point de vue historique, la Sarine constitue depuis toujours le Röstigraben de Fribourg.

3 Bilinguisme institutionnel et bilinguisme individuel

La distinction entre le bilinguisme institutionnel et le bilinguisme individuel est fondamentale. Dans le premier cas, il s'agit de l'emploi de deux langues par un gouvernement et ses institutions dans la prestation de leurs services; il confère à l'individu le choix de recourir à l'une ou l'autre des langues officielles dans ses rapports avec les institutions gouvernementales. Cela signifie que, dans un État bilingue, les citoyens ne sont pas tenus de parler les deux langues, puisque c'est l'État qui assume le bilinguisme, pas les individus.

Toutefois, le degré de bilinguisme de l'État (ou d'un organisme comme une municipalité ou une commune) peut varier, allant de l'égalité réelle entre les communautés linguistiques à une simple déclaration symbolique et strictement juridique. Par exemple, le bilinguisme peut inclure la représentation proportionnelle aux institutions, l'accès aux tribunaux, à l'administration, aux écoles et aux médias dans sa langue maternelle. Dans d'autres cas, seules les écoles minoritaires sont possibles. À l'autre bout de la lorgnette, le bilinguisme se résume à un panneau bilingue à l'entrée et à la sortie d'une municipalité. Finalement, il faut distinguer le bilinguisme de jure (selon la loi) et le bilinguisme de facto (dans les faits) ou encore le bilinguisme pragmatique. Évidemment, le bilinguisme reconnu juridiquement est plus contraignant que le bilinguisme factuel parce qu'il donne des instruments aux citoyens pour faire reconnaître leurs droits auprès des tribunaux, tandis que le bilinguisme pragmatique s'apparente à des concessions d'ordre linguistique qui peuvent être supprimées n'importe quand.    

Contrairement au bilinguisme institutionnel qui concerne les établissements et les organismes publics, le bilinguisme individuel se rapporte à la capacité d'une personne à s'exprimer et employer de façon efficace en deux langues différentes, en l'occurrence le français et l'allemand. Bien sûr, cette compétence linguistique peut se manifester de diverses manières, allant de la simple compréhension à la pleine maîtrise de la production et de la compréhension en deux langues. Dans un État officiellement unilingue, le bilinguisme individuel peut s'avérer nécessaire si un groupe de citoyens parle une autre langue que celle de l'État.

Bref, la notion de «bilinguisme» est complexe parce qu'elle s'applique à un individu, à une communauté, à une région, à un gouvernement, à des institutions, à des règlements, à l'école, etc.

3.1 Le canton de Fribourg

La Constitution du canton de Fribourg déclare à l'article 6 que le français et l’allemand sont les langues officielles du canton et que leur utilisation est réglée dans le respect du principe de territorialité:

Article 6

Langues

1)
Le français et l'allemand sont les langues officielles du canton.

4) L'État favorise la compréhension, la bonne entente et les échanges entre les communautés linguistiques cantonales. Il encourage le bilinguisme.

5) Le canton favorise les relations entre les communautés linguistiques nationales.

Article 17

Langue

1)
La liberté de la langue est garantie.

2) Celui qui s'adresse à une autorité dont la compétence s'étend à l'ensemble du canton peut le faire dans la langue officielle de son choix.

Si le canton de Fribourg est officiellement bilingue, avec le français et l'allemand comme langues officielles, cela implique que l'État est tenu d'employer les deux langues dans l'administration et ses services, ainsi que dans tous les domaines où il peut exercer sa juridiction, que ce soit les tribunaux, l'éducation ou les médias. Bien que l'administration cantonale soit bilingue, le français est souvent prédominant, même si les germanophones peuvent s'adresser à celle-ci dans leur langue. 

3.2 Le bilinguisme des communes

Si le statut du bilinguisme est clair au niveau du canton, il ne l'est pas dans les communes. C'est ici qu'entrent entre jeux le bilinguisme juridique et le bilinguisme pragmatique. Il n'existe pas de liste officielle des communes bilingues, pas davantage de listes pour les communes unilingues de façon claire et limpide! Bien que le canton de Fribourg n'ait jamais jusqu'ici entrepris de définir juridiquement et officiellement quelles sont les communes bilingues, les autorités et les tribunaux estiment qu'il existe de facto (dans les faits) des communes bilingues (français-allemand) et des communes unilingues (allemand ou français). Par conséquent, à part une seule exception pour la commune de Courtepin (ordonnance de 2003), il n'existe pas de jure (par la loi) des communes bilingues ou unilingues. Cette situation est une conséquence directe de la forte tradition d'autonomie communale en Suisse, élément central du fédéralisme helvétique.

Bien sûr, il y aurait différentes façons de savoir si une commune peut être effectivement bilingue (de facto) puisqu'il n'y a pas de liste comme il peut y en avoir dans le canton des Grisons: 53 communes unilingues allemandes, 16 communes unilingues romanches, 15 communes unilingues italiennes, 17 commune bilingues romanches-allemandes et aucune commune bilingue allemande-italienne, le tout accompagné de textes juridiques déclarant formellement le statut linguistique d'une commune.

- La population mixte

De nombreuses communes fribourgeoises abritent des populations mixtes: Granges-Paccot (76% fr. - 15% all.: Sarine), Givisiez (73,1% fr. - 14,5% all.: Sarine), Villars-sur-Glâne (77,2% fr. - 10,9% all.: Sarine), Courtepin (78% fr. - 22% all. : Lac), etc. Mais le nombre des locuteurs de la minorité française ou allemande n'est pas nécessairement un critère décisionnel et il n'est surtout pas obligatoire.

Dans ce canton, la distinction entre une commune unilingue et une commune bilingue peut être basée sur la proportion des locuteurs francophones et germanophones. Les communes où les deux langues sont parlées de manière significative peuvent être considérées comme bilingues, bien qu'il n'y ait pas de critères définis à ce sujet. Juridiquement, il n'y a qu'une seule commune qui pourrait avoir appliqué ce critère en se déclarant bilingue, mais sans que ce soit clairement explicite, Courtepin, en vertu d'une ordonnance de 2003.  

- Les tribunaux

S'il existe des procès où les justiciables et les témoins se répartissent entre francophones et germanophones, est-ce que cela signifie que la municipalité est bilingue? Pas nécessairement, bien que le droit à une procédure dans la langue choisie par le justiciable soit garanti, tout en tenant compte des réalités linguistiques spécifiques du canton et de ses citoyens. En fait, il n'existe pas formellement parlant des procès «bilingues», seulement des procès où deux langues sont admises.

Le Tribunal fédéral a confirmé que les tribunaux fribourgeois doivent accepter des documents rédigés en allemand, même si la langue de la procédure est le français. Effectivement, les justiciables ont le droit d'employer leur langue, mais cela n'implique pas que la commune soit bilingue. Juridiquement, il n'y a qu'une seule commune qui peut avoir appliqué ce critère (ordonnance de 2003) pour se déclarer bilingue, Courtepin. Dans tous les cas, il n'est pas clairement formulé si le juge doit comprendre la langue du justiciable ou s'il doit faire appel à un(e) interprète.

- Les pratiques communales

Une commune reconnue habituellement comme unilingue peut accepter de rendre des services dans l'autre langue officielle du canton, sans qu'elle devienne officiellement bilingue pour autant. On peut trouver des plaques de rue en deux langues dans une commune unilingue, comme c'est le cas à Fribourg, tout en restant formellement unilingue. La commune de Murten/Morat a deux noms officiels, mais ne publie ses documents qu'en allemand tout en offrant certains services oraux en français. À Fribourg, c'est l'inverse, les documents sont en français, mais des services peuvent être rendus en allemand. Il y a de nombreuses communes unilingues francophones qui offrent des services à la carte à leur minorité germanophone. Ces services peuvent varier énormément d'une commune à l'autre, et être retirés partiellement ou totalement selon la mairie du moment.

On ne peut pas se baser sur les pratiques en usage, car chaque commune décide de son fonctionnement. S'il fallait comprendre que le fait d'accorder «gracieusement» des services dans une autre langue rend une commune officiellement bilingue, il y aurait probablement des rébellions organisées en bonne et due forme. Bref, une commune peut offrir des services limités dans une autre langue sans qu'elle soit tenue de le faire de façon systématique dans deux langues. 

- La présence de deux langues dans un district

Deux districts sont considérés comme bilingues: le district du Lac et le district de La Sarine. Ils sont dits bilingues parce qu'il y a davantage de citoyens des deux langues officielles dans la plupart des communes. Mais ce statut qu'on pourrait qualifier d'autoproclamé n'est pas régi par une loi et ne concerne en fait que la préfecture du district qui décide comment elle va appliquer une forme de bilinguisme. En général, la préfecture peut offrir des documents en français et en allemand comme bon lui semble, mais au grand jamais cela implique les communes qui, de leur côté, bénéficient de leur autonomie à ce sujet.    

Bien que le district de La Sarine et le district du Lac soient les seuls à être techniquement bilingues, cela ne rend pas les communes bilingues. Une commune peut même avoir une dénomination bilingue (Murten/Morat, Meyriez/Merlach, Courgevaux/Gurwolf, etc.) et être unilingue dans les faits. Il est aussi possible de n'avoir qu'une dénomination française, p. ex. Courtepin, et être plus ou moins bilingue dans les faits.

- Une notion élastique

Cela étant dit, en l'absence de critères connus, la «pratique du bilinguisme communal» peut être plus ou moins officialisée par les autorités communales (règlements communaux, les décisions du Parlement ou d'une assemblée communale, les décisions de l'exécutif communal, etc.), mais c'est très rare que ce soit fait formellement. Le degré de la «pratique bilingue» peut varier d'une commune à une autre, et d'un domaine administratif à un autre. Le bilinguisme n'est pas le même d'une commune à l'autre ou n'a pas le même sens.

Pour la plupart des Fribourgeois, une commune bilingue, c'est une localité où la plupart des locuteurs parlent une langue donnée, tandis que d'autres, en moins grand nombre, s'expriment dans une autre. Par conséquent, la commune serait bilingue! Selon la même logique, une commune comptant 70% de francophones, 15 % de germanophones et 15% de lusophones serait trilingue? Pourtant non, parce que le portugais n'est pas une langue officielle dans le canton! Une localité où tous les résidents germanophones seraient bilingues demeurerait une localité unilingue.

Par comparaison, au Canada, la ville d'Ottawa, la capitale du pays, est officiellement bilingue de par la loi, mais ce n'est pas davantage une ville bilingue parce qu'il y a peu de francophones; Montréal est officiellement et juridiquement une ville unilingue française au Québec, mais c'est une ville néanmoins bilingue parce qu'il y a une forte proportion d'anglophones et d'allophones parlant anglais. Dans les deux villes, des procès bilingues sont disponibles, mais cette possibilité n'a rien à voir avec le statut linguistique des villes, car ce domaine ne relève pas des villes, mais des provinces et du gouvernement central. Nous sommes donc en présence de deux notions de bilinguisme: d'une part, le statut officiel reconnu par la loi, d'autre part, les pratiques réelles adoptées par les locuteurs ou les instances judiciaires ou administratives, voire par la présomption populaire qui croit à un bilinguisme déterminé par le pourcentage présumé des locuteurs.

Dans une situation similaire, les communes du canton des Grisons ont adopté une réglementation officialisant la ou les langues officielles de leurs localités, une commune pouvant compter plusieurs localités, ce qui implique éventuellement les instances municipales, judiciaires et scolaires. Dans les Grisons, il faut un minimum de 20% d'une minorité pour devenir bilingue à la condition que celle-ci soit romanche et non allemande. Il n'y a rien de tel dans le canton de Fribourg. Comme on le constate, le bilinguisme est une notion élastique et facilement interprétable.

- Les résistances

Étant donné que, dans le canton de Fribourg, aucune loi ne détermine l’appartenance linguistique des communes, chacune peut faire ce qu'elle veut dans ce domaine, y compris s'opposer à tout bilinguisme. Il peut donc exister une certaine résistance chez des francophones à l'égard de la communauté germanophone dans la mesure où la majorité craint à tort ou à raison la germanisation de leur commune ou de leur canton. Rappelons que la majorité francophone est dans une situation minoritaire au plan national (22,7%), ce qui ne semble pas inciter une majorité francophone locale à avoir une attitude de «générosité» pour leur minorité germanophone. Cette résistance se traduit par une application stricte de la territorialité à partir du principe «une commune, une langue».

Voici donc des extraits (les caractères gras sont d'origine) d'un message du Conseil communal concernant la langue officielle de la commune de Mont-Vully dans le district du Lac (pop.: 4450 hab.):

Message du Conseil communal concernant la langue officielle de notre commune  (2016)

Le Conseil communal vous fait part de sa position en ce qui concerne la langue officielle de la Commune de Mont-Vully qui est et demeurera le français.

[...]

Vu ce qui précède, nous considérons que notre devoir est de veiller au respect de la répartition traditionnelle des langues puisque, historiquement, notre commune a toujours été un territoire francophone. On ne peut renier notre histoire sans autre et votre Conseil communal tient fermement au maintien de cette territorialité francophone.

Statistiquement, il y a effectivement une part importante d’habitants déclarés comme étant de langue maternelle allemande, mais en réalité la grande partie parle très bien le français et le reste le maîtrise suffisamment pour comprendre la documentation reçue de la commune. Dès lors la minorité de ceux ne comprenant pas le français n’est pas assez importante pour exiger l’allemand comme langue officielle, les frais découlant de son introduction étant trop élevés au regard de la grandeur de la commune. [...]

Nous ne voulons pas, par cette prise de position, créer une polémique ou déclencher une guerre des langues qui serait stérile et néfaste. Nous sommes au contraire persuadés que vous comprendrez que notre point de vue se justifie tant historiquement que financièrement. L’essentiel pour nous est que chacun qui a choisi de venir chez nous, en pays francophone, soit heureux de son choix et puisse bénéficier pleinement de ce que notre commune offre. Autrement dit nous souhaitons que chacun réussisse son intégration dans le cadre que nous offrons et qui est historiquement le nôtre. [...]

C'est un exemple intéressant parce qu'il représente la complexité de la situation en Fribourg. Mont-Vully est située dans la zone francophone suisse déterminée par la Röstigraben, mais elle a une frontière commune avec le canton de Berne massivement de langue allemande. Cependant, il existe dans la municipalité une minorité germanophone relativement bilingue. Par conséquent, il apparaît inutile de déclarer l'allemand co-officiel avec le français. Selon la même logique, il serait inutile de déclarer la commune officiellement de langue française puisque tout le monde parlerait cette langue. D'ailleurs, la commune ne dispose d'aucun texte juridique à ce sujet. Le français est la langue officielle de facto, il ne l'est pas de jure, ce qui n'empêche nullement la commune d'avoir un site en français et en allemand. 

Par conséquent, les zones mixtes ou bilingues sont rarissimes dans le canton de Fribourg, sauf pour les domaines «cantonalisés» (p. ex., la justice, la sécurité, les hôpitaux) qui ne relèvent pas des communes ou des localités. Certains Fribourgeois francophones s'élèvent contre le bilinguisme qu'ils comparent par dérision à du pinard: «Il n’y a que les gens saouls qui veulent le déclarer obligatoire.» Malgré tout, la peur de la «colonisation germanophone» continue d’influencer la politique des langues dans la ville de Fribourg et dans les communes limitrophes, sinon dans tout le canton.

- La Ville de Fribourg

Selon l'Office fédéral de la statistique, la ville de Fribourg comptait 68 021 habitants à la fin de janvier 2023, mais 94 219 dans l'agglomération fribourgeoise. Dans l'agglomération, 73,8 % parlent le français et 16,3 %, l'allemand. Dans la ville même, 70,0% ont le français comme langue maternelle, 21,0%, l'allemand. Dans le Vieux-Fribourg, on peut trouver des plaques de rue en français et en allemand. De nombreux documents sont disponibles en allemand. Tout cela suffirait pour affirmer que Fribourg est une ville bilingue? Or, il n'existe aucun règlement communal déclarant que le français et l'allemand sont les langues officielles. 

Par conséquent, la Ville est juridiquement unilingue française (de jure) par défaut, mais à demi-bilingue dans les faits (de facto)! Rappelons le cas des villes canadiennes d'Ottawa et de Montréal, à la fois bilingues et unilingues, selon le critère auquel on se base. L'exemple de la Ville de Winnipeg au Manitoba est également digne d'intérêt: la Ville n'est pas officiellement bilingue, mais certains quartiers le sont par la Charte de la Ville de Winnipeg, ce qui signifie que la Ville doit offrir des services bilingues comme si elle était officiellement bilingue partout, mais uniquement limitée dans certains quartiers (Saint-Boniface et zones désignées). 

- Les solutions

De nombreux spécialistes se sont penchés sur cette question depuis des décennies, sans encore avoir trouvé de solutions appropriées pour le canton de Fribourg. Les diverses tentatives de doter le canton d’une loi sur les langues, plus précisément sur les langues officielles des communes, ont été jusqu'ici abandonnées, généralement parce qu'on craignait à tort ou à raison de voir le débat public dégénérer en une «guerre des langues» (voir le texte ci-haut de la commune de Mont-Vully) qui opposerait les francophones et les germanophones. Mais tout cela pourrait bientôt changer avec une éventuelle adoption de l'avant projet de Loi sur les langues officielles et la promotion du bilinguisme (2025).

Cette éventuelle loi linguistique prévoit des critères, notamment les suivants:

- il faut une minorité linguistique autochtone, ce qui exclue une langue immigrante;
- il faut que la minorité s'exprimant dans l'autre langue officielle dépasse les 10%, selon des statistiques disponibles depuis les vingt-cinq dernières années;
- la population doit se prononcer sur l'introduction d'une deuxième langue officielle par un scrutin populaire;
- la population peut se prononcer sur l'abandon d'une deuxième langue officielle par un scrutin populaire;
- en cas de fusion de communes comprenant des localités de langues officielles différentes ou qui comptent deux langues officielles, la nouvelle commune fusionnée doit compter deux langues officielles; la «convention de fusion» peut toutefois prévoir une seule langue officielle.

En vertu de cette éventuelle loi, la ou les langues officielles des districts administratifs sont les suivantes:

a) le français pour les districts de La Sarine, de La Gruyère, de La Glâne, de La Broye et de La Veveyse;
b) l'allemand pour le district de La Singine;
c) le français et l'allemand pour le district du Lac.

3.3 Le bilinguisme individuel

Contrairement au bilinguisme institutionnel qui concerne les établissements et les organismes publics, le bilinguisme individuel se rapporte à la capacité d'une personne à s'exprimer et à employer de façon efficace deux langues différentes, en l'occurrence le français et l'allemand. Bien sûr, cette compétence linguistique peut se manifester de diverses manières, allant de la simple compréhension à la pleine maîtrise de la production et de la compréhension dans les deux langues. Le bilinguisme individuel peut être présent dès la naissance ou acquis à travers la scolarité ou par des contacts dans la rue ou au travail. D'un point de vue social, le bilinguisme individuel peut être «additif» si la langue seconde (L2) ne vient pas perturber la langue maternelle (L1) déjà acquise, ce entraîne un bilinguisme équilibré. Mais le bilinguisme peut être «soustractif» lorsque l'acquisition de la L2 vient déstabiliser la maîtrise de la L1. En somme, dans le bilinguisme dit soustractif, les deux langues sont perçues comme étant concurrentes, alors que dans le bilinguisme additif les deux langues sont vues comme complémentaires. Cette situation peut entraîner une attitude négative, si l'apprentissage se réalise au détriment de la langue maternelle. Lorsque deux langues cohabitent sur un même territoire, il faut tenir compte de cette réalité dès l'instant où une autorité décide d'imposer l'apprentissage d'une langue étrangère perçue de façon positive ou négative.

Dans le canton de Fribourg, le bilinguisme individuel se présente ainsi:
 

Langues principales Canton de Fribourg Suisse
Français seul / français et autre(s) langue(s), sans l'allemand 63,6 % 20,6 %
Allemand seul / allemand et autre(s) langue(s), sans le français 21,8 % 60,7 %
Bilingue français et allemand, éventuellement une autre langue 5,1 % 2,2 %
Unilingue (sans le français ni l'allemand) 8,8 % 14,7 %
Multilingue (sans le français ni l'allemand) 0,7 % 1,8 %

Le bilinguisme individuel touche 5,1 % des résidents permanents du canton de Fribourg. C'est dans le district du Lac (7,7%) qu'on trouve le plus grand pourcentage de bilingues, suivi de La Singine (6,2%), de La Sarine (6,0%) et de La Broye »(4,6%).

Il reste à savoir si les francophones sont plus bilingues que les germanophones et vice versa. Ce n'est pas si simple, car au niveau cantonal la langue principale parlée habituellement au travail est le français seul ou le français et une autre langue, à l’exception de l’allemand (61,6%). Pour 20,7% de la population, c’est le bilinguisme français-allemand qui est le plus courant. En revanche, 16,0% des personnes parlent habituellement l’allemand seul ou l’allemand et une autre langue, à l’exception du français, au travail.

Si l’on jette un coup d'œil au niveau national, les résultats montrent que l’allemand seul ou l’allemand et une autre langue, à l’exception du français, est la principale langue parlée au travail (65,0%), suivie du français seul ou le français et une autre langue, à l’exception de l’allemand (20,1%) et que le bilinguisme français-allemand ne représente que 8,6%. 

3 Bref historique du canton de Fribourg

La région du Fribourg a été habitée dès la préhistoire, soit vers - 3200 ans. Le canton entra dans l'histoire au IVe siècle avant notre ère avec l'installation des Helvètes celtes qui se partagèrent la région.

3.1 La période gauloise

Le territoire de la Suisse est témoin d'une présence humaine très ancienne, notamment dans les cantons du Valais et de Vaud; des cités lacustres furent fondées dans le Jura et ailleurs. Quoi qu'il en soit, nous ne savons rien des langues parlées par ces premières populations.

Par contre, nous en savons davantage avec l'arrivée des peuples gaulois entre 1000 et 500 avant notre ère, vraisemblablement en provenance d’une région située à l’est du Rhin, entre le Main et le Danube, et jusqu’en Hongrie. Bien avant l'arrivée des Romains, soit au début de l'âge du fer (entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère), la civilisation celtique, originaire de ce qui est aujourd'hui l'Allemagne du Sud et la France du Nord-Est, s'était implantée en Autriche, ainsi que dans l'est de la France, en Suisse et le nord de l'Italie, en Espagne et dans l'île de Grande-Bretagne.

C'est également à cette époque que s'établirent les relations commerciales entre les Celtes et les peuples de la Méditerranée (voir la carte de l'aire celtique entre le Ve siècle avant notre ère et le début des conquêtes romaines). On sait aussi qu'au IIIe siècle des tribus celtes envahirent le monde gréco-romain en s'emparant de l'Italie du Nord, de la Macédoine et de la Thessalie.

Au Ier siècle avant notre ère, la région couvrant toute la Suisse actuelle, l’Italie du Nord et les régions françaises voisines appartenait à une même aire relativement homogène de langue gauloise. Rien n’est connu d’une éventuelle différenciation dialectale de cet espace ethnoculturel. Nous ne savons même pas dans quelle mesure les parlers des différents peuples gaulois dont on connaît le nom se distinguaient.

Plusieurs peuples celtiques occupèrent le territoire de la Suisse actuelle, dont les Rauraques au nord-ouest, les Rhètes en Suisse orientale et dans les Grisons, le Tessin peuplé de Lépontiens, alors que le Valais actuel était partagé entre les Nantuates, les Véragres, les Sédunes et les Ubères; les Allobroges occupaient la région de Genève. Mais ce sont les Helvètes qui sont demeurés les plus célèbres Gaulois dans l'histoire de la Suisse.

La ville d'Avenches (Aventicum, en latin) était la capitale des Helvètes. Elle était située dans l'actuel canton de Vaud, mais à la limite du canton de Fribourg. Comme on le sait, aux abords du lac de Neuchâtel, les districts de Vaud et de Fribourg appartiennent à la même aire géographique, notamment le district de La Broye fragmenté en parcelles de territoires. Aventicum se trouvait être à proximité du lac de Morat partagé aujourd'hui entre Vaud et Fribourg.

Le pays des Helvètes constituait une région stratégique pour l'Empire romain parce qu'elle était située tout près des Germains de l'autre côté du Rhin. Un système routier fut mis en place afin de garantir la possibilité d'y envoyer rapidement des troupes. En quelques décennies, Aventicum compta plus de 20 000 habitants, ce qui en faisait la plus grande ville de l'Helvétie. 

3.2 La romanisation

En l'an 15 avant notre ère, les Helvètes furent vaincues et l'empereur Auguste incorpora la région des Helvètes à l'Empire romain, qui fit partie de la province de Rhétie-Vindélicie dont la capitale était Augsbourg. Mais les Romains demeurèrent peu nombreux et se limitaient à un certain nombre de fonctionnaires attachés au gouverneur de la province, quelques dizaines de soldats chargés de la sécurité des routes et du gouverneur, ainsi que quelques spécialistes et techniciens œuvrant dans des chantiers de construction particuliers comme les édifices publics et les routes. En somme, rien pour latiniser les autochtones avec succès. Néanmoins, pendant quatre siècles, Rome exerça sur la région son influence économique et culturelle, surtout à partir de Adventicum (Avenches). Les populations celtes se latinisèrent progressivement d'autant plus que les routes favorisèrent la diffusion des idées.

À partir du IIIe siècle, la colonisation par deux peuples germaniques, les Alamans venus du Nord-Est et les Burgondes par l'Ouest, donnèrent au territoire les éléments de sa future composition linguistique. Les colons alamans et burgondes s'installèrent dans la région entre la Sarine et la Singine parce que les Gallo-Romains y étaient peu implantés.

Quant à ces derniers, leur langue latine subit des changements importants du fait de l'affaiblissement du pouvoir romain et de l'arrivée des Alamans et des Burgondes. Contrairement à des cantons comme le Valais, Neuchâtel ou Genève, les peuples germaniques ont pu conserver leur langue. Avec le temps, les transformations linguistiques des Gallo-Romains aboutirent à la disparition graduelle du latin parlé pour se transformer en divers parlers franco-provençaux qu'on désignera par le terme de «patois».

Cette transformation linguistique s'étala du Ve siècle au IXe siècle, soit durant la période où la portion alémanique actuelle du canton de Fribourg est devenue effectivement alémanique. On peut constater encore aujourd'hui que la situation linguistique semble n'avoir que peu évolué depuis l'année 500. Entre-temps, la population s'était christianisée et au cours du VIe siècle celle-ci gagna les campagnes.

La région fit ensuite partie de l'empire de Charlemagne, puis passa à la Lotharingie. Après la mort de Charles III le Gros (né en 839) en 888, la région fit partie d'un nouveau royaume de Bourgogne créé par le guelfe Rodolphe Ier. En 1032, soit après la mort du roi Rodolphe III, la région, comme d'ailleurs toute la Suisse (ainsi que l'Allemagne, l'ouest de la France et le nord de l'Italie), fut rattachée au Saint Empire romain germanique, mais elle resta politiquement morcelée entre de nombreux seigneurs féodaux qui se considéraient relativement libres des politiques de l'empereur. Au plan linguistique, toute la région subit l'influence des familles de langue allemande pendant tout le siècle qui suivit. L'évêque de Lausanne (de 1056 à 1089), Burcard d'Oltigen, fidèle à l'empereur Henri IV, obtient en 1079 des droits et des biens entre la Sarine, le Léman et les Alpes, Cugy et Morat.

3.3 La fondation de la ville de Fribourg

La ville de Fribourg fut fondée par le duc Berthold IV de Zähringen (vers 1125-1186) en 1157; la Maison de Zähringen était une dynastie de ducs dans l'ouest de l'Allemagne et de la Suisse actuelles. Le nom est d'origine germanique et provient des mots allemands frei signifiant «libre» (en raison des libertés octroyées par le fondateur) et Burg, «lieu fortifié». La ville acquit alors un caractère principalement germanophone, malgré la présence d'une population «franco-provençale» parlant essentiellement le «patois fribourgeois», une variété locale du franco-provençal, qui présentait diverses variantes internes.

Le sort de la ville de Fribourg changea à la mort de son fondateur en 1186 : la ville fut partagée entre les seigneuries de l'époque qui ont façonné le destin de la Suisse au Moyen Âge avec les Savoie, les Zähringen, les Kybourg et les Habsbourg. Le roi Berthold V de Zähringen légua la ville à sa sœur Anne, épouse d’Ulrich de Kibourg (Kyburg). Les Kibourg octroyèrent aux Fribourgeois une charte communale.

- Le règne des Kybourg

Le 28 juin 1249, les comtes de Kybour, Hartmann l'Ancien et son neveu Hartmann le Jeune, accordèrent en effet la Handfeste ou «Charte des franchises», qui régissait l’organisation politique, judiciaire et économique de la ville. Cette première constitution fribourgeoise fut rédigée en latin et traduite en français médiéval (ancien français) et en allemand médiéval.

La Handfeste réglementait les successions, les droits des femmes sur leurs biens, puis ceux des mineurs; il imposait des limites «à la ferveur des moribonds qui doteraient l'Église au préjudice de leurs héritiers»; il interdisait de citer un citoyen devant un tribunal étranger; il punissait de mort (la pendaison) tout vol d'une valeur de cinq sous (ou sols) commis dans l'enceinte de la ville; il consacrait l'inviolabilité du domicile, prévoyait la marche à suivre dans les procédures, la saisie des gages, les cautionnements, les citations, les privilèges des foires, les droits de four. La Handfeste réglementait également la police, ainsi, la propreté des rues, le code des logis, des bouchers, des boulangers et des marchés. Comme c'était courant à l'époque, rien ne concernait la langue! La Handfeste consacrait le pouvoir politique détenu par des bourgeois d'origine noble. À cette époque, la langue employée par les autorités fribourgeoises était le latin, ce qui permit sans doute aux populations locales de conserver leur langue maternelle, le dialecte alémanique pour les germanophones, et le patois fribourgeois pour les romandophones. 

- Le régime des Habsbourg

Par la suite, durant près de deux siècles, la ville de Fribourg demeura sous la domination des Habsbourg, soit de 1277 jusqu'en 1452, bien que vers 1380 les premiers cantons suisses se sont libérés de la domination des Habsbourg qui ne contrôlaient encore que l'Autriche. Malgré les conflits militaires et politiques incessants, Fribourg connut néanmoins une prospérité certaine. La cité s’agrandit, les métiers s’organisèrent en corporations, l’éducation et l’assistance se développèrent. Puis, par la Lettre des Bannerets (1404) — titre de noblesse accordé à des chevaliers —, la ville se dota d'une nouvelle constitution qui confirmait la concentration des pouvoirs dans le Conseil, une Chambre secrète, dont les membres étaient appelés les «Secrets» du fait qu'ils étaient tenus au secret de par leur fonction.

Ce conseil était formé des magistrats suprêmes du canton et de conseillers expérimentés issus des régions ou des communes. Les nobles furent alors exclus de certaines charges importantes, car l'essentiel de l'autorité était concentré aux mains des «24 Secrets», soit six par quartier, lesquels contrôlaient toutes les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ce document, qui restera jusqu'à la fin de l'Ancien Régime la loi fondamentale de Fribourg, ne traitait pas davantage de la langue. Cela étant dit, les langues écrites de la part des autorités étaient le latin, le français et l'allemand.

À partir du XIVe siècle, la ville de Fribourg se francisa considérablement. Les classes dirigeantes étaient alors instruites en français, tandis que les Livres des Bourgeois étaient consignés par des notaires et greffiers ayant reçu leur formation à la fois en latin et en français à la cour de l'évêque de Lausanne. Les trois quarts de la population étaient d'origine romande, le quart, d'origine alémanique. L'ouest de la ville se germanisa davantage au XVe siècle.

Fribourg bénéficia des liens économiques et politiques avec les Habsbourg, ce qui se traduisit, entre autres, par une plus grande importance de l'allemand, l’érection de grands bâtiments et l’augmentation de l’activité économique. En 1424, les autorités autorisèrent la rédaction des actes notariés et des pièces justificatives en français et en allemand. Comme pour toute personne exerçant une fonction publique, le bilinguisme dut être très fréquent chez les commerçants, les transporteurs et les aubergistes.

Enfin, la cathédrale, chef-d’œuvre de l’architecture gothique, devint un symbole du pouvoir et de l’influence religieuse des Habsbourg dans la région. Pendant ce temps, les Suisses profitèrent de ce que les Habsbourg étaient occupés ailleurs, pour s'émanciper et s'étendre, et devenir indépendants, du moins pour plusieurs cantons. 

- La Maison de Savoie

En 1452, la Ville de Fribourg se soumit au duché de Savoie, se séparant ainsi de l'Autriche et des Habsbourg; elle avait demandé la protection de la Savoie et avait prêté serment d'allégeance au duc Louis de Savoie, sans avertir Berne. Cette décision se voulait une réaction aux guerres entre les Habsbourg et la Maison de Savoie, au cours desquelles Fribourg fut attaquée à plusieurs reprises à la fois par Berne et la Savoie. Cette dernière renonça alors aux contributions de guerre de Fribourg et étendit même les privilèges de la Ville. Le protectorat de la Savoie, à l'exemple de Vaud, du pays de Gex (Gexois), du Chablais, du Bas-Valais et d'Aoste, favorisa le développement de la langue française, car les ducs de Savoie à Chambéry employaient le français comme langue administrative, même si les populations parlaient des variétés du franco-provençal dans leur vie quotidienne.

Puis les conflits s'accentuèrent durant plusieurs années entre les partisans de la Savoie et les partisans des Autrichiens, soit généralement entre les Romands et les Alémaniques, ce qui occasionnera des conflits entre les deux communautés linguistiques.

3.4 Fribourg, ville libre (1477)

Fribourg s'affranchit des Savoyards en 1477 et obtint de l'empereur du Saint-Empire romain germanique le statut de «ville impériale libre», c'est-à-dire libérée du joug d'un suzerain et pouvant posséder ses propres terres. La cité commença une phase d'expansion et plusieurs localités et bailliages des environs devinrent la propriété de Fribourg. En 1492, la Ville interdit formellement la rédaction des lettres officielles en latin au profit des langues locales, mais c'est le français qui devint d'abord la première langue administrative en raison de sa parenté avec le latin, puis l'allemand finit par atteindre la parité avec le français. Les magistrats et les greffiers communaux durent posséder une connaissance des deux langues. Cela étant dit, les habitants fribourgeois parlaient entre eux soit en «patois fribourgeois» soit en suisse alémanique, selon leur origine, mais n'écrivaient qu'en français ou en allemand. Tous les gens instruits parlaient donc au moins deux langues: le parler local (patois fribourgeois ou suisse alémanique) et le français ou l'allemand, parfois trois avec l'autre langue officielle!   

Quelques années plus tard, soit le 22 décembre 1481, Fribourg devint un canton de la Confédération helvétique. Mais plusieurs bailliages furent administrés à tour de rôle par le canton de Berne. Le canton de Fribourg devint le premier canton suisse réunissant des populations de langues romande et alémanique dans une communauté qui se voulait égalitaire. En 1483-1484, le gouvernement cantonal choisit l'allemand comme première langue administrative, bien que le français fût employé dans les territoires romands. L'allemand était réservé aux territoires alémaniques ainsi qu'à la chancellerie, les conseils et les relations entre le gouvernement et les baillis. Dans les bailliages, les représentants des autorités continuèrent d'employer les langues locales. Le canton de Fribourg acquit de nouvelles villes, de nouveaux villages et d'autres bailliages, et de nombreux notables germanisèrent leur nom de famille.

Au XVIe siècle, Fribourg poursuivit son expansion et constitua un territoire correspondant à peu près ce qu'il est aujourd'hui en acquérant plusieurs seigneuries et villages, en participant à la conquête du pays de Vaud (1536) et, avec l'aide de son allié, le canton de Berne, en se partageant le comté de Gruyère (1554-1555).

Le canton se retrouva avec une population de plus en plus mixte avec l'apport de familles germanophones, notamment dans le Nord. À cette époque, le territoire de Fribourg demeurait truffé de seigneuries savoyardes, épiscopales et comtales. Les autorités approuvèrent la création d'écoles dont la langue d'enseignement était l'allemand ou le français, mais la majorité des écoles fonctionnèrent en français jusqu'au XVIe siècle. Elles relevaient en général des autorités ecclésiastiques. Dans certaines écoles, l'enseignement était offert à la fois en français et en allemand, sans distinguer l'origine linguistique des élèves. Dans d'autres écoles, un tronc commun était donné en latin à tous les garçons, alors que les autres cours étaient donnés en français aux Romands et en allemand aux Alémaniques.

3.5 La Réforme protestante et la Contre-Réforme catholique

Alors que la plupart des cantons suisses furent sensibles aux appels de la Réforme et devinrent même protestants, par exemple Genève, Neuchâtel, Berne, etc., Fribourg résista à la Réforme, mais le canton se trouva enclavé par des territoires protestants dès 1536. Cette décision de la part des seules autorités fribourgeoises devait influencer l'histoire du canton pour les deux siècles suivants et, afin de dissuader Berne de toute velléité d'agression, il fallut tisser avec le monde catholique européen des liens étroits. Son lien diplomatique relativement fort avec la France, de même que sa participation importante à la garde pontificale créée par le pape Jules II en 1506, explique en partie ce choix. Rapidement le canton va se retrouver isolé au milieu de ses voisins protestants. C'est à Fribourg que fut renouvelée en 1564 l'Alliance perpétuelle avec la France, et le canton devint un réservoir de mercenaires militaires pour les rois de France, ce qui favorisa la francisation du territoire.

Puis le canton de Fribourg participa activement à la Contre-Réforme (1524-1602) et instaura le catholicisme comme «religion d'État». Après l'excommunication par le pape prononcée contre Martin Luther en 1521, Fribourg condamna au bannissement quiconque parlerait du réformateur. En 1524, le gouvernement fribourgeois imposa la religion catholique à toute la population, tandis que les récalcitrants furent contraints à l'exil.  En 1542, lors d'une cérémonie solennelle en la collégiale de Saint-Nicolas, tous les représentants de la classe politique fribourgeoise jurèrent de conserver la «vraie foi chrétienne». Durant tout un siècle, chaque paroisse fut invitée à renouveler la profession de foi catholique. Encore à cette époque, la question linguistique ne faisait pas courir les foules, mais la religion demeurait au centre des préoccupations politiques au risque de déclencher des guerres. 

3.6 L'Ancien Régime patricien (1602-1798)

Les conditions politiques nées de la rupture confessionnelle avec presque toute la Suisse entraînèrent la concentration du pouvoir dans les mains d'un patriciat fribourgeois qui évoluera jusqu'à l'avènement de l'absolutisme. Se désignant «patriciens», des nobles (une quinzaine de familles) et des bourgeois privilégiés exercèrent les principales fonctions de l'État aux plans politique, économique, culturel et social. Cette période, où le pouvoir était concentré entre les mains d'un petit groupe de familles patriciennes, s'étendit du XVIe au XVIIIe siècle; elle fut marquée par un renforcement de l'autorité de la Ville de Fribourg sur ses territoires sujets, les "Anciennes Terres" (appelées en allemand "Alte Landschaft") — les plus anciennes possessions de Fribourg — et les bailliages (appelées parfois "Nouvelles Terres"), et par des conflits avec la campagne environnante. Peu à peu, cette autorité augmenta ses pouvoirs aux dépens de l’assemblée des bourgeois et des habitants.

Le régime patricien s'institutionnalisa en 1627, lorsque les «bourgeois secrets» se déclarèrent seuls admissibles aux fonctions publiques, ce qui correspondait à laisser tous les pouvoirs aux mains de quelque 70 familles dominantes, les regimentsfähig, celles qui faisaient partie du Grand Conseil, et à grande majorité germanophone. Progressivement, l'autorité du patriciat devint «de droit divin» et aboutit à un gouvernement autoritaire absolutiste, selon le principe «tout pour le peuple, rien par le peuple». Le seul pouvoir que le patriciat partagea avec la petite bourgeoisie dite «ordinaire» — par opposition à la bourgeoisie «privilégiée» — fut le droit d'élire l'avoyer (le fonctionnaire représentant un seigneur), le bourgmestre et le curé de la ville. Pour le reste, jamais le peuple ne fut consulté, même pas pour le choix de sa religion.

Cette situation provoqua périodiquement des mécontentements, particulièrement dans les villages et les campagnes. Comme dans le reste de la Confédération helvétique, la plupart des cantons étaient dans la même situation, alors que les villes importantes étendaient leur pouvoir sur la campagne. Déjà en 1653, la Suisse alémanique avait connu la «guerre des Paysans» et Fribourg avait envoyé des troupes sous commandement bernois afin de mater les soulèvements. En mai 1781, la ville de Fribourg fut à son tour assiégée par la campagne insurgée. Par solidarité patricienne, Berne vint rapidement à la rescousse de Fribourg afin de calmer la rébellion.

Toutefois, la bourgeoise »ordinaire» — celle qui possédait des biens immobiliers, des forêts, des terres agricoles et des vignobles, et dont les revenus étaient employés à des fins publiques —, généralement germanophone, qui formait le gros des 700 contribuables les plus imposés et totalement exclus du pouvoir, mais ambitieux, se montra solidaire de la révolte campagnarde (généralement plus francophone que germanophone). Si les trois quarts de la population formée par les paysans n'avaient pas sérieusement inquiété les autorités, ni d'ailleurs la masse anonyme des artisans et commerçants, il devait en être autrement avec la bourgeoisie «ordinaire», car c'est parmi celle-ci que la Révolution française allait recruter en 1798 ses plus chauds partisans.

Pendant toute cette période, l'allemand resta la langue administrative privilégiée, même si les communications avec la population romande se faisaient en français, dont une partie de la population s'exprimait encore en une variété locale du franco-provençal

3.7 La Révolution française

Le 2 mars 1798, la ville de Fribourg tomba presque sans résistance devant l'armée française. L'Ancien Régime du patriciat fribourgeois s'écroula, suivi de celui de Berne quelques jours plus tard. Le canton de Fribourg fut incorporé à la nouvelle République helvétique calquée sur le modèle français. La distinction entre cantons, alliés, sujets et bailliages fut abolie et les frontières administratives furent redessinées sans tenir compte de l’évolution historique. Grâce à la Révolution française, Fribourg s'accomplit au prix d'un mélange confessionnel des populations qui, par l'arrivée des milliers de réformés des districts d'Avenches et de Payerne, modifiait profondément le visage traditionnel du canton.

Dès 1801, les Vaudois du Léman se séparèrent de Fribourg. Au plan linguistique, le français devint la langue administrative principale du canton de Fribourg, mais l'allemand demeura la langue de prédilection dans les communications entre Fribourg et les confédérés. En réalité de 1798 à 1814, ce fut un bilinguisme de fait. 

Cette situation se perpétua même après l'Acte de médiation imposé par Bonaparte, le 18 février 1803. Les autorités utilisèrent un bilinguisme administratif qui respectait les besoins des deux communautés linguistiques. La Chancellerie d'État considérait que la publication française des lois et décrets constituait la version originale. Cette supériorité du texte français sur l'allemand allait être concrétisée par une disposition constitutionnelle. En même temps, la ville de Fribourg fut désormais séparée de l'État de Fribourg lors de l'Acte de dotation pour la Ville de Fribourg en Uchtlandie du 8 octobre 1803, celle-ci étant dorénavant assujettie au canton. En fait, l'Acte de dotation imposé par Bonaparte consacrait la séparation de la Ville et de l'État, bien que Fribourg puisse demeurer le chef-lieu du canton.

3.8 La restauration et le régime libéral

En 1814, l'ancienne classe dirigeante germanophone fut reconduite au pouvoir. Fribourg demeura le seul canton à rétablir en droit un «patriciat restauré», au nom du principe de la légitimité. La nouvelle charte cantonale, d'inspiration foncièrement réactionnaire, fut proclamée le 10 mai 1814. Elle prescrivait que les protocoles des deux Conseils dussent être «tenus en langue allemande, comme langue de la nation suisse». Bref, l'allemand revenait en force à Fribourg après avoir été dominé par le français durant la Révolution. Néanmoins, les lois, décrets et autres actes continuèrent d'être publiés en allemand et traduits en français. La Constitution de 1814 imposait même la connaissance active des deux langues pour faire partie du Grand Conseil et du Petit Conseil.

- La fin du patriciat

La révolution de Juillet 1830 à Paris entraîna l'arrivée au pouvoir des libéraux dans plusieurs cantons suisses. À Fribourg, la pression populaire lors de la journée des Bâtons (le 2 décembre 1830) amena le Grand Conseil à mettre fin au régime du patriciat élitiste. Ce jour du 2 décembre fut nommé ainsi parce que, mécontente de la domination du patriciat et de l'absence de réformes politiques, la population avait manifesté de manière massive et déterminée, armée de bâtons. La pression populaire entraîna la fin de la domination du patriciat. Le nouveau régime d'inspiration libérale donna naissance à une démocratie essentiellement représentative qui garantissait les libertés individuelles. 

La Constitution de 1831 proclamait que «la langue française est la langue du Gouvernement», mais l'allemand et le français continuèrent d'être employés auprès des populations concernées.

Constitution de 1831

Article 15

La langue française est la langue du Gouvernement; cependant toutes les lois et tous les décrets du Grand Conseil, ainsi que tous les arrêtés du Conseil d’État, obligatoires pour tout le canton,
doivent être rédigés et publiés en allemand et en français.

Article 16

Le canton de Fribourg est divisé en treize districts, savoir:

Fribourg (partie allemande), chef-lieu provisoire de Fribourg

Fribourg (partie française), chef-lieu de Fribourg

[...]

Le bureau du Grand Conseil fut doté de deux interprètes afin de traduire toutes les délibérations. De plus, la plupart des juges de la cour d'appel devaient connaître les deux langues. Quant au grand district de Fribourg, il fut divisé en deux districts unilingues: le «District français» (la future Sarine) et le «District allemand» (la future Singine). Cependant, il subsistait encore dans les deux districts des populations d'origine romande et alémanique.

- Le statut du français

En 1848, un Grand Conseil majoritairement radical rédigea une nouvelle constitution, non soumise au peuple. La nouvelle Charte fribourgeoise défendait la liberté, l'égalité, la souveraineté populaire tout en étant très anticléricale. Cette loi fondamentale désigna le français comme «la langue reconnue par le Gouvernement». Mais en même temps, elle ajoutait: «Cependant, les lois, décrets et arrêtés sont publiés dans les langues française et allemande.»  En 1849, le Décret sur la publication des délibérations du Grand Conseil précisait (al. 11 et 12):

Le Bulletin des séances du Grand Conseil [...] sera aussi imprimé en langue allemande.[...]

L'édition allemande du bulletin se fera du reste de la même manière et jouira des mêmes avantages que la française.

Cela étant dit, la traduction en allemand n'était pas garantie par les autorités et les représentants de la minorité allemande durent se plaindre maintes fois.

C'est également à partir de 1848 que l'État fribourgeois assuma entièrement la responsabilité en matière d'éducation. Au plan linguistique, la politique scolaire appliquée reposa sur le principe «une commune, une langue, une école». Ce type de politique ne causait aucun problème dans les communes unilingues, mais dans les zones mixtes (comme le district du Lac) la situation devint rapidement complexe. Les discriminations semblent avoir touché les deux communautés linguistiques de façon plus ou moins égale. Les enfants francophones durent fréquenter des écoles allemandes, alors que des enfants germanophones durent recevoir leur instruction en français. Seule la ville de Fribourg offrait des écoles dans la langue des deux communautés linguistiques. La même situation se perpétua lorsque le gouvernement autorisa la création d'écoles secondaires. S'il existait des écoles pour les deux communautés dans le cycle normal à Fribourg, l'école secondaire commerciale pour garçon n'offrit ses cours qu'en français, et ce, de 1885 jusqu'en 1916. La première école secondaire fondée à Morat (district du Lac) en 1850-1851 n'enseignait qu'en allemand. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour avoir apparaître des écoles en français ou en allemand dans presque toutes les zones rurales. 

La Constitution de 1857 ne proclama pas de «langue officielle du gouvernement», mais accorda au français un statut supérieur»: «Les lois, décrets et arrêtés devront être publiés dans les langues française et allemande. Le texte français est déclaré être le texte original»:

Constitution de 1857

Article 21

Les lois, décrets et arrêtés devront être publiés dans les langues française et allemande. Le texte français est déclaré être le texte original.

Article 61

La majorité tant des membres que des suppléants du Tribunal cantonal doit posséder la connaissance des langues française et allemande.

L’allemand n'était pas placé sur le même pied d'égalité que le français, puisqu’en cas de litige le français faisait foi. Mais le plus profond malaise surgit lorsque Fribourg fut le théâtre de manifestations antigermaniques, ce qui porta préjudice à la minorité germanophone.

La Constitution de 1857 fit mauvaise impression au niveau fédéral, car depuis 1848 la Constitution helvétique conférait un statut d'égalité juridique aux trois langues nationales, l'allemand, le français et l'italien. Bien que l'allemand perdit son statut de langue officielle dans le canton de Fribourg, le bilinguisme administratif et judiciaire se perpétua. À la fin du siècle, le prestige de la langue allemande dans le canton était à son plus bas à un point tel que l'allemand fut perçu par la population romande comme un parler pour les «arriérés».

- Les patois fribourgeois

À la même époque, l'idéologie préconisée en matière de langue, notamment en France, était de valoriser le français normalisé aux dépens des patois considérés de moindre valeur. La décision de rendre l’école obligatoire pour tous tout au long du XIXe siècle en Europe francophone et au Canada français a également entraîné l’imposition d’une langue française standardisée, voire «pure», ainsi que l’interdiction des éléments considérés — les régionalismes et les mots étrangers — comme un appauvrissement ou une détérioration qui menacerait l’intégrité de la langue commune. D'ailleurs, beaucoup de familles et de municipalités suisses s'opposèrent à l’obligation scolaire qui leur était imposée parce qu'elles percevaient cette mesure comme une uniformisation et un empiètement sur leur liberté. Il faut aussi se rappeler qu'à cette époque les enfants étaient considérés comme de la main-d'œuvre et qu'il valait mieux qu'ils ne restent pas trop longtemps à l'école. Très souvent, les enfants étaient obligés de travailler et n’avaient pas le temps d’aller à l’école!

Or, dans le canton de Fribourg, beaucoup d'enfants ne parlaient que le «patois fribourgeois» de leur localité, ils n'étaient en contact avec le français qu'une fois rendus à l'école, bien que la population adulte fusse généralement capable de parler les deux langues, le patois dans la vie quotidienne et le français avec l'administration. À cette époque, on distinguait le patois gruérien (Gruyère et Veveyse), le patois broyard (Broyard), le patois de la Haute-Glâne, le patois de la plaine ou le kouètse (en Sarine). De nombreux ouvrages puristes furent publiés tel le Glossaire fribourgeois ou recueil des locutions vicieuses usitées dans le canton de Fribourg (1864) afin de traquer les germanismes. Voici quelques exemples de termes jugés «vicieux» employés dans le canton de Fribourg:

recrotson = petit repas
cavette = petite cave
cramine = froid intense
badje = abattu, fatigué
bonne-main = pourboire
bouchoyer = tuer un animal
communier (n.m.)= membre d'une commune
cratte = cueilloir (panier)
kneupflet = boulette de pâte frite
peuglise (n.f.) =  fer à repasser

Bien avant le canton de Fribourg, Genève avait déjà interdit le patois en 1668, le canton de Vaud en 1806 et le canton du Valais en 1824. Le canton de Fribourg se trouvait donc «en retard» sur les valeurs de l'époque. C'est pourquoi le gouvernement catholique, par ailleurs très conservateur, voulut montrer qu'il était capable de moderniser son système d'éducation, car l'honneur fribourgeois était pratiquement en jeu. Le bouc émissaire tout trouvé fut les patois comme moyen de compenser pour les problèmes sociaux apparus dans un canton écartelé entre la tradition et la modernité, pendant qu'une grande partie de la population vivait dans une extrême pauvreté. Dans le Règlement du 10 août 1850 pour les écoles primaires, le canton avait tenté une approche restrictive du patois:

Article 147

La langue maternelle (le français ou l’allemand) est seule en usage dans l’école. Le maître cependant pourra, de temps à autre, se servir du patois, comme moyen d’interprétation.

Ce n'était pas encore une interdiction totale. Cependant, en 1886, le canton de Fribourg accentua la lutte anti-patois en adoptant le Règlement général des écoles primaires du canton de Fribourg, en application à la Loi scolaire du 9 juillet 1886. L’article 171 du règlement proscrivait tout enseignement et tout usage du patois:

Article 171

L’usage du patois est sévèrement interdit dans les écoles; la langue française et l’allemand (Schriftdeutsch) sont seuls admis dans l’enseignement. Les instituteurs veillent à ce que, en dehors de l’école et dans les conversations entre enfants, il en soit de même.

Cette loi scolaire du 9 juillet 1886 devait marquer un point tournant dans l'histoire de l'éducation fribourgeoise. Non seulement elle établissait pour la première fois l'obligation scolaire pour tous les enfants de fréquenter l'école, de fixer les règles concernant l'âge d'entrée à l'école, la durée de la scolarité obligatoire et les responsabilités des parents, mais elle interdisait l'usage des patois dans les écoles et dans la vie privée des enfants en les stigmatisant s'ils parlaient patois. Dès lors, les patois fribourgeois furent discriminés et dévalorisés non seulement par les autorités scolaires, mais également par l'Église catholique qui mobilisa le clergé tandis que des mesures de police furent même instituées. 

À l'école, un élève surpris à parler patois devait porter une pancarte sur laquelle il pouvait être écrit : «J'ai désobéi à mon maître.» Il ne pouvait s'en défaire qu'en attrapant un autre élève parlant patois; le dernier de la journée à avoir la pancarte recevait une punition. Voici un témoignage cité par Pauline Hänni dans L'interdiction du patois dans les écoles (2012):

Ainsi, un vieil instituteur retraité m’avouait qu’il passait, dans les années 1920 à Mervelier, une médaille au cou d’un des élèves au début de la journée scolaire et que celui-ci devait la transmettre à un petit camarade qui avait prononcé un mot de patois. À la fin de la journée, l’enfant qui était en possession de la médaille était puni.

Ce genre de comportement a été utilisé non seulement à Fribourg, mais dans d'autres cantons suisses, égalent dans d'autres pays (même au Japon). Ainsi, le Règlement pour les écoles primaires du canton du Valais du 24 octobre 1874, issu de la Loi sur l'Instruction publique de 1873, précise en ces termes les buts premiers de l'école primaire :

L'école primaire a essentiellement pour but de former le cœur et l'esprit des élèves pour en faire des hommes religieux et moraux, et partant de bons citoyens ; de leur inculquer de bonne heure des idées d'ordre et de travail, et de leur communiquer les connaissances les plus nécessaires à la vie.

Dans ce but, un personnel enseignant «capable et dévoué» était nécessaire : sa formation à l'École normale devait y pourvoir. En Suisse, lorsqu'un candidat masculin était admis comme instituteur, il devenait «régent» et bénéficiait alors d'une influence incontestée au-delà des murs de l'école, en tant que titulaire d'une fonction publique. Les femmes enseignantes devaient être célibataires et portaient le titre de «maîtresse d'école».

Ce n'est pas sans rappeler les panneaux affichés un peu partout en Bretagne, que ce soit dans les autobus, les écoles ou autres lieux publics: «Interdiction de parler breton et de cracher par terre.» Beaucoup d'enfants furent punis parce qu'ils parlaient breton à l'école: ils devaient rejeter la langue de leurs parents. De fait, on demandait aux parents de parler français à leurs enfants dès leur plus jeune âge; ils s'exécutaient volontiers, car ils pensaient que leur progéniture atteindrait ainsi un meilleur niveau d’instruction. On a même fait croire aux parents que parler patois pouvait être un signe de moindre intelligence pour leurs enfants: «Parler patois rime avec manque d'intelligence.»

Afin d'illustrer la problématique en question, il est utile de lire ce témoignage d'un adulte ayant connu cette époque et rapporté par Manuel Meune de l'Université de Montréal dans Parcours linguistiques de Fribourgeois franco-provençalophones (2013):

À l’école, il y avait une loi à Fribourg qui interdisait le patois. Il ne fallait pas parler patois, sinon il fallait faire des copies, par exemple écrire 50 fois «Je ferai l’effort de ne plus parler patois. » De temps en temps, on s’oubliait… C’étaient souvent les mêmes qui étaient punis, parce que beaucoup parlaient déjà français en arrivant à l’école – mais pas tous, certains enfants ne comprenaient pas un mot à sept ans! Il fallait bien leur parler quand ils arrivaient à l’école… Ce qui était drôle, c’est que nous nous faisions engueuler par nos parents en patois, parce que nous avions parlé patois à l’école et qu’il ne fallait pas… Certains régents étaient plus compréhensifs, d’autres plus intransigeants – deux claques et puis au revoir! Une fois, le régent nous avait demandé les noms en ‘ou’ qui prennent un ‘x’ au pluriel et pour faire une blague, j’ai soufflé à celui qui devait répondre un mot en patois – et c’est un troisième qui avait reçu la claque…

La loi fribourgeoise demeura en vigueur jusqu’en 1961.

Toutefois, dans cette fin du XIXe siècle, pendant que l'emploi du patois était réprimé et discrédité par les autorités dans tout le territoire romand, l'alémanique, le «patois allemand», lui, fut toléré dans la partie germanophone. En fait, le suisse alémanique fut aussi visé par le même règlement de règlement de 1886, mais il ne sera jamais vraiment appliqué. Il s'agissait évidemment d'une politique du deux poids deux mesures. Par la suite, le patois franco-provençal périclita au profit du français. Les grandes villes virent progressivement disparaître les locuteurs du franco-provençal; seuls les zones rurales et les villages conservèrent leur patois. À l’école, il n’y eut plus d'enfant qui ne parlait pas français en arrivant, même dans les petits villages, abstraction faite des personnes âgées.

3.9 Les langues aux XXe et XXIe siècles

L'Université de Fribourg fut créée en 1898. Dès le début, elle se distingua par son bilinguisme. Les facultés étaient organisées en conséquence, mais c'est le professeur qui choisissait généralement la langue d'enseignement. Seule une minorité de professeurs donnaient leurs cours dans les deux langues. En général, ils employaient leur langue maternelle, souvent le français, mais les élèves devaient maîtriser les deux langues ou apprendre à copier les notes d'un autre.   

- La germanisation appréhendée

Lors de la Première Guerre mondiale, le canton de Fribourg, à cheval sur la frontière linguistique, se trouva confronté à la rivalité entre la majorité romande et la minorité germanophone. Les francophones s'en prirent aux citoyens de langue allemande, même s'ils étaient d'origine fribourgeoise ou suisse.  On assista à la renaissance du mythe de la «germanisation» du canton. Pourtant, c'étaient les germanophones qui souffraient de discrimination, notamment en matière de représentation politique. Malgré les efforts des autorités fribourgeoises pour améliorer la représentation germanophone au Grand Conseil, les déclarations des députés alémaniques continuèrent d'être consignées en français. Les noms et les municipalités de résidence des députés de la minorité linguistique furent inscrits dans l'Annuaire officiel de Fribourg uniquement en français jusqu'en 1930. De façon générale, la minorité germanophone semblait accepter son sort sans trop rechigner.

Cette situation inégale des deux langues officielles s'est perpétuée après la Seconde Guerre mondiale. Les Fribourgeois alémaniques, appelés "Deutschfreiburger", durent subir des inégalités à plusieurs titres, d'ailleurs peu à peu supprimées dans les domaines religieux, scolaires, administratifs, politiques, judiciaires, autrement dit à peu près tous les aspects de la vie quotidienne. Bien souvent, les en-têtes, les formulaires, les documents officiels du canton n'existaient qu'en français. La minorité germanophone fut discriminée et désavantagée aux plans social et culturel, notamment dans le district de la Singine. Fribourg restait résolument un «canton romand avec une minorité alémanique».

Vers le milieu des années 1950, les Fribourgeois alémaniques se dotèrent d'une association, le "Deutschfreiburgische Arbeitsgemeinschaft" ou DFAG (Groupe de travail germano-fribourgeois), créé pour la défense des droits de la minorité alémanique.

- L'égalité linguistique

Il fallut attendre les années 1960 pour assister à une tentative réelle d'instaurer une égalité véritable entre les langues française et allemande. Les germanophones finirent par acquérir la représentation proportionnelle de leur communauté au sein du gouvernement fribourgeois, puis l'administration cantonale s'engagea à assurer un meilleur respect de l'égalité des langues dans le fonctionnement de l'État. Avec les années, la communauté germanophone obtint progressivement les mêmes droits que ceux de la communauté francophone, bien que certaines pratiques déficientes en matière de bilinguisme aient été déplorées, surtout en matière de traduction, que ce soit dû à des omissions, des retards considérables ou de la négligence.

En principe, l'inégalité juridique a pris fin lorsqu'une nouvelle disposition constitutionnelle a été adoptée. Ainsi, l'article 21 de la Constitution du canton de Fribourg du 7 mai 1857 avait la teneur suivante:

Article 21 (abrogé)

Les lois, décrets et arrêtés devront être publiés dans les langues française et allemande. Le texte français est déclaré être le texte original.

Le 23 septembre 1990, le peuple fribourgeois acceptait, avec une forte majorité, de modifier cette disposition constitutionnelle. Le nouvel article 21 de la Constitution de 1857 (dernière modification au 1er janvier 1995) prévoyait ce qui suit:

Article 21 (abrogé)

1) Le français et l'allemand sont les langues officielles. Leur utilisation est réglée dans le respect du principe de la territorialité.

2) L’État favorise la compréhension entre les deux communautés linguistiques.

Néanmoins, l'atteinte d'une égalité juridique ne signifie pas nécessairement que les deux communautés vivent maintenant en symbiose et qu'elles communiquent facilement en elles. Mais si les conflits qui les opposaient depuis fort longtemps se sont apaisés, c'est déjà beaucoup.

- Une éventuelle loi sur les langues

L’État de Fribourg promeut et encourage le bilinguisme auprès de l'administration et de la population, notamment à travers le Prix du bilinguisme et la Journée du bilinguisme, qui mettent en valeur les actions en faveur d'un bilinguisme vivant. C'est la raison pour laquelle un projet de loi sur les langues est en préparation. Une quinzaine de communes seraient prêtes à se déclarer bilingues. Le projet de loi est controversé, car certains francophones craignent que l'allemand revienne en force. Par exemple, le projet de la Ville de Fribourg d’adopter un nouveau logo bilingue a provoqué des réactions négatives. Dans le projet de fusion d'un Grand Fribourg, la question du bilinguisme s’est également invitée dans les débats. On peut consulter l'avant-projet de Loi sur les langues officielles et la promotion du bilinguisme de 2025.

4 Les dispositions constitutionnelles

Le canton de Fribourg a adopté une nouvelle constitution en 2004 proclamant le caractère officiel du bilinguisme français-allemand au niveau du canton, mais pas nécessairement dans les communes ou municipalités. Voici le libellé de l'article 6 de la Constitution du 16 mai 2004 :

Article 6 (en vigueur)

Langues

1)
Le français et l’allemand sont les langues officielles du canton.

2) Leur utilisation est réglée
dans le respect du principe de la territorialité: l’État et les communes veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones.

3)
La langue officielle des communes est le français ou l’allemand. Dans les communes comprenant une minorité linguistique autochtone importante, le français et l’allemand peuvent être les langues officielles.

4) L’État favorise la compréhension, la bonne entente et les échanges entre les communautés linguistiques cantonales. Il encourage le bilinguisme.

5) Le canton favorise les relations entre les communautés linguistiques nationales.

4.1 La territorialité des langues

Les alinéas 4 et 5 de la Constitution correspondent davantage à des vœux pieux qu'à des prescriptions constitutionnelles concrètes, mais il faut retenir l’un des grands principes du droit suisse: la territorialité des langues. Ce principe reconnu dans la Constitution fédérale constitue l'élément fondamental du droit des langues pour tous les citoyens du pays. D’ailleurs, la jurisprudence des tribunaux (fédéraux) a toujours privilégié le principe de la territorialité des langues aux dépens de la liberté d'expression. Le principe est réaffirmé ici, comme partout ailleurs en Suisse, mais il confère un poids supplémentaire au principe de la territorialité par rapport à la liberté des langues, garantie par le droit constitutionnel non écrit. Les nouvelles dispositions constitutionnelles établissent une relation plus harmonieuse entre le principe de la territorialité et le principe de la liberté de la langue. Le paragraphe 3 tient compte des minorités linguistiques «autochtones» et est en rapport avec le principe de la territorialité des langues, ce qui n'était pas le cas dans l'ancienne constitution fribourgeoise.

4.2 La liberté des langues

L'article 17 de la Constitution de 2004 ajoute aussi cette disposition sur la liberté de la langue:

Article 17

Langue

1)
La liberté de la langue est garantie.

2) Celui qui s’adresse à une autorité dont la compétence s’étend à l’ensemble du canton peut le faire
dans la langue officielle de son choix.

La mise en œuvre de la volonté populaire n'est cependant pas aisée dans la mesure où le législateur fribourgeois n'a pas (encore) déterminé les aires francophones, germanophones ou bilingues. Dans l’état actuel des choses, il appartient à la pratique et aux tribunaux de trancher. Cependant, il existe des dispositions linguistiques particulières comme le Règlement d'exécution de la Loi sur le registre foncier du 9 décembre 1986, qui prévoit précisément à son article 43 la langue dans laquelle les registres seront tenus suivant la commune concernée. Il en va de même de l'article 17 du règlement du 2 décembre 1986 d'exécution de la loi du 27 février 1986 sur l'état civil.

Considérons que le droit à la langue n’est pas d’ordre personnel (sauf pour l’administration centralisée à Berne pour le gouvernement fédéral et à Fribourg pour le gouvernement cantonal), mais d’ordre territorial. Ce type de «bilinguisme» dérive du principe que les langues en concurrence dans un État bilingue sont séparées sur le territoire à l'aide de «frontières linguistiques» rigides. Les droits linguistiques sont alors accordés aux citoyens résidant à l'intérieur d'un territoire donné et un changement de lieu de résidence peut leur faire perdre tous leurs droits (linguistiques), lesquels ne sont pas transportables comme l'est, par exemple, le droit de vote. Dans les faits, l’État, comme c’est le cas du canton de Fribourg, peut être officiellement bilingue, mais il applique un unilinguisme local, sauf dans des cas très particuliers. Une telle pratique n’est possible que lorsque les communautés linguistiques sont très concentrées géographiquement.

Cela dit, dans le canton de Fribourg, la communauté francophone, majoritaire dans le canton, mais minoritaire en Suisse, tend, d’une part, à mettre l'accent sur le principe de la territorialité, tandis que la communauté germanophone, d’autre part, insiste sur la liberté des langues. Dans les faits, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la liberté de la langue protège l'usage de la langue maternelle ou d'une autre langue proche ou aussi de toute autre langue dont quelqu'un entend se servir (cf. l’arrêt du Tribunal fédéral 122/1996-I-236). Chacun est libre en Suisse d'utiliser la langue de son choix, oralement et par écrit, dans ses relations privées. Il s'agit, dans cette hypothèse, d'un aspect de la liberté d'expression. Dans les relations avec les autorités publiques, la liberté de la langue est restreinte par le principe fondamental de coexistence des communautés linguistiques que constitue le principe de la territorialité. Ainsi chacun a droit de s'adresser à une autorité publique dans sa langue si celle-ci est également la langue officielle de l'autorité concernée. Ces principes peuvent être résumés comme suit: la liberté des langues pour la vie privée, la territorialité pour la vie publique.

5 La politique linguistique du canton de Fribourg

Le canton de Fribourg, à l’exemple de la quasi-totalité des cantons suisses, n’a jamais adopté de loi linguistique spécifique, telle qu’on en retrouve dans plusieurs États, que ce soit dans les cantons du Tessin et des Grisons, en France (Loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française), en Catalogne (Loi sur la politique linguistique du 7 janvier 1998), en Lituanie (Loi sur la langue officielle de 1995), au Québec (Charte de la langue française de 1977), etc.

Cependant, le canton dispose d’une bonne trentaine de lois non linguistiques dont certains articles à portée linguistique apparaissent ici et là. La liste d’une partie de ces quelque 30 lois présentées au début de cette page témoigne des préoccupations linguistiques de la part des autorités cantonales. Ces lois cantonales traitent de façon ponctuelle de l'usage des langues dans l'organisation cantonale, judiciaire, scolaire, ainsi que des élections, du notariat, de l'expropriation, de l'état civil, du registre foncier, etc.

5.1 Les langues de la législation et de la réglementation

Le Parlement cantonal, appelé Grand Conseil, est l’autorité suprême du canton, qui exerce le pouvoir législatif. Il se compose de 110 députés, élus par le peuple pour une durée de cinq ans selon le système proportionnel. Il dispose de son propre secrétariat, dirigé par un secrétaire général et peut faire appel aux services de l’administration.

- Les débats parlementaires

Les députés du Grand Conseil s'expriment dans la langue de leur choix, c’est-à-dire en français ou en allemand standard (rarement en suisse alémanique). Il existe un système de traduction simultanée dans les débats parlementaires, ce qui signifie qu’un membre du Grand Conseil n’est pas compris par les unilingues dans les commissions particulières. Les articles de la Loi sur le Grand Conseil (2006) précisent ce qui suit concernant le choix de la langue et la traduction simultanée:

Article 48

En général

1) Dans les limites des dispositions légales et réglementaires, chaque membre du Grand Conseil a le droit notamment :

a) de prendre la parole et de formuler des propositions au cours des débats du Grand Conseil et des commissions dont il fait partie ;
b) de prendre part aux votes et élections ;
c) d’utiliser les instruments parlementaires ;
d) de recevoir des indemnités de séance et de déplacement ainsi que, le cas échéant, d’autres indemnités pour l’accomplissement de tâches particulières ;
e) de recevoir la documentation et les renseignements liés à l’exercice de l’activité parlementaire ;
f) de s’associer avec d’autres membres du Grand Conseil pour former un groupe parlementaire.

2) Il s’exprime dans la langue officielle de son choix.

Article 126

Traduction simultanée

1) Les débats en plénum font l’objet d’une traduction simultanée.

2) La diffusion, l’enregistrement et le compte rendu des débats sont limités à l’intervention originale.

De façon générale, les lois sont discutées en français, parfois également en allemand, puis rédigées en français et traduites en allemand; elles sont enfin promulguées à la fois en français et en allemand. Évidemment, étant donné le plus petit nombre de députés germanophones, les langues des débats sont d’abord le français et ensuite l’allemand, le suisse alémanique, pour sa part, demeurant extrêmement rare dans ce genre d’intervention formelle.

- La rédaction des lois et règlements

Les lois, décrets et arrêtés sont publiés en français et en allemand; en vertu de l’article 21 de la Constitution cantonale, les versions française et allemande des textes de loi sont sur un pied d'égalité. Il est vrai que, lorsqu'il s'agit d'interpréter un texte de loi qui n'est pas clair, le juge examine les procès-verbaux des débats du Parlement. Comme ceux-ci se déroulent généralement en français, et que les lois «sont pensées» en général dans cette langue, le français, de fait, conserve une certaine primauté. Les articles 18 et 20 de la Loi sur la publication des actes législatifs et de la Feuille officielle (2001-2023) confirment le caractère bilingue de la législation:

Article 18

Langues

1)
La publication des actes législatifs a lieu simultanément dans les deux langues officielles du canton.

2) Les documents préparatoires distribués aux membres du Grand Conseil doivent être disponibles simultanément dans les deux langues officielles. Il en va de même pour les avant-projets mis en consultation en dehors de l'administration cantonale.

Article 20

Texte faisant foi – Langue

1) Les deux versions linguistiques font foi de manière égale.

2) Demeurent réservés:

a) les cas où l'original d'un acte soumis à approbation ou à adhésion n'existe que dans une seule langue;
b) les cas où le droit intercantonal ou international détermine la version d'une convention qui fait foi.

Selon l'article 93 de la Loi sur le Grand Conseil (2006), le Secrétariat pourvoit au besoin à la traduction dans l’autre langue officielle des documents émis par le Grand Conseil et ses organismes:

Article 93

Langue des documents

1) Le Secrétariat pourvoit au besoin à la traduction dans l’autre langue officielle des documents émis par le Grand Conseil et ses organes, ainsi que des instruments parlementaires déposés et de leur motivation. Toutefois, les comptes rendus des débats et les procès-verbaux des commissions ne sont pas traduits et les communications internes au Grand Conseil ne sont traduites que sur demande d’un membre du Grand Conseil.

2) Les autorités du canton, les unités administratives et les délégataires de tâches publiques remettent dans les deux langues officielles les documents qui sont destinés à être distribués à l’ensemble des membres du Grand Conseil.

3) À la demande d’une commission permanente ou du Secrétariat, ils fournissent également la traduction d’autres documents nécessaires à l’exercice de la haute surveillance.

Quant au Règlement du Grand Conseil (2001-2023), il prévoit la vérification des actes législatifs bilingues afin d'éliminer les contradictions avant la transmission au Conseil d'État:

Article 52

Contrôle de la rédaction

1) Le service parlementaire examine les actes législatifs quant à la linguistique, à la technique législative et à la systématique déjà après la première lecture. Il élimine les contradictions de pure forme et assure la concordance des textes dans les deux langues avant leur transmission au Conseil d'État; ses éventuelles propositions sont remises le cas échéant à la deuxième commission.

Article 55

Publication

3) Sont en outre publiés le budget, le compte de l'État, les rapports des organes du Grand Conseil ainsi que, dans les deux langues, les projets d'actes législatifs et de décisions, les messages et les rapports du Conseil d'État.

L'article 11 du Règlement sur l’élaboration des actes législatifs (2006-2022) mentionne, outre le bilinguisme des textes, la possibilité de publier dans une seule langue des documents internes destinés à la consultation interne:

Article 11

Bilinguisme

1) Les Directions établissent les textes dans les deux langues officielles et veillent à la concordance entre les versions linguistiques. La Chancellerie d'État en assure la vérification (art. 5 let. e et 15 let. d).

2)
Les documents internes à l'administration, en particulier les documents mis en consultation interne (art. 32s.), peuvent être rédigés dans une seule langue.

3) Autant que possible, les projets sont rédigés dans des termes et des structures de phrases facilitant le respect du caractère bilingue de la législation.

4) Les personnes chargées des traductions dans les Directions sont associées suffisamment tôt aux travaux pour qu'il soit possible de tenir compte d'éventuelles incidences de la traduction sur le texte source.

Il faut comprendre aussi que les lois, décrets, ordonnances ainsi que les arrêtés sont communiqués en allemand dans la partie allemande du canton et en français dans la partie française. Contrairement à la pratique de certains autres États bilingues (Canada fédéral, Catalogne, Valée d’Aoste, etc.), les lois et règlements ne sont pas diffusés en version bilingue. Les lois sont éditées dans ce même recueil «en langues française et allemande». Ce recueil comprend la Constitution cantonale, les règlements et arrêtés de portée générale du Conseil d’État, les actes de portée générale pris par d'autres autorités cantonales, les conventions (notamment intercantonales), auxquelles le canton est partie et qui ont une portée générale. Sont également publiés dans le recueil d'autres actes dans la mesure où ils présentent un intérêt général.

5.2 Les langues de la justice

Le canton de Fribourg comprend sept tribunaux d'arrondissement (correspondant aux sept districts), dont les sièges se trouvent dans les chefs-lieux: Fribourg (Fribourg/Freiburg), Tavel (Singine/Sense), Bulle (Gruyère/Greyerz), Morat (Lac/See), Romont (Glâne/Glane), Estavayer-le-Lac (Broye/Broye) et Châtel-Saint-Denis (Vevese/Vivisbach).

On compte cinq arrondissements de langue française (La Sarine, La Gruyère, La Glâne, La Broye et La Veveyse), un arrondissement de langue allemande (La Singine/Sense) et un arrondissement bilingue (Lac/See). Pour les tribunaux, tous les arrondissements judiciaires peuvent porter une appellation bilingue.

Dans le canton, on distingue les tribunaux d'arrondissement (compétents pour les affaires civiles et pénales), le Tribunal cantonal (autorité de recours et de surveillance), ainsi que les tribunaux des prud'hommes (litiges liés au travail), les tribunaux des baux (contrats de location de biens immobiliers), ainsi que le Tribunal pénal des mineurs. Quant au Tribunal plénier, c'est l'organisme qui se charge de l'organisation et de l'administration du Tribunal cantonal, ainsi que de certaines attributions en matière de surveillance et de nomination; il est composé des juges du Tribunal administratif. Il faut ajouter aussi qu'il existe des cours spécialisées comme le Tribunal pénal économique et des autorités comme les justices de paix. Quoi qu'il en soit, pour les tribunaux, 

- Le Tribunal cantonal

L'article 20 de la Loi sur la justice (2010-2023) précise les modalités de la langue employée dans la procédure judiciaire d'un arrondissement bilingue:

Article  20

Langues

Les deux langues officielles sont équitablement représentées au sein des autorités judiciaires dont la juridiction s'étend à une circonscription judiciaire bilingue.

Article 43

Cours

a) En général

1) Le Tribunal plénier fixe par voie réglementaire le nombre, la dénomination et les attributions des cours, selon ses besoins.

5) Le Tribunal plénier désigne, pour une année, les présidents ou présidentes de chacune des cours, de même que leurs membres et leurs suppléants ou suppléantes. Ils sont rééligibles à leurs fonctions. La composition des cours est rendue publique.

6) Lors de la constitution des cours, le Tribunal plénier tient compte des compétences des juges et de la représentation des langues officielles.

7) Chaque juge peut être appelé à siéger dans d'autres cours.

Dans ce cas, le Tribunal plénier réglemente la composition de la cour. Seules les autorités judiciaires de l'arrondissement du Lac/See sont bilingues. En ce cas, les autorités mènent la procédure civile dans la langue officielle parlée par le défendeur; quant à la procédure pénale relevant de l'arrondissement du Lac/See, elle a lieu dans la langue officielle parlée par le prévenu. Les juges de première instance, quand bien même cette exigence n'est pas mentionnée dans la loi, doivent connaître la langue du tribunal dans lequel ils siègent; pour les juges d'instruction, la langue dans laquelle la cause sera instruite. Il s'agit là d'une conséquence logique du principe de la territorialité.

La loi ne pose aucune condition quant à la parfaite maîtrise des deux langues officielles de l'arrondissement judiciaire bilingue du Lac/See pour accéder à un poste de juge dans cet arrondissement. Il en va de même des juges francophones siégeant au Tribunal de La Gruyère et, en particulier, au Tribunal de la Sarine qui, en vertu de dispositions juridiques particulières, sont confrontés à des procédures en allemand.

- Le tribunal cantonal

Le Tribunal cantonal est l'autorité supérieure en matière civile, pénale et administrative. En principe, il statue sur les appels et recours contre un jugement d'un tribunal de première instance ainsi que sur les actions et recours contre des décisions rendues par des autorités administratives. Par conséquent, le Tribunal cantonal assume à la fois un rôle d'autorité en matière de justice et un rôle surveillance déléguée de l'administration judiciaire. La Loi d’organisation du Tribunal cantonal (2007) fixe les modalités et la composition du Tribunal cantonal:
 

Article 4

Composition

1) Le Tribunal cantonal est composé de douze à seize juges et au moins autant de suppléants ou suppléantes.

2) La fonction de juge cantonal-e peut être exercée à mi-temps; le nombre de postes à mi-temps est cependant limité à deux équivalents plein-temps au maximum.

3) Les deux langues officielles sont équitablement représentées parmi les membres du Tribunal.

Article 13

Cours

1) Le Tribunal plénier fixe par voie réglementaire le nombre, les dénominations et les attributions des cours, selon ses besoins.

4) Lors de la constitution des cours, le Tribunal plénier tient compte des compétences des juges et de la représentation des langues officielles.

L'article 3 du Règlement du Tribunal cantonal sur l'information du public en matière judiciaire (2012-2022) énonce que toute information de caractère général destinée au public doit être diffusée simultanément dans les deux langues officielles :

Article 3

Langue de l'information

1) Toute information de caractère général destinée au public est diffusée simultanément dans les deux langues officielles.

2) Il est, dans la mesure du possible, répondu aux demandes de renseignements dans la langue officielle dans laquelle la demande a été formulée.

3) Les conférences de presse sont organisées de manière qu'il puisse être répondu aux journalistes dans les deux langues officielles.

4) La langue de la procédure est régie, selon la nature de l'affaire, par les articles 115 à 120 de la loi du 31 mai 2010 sur la justice et 36 à 40 du code du 23 mai 1991 de procédure et de juridiction administrative.

On doit comprendre que pour les tribunaux il existe deux langues officielles pour les justiciables, par nécessairement pour le personnel de la cour, sauf dans l'arrondissement du Lac/See.

Dans le canton de Fribourg, le Code de procédure civile est régi par la Loi d'application du Code civil suisse. La législation suisse détermine les règles de procédure devant les autorités judiciaires fribourgeoises, qu'il s'agisse de la procédure civile, pénale ou administrative. Voici la teneur du Code de procédure civile suisse (2008-2023):

Article 129

1) La procédure est conduite dans la langue officielle du canton dans lequel l’affaire est jugée. Les cantons qui reconnaissent plusieurs langues officielles règlent leur utilisation dans la procédure.

2) Si le droit cantonal le prévoit, les langues suivantes sont utilisées à la demande de toutes les parties:

a. une autre langue nationale; aucune partie ne pouvant renoncer à la langue de la procédure au sens de l’al. 1 avant la naissance du litige;
b.
l’anglais dans les litiges internationaux commerciaux au sens de l’art. 6, al. 4, let. c, devant le tribunal de commerce ou le tribunal ordinaire.

Article 196

Entraide

1)
Le tribunal peut demander l’entraide.
La requête est établie dans la langue officielle du tribunal requérant ou du tribunal requis.

2) Le tribunal requis informe le tribunal requérant ainsi que les parties sur le lieu et le jour où l’acte de procédure requis est accompli.

3) Le tribunal requis peut exiger le remboursement de ses frais.

Article 251-a

Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé

2)
Le droit cantonal peut prévoir que, sur demande de l’ensemble des parties,
l’anglais soit désigné comme langue procédurale lorsqu’il est utilisé dans la convention, la clause d’arbitrage ou dans le cadre de la procédure arbitrale.

En principe, les délibérations du Tribunal cantonal se déroulent en français. En tant qu'autorité de recours, les diverses cours civiles et pénales du Tribunal cantonal procèdent et rendent leurs arrêts dans la langue de «la décision attaquée»; c'est la même solution qu'adopte le Tribunal fédéral. Dans les contestations portées directement devant le Tribunal cantonal, l'affaire est traitée dans la langue du défendeur, à moins que les parties en conviennent autrement.

Les deux communautés linguistiques sont représentées dans toutes les cours du Tribunal cantonal, les juges germanophones étant désignés juges rapporteurs dans toutes les causes de langue allemande et fonctionnant également comme rapporteurs dans certaines affaires de langue française en raison de leur bilinguisme. Moins de 20 % des arrêts rendus par le Tribunal cantonal ou l'une de ses sections le sont en allemand.

En matière pénale (contraventions à des mesures de police, contre la tranquillité publique, interdiction de se masquer et de porter des objets dangereux, mendicité, etc.), la procédure est régie par la Loi d'application du Code pénal qui renvoie au Code pénal suisse, mais on n'y trouve dans les deux cas aucune disposition d'ordre linguistique. Le Code de procédure pénale de 1996 ayant été abrogé en 2011, on peut présumer que la procédure a lieu de la façon suivante:

a) en français, dans les arrondissements judiciaires de La Sarine, de La Gruyère, de La Glâne, de La Broye et de La Veveyse;
b) en allemand, dans l'arrondissement judiciaire de la Singine ;
c) en français ou en allemand, dans l'arrondissement du Lac/See, suivant la langue officielle parlée par le prévenu.

- La juridiction administrative

La Loi d’organisation du Tribunal administratif (1990) énumère les compétences des tribunaux administratifs, dont les deux langues officielles doivent être équitablement représentées parmi les membres du Tribunal :

Article 1er

Compétence

1) Le Tribunal administratif connaît, en dernière instance cantonale, de toutes les contestations de droit administratif, y compris celles qui relèvent du droit fiscal et du droit des assurances sociales.

2) Les compétences dévolues par le code de procédure administrative ou par d’autres lois aux autorités spéciales de la juridiction administrative sont réservées.

Article 2

Cours

1) Pour l’exercice de ses compétences juridictionnelles, le Tribunal administratif comprend :

a) deux ou trois cours administratives ;
b) une cour fiscale ;
c) une cour des assurances sociales.

2) Le règlement du Tribunal fixe les attributions des différentes cours et détermine le nombre des cours administratives.

Article 6

Élection

1)
Les membres du Tribunal administratif sont élus individuellement pour cinq ans par le Grand Conseil.

2) Un juge est élu directement en qualité de président de la cour fiscale, un autre en qualité de président de la cour des assurances sociales.

3) Les deux langues officielles sont équitablement représentées parmi les membres du Tribunal.

Les articles 36 et 37 du Code de procédure et de juridiction administrative (1991-2024)

Article 36

Langue

a) En première instance

1) En première instance, la procédure se déroule en français ou en allemand, suivant la ou les langues officielles de la commune du canton dans laquelle la partie a son domicile, sa résidence ou son siège.

2) Lorsque la procédure a un rattachement territorial, elle se déroule dans la ou les langues officielles de la commune où l'objet de la procédure est situé.

3) Dans les relations avec leurs usagers, les établissements cantonaux procèdent en français ou en allemand suivant la langue de la partie.

Article 37

b) Autres procédures

1) En cas de recours, la procédure se déroule dans la langue de la décision contestée. Il en va de même en cas de réclamation, de reconsidération, de révision, d'interprétation et de rectification.

2) En cas d'action, la procédure se déroule dans la langue officielle de la partie défenderesse ou, lorsque l'État est défendeur, dans celle de la partie demanderesse ; la langue officielle de la partie déterminante est définie par l'application analogique de l'article 36. Les conventions contraires sont réservées.

- Le notariat

Enfin, en vertu de la Loi sur le notariat (2021), tout acte notarié peut être rédigé en français ou en allemand, exceptionnellement en anglais, quel que soit le district :

Article 51

Langue

1) Les actes notariés peuvent être rédigés en français ou en allemand. Sur demande, les actes visés par les articles 63 à 65 peuvent exceptionnellement l’être en anglais.

2) Lorsqu’une partie ou son représentant ne connaît pas la langue de l’acte, la traduction doit en être donnée dans sa langue en regard ou en dessous du texte original, par le notaire, son employé, ou un interprète. La traduction doit être signée par son auteur.

3) La formalité prévue à l’alinéa 2 n’est pas nécessaire si l’acte est reçu en la forme prévue au chapitre IV.

Article 61

Comparant d’une autre langue ou infirme

1) Lorsqu’une partie ne comprend pas la langue de l’acte, la traduction lui en est lue par un interprète ou par le notaire ; elle peut aussi la lire elle-même.

 Cependant, les notaires ne sont pas obligés de connaître les deux langues officielles.

5.3 Les langues de l'administration cantonale

Le canton de Fribourg est officiellement bilingue, avec le français et l'allemand comme langues officielles. Cependant, la proportion de citoyens réellement bilingues, c'est-à-dire capables de parler couramment les deux langues, est inférieure à la majorité de la population. Il y a plus de francophones que de germanophones dans le canton, mais la cohabitation linguistique est généralement harmonieuse, bien qu'elle soit plus conflictuelle dans la ville de Fribourg. Même si la majorité de la population n'est pas bilingue (94%), les deux langues officielles, le français et l'allemand, coexistent et sont employés dans l'administration et les communications officielles du canton. Les bureaux de l'Administration emploient souvent le terme de «langue partenaire» pour désigner une langue officielle.  

- Les services de la fonction publique

En matière d’emploi dans la fonction publique, il n’existe pas de législation cantonale spécifique à cet effet, mais de nombreuses lois prévoient un ou deux articles sur la composition linguistique des membres dans les commissions, comités, services administratifs, corps de police, etc. Ainsi, les services administratifs sont bilingues dans la ville ou commune de Fribourg (même si celle-ci est officiellement unilingue) et dans les bureaux de l’Administration cantonale centralisée dans cette même ville.

l'article 17 de l'Ordonnance sur la formation du personnel de l'État (2023) prévoit que chaque unité administrative doit s'assurer que son personnel dispose des compétences orales et écrites dans la langue partenaire nécessaires à l'exercice de ses fonctions :

Article 17

Langues partenaires

1) Chaque unité administrative s'assure que ses collaborateurs et collaboratrices disposent des compétences orales et écrites dans la langue partenaire nécessaires à l'exercice de leur fonction.

2) Est considéré comme formation des langues partenaires le maintien de compétences existantes ou le développement de compétences attendues dans une langue.

3) Sont considérés comme langues partenaires le français et l'allemand.

4) Les modalités de la présente ordonnance s'appliquent à la formation des langues partenaires.

5) Un soutien particulier aux langues partenaires fait l'objet d'un concept du Conseil d'État.

Par conséquent, tout citoyen du canton peut, par écrit ou oralement, demander et recevoir des services du gouvernement cantonal dans la langue de son choix. L'administration cantonale, qui englobe tous les organismes régis à l'échelle cantonale, que ce soit d'un point de vue territorial ou structurel, est en mesure de communiquer avec les citoyens et de traiter les dossiers dans les deux langues. Cela suppose une représentation équitable des deux langues dans la composition du personnel et des services de traduction en suffisance. Cependant, par défaut, l’administration s’adressera d’elle-même en français dans les districts francophones et en allemand dans les districts germanophones.

Les articles 2 et 3 de l'Ordonnance relative à l'information sur les activités du Conseil d'État et de l'administration (2011) énoncent que toute information d'ordre général doit être diffusée simultanément dans les deux langues officielles:

Article 2

Langue de l'information – Principes

1) Toute information de caractère général destinée au public est diffusée simultanément dans les deux langues officielles.

2)
Il est, dans la mesure du possible, répondu aux demandes de renseignements
dans la langue officielle dans laquelle la demande a été formulée.

3)
Les conférences de presse sont organisées de manière à ce qu'il puisse être répondu aux journalistes dans les deux langues officielles.

Article 3

Langue de l'information – Exceptions

1) Les rapports et autres documents annexes mis à la disposition des médias ou sur Internet peuvent, dans la mesure où leur traduction n'est pas exigée par d'autres dispositions, être diffusés uniquement dans leur langue originelle.

2)
Les informations qui ont un caractère local marqué peuvent être diffusées uniquement dans la langue du lieu; d'autres exceptions au principe du bilinguisme peuvent être admises lorsque l'information s'adresse exclusivement à une seule des deux communautés linguistiques, notamment en matière scolaire.

3)
Sont en outre réservés les cas d'urgence.

Il en est ainsi à l'article 27 de l'Ordonnance sur le guichet virtuel (2013):

Article 27

Assistance

Les usagers et usagères bénéficient d'une aide en ligne ou d'une assistance par voie de télécommunication d
ans les deux langues officielles. L'assistance par voie de télécommunication peut être limitée aux horaires de travail de l'administration concernée.

En matière électorale, l'article 12 de la Loi sur l’exercice des droits politiques (2001) prescrit que les citoyens doivent recevoir le matériel de vote dans la langue officielle de leur choix:

Article 12

Matériel de vote et matériel électoral

1) Avant tout scrutin fédéral, cantonal ou communal, chaque personne habile à voter reçoit, par l’intermédiaire du secrétariat communal :

a) le certificat de capacité civique comprenant les mentions prévues dans le règlement d’exécution ;
b) le matériel de vote et d’information prévu dans le règlement d’exécution.

2) Les délais pour la réception du matériel de vote sont les suivants :

a) au plus tôt vingt-huit jours avant le jour du scrutin, mais au plus tard vingt-et-un jours avant cette date lors des votations fédérales, cantonales et communales ;
b) au plus tard dix jours avant les élections fédérales, cantonales et communales, mais au plus tard cinq jours lors des seconds tours de scrutin.

3) En matière fédérale et cantonale, les personnes ayant l’exercice des droits politiques ont le droit d’obtenir le matériel de vote dans la langue officielle de leur choix. Il en va de même en matière communale, dans les communes où une pratique bilingue est généralisée.

4) Le bureau électoral veille à ce que du matériel de vote soit à la disposition des électeurs et électrices lors du scrutin.

Pour ce qui concerne l'état civil, le Règlement sur l'état civil (2013-2024) énonce que l'administration s'adresse en français dans certains districts et en allemand pour deux autres districts et certaines communes(Jaun, Courtepin, Cressier, Misery-Courtion et Mont-Vully) :

Article 9

Langue officielle

1) La langue officielle est le français pour les districts de la Sarine, de la Gruyère, de la Glâne, de la Broye et de la Veveyse et l'allemand pour les districts de la Singine et du Lac.

2)
Toutefois, la langue officielle est l'allemand pour la commune de Jaun et le français pour les communes de Courtepin, Cressier, Misery-Courtion et Mont-Vully.

Article 10

Tenue des registres

1) Le registre Infostar est tenu selon les dispositions du droit fédéral.

2)
La langue des éventuelles annotations ou mentions marginales à porter sur le registre tenu sur papier est celle de ce registre.

Selon le Règlement sur le droit de cité fribourgeois (2008), toute demande qui n'est pas formulée dans l'une des langues officielles peut être refusée:

Article 4

Dépôt de la demande – Disposition commune

1) Les actes dressés dans une autre langue que les langues officielles du canton peuvent être refusés s'ils ne sont pas accompagnés d'une traduction en langue française ou allemande légalisée.

2)
En cas de besoin, le Service requiert tout autre moyen de preuve propre à permettre l'établissement des faits.

3)
Une demande de naturalisation est considérée comme déposée auprès du Service lorsqu'elle contient les documents requis pour la conduite de la procédure et la prise de décision.

Article 6

Exceptions aux conditions de naturalisation en raison de circonstances personnelles – Analphabétisme et illettrisme

1) Dans des cas d'analphabétisme ou d'illettrisme, une attestation peut être délivrée par l'association «Lire et Écrire», ou toute autre institution spécialisée disposant des compétences requises en la matière et dont le but statutaire principal consiste, en substance, à contribuer à donner une réponse à ces questions spécifiques.

2)
Une telle attestation ne peut être délivrée que moyennant le suivi régulier d'un cours de langue d'une durée minimale de trois mois et à la condition que, au terme de ce cours, l'impossibilité pour la personne concernée d'acquérir les connaissances minimales requises par le droit fédéral puisse être constatée.

- Le registre foncier cantonal

Le registre foncier concerne les transactions relatives à la vente ou l’achat d’un bien immobilier; c'est forcément un service public, mais il n'est disponible que dans une seule langue, selon la Loi sur le registre foncier (1986-2023):

Article 47

Langue des registres

1) Les opérations dans les registres tenus par commune ou par secteur de commune ne sont faites que dans une langue.

2) Cette langue est déterminée par le règlement d’exécution, qui tient compte notamment de la langue de la majorité des personnes domiciliées dans la commune.

3) Le règlement peut être modifié sur ce point si l’autorité communale concernée le demande et s’il s’est produit une modification essentielle et jugée durable dans la composition linguistique des habitants de la commune ; la traduction des registres est ordonnée par le Conseil d’État, et les frais de traduction sont payés, moitié par l’État, moitié par la commune intéressée.

4) La traduction des registres a lieu globalement ; les prescriptions y relatives sont arrêtées dans le règlement d’exécution.

Article 60

Réquisitions
a) Langue

Le conservateur ou la conservatrice peut accepter une réquisition dans l’autre langue officielle du canton.

Article 95

Langue des registres
a) Principe

1) Si, au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi, une disposition du règlement d’exécution prise en application de l’article 47 rend nécessaire la traduction des registres d’une commune, cette traduction a lieu

a) pour les communes ou parties de communes où les cadastres cantonaux sont encore en vigueur, lorsque la procédure d’établissement du registre foncier fédéral est entreprise, et
b) dans les autres cas, lorsque le Conseil d’État l’ordonne, après s’être entendu avec l’autorité communale concernée, notamment quant au partage des frais.

2) La Direction désigne un traducteur ou une traductrice, sur la proposition de l’Autorité de surveillance.

Cependant, le Règlement d’exécution de la loi sur le registre foncier (1986-2025) précise les modalités d'application de la Loi sur le registre foncier, notamment en matière de langues à employer:

Article 43 

Langue des registres – Principe

1) La langue dans laquelle les registres sont tenus est le français pour :

a) les communes des districts de La Broye, de La Glâne, de la Sarine et de La Veveyse,
b) les communes du district de la Gruyère, à l'exception de la commune de Jaun, et
c) les communes suivantes du district du Lac: Barberêche, Bas-Vully, Courgevaux, Courtepin (secteur Courtepin), Cressier, Haut-Vully, Meyriez, Misery-Courtion, Villarepos et Wallenried.

2) Cette langue est l'allemand pour :

a) les communes du district de La Singine,
b) la commune de Jaun, et
c) les communes du district du Lac, à l'exception des communes et secteurs de commune cités à l'alinéa 1.

Article 44

Langue des registres – Traduction

a) Traducteur ou traductrice

1) Lorsqu'une traduction des registres d'une commune est ordonnée, la Direction désigne, sur la proposition de l'Autorité de surveillance, un traducteur ou une traductrice chargé-e de ces travaux.

Article 45

Langue des registres – Traduction

b) Procédure

1)
Lorsque la traduction est effectuée à l'occasion d'une procédure d'établissement du registre foncier fédéral, elle a lieu en même temps que la préparation des reconnaissances (art. 17 à 22 et art. 39 de la loi); elle fait également l'objet de l'enquête du registre foncier fédéral (art. 28 à 34 de la loi) ou du registre transitoire (art. 41 de la loi).

2) Dans les autres cas, la traduction est suivie d'une enquête publique, qui a pour objet la conformité des inscriptions des feuillets nouvellement traduits avec celles qui figurent sur les registres en vigueur; les articles 29, 30 et 32 à 35 de la loi sont applicables par analogie à la publication, à la durée et au dossier d'enquête, aux réclamations et aux recours ainsi qu'à la mise en vigueur des feuillets.

Le texte du règlement n'est pas à jour, car les communes de Barberêche, Bas-Vully, Haut-Vully, Villarepos et Wallenried n'existent plus, ayant été fusionnées avec d'autres communes. Cependant, le règlement répertorie les districts et les communes où le registre est disponible soit en français soit en allemand. 

Dans le cas d'une expropriation, l'article 12 de la Loi sur l'expropriation (1984-2023) prévoit que la procédure peut être en français ou en allemand, selon la commune concernée:

Article 12

Langue

1) La procédure a lieu en langue française ou allemande selon la commune où l'expropriation est requise; dans les communes bilingues, elle a lieu en langue française ou allemande selon la langue de l'exproprié.

2) Si les circonstances le justifient, le président de la Commission peut décider que la procédure a lieu dans l'autre langue que celle qui est applicable en vertu de l'alinéa 1.

3) Dans tous les cas, le président de la Commission peut ordonner que les publications aient lieu dans les deux langues.

- Les commerces

Il n'existe que peu de réglementation concernant les langues dans les activités commerciales. La Loi sur le Service du registre du commerce (2003) impose les réquisitions et les inscriptions au registre du commerce peuvent être rédigées en français ou en allemand:

Article 5

Langue des réquisitions et inscriptions

Les réquisitions et les inscriptions au registre du commerce peuvent être rédigées en français ou en allemand, quelle que soit la commune de siège ou de domicile de l’entité à inscrire.

Quant à la Loi sur les marchés publics (2022), l'article 3 prescrit l'usage du français et de l'allemand:

Article 3

Langue

1) Les avis d'appel d'offres des marchés publics soumis aux traités internationaux sont rédigés en français et en allemand.

2) Les avis d'appel d'offres des autres marchés sont rédigés au moins dans la langue officielle du lieu d'exécution de la prestation.

3) Les avis d'appel d'offres de l'État sont rédigé
s en français et en allemand.

Bref, les activités administratives du canton de Fribourg respectent les prescriptions sur le bilinguisme de l'État. Là où les  vices semblent moins explicites concernent les communes bilingues dans la mesure où le statut d'une commune apparaît arbitraire en l'absence d'une législation claire à cet effet.

- L'affichage public et commercial

Il n'existe aucune réglementation concernant l'affichage public et commercial. C'est la liberté totale, exception faire de l'Ordonnance fédérale sur la signalisation routière (1979). Cela signifie qu'une commune peut avoir une dénomination bilingue (Murten/Morat) ou unilingue (Fribourg, Gurmels) et que les entreprises, quelles qu'elles soient, emploient des inscriptions bilingues, françaises ou allemandes, selon leur bon vouloir.   

  

Rappelons l'article 49 de l'Ordonnance fédérale sur la signalisation routière (1979, en vigueur au 1er mars 2025):

Article 49

Principes

1) Sur les panneaux de localité, les indicateurs de direction, les indicateurs de direction avancés et les panneaux de présélection (art. 50 à 53), les noms des localités seront inscrits dans la langue parlée dans les localités annoncées; en ce qui concerne les communes où l’on parle deux langues, il faut choisir la langue parlée par la majorité des habitants. Si le nom d’une localité est écrit différemment dans deux langues, l’avers du panneau de localité portera les deux orthographes, dans la mesure où la minorité linguistique représente au moins 30 % des habitants.

2) Les indicateurs de direction, les indicateurs de direction avancés et les panneaux de présélection mentionneront en premier lieu des localités; au besoin, ils peuvent annoncer des destinations locales importantes (p. ex. la gare, le centre, l’hôpital). L’art. 54, al. 4 s’applique aux indicateurs de direction «Entreprise» et l’al. 9 du même article à la signalisation touristique et aux indicateurs de direction pour hôtels. Les symboles utilisés sur les indicateurs de direction, ainsi que leur signification, figurent à l’annexe 2, ch. 5.

Cette réglementation semble en général respectée, mais elle demeure peu exigeante pour les administrations locales.

5.4 Les langues de l'administration communale

En principe, les communes peuvent être unilingues françaises, unilingues allemandes ou bilingues. Le problème, c'est qu'il n'existe pas de critère pour déterminer si une commune est unilingue ou bilingue. Il faut se baser sur plusieurs facteurs très relatifs tels que le nombre appréciable d'une minorité (sans pourcentage défini), les pratiques réelles en matière de bilinguisme (sans services défini), le statut juridique généralement inexistant. Sans compter que le bilinguisme est compris de différentes façons, selon la commune ou la localité. En général, quand on parle de bilinguisme communal, c'est un statut prétendument officiel autoproclamé à l'oral ! Bref, c'est plus ou moins un beau fouillis pour ne pas parler de foire d'empoigne.      

- Le statut linguistique des communes

En principe, les communes unilingues françaises pourraient être les suivantes: toutes les communes des districts de La Sarine (27), de La Gruyère (28), de La Glâne (20), de La Broye (31) et de La Veveyse (9).

Les 27 communes du district de La Singine sont considérées comme unilingues allemandes. Cependant, n'importe quelle commune unilingue, qu'elle soit allemande ou française, peut offrir ou non des services plus ou moins limités ou plus ou moins étendus à sa minorité allemande ou française.

Dans les 17 communes du district du Lac, on trouve des communes unilingues françaises, unilingues allemandes ou considérées bilingues. Savoir le statut de chacune d'elles s'avère difficile puisqu'il faut chercher l'information d'ailleurs peu disponible, une à une. 

C'est l'administration cantonale qui est officiellement bilingue, donc les districts en tant que juridiction de l'État cantonal, soit la préfecture, pas nécessairement les communes, libres d'accorder ou non des services dans une autre langue. Dans les faits, le personnel administratif n’est bilingue et n’assure les services dans les deux langues officielles que dans le district du Lac, la ville de Fribourg et dans l’administration centralisée de la capitale (Fribourg).

Dans le canton de Fribourg, une commune bilingue est en fait une localité où l'on compte une proportion significative d'une minorité, ce qui correspond à une évaluation très aléatoire de ce qu'est une commune bilingue. Dans les faits, de nombreuses communes qu'on croit bilingues ne le sont tout simplement pas. D'autres qui sont considérées comme unilingues peuvent être relativement bilingues. Une commune peut donc être partiellement unilingue ou partiellement bilingue, ou les deux en même temps. Par conséquent, la pratique du bilinguisme en Fribourg se fonde sur des règles non écrites, sur des habitudes qui peuvent changer au gré des intervenants ou sur la perception qu'on s'en fait.

Voici quelques exemples pouvant servir de modèle:

Commune District Population Langues principales
F-A
Statut linguistique Services bilingues offerts
Courtepin Lac 5700 65% 35% juridiquement bilingue assemblées communales (sans traduction), documents bilingues, fonctionnaires bilingues, Internet bilingue
Murten / Morat Lac 9500 15% - 75% considérée bilingue
officiellement allemande
certains documents limités, bilinguisme non obligatoire des fonctionnaires, Internet allemand
Jaun / Bellegarde

Gruyère

 650 2,5% - 98,5% considérée unilingue allemande services en allemand, mais réponses en français possibles, fonctionnaires bilingues (non obligatoire), Internet allemand
Mont-Vully

Lac

4450 58% - 28%

autoproclamée unilingue française    

Internet partiellement
Granges-Paccot

Sarine

3840

76% - 14,9%

considérée unilingue française

informations, formulaires, documents, traduction sur demande, Internet partiellement
Düdingen / Guin

Singine

8940

4,5% - 89,7%

considérée unilingue allemande

services relativement étendus en français
Meyriez / Merlach

Lac

  575

12% - 86%

considérée unilingue allemande

services complets entièrement en français, oral et écrit
Courgevaux / Gurwolf

Lac

1460 30% - 60%

considérée unilingue française

services relativement complets en allemand, oral et écrit
Greng Lac  167 5% - 92%

considérée unilingue allemande

services en français, oral et écrit
Cressier Lac 1056 54% - 40% considérée unilingue française peu de services en allemand
Fribourg

Sarine

68 021

70% - 21%

prétendument bilingue services relativement étendus en allemand; Internet bilingue

Ce ne sont là que quelques exemples à partir desquels on peut avancer des tendances de pratiques linguistiques. De façon générale, les communes françaises éprouvent plus de réticences à accommoder les germanophones que les communes allemandes qui semblent plus réceptives à accommoder les francophones. Dans tous les cas, ce sont les conseils communaux qui décident au cas par cas, de façon relativement arbitraire, des services accordés à leur minorité linguistique, services qui ne reposent sur peu de critères et qui peuvent être supprimés n'importe quand.   

Le district du Lac se situe dans le canton de Fribourg, à la frontière linguistique entre la Suisse allemande et la Suisse romande (Röstigraben). Il est composé de 15 communes. Le district a publié la liste de ses communes avec leur statut linguistique:

Commune Statut linguistique Francophones Germanophones
Courgevaux français 30 % 60 %
Courtepin français - allemand 65 % 35 %
Cressier allemand 54 % 40 %
Frächels allemand 1 % 95 %
Greng allemand 5 % 92 %
Gurmels allemand 4 % 93 %
Kerzers allemand 0,7 % 87 %
Kleinbösingen allemand 3 % 95 %
Meyriez allemand 12 % 86 %
Misery-Courtion allemand 86 % 9 %
Mont-Vully français 58 % 28 %
Morat allemand 15 % 82 %
Montilier allemand 8 % 87 %
Ried allemand 3 % 91 %
Ulmiz allemand 2 % 97 %

Sauf l'exception de Courtepin bilingue en vertu d'une ordonnance de 2003, le statut linguistique est strictement déclaratoire, car il n'existe ni loi ni règlement, même communal. Dans la situation actuelle, le fait de ne pas reconnaître juridiquement une commune, ou de ne pas se reconnaître juridiquement comme unilingue ou bilingue, permet d'accorder ou non un large éventail d'interdictions, d'autorisations, de privilèges, sans possibilité de contestation appuyée par un règlement ou par une loi. Ainsi, du point de vue juridique, il faut considérer qu’un bilinguisme officiel impliquerait, d’une part, que les autorités et l’administration communales doivent fournir des services linguistiques, même au minimum permis par la loi, d’autre part, que les citoyens d'une langue minoritaire puissent revendiquer des droits pour obtenir les services reconnus.

Pour le moment, en date du mois de juillet 2025, selon les habitudes en usage, on peut présumer des hypothèses d'officialité suivantes:

Le français est considéré comme seule langue officielle :  

- dans toutes les communes des districts de La Broye, de La Glâne, de La Sarine et de La Veveyse;
- dans toutes les communes du district de
La Gruyère, à l'exception de la petite commune de Jaun / Bellegarde (684 hab.) germanophone à 89,5%;
-
dans les communes suivantes du district du Lac : Mont-Vully, Cressier, Misery-Courtion,

L’allemand est considéré comme seule langue officielle :

- dans toutes les communes du district de La Singine (Sense);
- dans la commune de Jaun/Bellegarde du
district de La Gruyère;
- dans les communes suivantes du
district du Lac (See) : Ried bei Kerzers, Fraeschels, Kerzers, Ulmiz, Gurmels, Kleinbösingen

Le français et l'allemand sont considérés comme les langues officielles (en fonction du nombre):

- les communes suivantes: Murten/Morat, Meyriez/Merlach, Courgevaux/Gurwolf, Greng et Courtepin.

De fait, les documents écrits sont souvent rédigés dans les deux langues, mais ils ne sont distribués qu’en allemand ou qu’en français (selon les districts); la documentation bilingue, c'est-à-dire avec des textes en deux langues sur la même page, est à peu près inexistante en Suisse. La chancellerie de l'État pourvoit toujours aux traductions des documents officiels.

Lorsque des citoyens communiquent par écrit auprès de l’Administration, ils doivent le faire en français dans les districts francophones et en allemand dans les districts germanophones. Autrement dit, les écrits destinés à des autorités ainsi qu'aux préfectures doivent être fournis dans la langue officielle du district concerné.

Le personnel administratif n’est bilingue et n’assure les services dans les deux langues officielles que dans le district du Lac, la ville de Fribourg et dans l’Administration centralisée de la capitale (Fribourg). En matière civile et pénale, le district de La Sarine a toujours été considéré par la jurisprudence comme francophone, tout comme la ville de Fribourg (chef-lieu du district de La Sarine et capitale du canton bilingue de Fribourg), alors qu’en matière administrative la ville et commune de Fribourg est considérée comme bilingue (français/allemand ). Dans les faits, quatre communes du canton de Fribourg utilisent deux langues officielles dans leurs relations avec leurs habitants. Dans la plupart des communes, les communications orales dans la langue minoritaire sont souvent tolérées dans la mesure où la ou le fonctionnaire possède les compétences linguistiques nécessaires. C'est plus fréquent dans les communes germanophones que francophones.

 - La Ville de Fribourg

Rappelons que, selon l'Office fédéral de la statistique, la ville de Fribourg comptait 68 021 habitants à la fin de janvier 2023, mais 94 219 dans l'agglomération fribourgeoise. Dans l'agglomération, 73,8 % parlent le français et 16,3 %, l'allemand. Dans la ville même, 70,0% ont le français comme langue maternelle, 21,0%, l'allemand. Elle est située sur la limite territoriale des langues française et allemande, c’est-à-dire à la frontière linguistique  (le Röstigraben). Pour cette raison, elle est considérée historiquement comme bilingue depuis son entrée dans la Confédération en 1481. L'alinéa 2 de l'article 2 de la Constitution de 2004 impose une dénomination bilingue à la ville de Fribourg / Freiburg :

Article 2

Territoire, capitale et armoiries

1)
Le canton comprend le territoire qui lui est garanti par la Confédération.

2) Sa capitale est la ville de Fribourg, Freiburg en allemand.

3) Ses armoiries sont: «Coupé de sable et d’argent».

 
Bien que la ville de Fribourg soit démographiquement bilingue puisque deux langues y cohabitent, aucun texte de loi n’a consacré la co-officialité des deux langues sur ce territoire. Par conséquent, la Ville est juridiquement unilingue française (de jure) par défaut, mais partiellement bilingue dans les faits (de facto)! Nous avons affaire avec deux notions de bilinguisme: celui défini par la loi (de jure) et celui pratiqué dans les faits (de facto), sans oublier le facteur démographique, c'est-à-dire la présence de deux groupes linguistiques.
 
Dans un tel contexte, la décision de l’Exécutif communal de statuer sur le bilinguisme par règlement s’apparenterait à un véritable coup de force visant à accorder à une minorité de 21% des droits qu’elle n’a dans aucune autre capitale cantonale, sans oublier que les francophones devraient assumer près de 75% de la facture, contre 21 % pour les germanophones. Mais ce que des francophones militants craignent le plus, c'est que le pouvoir politique serait confié à une élite bilingue, composée surtout de germanophones, puisque seul un francophone sur cinq est perçu parfaitement bilingue.
 
Évidemment, il existe des moyens pour contrer une telle situation considérée comme injuste, mais la majorité francophone redoute d'être désavantagée par une élite bilingue à la tête de la Ville. En réalité, comme c'est le cas pour toutes les majorités linguistiques, la crainte est de se savoir exclue des postes de la fonction publique en raison de leur unilinguisme. C’est pourquoi certains considèrent cette ville comme francophone (effectivement tout habitant de cette commune parle le français) avec une minorité germanophone («contrainte d'être "bilingue"»), alors que d'autres la considèrent comme bilingue et s'étonnent que les deux langues, en particulier dans les services publics, ne soient pas sur pied d'égalité. Bref, les germanophones sont généralement bilingues, alors que c'est loin d'être le cas pour les francophones.

Dans la Ville de Fribourg, le bilinguisme y est pratiqué d'une façon bien particulière: la langue de l'administration municipale est le français, mais les germanophones peuvent s'adresser à celle-ci dans leur langue (en allemand). De nombreux documents sont disponibles en allemand. Seuls les panneaux des rues du centre historique de la vieille ville de Fribourg sont en français et en allemand. Pour l'affichage commercial, le libre choix fait en sorte que les inscriptions sont approximativement à 95 % françaises, 3 % anglaises et 2 % allemandes. Compte tenu de la situation linguistique dans la ville de Fribourg, on peut affirmer que les germanophones ne jouissent pas toujours de tous leurs droits, certainement pas en toute égalité. En somme, le bilinguisme cantonal de la commune et de la Ville de Fribourg est quelque peu bancal, mais il révèle que, lorsqu'on mélange les langues sur un même territoire, l'une d'entre elles tend à établir sa dominance. On peut affirmer que la situation est à l'avantage des francophones qui peuvent préférer l'absence de toute réglementation ou de toute loi sur cette question, car le statu quo n'impose aucune contrainte à la majorité ni aucun instrument de revendication à la minorité.

Il est à noter que le bolze, parler franco-germanique à base de singinois, de franco-provençal et de français, jadis utilisé dans la basse ville de Fribourg, continue à avoir un certain nombre d’adeptes, même si la pratique a fortement chuté. Cette langue mixte peut être construite sur une base soit française soit allemande, et reste très variable puisqu'elle peut varier d'un individu à un autre.

5.4 Les langues de l’éducation

Le système scolaire du canton de Fribourg est divisé en trois cycles principaux, totalisant onze ans de scolarité obligatoire, de quatre à quinze ans environ. Les deux premiers cycles forment l'école primaire, et le troisième cycle correspond au degré secondaire I (cycle d'orientation). Le canton de Fribourg est bilingue; il dispose donc de deux systèmes d'éducation, un régime de langue française et un régime de langue allemande, selon la commune.  Ces régimes coexistent et sont gérés par des services spécifiques : le Service de l'enseignement obligatoire de langue française (SEnOF) et le Service de l'enseignement obligatoire de langue allemande (DOA), tous deux basés sur le principe de la territorialité, l'enseignement étant offert dans la langue officielle de la région où se situe le «cercle scolaire». Dans le monde de l'éducation fribourgeoise, on emploie souvent l'expression «langue partenaire» pour désigner l'autre «langue officielle».

- Les cercles scolaires

Selon la législation en cours, un cercle scolaire est une entité géographique regroupant les élèves d'une zone déterminée pour la scolarité obligatoire. Le cercle scolaire est responsable de l'organisation et du fonctionnement de ses écoles primaires, et des élèves qui y sont rattachés en fonction de leur lieu de domicile ou de leur résidence habituelle reconnue par la direction scolaire.

Ainsi, un cercle scolaire est délimité dans une zone géographique spécifique, ce qui correspond généralement à une commune ou éventuellement à un regroupement de communes (plus petites), où les élèves sont tenus de fréquenter l'école de leur cercle. La règle générale est qu'un enfant doit fréquenter l'école de du cercle scolaire de son lieu de domicile; l'inscription à l'école publique du cercle scolaire est généralement automatique. Il est possible à des parents de demander à ce qu'un enfant fréquente une autre école publique que celle du cercle scolaire, mais une telle dérogation nécessite une démarche spécifique et elle peut être soumise à des conditions.

Il faut aussi comprendre qu'en Suisse l'expression «cercle scolaire» fait référence à une structure administrative et organisationnelle qui peut varier selon les cantons. Il n'y a pas d'équivalent comme tel en France, au Québec. En France, l'organisation scolaire est centralisée au niveau national et les équivalents les plus ressemblants pourraient être les «circonscriptions scolaires», les «académies scolaires» ou même les directions des services départementaux de l'Éducation nationale, mais ces instances ne sont pas comparables aux cercles scolaires suisses en termes d'objectifs et de responsabilités. Quant au Québec, la réalité administrative la plus proche correspondrait à un «centre de services scolaires» (anciennement les «commissions scolaires» et «conseils scolaires» au Canada anglais pour les minorités francophones). Si dans le cas québécois il s'agit d'une entité publique responsable de l'organisation des services pédagogiques dans un territoire donné, ce n'est guère le cas pour les «cercles scolaires» qui sont des organismes de moins grande envergure, généralement une association de parents, un regroupement d'enseignants ou un organisme à but non lucratif, etc., qui peuvent travailler en collaboration, mais qui n'ont pas d'énormes pouvoirs ni la même autorité qu'en France ou au Québec. L'organisme suprême en matière d'éducation en Fribourg est la Direction de la formation et des affaires culturelles (DFAC).

- La législation sur l'école obligatoire

La législation scolaire du canton de Fribourg est relativement élaborée. Elle comprend les lois et règlements suivants: l'article 64 de la Constitution fribourgeoise, la Loi sur la scolarité obligatoire (2014-2024), le Règlement de la Loi sur la scolarité obligatoire (2016- 2023), le Règlement sur les études gymnasiales (1998-2022), le Règlement concernant les études en écoles de culture générale (2008-2022), le Règlement sur les établissements publics (1992-2024), le Règlement concernant les études en écoles de culture générale (2008-2022),  la Loi sur l'enseignement secondaire supérieur (2018-2023), la Loi sur l'Université (1997-2023), le Règlement concernant l’admission à l’Université de Fribourg (2006), la Loi sur la Haute École pédagogique Fribourg - LHEPF (2015).

L'article 11 de la Loi sur la scolarité obligatoire (2014-2024) déclare que les langues d'enseignement sont le français dans les cercles scolaires où la langue officielle est le français et en allemand dans les cercles scolaires où la langue officielle est l'allemand:

Article 11

Langue de l'enseignement

1)
L'enseignement est donné en français dans les cercles scolaires où la langue officielle est le français et en allemand dans les cercles scolaires où la langue officielle est l'allemand.

2) Lorsqu'un cercle scolaire comprend une commune de langue officielle française et une commune de langue officielle allemande, ou une commune bilingue, les communes du cercle scolaire assurent la fréquentation gratuite de l'école publique dans les deux langues.

Article 77

Langue d'enseignement

1)
La langue d'enseignement des écoles privées doit être l'une des langues nationales.

2) La Direction peut toutefois autoriser une école privée à dispenser son enseignement dans une autre langue si les élèves de langue étrangère qu'elle accueille séjournent temporairement dans le canton et que leur intégration ne soit pas prioritaire.

Lorsqu’un cercle scolaire comprend une commune de langue française et une commune de langue allemande ou une commune bilingue, les communes du cercle scolaire assurent la fréquentation de l’école publique dans les deux langues. Dans les communes bilingues ou les cercles scolaires mixtes, les deux langues officielles sont employées, et les familles peuvent demander une inscription dans l'école de leur choix en fonction de la langue qu'elles choisissent. Dans les communes bilingues, des écoles peuvent offrir un enseignement dans les deux langues officielles ou proposer des classes regroupant des élèves francophones et germanophones. 

- Les langues étrangères

Tous les élèves doivent commencer l'apprentissage d'une deuxième langue nationale et de l'anglais à l'école primaire, au plus tard en 3e et en 5e année scolaire (comptage basé sur neuf années de scolarité obligatoire); en incluant dans la scolarité obligatoire, comme prévu par l'accord intercantonal de 2007 (ou concordat Harmos), deux années obligatoires d'école enfantine ou deux années d'un cycle élémentaire, il s'agira alors de la 5e et de la 7e année scolaire (comptage basé sur onze années de scolarité obligatoire).

Le canton de Fribourg est le seul en Suisse à obliger les élèves à apprendre la «langue partenaire» comme première langue étrangère. Le paragraphe 3 de l'article 64 de la Constitution impose l'usage de l'autre langue officielle dans l'enseignement des langues étrangères:

Article 64

Formation (Enseignement de base)

1) L’État et les communes pourvoient à un enseignement de base obligatoire et gratuit ouvert à tous les enfants, en tenant compte des aptitudes
de chacun.

2) L’école assure la formation des enfants en collaboration avec les parents et seconde ceux-ci dans leur tâche éducative. Elle favorise le développement personnel et l’intégration sociale des enfants et leur donne le sens des responsabilités envers eux-mêmes, autrui, la société
et l’environnement.

3) La première langue étrangère enseignée est l’autre langue officielle.

4) L’enseignement respecte la neutralité confessionnelle et politique. Les Églises et les communautés religieuses reconnues ont le droit
d’organiser un enseignement religieux dans le cadre de l’école obligatoire.
 

En adoptant la loi du 12 février 2009 portant adhésion du canton de Fribourg à l'accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire, le canton adhérait à l'harmonisation intercantonale (voir la liste des cantons participants) en ce qui a trait à l'enseignement des langues étrangères, pour un total de trois:

Article 4

Enseignement des langues

1) La première langue étrangère est enseignée au plus tard dès la 5e année de scolarité et la deuxième au plus tard dès la 7e année, la durée des degrés scolaires étant conforme à ce qui est stipulé à l’article 6. L’une des deux langues étrangères est une deuxième langue nationale, et son enseignement inclut une dimension culturelle ; l’autre est l’anglais. Les compétences attendues dans ces deux langues au terme de l’école obligatoire sont de niveau équivalent. Dans la mesure où ils prévoient, en plus, l’enseignement obligatoire d’une troisième langue nationale, les cantons des Grisons et du Tessin peuvent déroger à la présente disposition en ce qui concerne les années de scolarité fixées pour l’introduction des deux langues étrangères.

2) Une offre appropriée d’enseignement facultatif d’une troisième langue nationale est proposée durant la scolarité obligatoire.

Dans la partie francophone du canton de Fribourg, l'enseignement des langues durant la scolarité obligatoire est régi par le concordat Harmos et le concept cantonal de l'enseignement des langues. Le canton, étant officiellement bilingue, vise à assurer une bonne maîtrise des deux langues officielles (français et allemand), ainsi que de l'anglais. L'enseignement des langues étrangères commence généralement en 5e année avec l'allemand, puis l'anglais est introduit plus tard, souvent en 7e année. Dans la partie germanophone, l'enseignement des langues étrangères commence également en 5e année avec le français, puis l'anglais est introduit en 7e année.

Après leur dernière année de scolarité obligatoire, il est possible aux élèves de parfaire leurs connaissances dans la «langue partenaire», donc le français pour les germanophones et l'allemand pour les francophones, en y ajoutant une «12e année linguistique» dans un établissement d'enseignement dans l'autre zone linguistique du canton. Tel est le libellé de l'article 24 du Règlement de la Loi sur la scolarité obligatoire (2016- 2023)

Article 24

Dispositifs d'apprentissage de la langue partenaire (art. 12 al. 2 LS) – 12e année linguistique

1) L'élève ayant achevé sa scolarité obligatoire peut être autorisé-e à effectuer une 12e année linguistique, exceptionnellement une 13e année, dans un établissement de l'autre partie linguistique du canton.

2)
L'élève est intégré-e dans une classe de dernière année du cycle d'orientation, dans le même type de classe. En fin d'année, il ou elle reçoit une attestation.

3)
Aux conditions fixées par la Direction, l'élève peut être intégré-e dans un type de classe plus exigeant. Les objectifs d'apprentissage et les conditions de promotion sont identiques à ceux des autres élèves. En fin d'année, il ou elle reçoit le bulletin scolaire officiel.

4)
La direction d'établissement décide, jusqu'au 30 avril, de l'octroi d'une 12e année linguistique. Elle tient compte de l'avis des enseignants et enseignantes ainsi que des résultats scolaires de l'élève, de son comportement, de son engagement et de sa capacité à prendre en charge sa formation. L'inspecteur ou l'inspectrice scolaire décide, après consultation de la direction concernée, de l'établissement d'accueil.

5)
Les frais de repas ainsi que le coût et l'organisation du transport sont à la charge des parents.

6)
Les conventions intercantonales en matière de fréquentation d'une école située dans un autre canton sont réservées (art. 13 al. 2 LS et 8 RLS).

Article 25

Dispositifs d'apprentissage de la langue partenaire (art. 12 al. 2 LS) – Activités ou séquences d'enseignement dans la langue partenaire

1) Des activités ou des séquences d'enseignement dans les disciplines autres que celles qui sont destinées spécifiquement aux langues peuvent être dispensées dans la langue partenaire.

2)
La direction d'établissement en définit les modalités dans le cadre de la conception générale de l'apprentissage des langues et soumet sa proposition à l'inspecteur ou à l'inspectrice scolaire pour approbation.

3)
Lorsqu'elles sont instaurées, les activités et séquences d'enseignement dans la langue partenaire sont obligatoires pour les élèves.

4)
Les connaissances et les compétences des élèves sont évaluées en principe dans la langue d'enseignement principale (L1), mais peuvent également l'être dans la langue partenaire (L2).

Article 26

Dispositifs d'apprentissage de la langue partenaire (art. 12 al. 2 LS) – Classes bilingues

1) Des classes bilingues peuvent être constituées en fonction des savoirs linguistiques des élèves et des contingences locales, en particulier des ressources disponibles au sein du corps enseignant.

2)
La direction d'établissement en définit les modalités dans le cadre de la conception générale de l'apprentissage des langues et soumet sa proposition à l'inspecteur ou à l'inspectrice scolaire pour approbation. Les communes doivent également donner leur consentement.

3)
La fréquentation d'une classe bilingue est facultative pour les élèves. Une fois inscrits, ils y sont engagés pour toute l'année scolaire. Seules des raisons majeures peuvent permettre à un ou une élève d'interrompre sa participation.

4)
La direction d'établissement décide de l'admissibilité d'un ou d'une élève en classe bilingue. Elle tient compte de l'avis des enseignants et enseignantes ainsi que des résultats scolaires de l'élève, de son comportement, de son engagement et de sa capacité à prendre en charge sa formation.

5) Lorsque les admissions dépassent la capacité d'accueil, un tirage au sort est effectué.

6) Les connaissances et les compétences des élèves sont évaluées dans les deux langues d'enseignement en fonction des cours suivis en L1 ou en L2.

Article 94

Élèves primo-arrivants allophones – Cours de langue

1) L'élève primo-arrivant-e allophone peut être mis-e au bénéfice de cours de langue visant à l'acquisition la plus rapide possible des bases linguistiques et culturelles indispensables à son intégration scolaire et sociale.

2) Les cours de langue, en principe limités à deux années scolaires, sont dispensés individuellement ou à un petit groupe d'élèves.

3) Le coût et l'organisation d'un transport scolaire occasionné par un regroupement d'élèves sont à la charge des communes du cercle scolaire de domicile ou de résidence habituelle des élèves.

Article 95

Élèves primo-arrivants allophones – Cours de langue et de culture d'origine

1) Les cours de langue et de culture d'origine permettent à l'élève allophone de maintenir et d'élargir ses connaissances et compétences dans sa langue première et sa culture d'origine.

2)
Ces cours sont organisés, financés et dispensés par les représentations des pays ou des communautés d'origine qui en ont la responsabilité.

3) Ces cours facultatifs sont dispensés en dehors du temps scolaire. L'enseignant ou l'enseignante des cours de langue et de culture d'origine informe la direction d'établissement de la participation des élèves à ces cours.

4) Les communes mettent gratuitement à disposition les locaux nécessaires. Le coût et l'organisation d'un transport éventuel sont à la charge des parents.

L'article 6 du Règlement concernant les études en écoles de culture générale (2008-2022) reprend les mêmes dispositions concernant la première langue nationale, la deuxième langue nationale et l'anglais:

Article 6

Disciplines d'enseignement

1) Le plan d'études des ECG comprend des disciplines et des disciplines intégrées (plusieurs disciplines comptant pour une seule note) réparties en cinq domaines d'études.

2)
Le domaine d'études des langues comprend les disciplines suivantes:

a) la première langue nationale (langue 1), qui est la langue d'enseignement et qui peut être soit le français, soit l'allemand;
1. …
2. …

b) une deuxième langue nationale (langue 2), qui peut être soit l'allemand, soit le français;
1. …
2. …
c) l'anglais (langue 3);

Dans le canton de Fribourg, les classes bilingues au niveau primaire et secondaire sont facultatives et visent à favoriser l'apprentissage de la langue partenaire. Ces classes, souvent basées sur le principe de l'immersion, permettent aux élèves de développer leurs compétences linguistiques et culturelles dans un contexte d'apprentissage partagé avec des locuteurs de l'autre langue. La Loi sur l'enseignement secondaire supérieur (2018-2023) prévoit l'instauration de ces classes bilingues facultatives:

Article 7

Classes bilingues

1)
Des classes bilingues peuvent être constituées en fonction des compétences linguistiques des élèves.

2) L'inscription à une classe bilingue est facultative.

3) L'accomplissement avec succès d'une formation bilingue permet l'obtention d'un certificat bilingue.

4) Les conditions d'admission et l'organisation de ces classes sont précisées par la Direction de la formation et des affaires culturelles (ci-après: la DFAC).

Article 8

Échanges linguistiques et culturels

1)
Lorsque les échanges linguistiques et culturels prennent la forme d'un séjour, en Suisse ou à l'étranger, la durée de celui-ci ne peut pas dépasser deux semestres. Les frais y relatifs, en particulier les frais de logement, de repas et de transport, sont à la charge des élèves.

2) Le directeur ou la directrice autorise le séjour, conformément aux dispositions fixées par la DFAC.

Article 56

Mesures pour les élèves primo-arrivants allophones


L'élève primo-arrivant‑e allophone, possédant des connaissances limitées dans la première et/ou la deuxième langue, peut bénéficier d'une procédure d'admission adaptée ainsi que d'objectifs individualisés en principe durant les deux premières années de formation.

En principe, les classes bilingues sont prévues au primaire et au secondaire.

Cependant, en enseignement primaire, il n'existe que deux classes bilingues (français-allemand). C'est à l'école de La Vignettaz à Fribourg, où un projet pilote a été mis en place en 2022; le canton compte 96 établissements primaires au total. Une centaine d'inscriptions avaient été enregistrées en 2021, alors que seules 36 places étaient disponibles; on a dû prévoir un tirage au sort.

Cela dit, tous les établissements d'enseignement du secondaire II (supérieur) peuvent proposer des filières francophones, germanophones ou bilingues. Les classes bilingues regroupent des élèves francophones et germanophones dans la même salle de classe, avec un enseignement donné dans les deux langues. Ces classes mettent en parallèle deux classes, l'une francophone et l'autre germanophone, pour les matières dites bilingues; les élèves rejoignent la classe de la langue partenaire pour les matières spécifiques. L'obtention de ce certificat bilingue peut déboucher sur une maturité spécialisée dans différents domaines (santé, travail social, pédagogie).

Mais la création de filières bilingues n'est pas aisée. Le premier obstacle est la territorialité des langues, un principe constitutionnel selon lequel les élèves doivent être scolarisés dans la langue de la commune de domicile, sauf exception. L'autre obstacle est de trouver des enseignants aptes à offrir un enseignement dans les deux langues, alors que les germanophones constituent un peu moins d’un tiers des enseignants du canton. Il y a aussi le fait qu'il n'y a souvent pas assez d'inscriptions — il en faut vingt — pour ouvrir une classe bilingue.

C’est un peu toutes ces difficultés qui expliquent la raison pour laquelle le canton mise plutôt sur l’immersion dans laquelle les élèves apprennent le français ou l’allemand dans les cours de langue étrangère, mais aussi dans d’autres disciplines telles que les mathématiques, la musique, le sport ou l’histoire. La stratégie fribourgeoise est actuellement basée sur l’immersion, celle-ci étant obligatoire pour les élèves si la proportion d’enseignement dans l’autre langue ne dépasse pas 20%, car au-delà de 20% il faut pouvoir bénéficier d'effectifs suffisants pour créer deux classes.

- Les études gymnasiales et professionnelles

Il faut aussi tenir compte des études gymnasiales appelées, selon les cantons, «gymnases», «lycées» ou «collèges» (Fribourg). Ces établissements d'enseignement durent quatre ans en Fribourg. Il s'agit des trois collèges de la ville de Fribourg (Collège Saint-Michel, Collège Sainte-Croix et Collège de Gambach) ainsi qu'au Collège du Sud à Bulle et au Gymnase intercantonal de la Broye à Payerne. Ces établissements délivrent des certificats de maturité gymnasiale, désignée aussi sous le nom de «baccalauréat», qui sont reconnus dans toute la Suisse. L'objectif principal de la maturité gymnasiale (allemand : gymnasiale Maturität) est de préparer les élèves à entreprendre des études universitaires ou une formation de haut niveau. L'article 11 du Règlement sur les études gymnasiales (1998-2022) vise à assurer que tout élève bénéficie d'une formation bilingue s'il le désire:

Article 11

Bilinguisme

1) Chaque collège offre aux élèves la possibilité de participer à des activités impliquant l'usage de l'autre langue officielle du canton.

2)
Une formation bilingue répondant aux critères de l'attribution d'une mention «bilingue» est offerte aux élèves qui le souhaitent. Les conditions concernant cette formation sont fixées par la Direction.

La formation professionnelle initiale de trois ou quatre ans se termine par une procédure de qualification. Les épreuves ou examens testent les qualifications professionnelles acquises par la pratique ainsi que les connaissances professionnelles et la culture générale offertes à l'école. Celui-ci offre une formation accélérée (deux ans au lieu de quatre) qui permet un CFC (certificat fédéral de capacité) pour les élèves du secondaire II ayant déjà une première formation initiale, ainsi qu'aux détenteurs d’une maturité gymnasiale, professionnelle ou spécialisée. L'article 21 du Règlement sur les établissements publics (1992-2024) énonce que cette formation est accessible dans les deux langues officielles du canton, mais les candidats et les candidates ont le choix de leur langue d'enseignement:

Article 21

Cours

1) Le candidat à l'examen en vue de l'obtention du certificat de capacité doit avoir suivi au préalable le cours de formation obligatoire organisé par la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers du canton de Fribourg (ci-après: Gastro-Fribourg) en collaboration avec le Service.

2)
Le cours est dispensé dans les deux langues officielles du canton. Un test destiné à vérifier la maîtrise de l'une de ces langues peut être imposé au candidat.

- Les études supérieures

Avec une population de quelque  342 000 habitants (2023) dans tout le canton, il ne faut pas s'attendre à de très nombreux établissements d'enseignement supérieur. À part l'Université de Fribourg/Universität Freiburg, on trouve quelques autres établissements d'enseignement supérieur dans un rayon de 50 km autour de Fribourg, lesquels proposent des formations à la Haute École de santé de Fribourg, à Grangeneuve qui offre de la formation en agriculture, en économie familiale, en agroalimentaire, en sylviculture, en hôtellerie-intendance, etc.

C’est à Fribourg que se trouve l’unique université bilingue français-allemand de la Suisse (plus de 7000 étudiants). La majorité des programmes d’études offrent la possibilité aux étudiants de mener à terme leurs études en français, en allemand ou dans les deux langues à la fois. L'article 6 de la Loi sur l'Université (1997-2023) énonce bien que les langues d'enseignement et d'administration sont le français et l'allemand:

Article 6

Langues

1)
Les langues d'enseignement et d'administration sont le français et l'allemand.

2)
Les facultés peuvent autoriser d'autres langues d'enseignement.

3)
L'Université favorise et développe la compréhension entre les personnes de langues et cultures différentes; elle encourage en particulier les études bilingues en français et en allemand.

On peut, en principe, choisir d'y étudier soit en français, soit en allemand, soit dans les deux langues à la fois. En s'engageant dans cette dernière option, l'étudiant peut obtenir un diplôme avec mention «bilingue».

De plus, l'article 4 du Règlement concernant l’admission à l’Université de Fribourg (2006) laisse entendre qu'une troisième langue peut être employée, l'anglais:

Article 4

1) Sont considérés comme diplômes de fin d’études étrangers :

a) les diplômes de fin d’études secondaires supérieures étrangers ;
b) les diplômes universitaires.

2) Les titulaires d’un diplôme de fin d’études étranger, dont la langue officielle d’enseignement n’est ni le français ni l’allemand, doivent apporter la preuve qu’ils possèdent des compétences linguistiques suffisantes en allemand ou en français, sauf pour les voies d’études de master, dont la langue explicitement désignée est l’anglais.

3) Pour être admis dans une voie d’études de master, dont la langue explicitement désignée est l’anglais, les titulaires d’un diplôme de fin d’études étranger, dont la langue officielle d’enseignement n’est pas l’anglais, doivent apporter la preuve qu’ils possèdent des compétences linguistiques suffisantes en anglais.

La Haute École pédagogique de Fribourg (HEP-FR) ou Pädagogische Hochschule (PH-FR) est une institution de formation bilingue de niveau tertiaire. Elle offre des cours dans le domaine de la formation initiale et continue des enseignants au degré primaire et, pour certaines disciplines, au degré secondaire, ainsi que dans celui de la documentation pédagogique et du multimédia. Elle est également active sur le plan de la recherche et du développement.

L'article 5 de la Loi sur la Haute École pédagogique Fribourg (2015) offre des cours à la fois en français et en allemand afin de former des enseignants bilingues:

Article 5

Langues d'enseignement

1)
La formation des enseignants et enseignantes et les activités de développement pédagogique sont assurées dans les deux langues officielles du canton.

2)
Pour une part des formations dispensées, la HEP-PH FR recourt au bilinguisme et notamment à l'immersion linguistique.

3)
La HEP-PH FR s'assure que les étudiants et étudiantes maîtrisent de manière effective la langue partenaire au terme de leur formation initiale et soient capables d'enseigner une séquence d'enseignement-apprentissage dans l'autre langue.

En 2025, la Haute École pédagogique devait être intégrée à la nouvelle Faculté des sciences de l’éducation et de la formation de l'Université de Fribourg, laquelle se compose des trois départements suivants : le Département de la formation à l’enseignement, le Département de pédagogie spécialisée et le Département des sciences de l’éducation.

5.5 Les médias fribourgeois

Le canton de Fribourg dispose d'un éventail médiatique diversifié, comprenant à la fois des médias imprimés et des plateformes numériques. Le canton ne dispose pas d'une législation sur les médias, du moins rien en ce qui concerne les langues.

- Les médias francophones

Parmi les médias écrits, il faut mentionner les journaux suivants: La Liberté, La Gruyère, Sept. Info, La Broye, Le Républicain, Le Messager.

Le canton de Fribourg dispose de plusieurs médias électroniques qui couvrent l'actualité régionale. Parmi eux, Frapp, un média en ligne propriété de Radio-Fribourg et La Télé Vaud-Fribourg, qui propose une actualité fribourgeoise sur son application et ses réseaux sociaux. La Télé Vaud-Fribourg est une chaîne de télévision régionale qui collabore avec Frapp. L'État soutient ces médias régionaux à travers diverses initiatives, notamment en offrant des abonnements numériques aux jeunes.

- Les médias germanophones

En allemand, les journaux sont les suivants: Freiburger Nachrichten, Der Murtenbieter, Anzeiger von Kerzers, Unser Region Murtensee. Les médias électroniques germanophones sont Radio Freiburg et Radio Kaiseregg.

La direction et la rédaction de Radio Fribourg sont bilingues, tout en diffusant deux types d'émissions distinctes.

Contrairement à la quasi-totalité des cantons suisses, le canton de Fribourg a connu plusieurs conflits linguistiques en raison de l'enchevêtrement des langues le long de la frontière linguistique (Röstigraben), surtout à Fribourg et dans le district du Lac. Évidemment, il est plus aisé d'administrer des citoyens lorsqu'ils forment des ensembles linguistiquement homogènes comme dans les cantons germanophones de Lucerne, d'Argovie, d'Obwald, de Schaffhausen ou de Thurgovie.

Or, dans le canton de Fribourg, une vingtaine de communes des districts de la Sarine et du Lac abritent des communautés linguistiquement mixtes. De plus, la majorité francophone s'est toujours méfiée de la minorité germanophone et a toujours craint la germanisation du canton. La réalité dénie ce processus, car ce sont les germanophones qui perdent du terrain, non les francophones du canton. Néanmoins, les germanophones ont réussi à obtenir en principe les mêmes droits linguistiques par les autorités cantonales, bien que ce ne soit pas le cas dans les services communaux où cette égalité n'est même pas désirée dans de nombreuses communes. Pour ce qui est des droits linguistiques reconnus dans les communes, c'est plutôt la liberté des langues autoproclamée par les mairies locales. 

Bien que Fribourg soit la capitale cantonale, elle présente toutes les apparences d’une ville de langue française. Certains citoyens germanophones affirment ne pas se sentir complètement chez eux dans un environnement aussi francophone. Cependant, au plan national, les germanophones savent très bien qu’ils constituent la majorité et que la Suisse est gouvernée par une majorité massivement allemande, par des politiciens, des chefs d'entreprise, des fonctionnaires qui pensent et ordonnent en suisse alémanique, tous préoccupés à gérer leur prospérité économique. Pour le reste, les deux groupes linguistiques se tournent le dos avec une étonnante indifférence.

Remarque

Ce texte a pu bénéficier de l'aide précieuse de M. Alexandre Papaux, juge au Tribunal cantonal de Fribourg. D'ailleurs, certains paragraphes ne sont pas rédigés par l'auteur de ces lignes, mais bien par M. Papaux. Nous lui en sommes reconnaissants. 

Dernière mise à jour: 30 juin, 2025

Bibliographie

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LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. «Synthèse«, 1992, 708 p.

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WINDISCH, Uli. Les relations quotidiennes entre Romands et Suisses allemands, Les cantons de Fribourg et du Valais, Lausanne, 1992.

 

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