Kosovo (2) Données historiques et politiques |
Plan de l'article
1 Les débuts 1.1 La Dalmatie 1.2 L'Empire serbe 2 La décomposition de l'Empire serbe 2.1 L'occupation ottomane 2.2 L'islamisation des vaincus 2.3 Le royaume de Serbie (1882) 3 Le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes 3.1 L'union des Slaves du Sud 3.2 La Constitution de 1921 4 Le Kosovo dans la Yougoslavie 4.1 La première Yougoslavie (monarchiste) de 1929 4.2 Le démembrement de la Yougoslavie (1941-1943) 4.3 La seconde Yougoslavie (1945) |
4.4 La troisième Yougoslavie (1992) 4.5 La guerre du Kosovo 5 La période transitoire (1999 à 2008) 7 Le Kosovo indépendant
de facto (2008) |
Vers le IIe millénaire avant notre ère, les Illyriens (les ancêtres des Albanais actuels) occupaient une grande partie de la péninsule des Balkans, englobant le Kosovo actuel, même la côte est de l'actuelle Italie. Les Illyriens parlaient une langue indo-européenne, l'illyrien (aujourd'hui disparu), ayant appartenu au groupe de langues thraco-illyriennes. Les territoires illyriens, qui comprenaient le Kosovo et une partie de la Macédoine du Nord, finirent par être annexés par l'Empire romain sous le nom de Illyrium, qui fut ensuite divisée entre la Pannonie et la Dalmatie. 1.1 La Dalmatie À partir du VIIe siècle de notre ère, les peuples romanisés de la Dalmatie furent refoulés sur les côtes de la mer Adriatique par les Slaves, notamment les Croates, qui fondèrent plusieurs principautés. Avec l'arrivée des Slaves, les populations illyriennes disparurent graduellement de l'histoire. En 1102, la Croatie, qui comprenait alors la Dalmatie, s'unit à la Hongrie. Le territoire allait ensuite être occupé tour à tour par les Vénitiens, les Byzantins et les Serbes. |
1.2 L'Empire serbe
Les Serbes réussirent à unir leur royaume au XIIe siècle. Le roi des Serbes, le tsar Étienne IX Duchan (1331-1355), régna sur un territoire, l'Empire serbe (1346–1371), qui englobe aujourd’hui la Macédoine du Nord, l'Albanie, le Kosovo et la Grèce, mais non la Voïvodine au nord, ni la Bosnie, puisque même Belgrade faisait partie du royaume de Hongrie. Étant donné l'état de l'Empire byzantin, le tsar Duchan avait créé un nouvel empire chrétien orthodoxe afin de résister aux Turcs musulmans. Les Grecs le considéraient comme le défenseur de l'orthodoxie religieuse. En 1354, à la mort de Stefán Uroš V, l'Empire serbe allait être partagé par des généraux serbes, ce qui favorisera l'Empire ottoman. Pour les nationalistes serbes d'aujourd'hui, le Kosovo faisait partie de la Serbie médiévale. À cette époque, les Serbes dominèrent le Kosovo; de nombreux monastères orthodoxes attestent de leur présence. Ainsi, pour les Serbes, le Kosovo serait serbe depuis le Moyen Âge et les Albanais se seraient approprié peu à peu cette région. Pour les Kosovars, le Kosovo a toujours été albanais et les Serbes ne sont que des occupants. |
L’Empire serbe s’effrita lorsque l’Empire ottoman (voir la carte de l'Empire ottoman) commença à conquérir les Balkans à la fin du XIVe siècle, notamment en 1396 avec la domination de la Macédoine et de la Bulgarie. En 1389, après la bataille de Kosovo Polje, dite du «champ des Merles», aux portes de l’actuel chef-lieu de la province (Pristina), la Serbie passa sous la juridiction des Ottomans. À cette époque, les Albanais du Kosovo, bien que minoritaires, étaient catholiques ou orthodoxes, et ils se battaient aux côtés des Serbes contre l’ennemi turc.
2.1 L'occupation ottomane
La victoire des forces ottomanes allait permettre l’occupation complète du territoire serbe jusqu’au XIXe siècle. Les Ottomans divisèrent administrativement l'Albanie en quatre vilayets: Shkodër, Kosovo, Manastir et Jannina (voir la carte de l'Albanie ottomane). Comme on peut le constater, l'Albanie ottomane avait une superficie de presque le double de ce qu'elle a aujourd'hui.
La défaite historique de 1389 des Serbes entraîna la décomposition de l'État serbe et la fuite progressive des Serbes hors du Kosovo, où subsistent encore de nombreux monastères orthodoxes. L’État ottoman reposait solidement sur les fondements de l’islam, fondements qui couvraient toutes les formes de la vie sociale. Dans les faits, tous les non-musulmans se trouvaient forcément isolés dans leurs cercles religieux respectifs et étaient coupés de toute vie sociale. Ces conditions allaient être la source d’une islamisation progressive des chrétiens de l'Empire ottoman, dont les habitants du Kosovo, c'est-à-dire les Serbes orthodoxes et les Albanais catholiques: s'ils se sont islamisés, ils ne se sont jamais turquisés, car ils ont conservé leur langue, l'albanais ou le serbe.
2.2 L'islamisation des vaincus
La fuite des Serbes permit à l’administration ottomane d’islamiser les Albanais. En effet, les vaincus, qu’il s’agisse des Albanais, des Serbes ou des Croates, pouvaient accéder à des postes élevés de l’administration ottomane à la condition qu’ils se convertissent à l’islam. Tout au long des cinq siècles d’occupation, des dizaines de milliers de Kosovars (albanais) sont ainsi passés à l’islam. Au cours de leur longue domination, les Ottomans ont ainsi favorisé les Albanais islamisés aux dépens des Serbes chrétiens, car beaucoup moins de Serbes se sont islamisés. Ceux qui se sont islamisés sont devenus les Bosniaques d’aujourd’hui; ils parlent encore la même langue, mais ils se distinguent nettement par la religion et l'histoire.
C’est ce qui explique que les Albanais du Kosovo et les Bosniaques soient considérés par les Serbes comme des «renégats» et des «traîtres» qui ont renié leur foi chrétienne. Quoi qu’il en soit, au XVIIe siècle, les Serbes du Kosovo avaient pratiquement cédé la place aux Albanais islamisés et aux Ottomans turcophones. Pendant que les Serbes émigraient vers le nord, notamment en Bosnie-Herzégovine, les Albanais de l’actuelle Albanie étaient attirés par les plaines fertiles du Kosovo. La Serbie de cette époque était devenue une principauté ottomane comprenant le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine.
2.3 Le royaume de Serbie (1882)
La principauté de Serbie retrouva son indépendance en 1878, mais sans le Kosovo ni la Bosnie-Herzégovine, qui restèrent sous la tutelle ottomane. La principauté devint le «Royaume de Serbie» en 1882 jusqu'à la Première Guerre mondiale. Plusieurs années avant l'indépendance de la Serbie avait eu lieu l'accord de Vienne en 1850. C'est à cette époque qu'était apparue la langue serbo-croate prônée par les linguistes, en particulier le Serbe Vuk Karadžić et le Croato-Slovaque Ljudevit Gaj. Cette réunion de plusieurs linguistes et écrivains portait sur l'avantage d'unifier les langues serbe et croate, et notamment leurs écritures. Il s'agissait sans nul doute d'une réaction contre l'autoritarisme des Habsbourg, qui dirigeait alors l'empire multilingue d'Autriche-Hongrie. Cependant, ce ne sont pas tous les Serbes ni tous les Croates qui souscrivirent à cette idéologie, et ce, d'autant plus que la Serbie se sont vu renforcés comme place forte du nationaliste slave dans les Balkans. Pourtant, non seulement les Serbes voulaient quitter l'Empire austro-hongrois, mais aussi les Croates, les Bosniaques (alors appelés «Musulmans») et les Slovènes. Évidemment, les Albanais furent totalement laissés pour compte, y compris les Bosniaques, car ils faisaient encore partie de l'Empire ottoman. Ils étaient islamisés, mais ils avaient conservé leur langue, soit l'albanais, soit le bosniaque, soit le serbe, le monténégrin ou le croate. Seuls les Bulgares et les Macédoniens demeurèrent orthodoxes et bulgarophones. |
À la fin du XIXe siècle, la décadence de l'Empire ottoman conjugué au renouveau national serbe, croate et bulgare fit du Kosovo un véritable champ de bataille. Au moment de la création de l’État albanais en 1912, l’Albanie revendiqua le Kosovo, mais c’est la Serbie qui, grâce à la pression de la Russie, obtint gain de cause auprès des grandes puissances européennes. Le Kosovo et la Macédoine firent ainsi partie de la Serbie aux dépens de l'Albanie et de la Grèce.
Le Royaume de Serbie faillit bien disparaître au cours de la Première Guerre mondiale. En 1918, la Serbie obtint finalement la formation d'un vaste royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes. Ce royaume réunissait, sous la dynastie serbe des Karageorgevitch, des contrées jusque-là séparées par l'histoire, c'est-à-dire, outre la Serbie elle-même, le royaume du Monténégro, le royaume de Croatie-Slavonie, la Bosnie-Herzégovine, la Dalmatie, ainsi qu'une partie de la Carniole et de la Styrie à l'ouest et quelques autres fragments. 3.1 L'union des Slaves du Sud La déclaration de Corfou (Grèce) du 1er juillet 1917 avait lancé le projet de l'union des Slaves du Sud. Cette union fut proclamée le 1er décembre 1918 par le régent, le prince Alexandre. Les Croates et les Slovènes avaient consenti à se fondre dans le nouveau royaume, de même que les Monténégrins, afin d'échapper aux prétentions impérialistes de l'Italie. Ce fut donc sans enthousiasme que les Croates, les Slovènes, les Macédoniens et les Monténégrins acceptèrent le leadership serbe. |
Avec trois religions, deux alphabets, quatre langues et encore plus de nationalités, le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes apparut plutôt fragile, car jamais ses peuples n'avaient cohabité auparavant. De plus, le nouvel État regroupait des populations de traditions religieuses, politiques et culturelles diverses. Sur un total de 12 millions d'habitants, les Serbes représentaient 38,8 %; les Croates, 23,7 %; les Slovènes, 8,5 %, sans oublier les minorités non slaves, tels les Albanais, les Allemands, les Hongrois, les Roumains, les Turcs, les Italiens, les Macédoniens, etc., qui comptaient pour 16,5 %. Le discours officiel présentait les Macédoniens comme des «Serbes du Sud». En même temps, les Serbes et les Croates se disputaient l’allégeance des Bosniaques musulmans de la Bosnie-Herzégovine.
Bref, c’est contre leur gré que les Albanais du Kosovo firent partie de la Serbie et du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes. C’est pourquoi les Kosovars, alors déjà majoritaires dans leur province, considérèrent les troupes serbes comme des «forces d’occupation», tandis que les Serbes restés au Kosovo proclamèrent leur «libération». Entre 1915 et 1919, les Kosovars organisèrent des soulèvements qui furent tous réprimés sans pitié, le gouvernement de l’époque ayant eu recours à l'expulsion d’Albanais, à la fermeture d’écoles, à la confiscation des terres et au repeuplement par des Serbes.
3.2 La Constitution de 1921
En juin 1921, l'Assemblée constituante adopta à la majorité simple une constitution à cet ensemble hétérogène doté de deux alphabets, de quatre langues et de trois religions. Cette constitution fut appelée «Constitution de Vidovdan», d'après la plus grande fête religieuse serbe, la Saint-Vitus. Sur 419 représentants, 223 votèrent pour la Constitution, 35 s'y opposèrent et 161 députés s'abstinrent. L'article 3 de la Constitution déclarait que la langue officielle du royaume était le serbo-croate-slovène (en serbe: српско-хрватско-словеначки; en croate: srpsko-hrvatsko-slovenski; en slovène: srbsko-hrvaško-slovenski), ce qui signifiait qu'il n'y avait qu'une seule langue, la «langue nationale», écrite avec deux alphabets:
Article 1erL'État des Serbes, des Croates et des Slovènes est une monarchie constitutionnelle, parlementaire et héréditaire. Le nom officiel de l'État est : Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes.Article 3La langue officielle du royaume est le serbo-croate-slovène.Article 16 [...] Les minorités d'autres races et langues auront leur enseignement primaire dans leur langue maternelle, aux conditions que la loi prescrira. Article 72 Ne peuvent être élus à l'Assemblée nationale que les individus qui jouissent de leurs droits électoraux, qu'ils figurent ou non sur les listes électorales. De tout député sont exigées les conditions suivantes : 1° qu'il soit ressortissant de naissance ou naturalisé du royaume serbe-croate-slovène. Le ressortissant naturalisé, s'il n'est pas de race serbe-croate-slovène, devra avoir été domicilié dans le royaume depuis au moins dix ans à dater du jour de la naturalisation ; |
L'article 16 prévoyait que «les minorités d'autres races et langues auront leur enseignement primaire dans leur langue maternelle, aux conditions que la loi prescrira».
La Constitution laissait entendre qu'il n'existait qu'un seul peuple avec trois noms, ce qui masquait nécessairement de profonds clivages. Au plan linguistique, malgré les ressemblances, le slovène restait une langue différente du croate et du serbe. Au plan religieux, les rivalités entre orthodoxes (Serbes) et catholiques (Croates et Slovènes) demeuraient profondes. En dépit de leur identité religieuse, les musulmans de Bosnie furent sollicités de se déclarer obligatoirement serbes ou croates. De plus, tous les Monténégrins furent automatiquement assimilés aux Serbes, ce qui dissimulait leur régionalisme. Quant aux Macédoniens, considérés comme des «Serbes du Sud», ils furent simplement oubliés. Enfin, les grandes communautés non slaves furent totalement niées dans leurs droits: les Albanais, les Hongrois et les Allemands.
Dans ces conditions, les tensions ethniques s'envenimèrent au point où, le 20 juin 1928, un député croate, Stjepan Radić, fondateur du Parti paysan croate et opposé à l'hégémonie serbe au sein du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, fut assassiné en pleine séance parlementaire par Puniša Račić, un Monténégrin du Parti radical populaire serbe. L'assassin fut simplement condamné à la résidence surveillée dans une luxueuse villa de Serbie. |
Le terme «Yougoslavie» signifie en serbe et en croate le «pays des Slaves du Sud». Il y eut trois Yougoslavie: la Yougoslavie monarchiste (1929-1941), la Yougoslavie titiste (1945-1992) appelée République fédérative socialiste de Yougoslavie, et la Yougoslavie de 1992 à 2003, nommée République fédérale de Yougoslavie.
4.1 La première Yougoslavie (monarchiste) de 1929
Le roi Alexandre Ier supprima toutes les instances politiques du royaume pour laisser la place à un régime centralisé et policier appuyé par l'armée, ce qui fut perçu comme le triomphe de l'hégémonie serbe sur le pays. Le 3 octobre 1929, le pays fut renommé «royaume de Yougoslavie» et redécoupé de façon à occulter les anciennes frontières historiques. Le royaume fut divisé en neuf nouvelles provinces appelées banovines (ou banat): la Drave (ou Drava), la Save (ou Sava), le Vrbas, le Littoral (ou Primorska), la Drina, le Danube (ou Dunavska), la Morava (ou Moravska), la Zeta et le Vardar. Ces territoires furent découpés selon des critères strictement géographiques de façon à supprimer les frontières ethniques.
Bien que le roi ait voulu imposer l’idéologie d’une nation yougoslave unifiée, il n'a pu supprimer la grande diversité nationale. Dépourvu d’une base solide, le roi tenta d’améliorer ses appuis en dotant le royaume d’une constitution en septembre 1931. Cette dernière confiait au souverain l’essentiel du pouvoir législatif, en interdisant les anciens partis politiques et en restreignant les libertés publiques. Toutefois, le nationalisme des Croates, des Albanais et des Macédoniens se radicalisa. Le royaume de Yougoslavie fut confronté à la résistance armée dans la banovine du Vardar, essentiellement les Albanais du Kosovo et les Macédoniens favorables au rattachement à la Bulgarie. Les insurrections furent durement réprimées; les familles des insurgés, déportées dans des camps d’internement; leurs propriétés, confisquées. |
Les représentants politiques albanais déploraient des milliers de victimes, probablement près de 100 000 (mais moins de 5000 de la part des autorités). Alexandre Ier entreprit alors de «désalbaniser» la province (banovine du Vardar) en encourageant les Albanais à partir et en favorisant l'installation de familles serbes et monténégrines. Face au durcissement du roi, les Croates préparèrent son assassinat avec l'aide de l'organisation nationaliste et terroriste croate, l'Oustacha, fondée en 1929 par Ante Pavelić. Lors d'un voyage officiel en France, Alexandre Ier fut assassiné à Marseille par un nationaliste bulgare, membre de l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne. L’héritier au trône, Pierre II de Yougoslavie, étant mineur, une régence fut instituée et dirigée par le prince Paul Karadjordjević. En 1941, le régent Paul signa une alliance avec l'Allemagne nazie, ce qui occasionna un coup d'État de la part des officiers favorables aux Alliés. En représailles, Hitler fit alors envahir la Yougoslavie qui capitula le 17 avril 1941.
4.2 Le démembrement de la Yougoslavie (1941-1943)
Les Allemands occupèrent la Serbie réduite à ses frontières de 1912 et annexèrent la Slovénie du Nord; ils créèrent une Croatie indépendante alliée, incluant la Bosnie-Herzégovine. Les Italiens occupèrent la Slovénie du Sud, la Dalmatie, le Monténégro, l'Albanie, le Kosovo et une partie de la Macédoine qu'ils annexèrent en une Grande Albanie (voir la carte albanophone). Ce fut là une courte période pendant laquelle le Kosovo fut rattaché à l'Albanie, elle-même gouvernée par l'Italie fasciste de Mussolini. L’Allemagne nazie mit même sur pied une division SS albanaise employée à «nettoyer» les Serbes du territoire. Beaucoup de groupes kosovars en profitèrent pour massacrer les Serbes qui quittèrent progressivement la région pour remonter vers le nord. On comprendra un peu pourquoi, pour les Albanais du Kosovo, leur province fait théoriquement partie de la «nation albanaise» et non de la Serbie. La Hongrie annexa à son territoire la Voïvodine, ainsi que d'autres régions limitrophes. Enfin, la Bulgarie annexa la partie orientale de la Macédoine.
L'État croate indépendant fut l'Oustacha, alors que le nationaliste croate Ante Pavelić y instaurait un régime fasciste d'une extrême brutalité, déclenchant une spirale de violence. En Serbie, le gouvernement serbe fut confié par les Allemands à un collaborateur, le général Milan Nedić. Durant la guerre, plus de 167 000 personnes trouvèrent la mort en Serbie, dont plus de 67 000 «partisans», 69 000 «tchetniks» et plus de 20 000 juifs. Pendant ce temps, Josip Broz dit Tito, un Croate, organisait un mouvement de résistance. Désignées sous le nom de «partisans», ses troupes devinrent les protagonistes d'une vigoureuse campagne de guérilla. Progressivement, les «partisans» commencèrent à libérer le territoire yougoslave. Le 29 novembre 1943, Tito proclamait unilatéralement la Fédération démocratique de Yougoslavie, un État d'allégeance communiste. En mai 1945, les «partisans» communistes étaient devenus les seuls maîtres de la Yougoslavie réunifiée. |
4.3 La seconde Yougoslavie (1945)
En raison de l'importance de ses victoires durant la guerre, Tito fonda une république socialiste qui, contrairement au royaume centralisé d'Alexandre Ier, reconnaissait le pluralisme. Durant l'été de 1945, six républiques furent instituées au sien de l'État fédéral : la Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine. Au sein de la république de Serbie furent incluses deux provinces autonomes, la Voïvodine et le Kosovo, ce qui portait à huit le nombre d'entités fédérales dans la Yougoslavie de Tito. Celui-ci reconnut une nouvelle nationalité : les «Musulmans» de Bosnie, qui prirent plus tard le nom de Bosniaques.
Mais les Albanais du Kosovo s'opposèrent à leur intégration à la Yougoslavie. Certains villages albanais du Kosovo, tenus par la guérilla du PBK ou Partia Balli Kombëtar (ou Parti du Front national), partisan du rattachement à la Grande Albanie, furent rasés et leur population massacrée. En juillet 1945, l'armée de Tito parvint à écraser la résistance albanaise au prix de 50 000 morts. Le Kosovo pouvait à nouveau devenir une entité administrative de la république de Serbie, d'abord à titre de «région autonome», puis, à l'issue des émeutes de 1968, élevée au rang de «province autonome». |
Ce statut accordait aux Kosovars des droits égaux à ceux des autres habitants de la fédération, mais ils n'étaient pas considérés comme un «peuple» ou une «nation» à part entière, seulement une «minorité nationale» ou simplement une «nationalité». Collectivement, il leur était interdit de se séparer de la fédération, comme les républiques en avaient le droit. Les Albanais du Kosovo, un peuple non slave, se voyaient reléguer à un rang inférieur par rapport aux peuples slaves.
- L'autonomie sous le régime de Tito
Les premières années du régime de Tito furent extrêmement sévères et violentes, encore plus répressives qu'en URSS. Il n'était pas question pour quiconque de s'opposer aux décisions de Tito, sous peine de condamnations très lourdes. La Yougoslavie vécut sous un véritable climat de terreur, qui finit pas s'adoucir, surtout après la mort de Staline en 1953. Le régime devient plus tolérant et plus ouvert. Tito devint un symbole du non-alignement, car il ne s'associa ni avec le bloc de l'Est ni avec celui de l'Ouest. Tito devint le conseiller et l'ami des grands chefs d'État des pays en voie de développement, tels Nehru (Inde) et Nasser (Égypte). Tito fonda le Mouvement des non-alignés, en adoptant à l'extérieur une position anticolonialiste et en soutenant des mouvements indépendantistes, comme le FLN durant la guerre d'Algérie (1954-1962).
Tito en vint à confirmer le statut d'autonomie du Kosovo dans la Constitution fédérale de 1974. Le «Kosovo autonome» devint un État quasi indépendant de la Serbie, car il bénéficiait d’un parlement et d’un gouvernement propres, et il possédait même un droit de veto sur toute loi promulguée en Serbie. La population albanaise du Kosovo, pauvre et analphabète, fut politiquement encadrée par la minorité locale serbe. Néanmoins, les Serbes virent, dans l'accession du Kosovo au rang de province autonome, une discrimination à leur égard, d'autant que l'égalité de représentation du Kosovo favorisait les Albanais et affaiblissait les Serbes.
De plus, les Albanais se sont souvent comportés comme une majorité aux dépens des Serbes qui se sont sentis minorisés et rejetés dans leur propre pays. Selon les Serbes, les Kosovars auraient retiré aussi des revenus du trafic de la drogue, ce qui aurait alimenté la contrebande d'armes dans toute la région. Enfin, les Serbes prétendirent que l’autonomie du Kosovo (1974-1989) aurait entraîné l’exode des Serbes et que 800 villages mixtes (albanais-musulmans) seraient devenus à 100 % albanais. Les Serbes ont, bien sûr, gardé un très mauvais souvenir de cette époque titiste dirigée par un Croate. Quant aux Albanais kosovars, bien que confinés à un sous-développement économique, ils mirent en veilleuse leurs revendications. |
Mais la mort de Tito, le 4 mai 1980, mit en lumière la gravité de la crise économique (chômage, inflation, dette extérieure de 20 milliards de dollars ou de 16 milliards d'euros). La région la plus pauvre du pays, le Kosovo, fut la première à manifester son inquiétude au printemps 1981, ce qui fut interprété comme une forme d'«irrédentisme» de la part des autorités serbes. Au moment de la mort de Tito, le Kosovo comptait 1,5 million d'habitants, dont 77 % d'Albanais, 13 % de Serbes, le reste se divisant entre d'autres minorités, notamment les Croates et les Bosniaques.
Pendant ce temps, en raison du nationalisme florissant dans les autres républiques (Croatie, Slovénie, Macédoine et Bosnie-Herzégovine), le titisme parut vite obsolète. À Belgrade, Slobodan Milosevic dirigeait la Ligue communiste depuis 1986; il avait bâti sa carrière politique sur le thème de la défense des intérêts serbes et d'un renforcement de la centralisation fédérale. Il se heurta au raidissement des autres républiques yougoslaves qui refusèrent tout dialogue avec Belgrade.
- Le nationalisme serbe
Pendant ce temps, la quasi-indépendance des Kosovars accentua la xénophobie des dirigeants serbes qui parlèrent alors de «génocide physique, politique et culturel» de leur communauté au Kosovo. Ce soi-disant «génocide» contre les Serbes aurait été pratiqué durant cinquante ans par les Albanais et les Musulmans (Bosniaques) avec la complicité des communistes (de Tito). Selon les élites serbes, la «terre serbe sacrée» du Kosovo aurait été exposée à une «albanisation agressive, raciste et systématique» qui aurait mis en danger «l'être national serbe» et aurait menacé de «l'exterminer à jamais».
Le 1er mars 1989, après une grève générale et de violents affrontements, Belgrade proclama l'état d’exception et envoya l'armée au Kosovo. Le 23 mars, une réforme de la Constitution serbe limitait le statut d’autonomie dont le Kosovo et la Voïvodine bénéficiaient depuis 1974. En mai suivant, Slobodan Milosevic fut élu par l’Assemblée à la présidence de la Serbie. Le 5 juillet 1990, le parlement de la Serbie adoptait la Loi sur l'abrogation des activités de l’Assemblée du Kosovo et de son gouvernement. Par cette loi, le Kosovo se voyait retirer tout pouvoir exécutif et législatif. Le président Milosevic instaura ensuite un régime autoritaire et discriminatoire envers les Albanais — un véritable apartheid — en plaçant la région sous le contrôle direct de l'armée fédérale. C’est de cette époque que date la fameuse prédiction de Xhafer Shatri, alors ministre de l'Information du gouvernement kosovar clandestin, installé à Genève: «La guerre en Yougoslavie a commencé au Kosovo. Elle se terminera au Kosovo.»
Les déclarations d'indépendance conjointes de la Slovénie et de la Croatie, le 25 juin 1991, déclenchèrent une guerre qui allait durer plus de quatre ans. La dissolution de la Yougoslavie devint inévitable, et elle n'allait pas être négociée, pas plus qu'elle ne l'avait été lors de sa création en 1918.
4.4 La troisième Yougoslavie (1992)
Après le changement constitutionnel de 1992 et l'abandon de toute référence au socialisme, Slobodan Milosevic proclama la troisième Yougoslavie qui fut appelée la «République fédérale de Yougoslavie», un État fédéral formée de la Serbie (y compris les territoires de la Voïvodine et du Kosovo) et du Monténégro, mais sans les républiques de Slovénie, de Croatie, de Bosnie-Herzégovine et de Macédoine. La Yougoslavie de Slobodan Milosevic était donc considérablement réduite à deux anciennes républiques et non plus six.
C'est au cours de cette période que le projet de changer la composition ethnique de la province fut explicitement affiché à Belgrade et suivi par toute une série de mesures incitant les Serbes à venir prendre des emplois et des logements au Kosovo en lieu et place des Albanais licenciés et poussés à l'exode par le harcèlement policier. Toutefois, la grande masse de plus de 400 000 réfugiés serbes venant de Croatie et de Bosnie et incités à s'installer au Kosovo a refusé de le faire. |
Aux grèves générales qui se multipliaient, le président Milosevic répondait par la répression : l’état d'exception fut instauré et l’armée fédérale investit la province. Il s'ensuivit un régime discriminatoire progressivement mis en place à l’encontre des Albanais du Kosovo. Par la suite, la Serbie aurait adopté pas moins de 200 lois et décrets applicables au Kosovo et le gouvernement fit construire des commissariats de police sur toutes les routes menant à la province albanaise. Comme en 1915, de violents affrontements eurent lieu, un mouvement local de résistance clandestine amorça la lutte pour les droits de la «majorité albanaise» à l'autodétermination.
Depuis l’abolition de l’autonomie du Kosovo, les Albanais ont toujours dénoncé une situation qu’ils estimaient être de type colonial, puisque la grande majorité de la population albanaise (82 %) était dominée par une petite minorité serbe (11 %) qui prenait ses ordres de l’extérieur.
- La suppression des droits linguistiques
En 1995, le président Slobodan
Milosevic proposa timidement le réouverture du parlement du
Kosovo, mais tout en excluant que les Albanais disposent d’une
majorité de sièges.
Au plan linguistique, les droits des Albanais furent systématiquement abolis. La Serbie de Milosevic prit la décision d'exclure les Albanais de toutes les instances du pouvoir, du moins ceux qui refuseraient d'exercer leurs activités en serbe. Il fut interdit d'utiliser l'albanais dans les tribunaux. La plupart des magistrats durent quitter les palais de justice. Il en fut ainsi dans l'éducation. L'enseignement, de la maternelle jusqu'à l'université, ne pouvait plus qu'être dispensé qu'en serbe. Dans les écoles primaires et secondaires, les programmes furent définis par Belgrade. L'enseignement de l'albanais n'était possible que dans le cadre des langues étrangères. Les enseignants durent repasser des examens afin que le gouvernement serbe puisse contrôler leurs connaissances du serbe. En fait, la plupart des enseignants durent quitter leur emploi. Il en fut ainsi des médecins dans les cliniques et les hôpitaux. Les Albanais ne purent conserver que des emplois subalternes, à la condition d'avoir signé un serment d'allégeance à la Serbie. La Bibliothèque nationale du Kosovo fut occupée et d'énormes quantités de volumes furent envoyées à Belgrade pour être détruites et servir de papier recyclé. Tous les musées furent fermés. |
- La résistance
Les Albanais organisèrent un pouvoir parallèle en éducation. Des écoles furent créées dans les maisons privées, même dans les garages; les élèves n'avaient pas toujours ni de chaises ni de tables, et travaillaient assis par terre. L'enseignement parallèle en albanais se poursuivit pour quelque 400 000 élèves, de la maternelle jusqu'à l'université, avec la contribution de 20 000 enseignants. Cependant, l'effectif universitaire ne fut jamais important en raison de l'absence des débouchés. De ce fait, les jeunes Kosovars furent incités à émigrer. Environ 250 000 Albanais quittèrent le Kosovo entre 1990 et 1993.
C'était exactement ce que le président Milosevic désirait: une forte émigration, suivie d'un taux de mortalité infantile parmi les plus élevés au monde, suite à la dégradation des conditions sanitaires. Malgré, la présence de l'armée serbe, les provocations et les exactions, le leader kosovar, Ibrahim Rugova, poursuivit sa politique de non-violence.
- La répression
Au moment où les accords de Dayton de 1995 confirmèrent la partition de la Bosnie-Herzégovine, les stratèges américains du département d’État «oublièrent» le Kosovo. En se désintéressant du Kosovo lors des accords de Dayton, la communauté internationale infligea ainsi un cruel désaveu à la vertueuse politique de non-violence d’Ibrahim Rugova et de sa Ligue démocratique du Kosovo. Un an plus tard, de jeunes Albanais avaient pris le maquis et s’entraînaient au combat avec les armes libérées par l’effondrement de l’État en Albanie. En février 1996, l'Armée de libération du Kosovo (ALK en français et UÇK en albanais: Ushtria Çlirimtare e Kosoves), qui a compté un moment donné 35 000 militants, se manifestait pour la première fois en revendiquant une série d'attaques à la bombe. L’UÇK devint un interlocuteur privilégié pour les Américains et, par le fait même, par les forces de l’OTAN. Pendant ce temps, ces «combattants de la liberté» étaient pourchassés comme des «terroristes» et des «guérilleros» par l’armée serbe de Slobodan Milosevic, devenu entre-temps président de la fédération yougoslave (et non plus président de la Serbie). |
L’offensive serbe reprit de plus belle en février 1998, ce qui entraîna de sanglantes répressions suivies d’une nouvelle crise. Le président Milosevic disposait à ce moment-là de neuf bataillons (au lieu des trois prévus) au Kosovo et il avait confié aux forces de police des armes lourdes servant à bombarder les villages. Les affrontements entre Serbes et Kosovars auraient, cette année-là, provoqué la mort de plus de 2000 Kosovars, la destruction de 300 villages et l’exode de plus de 300 000 réfugiés. Mais c’est le massacre de 45 civils kosovars en janvier 1999, qui indigna la communauté internationale.
4.5 La guerre du Kosovo
En février 1999, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne imposèrent aux belligérants kosovars et serbes des négociations à Rambouillet (près de Paris) qui n’ont pas donné les résultats escomptés. Les négociations échouèrent à Paris en mars, alors que les Kosovars signèrent seuls l’entente de paix et acceptèrent l’autonomie proposée (au lieu de l’indépendance). Ce plan de paix dicté par le «Groupe de contact» (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Russie) fut en réalité orchestré comme une reddition par les Américains, car il n’était pas négociable. Le plan de paix s’avérait très favorable pour les Albanais du Kosovo : le désarmement de la guérilla, l’instauration d’un statut particulier pour trois ans, une révision de la situation après cette période suivie d’un référendum sur l’indépendance et le déploiement d’une force de 28 000 hommes sous commandement de l’OTAN.
Pour les Serbes, il leur fallait céder sur pratiquement tout : le retrait de leurs troupes, l’acceptation des troupes étrangères sur leur territoire, l’octroi d’un statut d’autonomie au Kosovo suivie d’un référendum qu’ils étaient certains de perdre trois ans plus tard. Les Américains savaient très bien que les Serbes ne pouvaient que refuser la «proposition» qui leur était faite. D’ailleurs, des officiers américains ont même avoué à des journalistes: «On a mis la barre assez haut pour que Belgrade refuse, ils ont besoin d’être bombardés.» Ainsi, les stratèges américains étaient justifiés de «sauver le Kosovo» par les armes et forcer le président Milosevic à refuser le plan de paix proposé. Les bombardements sur la Yougoslavie commencèrent le 24 mars 1999.
Toutefois, non seulement les frappes aériennes de l’OTAN n’ont pas fait plier le président Milosevic, mais elles ont attisé la vengeance serbe et accéléré la purification ethnique au Kosovo à une vitesse incroyable, sans rencontrer de résistance. Pourtant, ces événements étaient aisément prévisibles, car tous les journalistes qui, au Kosovo, avaient interrogé des Serbes à partir du début du mois de mars 1999, avaient reçu la même réponse: «Si vous nous bombardez, nous résoudrons une fois pour toutes le problème. Nous chasserons tous les Albanais vers l'Albanie!» Il est impossible que les 1300 observateurs de l'OSCE (Organisation de la coopération et de la sécurité européenne) présents à ce moment-là dans la province n'aient pas eu vent d'une telle menace.
En quelques semaines, les quelque 100 000 militaires serbes massés au Kosovo ont vidé une grande partie de la province (plus de 800 000 personnes) sous les yeux impuissants de la communauté internationale; la majorité s’est retrouvée en Albanie (314 000), puis en Macédoine du Nord (116 000) et au Monténégro (67 000), sans compter ceux qui ont été conduits en Allemagne, en Turquie, en France ou ailleurs (dont le lointain Canada). Plus de 80 % des Kosovars ont été déplacés d’une façon ou d’une autre à l’intérieur ou à l’extérieur de la province, soit 1,6 million de personnes sur un total de 1,9 million d’habitants. Selon de multiples témoignages et le rapport de l’organisation humanitaire Médecins sans frontières intitulé Histoires d’une déportation et publié le 1er mai 1999, les autorités serbes ont un mené au Kosovo un «processus planifié d’effacement d’un peuple». Les Kosovars n’ont pas fui des affrontements armés, mais ont été mis dans l’obligation de quitter leur village ou leur ville, sous peine de mort. Certains miliciens serbes disaient: «Partez et allez vous plaindre à l'OTAN.» La déportation s’accompagnait de la spoliation et de la destruction des biens des personnes; et la confiscation des papiers d’identité était une pratique systématique. Selon l’Associated Press, plus que 90 % de tous les Albanais du Kosovo ont été expulsés de leurs maisons par les forces serbes. Alors que les raids de l’OTAN devaient protéger les Kosovars, ils ont paradoxalement accéléré leur perte. Selon certaines estimations, des exécutions sommaires — on parle de 10 000 exécutions — auraient eu lieu dans au moins 70 villes et villages, et plus de 300 villages auraient été détruits depuis le 4 avril 1999, les mosquées, les écoles et les édifices publics étant particulièrement visés. |
Enfin, après 11 semaines de bombardements de l’OTAN en Yougoslavie, le 9 juin 1999, un accord obtenu à Cologne (Allemagne) au sein du G8 (les huit pays les plus industrialisés et la Russie) ouvrit la voie à la paix. Cet accord, qui exigeait la coopération de l’ONU, de la Russie, de la Chine et des militaires yougoslaves, se résumait ainsi:
- une force internationale sous l’égide de l’ONU (et non de l’OTAN);
- le déploiement de cette force seulement au Kosovo;
- le retour des réfugiés supervisé par le Haut-Commissariat de l’ONU;
- une autonomie substantielle pour le Kosovo et aucun référendum sur l’indépendance;
- la démilitarisation de l’UÇK (Armée de libération du Kosovo).
De façon simplifiée, la situation linguistique s'est modifiée avec l'indépendance. Les pratiques existantes avant la guerre du Kosovo se sont perpétuées, sauf que c’est l’albanais qui a tenu le haut du pavé et que les langues des minorités ont été pratiquement ignorées... comme avant. La situation des Serbes et des Tsiganes a paru particulièrement préoccupante, car ces deux minorités ont été placées dans un curieux dilemme: rester cachés et risquer de mourir de faim, ou sortir et risquer de se faire assassiner! Finalement, la grande majorité a décidé de rester confinée dans des ghettos gardés par les militaires de la KFOR, la force internationale de 45 000 à 50 000 hommes.
5.1 La discrimination systémique
Si des Serbes et des Roms/Tsiganes s’adressaient à des Albanais, ils pouvaient être attaqués; s’ils faisaient appel à un soldat ou à un fonctionnaire de la KFOR, ils devaient parler anglais, français, allemand, italien ou russe. Or, si les Serbes ne connaissaient que leur langue maternelle, ils devaient demander l’aide d’un interprète albanais et, dans ce cas, ils se trouvaient à la merci de la bonne volonté de ce dernier.
Le 27 mai 2009, un rapport d’une association internationale de défense des droits de l’homme dénonçait les discriminations multiples à l’égard des nombreuses minorités ethniques résidant au Kosovo. Paradoxalement, la communauté internationale resta muette à cette seconde épuration ethnique de la part des Albanais, alors qu'elle avait été très sévère à l'endroit des Serbes accusés de tous les torts inimaginables. Le responsable du “Minority Right Group” basé à Londres, Mark Lattimer, précisait à l’Agence France-Presse ce qui suit:
«De nombreux membres des minorités ashkalie, bosniaque, croate, gorane, tsigane, serbe et turque abandonnent le Kosovo, car ils font face à une exclusion de la société et à des discriminations à de nombreux niveaux.
L’indépendance proclamée unilatéralement par le Kosovo en février 2008 et l’opposition de la Serbie à cette proclamation ont laissé un «vide» dans la protection internationale des minorités Les restrictions à la liberté de mouvement et l’exclusion de la vie politique économique et sociale sont particulièrement ressenties par les petites communautés ethniques. Ces minorités souffrent de plus d’un manque d’accès à l'information et à une instruction dans leur propre langue. Cela, en plus des conditions économiques précaires, a résulté par des départs de membres de ces minorités du Kosovo.» |
Il est vrai que les Kosovars avaient subi une guerre barbare pendant laquelle les Serbes furent responsables des crimes les plus haineux, mais les exactions, qu'elles proviennent des Serbes ou des Kosovars albanais, demeurent tout de même inacceptables.
5.2 La justice ou ce qu’il en restait
Pendant la période de transition, les juges devaient en principe faire respecter le Code pénal de la République fédérale de la Yougoslavie, au besoin modifié par les conventions internationales sur les droits de l’homme lorsque les lois serbes les violaient. Toutefois, les juges, presque tous albanophones — sur 420 juges, seulement deux étaient serbes —, nommés par la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK) refusaient d’appliquer les lois serbes en vigueur, ce qui était contraire aux ordres de l’ONU, car le Kosovo n’a jamais connu d’autres lois que celles de l'ex-Yougoslavie, puis celles de la Serbie. Pendant ce temps, la MINUK décrétait que les lois antérieures à 1989 devaient être appliquées.
Cette anarchie juridique ne fit qu’encourager la violence. Comme il n’y avait plus de lois serbes dans les faits, c’est la loi de la vendetta qui sévissait et ce sont les minorités qui en sont devenues les premières victimes: Serbes, Monténégrins, Gorans, Tsiganes, Turcs, etc. Par exemple, sur 30 procès pour meurtres intentés à l’automne 1999, les sentences ont varié de six mois de prison pour un Albanais musulman à 13 ans pour un Serbe! Bref, c’est une justice partiale qui manquait singulièrement de crédibilité. L'ONU n'a recouru que tardivement à des magistrats internationaux, alors au nombre de 13 dans la province. Les crimes restaient généralement impunis et les détenus s'évadaient facilement. Ces défaillances du système étaient dues au manque d'effectifs de la police.
En octobre 2000, une étude de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) en arrivait à la conclusion qu'au Kosovo l'impartialité des tribunaux locaux n'était «pas garantie, notamment vis-à-vis des défenseurs serbes de la province», que certaines dispositions judiciaires locales ne correspondaient pas aux normes internationales des droits de l'homme, et que les lois n'étaient «pas toujours appliquées d'une manière cohérente». L'étude recommandait que, dans ces conditions, la suprématie du droit humanitaire international soit affirmée sur toutes les lois existantes au Kosovo. Bref, le système judiciaire, considéré comme l’institution la plus faible, avait grand besoin d’être réformé en profondeur. Les autorités du Kosovo devaient s’impliquer davantage pour éradiquer la corruption, un fléau qui gangrène encore l’ensemble du Kosovo.
5.3 Un système d'éducation en lambeau
Les écoles albanaises, fermées depuis plusieurs années, ont rouvert leurs portes à partir des mois de septembre et d’octobre 1999 pour permettre aux enfants kosovars de reprendre leurs études. Obligés de partager des équipements parfois très rudimentaires, les écoliers redoublèrent néanmoins d'attention dans les cours de rattrapage (le 1er septembre) afin de compléter le programme de l'année scolaire 1998-1999.
- Les écoles
Étant donné que la moitié des quelque 1000 écoles du territoire avaient été entièrement ou partiellement détruites au cours du conflit par les bombardements de l’OTAN et les exactions commises par l'armée serbe, beaucoup d’élèves continuèrent de suivre leurs cours dans des maisons privées. Un programme de construction et de rénovation fut en cours afin de redonner aux Kosovars tous les équipements dont ils avaient besoin. Par exemple, la rentrée scolaire de l’automne 1999 s'est effectuée le lundi 25 octobre dans la quasi-totalité des 529 écoles disponibles du Kosovo, pour environ 250 000 élèves et 25 000 professeurs.
Évidemment, les enfants albanophones reçurent leur instruction en langue albanaise. Les responsables de la Commission conjointe de l'éducation mise en place par l'ONU décidèrent de réviser complètement les programmes et les manuels scolaires afin d'éliminer les contenus haineux et racistes qui avaient été imposés par les autorités serbes. Toutefois, il était à craindre que de nouveaux propos haineux réapparaissent, cette fois contre les Serbes et tous les Slaves en général, y compris les Russes. Cette hostilité qu'éprouvaient les Kosovars albanais envers les Russes s'expliquait par leur lien historique avec les Serbes.
- Les minorités
Quant aux minorités, seuls les enfants serbes reçurent parfois un enseignement dans leur langue lorsqu’ils résidaient dans des régions — au nombre de cinq — où la population serbe était concentrée. La plus grande difficulté concernait les écoles secondaires, car il n’existait pratiquement aucun bâtiment adéquat pour ces écoliers. Au mois d’octobre 1999, neuf écoles serbes furent occupées par l'UÇK dans le district de Gnjilane pendant que la Mission des Nations unies du Kosovo (MINUK) refusait aux Serbes l'autorisation d'organiser des classes dans des abris de fortune parce que la KFOR ne pouvait garantir leur sécurité.
À Pristina, les écoles serbes, y compris l’école de théologie de Prizren, furent toutes restées fermées, aucun élève ne s’étant présenté à l’appel. Il faut préciser que, peuplée avant la guerre de quelque 20 000 Serbes, la municipalité de Pristina n'en comptait plus que quelques centaines. Par la suite, les Serbes se regroupèrent dans la région de Mitrovica où le système scolaire fonctionnait tant bien que mal, tandis que les enfants serbes furent gardés à vue par les troupes de la KFOR afin de les protéger des Albanais. Les écoliers turcs, pour leur part, purent se présenter à leur école, également sous bonne garde! Pour ce qui est des enfants des autres minorités (Tsiganes, Bosniaques, Gorans, etc.), ils furent dans l'obligation de s’albaniser.
- L'enseignement universitaire
L’enseignement universitaire resta un problème épineux. Avant la guerre du Kosovo, les statistiques serbes révélaient que 17 000 étudiants serbes fréquentaient l’université de Pristina, bien que la plupart d’entre eux ne fussent pas originaires du Kosovo. Les représentants de la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK) cherchèrent à déterminer qui devait administrer l’université et comment serait organisé l’enseignement pour les étudiants serbes, car la MINUK semblait bien résolue à ne pas permettre la ségrégation ethnique et linguistique. En principe, l’université de Pristina devait être bilingue, c’est-à-dire ouverte tant aux albanophones qu’aux serbophones.
Le problème est qu’on ne sut jamais combien d’étudiants serbes étaient prêts à s’inscrire à l’université. Au cours de cette période transitoire, seul l’albanais y fut parlé; le bâtiment officiel de l’Administration fut gardé par les Forces internationales et un fonctionnaire de la MINUK, la plus haute autorité de l’université, administra temporairement l’établissement. Il semble que, d’une part, les étudiants albanais aient tout fait pour rattraper les cours perdus et que, d’autre part, les étudiants serbes durent attendre un changement de climat ou simplement allèrent s’inscrire dans une autre université en Serbie.
Le 10 juin 1999 commençait le retrait du Kosovo des forces serbes. La guerre était terminée, alors que le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 1244 afin de placer officiellement le Kosovo sous administration provisoire de l'ONU. La région devint ainsi une sorte de protectorat de la communauté internationale. Dès le début, la KFOR et la MINUK furent mises en place en tant qu’organismes distincts. La KFOR (plus de 40 000 soldats) fut chargée de prévenir les conflits armés et de garantir la sécurité des minorités. Quant à la MINUK, elle fut responsable de créer une administration transitoire, pendant que l’OSCE devait élaborer des lois et un système démocratique en organisant des élections. Suivirent les PISG (Provisional Institutions of Self-Government), les institutions provisoires de l'administration autonome, qui devaient installer les institutions démocratiques (Assemblée du Kosovo, Présidence, l’Exécutif et système judiciaire. La KFOR devait rester au moins cinq ans dans la province, sinon encore davantage. Par conséquent, le Kosovo devenait de facto un protectorat onusien et non plus une province serbe. |
6.1 Le plan Martii Ahtisaari (2008)
Lors de la déclaration d'indépendance du 17 février 2008, les dirigeants du Kosovo affirmèrent qu'ils mettraient «intégralement en application les obligations» découlant du plan Martii Ahtisaari, l'envoyé spécial d'origine finlandaise chargé d'organiser les négociations sur le processus de détermination du statut du Kosovo. Le plan Ahtisaari, adopté par l'Union européenne et appuyé par les États-Unis, se voulait un règlement couvrant un large éventail de questions liées au statut du Kosovo. De plus, il était interdit au Kosovo de se doter d'une armée. Une division territoriale fut prévue au nord de l'Ibar, près de la frontière avec la Serbie, afin que la majorité des Serbes du Kosovo soient administrés par la Serbie, tandis que des villages albanais de Serbie se rattachaient au Kosovo, consacrant ainsi le caractère ethnique du nouveau pays.
Le plan Ahtisaari pour la création d'un État du Kosovo «supervisé par la Communauté internationale», prévoyait six nouvelles municipalités confiées aux Serbes, et un plus grand droit de regard sur le choix des chefs de la police, l'éducation ou la santé. Pour ce qui est précisément de la municipalité de Mitrovicë/Kosovoska Mitrovica, très bi-ethnique, il était envisagé la création de deux municipalités et d'un conseil conjoint chargé de la coopération.
Dans un tel contexte, l'Union européenne pouvait annuler les lois adoptées par le Parlement kosovar et renvoyer les dirigeants élus qui dérogeraient au plan de transition. Il faudrait aussi que les Kosovars acceptent d'assurer la sécurité des lieux saints et des sites historiques des Serbes, et leur en permettre l'accès. Il faudrait aussi protéger les minorités qui ont choisi de rester sur le «mauvais côté de la frontière» et de prévoir des sanctions contre tout gouvernement qui ne respecterait pas les mesures mises en place pour empêcher les préjudices et la discrimination. Ces mesures, qui viennent également du rapport de Martii Ahtisaari, furent reproduites dans le document constitutionnel proposé par le premier ministre kosovar ((Hashim Thaçi: de 2016-2020) au Parlement. |
Le plan Ahtisaari se voulait un compromis qui offrait aux Albanais du Kosovo la perspective de l’indépendance; aux Serbes du Kosovo il offrait davantage de droits, ainsi que la sécurité et des relations privilégiées avec la Serbie; le plan proposé apportait enfin à la Serbie la chance de tourner la page une fois pour toutes et de se consacrer à son avenir européen.
Toutefois, ce plan pour le Kosovo devait nécessairement se heurter à l'opposition des Serbes qui y virent un pas vers l'indépendance; il risquait aussi d'être bloqué par la Russie devant l'ONU, qui a exprimé son inquiétude quant au précédent international que le Kosovo pourrait créer. Pour la Russie, le plan Ahtisaari demeurait une «bombe à retardement»; pour la Serbie, il ne méritait même pas d'être examiné. Dans ces conditions, les négociations avec la Serbie ne pouvaient qu'être difficiles. Étant donné que personne n'a pu proposer d'autres alternatives, le Kosovo proclama unilatéralement l'année suivante son indépendance en s'engageant à mettre en œuvre les dispositions du plan Ahtisaari dans sa constitution.
6.2 L'Assemblée du Kosovo
Le 17 novembre 2001, les citoyens du Kosovo élurent leur première Assemblée. La session inaugurale du Parlement multiethnique du Kosovo se
déroula le 10 décembre 2001, à Pristina, en présence de l'administrateur de la mission de l'ONU dans la
région (MINUK). Le représentant de l'ONU, M. Hans Haekkerup, qualifia de «jour historique» la première réunion de l'Assemblée au cours de laquelle M. Nexhat Daci, un responsable de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) que dirigeait le nationaliste modéré Ibrahim Rugova,
fut élu au poste de président du Parlement. Le 4 mars 2002, Ibrahim Rugova
devint le premier président du Kosovo, à la suite d'un vote du Parlement. Il s'agissait là d'une étape cruciale dans la mise en place de l'autonomie dans cette
«province de Serbie» administrée par l'ONU.
La résolution 1244 du Conseil de sécurité, votée en juin 1999, prévoyait une «autonomie substantielle» de la province, mais dans les limites de l'ex-Yougoslavie. Mais les Albanais du Kosovo ne voyaient dans l'instauration de cette autonomie que l'ultime tremplin avant l'indépendance. Le nouveau président l'avait d'ailleurs clairement précisé:
|
Pendant ce temps, le nom de «République fédérale de Yougoslavie» fut abandonné le 4 février 2003 pour la «Communauté d'États Serbie-et-Monténégro». Le 21 janvier 2006, le président du Kosovo, Ibrahim Rugova, qui avait dirigé le Kosovo dans les années cruciales du processus de marche du pays vers l'indépendance, décéda des suites d'un cancer du poumon. Écrivain renommé, diplômé de la Sorbonne, Ibrahim Rugova parlait, outre l'albanais, le français, l'anglais et le serbe. Il fut 'un des pionniers de l'intelligentsia du Kosovo dans l'ancienne Yougoslavie communiste. Sa lutte pacifique contre l'emprise de Belgrade et la répression sous le régime de Slobodan Milosevic, lui valut le surnom de «Gandhi du Kosovo».
6.3 Le scénario de l'indépendance
En mars 2007, le médiateur chargé par les Nations unies de définir le statut le plus approprié pour le territoire kosovar, le diplomate finlandais Martti Ahtisaari, affirmait que la seule solution pour assurer la viabilité économique et politique était l'indépendance. Il déclarait aussi que, pour une période transitoire, le Kosovo soit placé sous la «supervision» d'un représentant international délégué par l'Union européenne et soutenu par l'OTAN, qui assurait le volet militaire (la KFOR), et l'Union européenne, le domaine civil. Il proposait aussi que le Kosovo devienne un État multiethnique et que les groupes minoritaires aient une représentation garantie à l'Assemblée nationale, où leurs représentants devraient approuver en majorité les mesures qui les concernent. Les dirigeants politiques du Kosovo donnèrent leur appui à ce scénario, mais les autorités serbes opposèrent une fin de non-recevoir. Les Serbes du Kosovo craignaient n'avoir plus rien à faire dans la région si ce plan se réalisait. En cas de partition, les Serbes partiraient d'eux-mêmes ou seraient chassés, voire assassinés. Le scénario inverse pouvait pourtant se produire pour les Albanais qui vivaient au nord de la Serbie, ce qui reléguait aux oubliettes toute possibilité d'État multiethnique.
Toutefois, les autorités de la Serbie préparèrent leur population à un autre scénario, celle de ne pas accorder l'indépendance au Kosovo, mais de lui attribuer une grande autonomie. Quant à la Russie, elle appuya Belgrade dans cette voie, sauf que l'attitude qualifiée d'«irresponsable» par l'Union européenne ne devait pas aller plus loin que de simples déclarations.
Après des années de négociations infructueuses entre la Serbie et le Kosovo, la province serbe décida, le 17 février 2008, de déclarer unilatéralement son indépendance, avec l'appui des grandes puissances. La Serbie considéra évidemment comme nulle et illégale la proclamation d’indépendance de sa province. Mais que pouvait-elle y faire?
De plus, le 22 juillet 2010, la Cour internationale de justice de La Haye trancha dans le cas de la déclaration d'indépendance du Kosovo. La Cour conclut que l'adoption de la déclaration d'indépendance du 17 février 2008 n'avait violé ni le droit international général, ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, ni le Cadre constitutionnel. Évidemment, la nouvelle fut accueillie avec allégresse au Kosovo, mais à Belgrade les dirigeants serbes se montrèrent amers. Ces derniers affirmèrent qu'ils ne reconnaîtraient «jamais» l'indépendance du Kosovo qu'ils considéraient comme leur province méridionale. En fait, la Cour ne s'est pas demandé si le Kosovo avait le droit de déclarer unilatéralement son indépendance, elle s'est plutôt demandé s'il fallait condamner le Kosovo ou en prendre acte. Bref, rien dans le droit international n'empêche d'en prendre acte, donc de la reconnaître.
7.1 La déclaration de l'indépendance
Au lendemain de la déclaration de l'indépendance par les autorités kosovares et de l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution le 15 juin 2008, le mandat de la MINUK fut considérablement modifié en profondeur, de même que sa configuration, et son effectif a été réduit en conséquence.
Le nouveau drapeau du Kosovo, adopté le 17 février 2008, représente une carte du Kosovo sur un fond bleu (l'Union européenne) entouré de six étoiles jaunes. La couleur jaune rappelle la forme du Kosovo, alors que les six étoiles blanches symbolisent les six principales communautés ethniques du pays: la majorité albanaise et cinq minorités (Serbes, Bosniaques, Tsiganes «égyptiens», Gorans et Turcs).
7.2 La résistance serbe
Cependant, le gouvernement du Kosovo n'exerce pas un contrôle complet sur tout le pays. La partie nord, dont la population est majoritairement d'origine serbe (plus de 90 %), demeure encore sous contrôle de la Serbie: ce sont les communes de Leposavić/Leposaviq (18 600 hab.), de Zvečan/Zveçan (17 000 hab.) et de Zubin Potok/Zubin Potoku (14 900 hab.). Chacune de ces trois communes compte plusieurs municipalités: 35 pour Zvečan/Zveçan, 28 pour Zubin Potok/Zubin Potoku et 72 pour Leposavić/Leposaviq.
De plus, les Serbes du nord du Kosovo demandent leur rattachement à la Serbie; ils ne reconnaissant pas l'indépendance ni l'autorité de la république du Kosovo. La Serbie continue d'administrer le territoire. La Constitution du Kosovo et le plan Ahtisaari prévoient la création de dix communes à majorité serbe au sein du Kosovo pour mieux représenter la minorité serbe qui constitue environ 7 % de la population totale. |
À l'heure actuelle, la situation économique du Kosovo semble disparate. Le Nord, région située près de la Serbie, est réputé être la plus riche du Kosovo, alors que le Sud est généralement pauvre, sans industrie, vivant d'une maigre agriculture, peu concurrentiel par rapport à celle du Monténégro et de la Serbie. Que ce soit au point de vue de l'économie, de la politique, de la sécurité, de l'État de droit ou de coexistence pacifique entre les ethnies, le Kosovo semble avoir encore beaucoup de progrès à faire pour devenir un État viable. La «démocratie multiethnique» préconisée par les missions de l'ONU apparaît encore loin d'être acquise après quelques années d'indépendance du Kosovo.
En février 2018, le Kosovo a fêté les 10 ans de sa déclaration d’indépendance, une souveraineté que la Serbie refuse toujours de reconnaître. L'indépendance du Kosovo a été reconnue par 115 pays, mais elle ne l’est toujours pas par près de 80 États, dont la Russie, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Brésil. Le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne est freiné par la position de certains États membres — l'Espagne, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie — qui n'ont pas reconnu son indépendance, de peur soulever des réactions nationalistes dans leur propre pays. De plus, le Kosovo n’exerce pas sa pleine souveraineté sur l'ensemble de son territoire. Il n'est membre d'aucune grande organisation internationale. Il n’entretient pas de relations formelles ni avec l’Union européenne ni avec l’OTAN, lesquels ne considèrent pas le Kosovo comme un État.
7.3 Les déceptions
Or, les problèmes sont encore nombreux au Kosovo. Non seulement le Kosovo possède le plus haut taux de chômage d'Europe, mais ses citoyens cherchent par tous les moyens à fuir leur pays. Depuis la proclamation de l’indépendance, les dirigeants politiques ont déçu les attentes du peuple kosovar, qui rêvait sans doute d’un avenir meilleur. Ces dirigeants sont soupçonnés de fraude électorale, de manipulation et d’implication dans la corruption et le crime organisé. Un tiers de la population active et la moitié des jeunes sont au chômage. Beaucoup rêvent d’imiter les quelque 700 000 membres de la diaspora kosovare, surtout installés en Allemagne et en Suisse.
- La gangrène de la corruption
De son côté, l'importante présence internationale ne semble pas avoir contribué à rendre le Kosovo moins corrompu. Celui-ci risque de rester, encore pendant plusieurs années, dans cette situation dans laquelle l’a plongée la communauté internationale. La corruption est considérée comme le plus grand obstacle à la conduite des affaires au Kosovo, et les entreprises recourent fréquemment à des pots-de-vin lorsqu'elles interagissent avec des fonctionnaires. Des secteurs tels que les douanes, la police, le système judiciaire, l'industrie de la construction, l'électricité, le gaz et l'eau, l'administration foncière et fiscale, etc., sont identifiés comme les plus touchés par la corruption. Les secteurs d'activité économique les plus touchés sont la distribution d'essence, l'hôtellerie et l'électricité. Il existe un certain nombre de procédures lourdes et coûteuses que les entreprises doivent suivre pour obtenir des licences et des permis d'exploitation, ce qui accroît les possibilités de corruption. L'indice de perception de la corruption de "Transparency International" classait en 2016 le pays au 95e rang sur 176 pays.
Selon le Code pénal kosovar, tous les cadeaux reçus par des fonctionnaires doivent être déclarés et enregistrés. Néanmoins, les pratiques consistant à offrir des cadeaux et des pots-de-vin sont monnaie courante au Kosovo, bien que la sanction pénale pour corruption s'étend de un à dix ans d'emprisonnement. En somme, l'application de la législation anticorruption au Kosovo demeure très faible. Le système fonctionne d'autant plus que le clientélisme et le népotisme ont anesthésié la population.
- Les crises successives dans le Nord
Évidemment, dans de telles conditions, il ne fallait pas s'attendre à ce que la Loi n° 02/L-37 sur l'emploi des langues soit appliquée dans tout le pays; elle n'est appliquée ni par les Kosovars ni par les Serbes qui contrôlent le Nord. En même temps, la minorité albanaise du Nord et la minorité serbe du reste du Kosovo sont ostracisées par la majorité locale. Des efforts considérables doivent être mis en œuvre pour protéger les droits de toutes les minorités du Kosovo, y compris les Roms, les Ashkalis, les Balkano-Égyptiens et les Gorans. Pour ce faire, il faudrait une législation en la matière et l’allocation de ressources suffisantes afin de limiter la discrimination et affirmer les droits des diverses minorités ethniques, y compris les droits linguistiques, culturels et de propriété, de manière à contribuer à l’émergence d’une société pluriethnique. Pour le moment, le Kosovo n'en est pas là.
Il faut rappeler que la Serbie qui, soutenue
par ses alliés russe et chinois, n’a jamais reconnu l’indépendance
proclamée en 2008 par son ex-province, mais elle a aussi encouragé
les quelque 120 000 Serbes qui y vivent (entre 6% et 7% de la
population) à défier constamment les autorités kosovares de
Pristina. Bien que Priština et Belgrade
négocient un accord de normalisation de leurs relations sous les
auspices de l’Union européenne,
le Kosovo fonctionne de crise en crise depuis des années. Il faut
rappeler que la situation est bloquée et menace de se dégrader
depuis que le président serbe, Aleksandar Vucic, a décidé de ne pas
signer le protocole d'accord de normalisation, officieusement connu
sous le nom d’«accord d’Ohrid».
En avril 2023, les Serbes ont boycotté les élections municipales dans quatre localités où ils sont majoritaires — Mitrovica-Nord, Zubin Potok, Leposavic et Zvečan —, toutes gouvernées par les maires du parti, lesquels avaient démissionné cinq jours auparavant. La participation aux élections ayant été inférieure à 3,5%, ce sont des maires albanais qui ont été élus dans ces municipalités à majorité serbe. En mai, l'intronisation de ces maires albanais a mis le feu aux poudres. L'OTAN a donc décider d’y déployer rapidement 700 soldats supplémentaires. |
Les Serbes s’opposent à ce que ces édiles, qu’ils considèrent comme «illégitimes», occupent leurs fonctions et réclament le retrait du nord du Kosovo des forces spéciales kosovares. Les forces de l’OTAN déployées au Kosovo (KFOR) ont dû intervenir pour séparer les Serbes locaux et la police kosovare. Bilan des affrontements : une centaine de personnes blessées, dont une trentaine de soldats de l’OTAN. En fait, le premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, veut faire respecter les lois de son pays en permettant à des maires élus démocratiquement d'assumer leurs fonctions; il veut aussi montrer que le Kosovo est un État souverain partout sur son territoire. Toutefois, tout dirigeant responsable doit aussi prendre des mesures qui ne favorisent pas des tensions au risque de mener une politique d'affrontement que le feraient passer pour être encore plus extrémiste que le président de la Serbie, Aleksandar Vucic. Bref, l'entêtement à des principes rigides ne peut que nuire aux intérêts du Kosovo et profiter au régime du président serbe. Le nord du Kosovo est le théâtre d'incidents récurrents entre les communautés présentes sur le territoire, les Serbes et les Albanais. Cette situation ne fait qu'ajouter des chapitres à l'histoire sans fin des mesures inadéquates de Pristina et de Belgrade. Évidemment, pendant ce temps, l'armée serbe est encore en alerte à la frontière, comme elle l'est régulièrement dès que des heurts éclatent au Kosovo.
Dernière mise à jour: 18 févr. 2024
(1) Généralités
(2) Données historiques
3) La politique linguistique
du gouvernement central
4) Les politiques linguistiques
des municipalités
(5) Bibliographie
Politiques linguistiques yougoslaves
(supplément)