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En vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin 1999, le Kosovo
était administré par une sorte de proconsul. La «province serbe» est ainsi devenue un protectorat de la communauté internationale. Le protectorat du Kosovo fut fondé sur la coopération des Nations unies, de la KFOR (Force de paix au Kosovo) et de l’OSCE (l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).
Le Kosovo fut alors divisé en plusieurs zones: une zone française, une zone italienne, une zone britannique, une zone allemande et une zone américaine.
La KFOR était placée sous le commandement d'un officier
général d'un pays membre de l’OTAN. Elle fut chargée de prévenir les conflits armés et de garantir la sécurité.
Quant à la MINUK (Mission des Nations unies au Kosovo), elle
avait pour tâche de créer une administration transitoire et de normaliser les processus politiques et économiques.
L’OSCE, pour sa part, devait organiser les élections, créer des médias indépendants, élaborer des lois et un système démocratique durable.
Au lendemain de la déclaration de l'indépendance par les autorités kosovares et de l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution le 15 juin 2008, le mandat de la MINUK fut considérablement modifié en profondeur, de même que sa configuration, et son effectif a été réduit en conséquence. |
Pendant ce temps, la KFOR est restée sur le terrain afin d'assurer la présence de forces de sécurité nécessaire au Kosovo. Les effectifs militaires
étaient originaires de l'Espagne, de la Norvège, de la Pologne, de la République tchèque, de la Roumanie, de la Turquie et de l'Ukraine. Parmi le personnel de police figurent l'Allemagne, le Ghana, l'Italie, le Pakistan, la Roumanie, la Turquie et l'Ukraine.
En 2020, les pays contributeurs étaient la République tchèque, l'Ukraine, la
Moldavie, la Pologne, la Roumanie et la Turquie.
Conformément au Cadre constitutionnel, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies a conservé certains pouvoirs et, afin de lui permettre de s'acquitter de ces fonctions réservées, la MINUK a mis en place les services suivants: la protection civile, les affaires administratives, les infrastructures et les affaires rurales.
1.2 Les districts et les municipalités
|
Le Kosovo est administrativement composé de districts qu'on appelle "rajone" en albanais et "okruzi" en serbe. Ces districts sont au nombre se sept: Mitrovica, Pejë (Peć en serbe), Pristina, Gjilan, Ferizaj (Uroševac en serbe), Prizen et Gjakovë (Đakovica en serbe).
De plus, le Kosovo est subdivisé en municipalités: "komuna" en albanais et "opština" en serbe. Cette division administrative constitue le seul niveau de pouvoir dans la gouvernance locale. On compte 38 municipalités au Kosovo, dont 27 à majorité ethnique albanaise, 10 à majorité serbe et une seule à majorité turque. Ces unités administratives ont été formées en 2000, alors qu'on ne comptait que 30 municipalités. Après l'indépendance du Kosovo en 2008, il y eut une décentralisation dans laquelle huit nouvelles municipalités furent ajoutées, ce qui porta leur nombre à 38.
Chacune des municipalités bénéficie d'un maire, d'une assemblée municipale (ou conseil municipal) et des pouvoirs autonomes. Les municipalités se composent de plusieurs localités (localités ou villages), tandis que le siège de la municipalité est généralement situé dans la ville ou sa plus grande ville.
La division actuelle des municipalités a été réalisée après l'Accord de Bruxelles de 2013, où toutes opèrent dans le cadre juridique de la république du Kosovo. |
Après l'accord de Bruxelles de 2013, signé par les gouvernements du Kosovo et de la Serbie, un accord a été conclu pour créer une «Communauté des municipalités serbes», qui fonctionnerait selon le cadre juridique du Kosovo. Depuis, l'accord n'a cependant pas été respecté par les autorités du Kosovo, invoquant sa constitution et son «intégrité territoriale».
Du point de vue de la Serbie, qui ne reconnaît pas la sécession du Kosovo, le
statut de celui-ci demeure pour le moment une province autonome de la Serbie,
comme la Voïvodine; la Serbie tient au rétablissement de son intégrité
territoriale et à l'instauration de l'ordre constitutionnel sur le territoire du
Kosovo. La république du Kosovo a été qualifiée de «faux État sur le territoire
de la Serbie» et des poursuites pénales ont été lancées contre les dirigeants de
la république auto-proclamée.
Le dernier recensement au Kosovo a été réalisé en 2011, alors que la population résidente était de 1,8 million d'habitants. La plus grande ville du Kosovo est la capitale, Pristina avec une population de 210 376 habitants, qui est également la capitale politique, économique, culturelle et sanitaire du pays; la deuxième plus grande ville est Prizren, également connue comme le centre historique du Kosovo et des Albanais en général.
On trouvera la liste des 38 municipalités, avec leur appellation en albanais et en serbe latin en cliquant ICI, s.v.p. Conformément à la section 1 du règlement 2000/43 de la
MINUK publié le 27 juillet 2000 , le Kosovo comptait 30 municipalités. Selon ce règlement, la communication officielle doit employer des appellations en albanais et en serbe, sauf dans les municipalités où les communautés ethniques ou linguistiques non albanaises et non serbes constituent une partie substantielle, les noms des municipalités sont également donnés dans les langues de ces communautés. Normalement, c'est l'alphabet cyrillique qui est utilisé avec la langue serbe, mais pour des raisons pratiques de lecture, c'est l'alphabet latin qui est retenu ici
en raison de cet alphabet employé par les francophones.
1.3 Le contrôle des frontières
|
Le gouvernement du Kosovo ne contrôle pas le nord du pays (15 %), demeuré aux mains des Serbes de Belgrade, c'est-à-dire sous l'autorité de l'autoproclamée Assemblée de Kosovo-et-Métochie. Cette région du Kosovo, peuplée très majoritairement d'environ 50 000 Serbes, est composée des
municipalités suivantes : Leposaviq/Leposavic, Zubin Potok/Zubin Potok, Zveçan/Zvečan et la partie nord de Mitrovicë/Mitrovica.
Les Serbes du Nord n'acceptent pas la déclaration d'indépendance du Kosovo et ne reconnaissent pas l'autorité de la république kosovare. Tout au plus, ils affirment accepter l'autorité des Nations unies, alors que la Serbie continue d'administrer cette partie du territoire. C'est pourquoi les Serbes habitant ces
municipalités demandent leur rattachement à la Serbie.
Le Kosovo n'est reconnu ni par l'ONU ni par l'Union européenne. Pour ce faire, il faudrait, d'une part, la reconnaissance de la majorité des États membres de l'ONU, d'autre part, l'absence d'opposition de plusieurs des membres de l'UE. |
En date du 28 février 2017, parmi les 193 pays membres de l'ONU, 114 avaient reconnu l'indépendance du Kosovo. Parmi les 28 États membres de l'Union européenne, 23 ont reconnu le Kosovo et 5 y sont opposés (Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie et Slovénie). Évidemment, la Serbie, la Russie, la Biélorussie et la Chine figurent parmi les opposants.
2 Données démolinguistiques
Même si le Kosovo a toujours été massivement albanophone et musulman, il y a également depuis longtemps d'autres groupes linguistiques et religieux. On utilise au Kosovo le terme «communauté / communautés» (en albanais, komuniteti / komunitetet; en serbe latin, zajednica / zajednice) pour désigner les minorités appartenant au même groupe ethnique, religieux ou linguistique. Dans l'ex-Yougoslavie, on employait le terme «nationalité» pour faire référence aux minorités. Dans le cadre de cet article, les mots communauté, minorité et nationalité seront employés indistinctement.
Groupe ethnique |
Population |
Pourcentage |
Langue principale |
Filiation linguistique |
Religion principale |
Albanais |
1 668 000 |
86,3 % |
albanais guègue |
groupe albanais |
islam |
Serbe |
100 000 |
5,1 % |
serbe |
langue slave |
chrétienne |
Bosniaque |
28 000 |
0,10 % |
bosniaque |
langue slave |
islam |
Turc |
19 000 |
0,9 % |
turc |
famille altaïque |
islam |
Rom/Tsigane |
15 000 |
0,7 % |
romani |
langue indo-iranienne |
chrétienne |
Malentendant |
14 000 |
0,7 % |
langue des signes |
langue slave |
islam |
Égyptien des Balkans |
12 000 |
0,6 % |
albanais tosque |
groupe albanais |
islam |
Goran |
11 000 |
0,6 % |
serbe/goranski |
langue slave |
islam |
Monténégrin |
8 900 |
0,4 % |
monténégrin |
langue slave |
chrétienne |
Croate |
3 600 |
0,1 % |
croate |
langue slave |
chrétienne |
Autres |
53 000 |
2,7 % |
- |
- |
- |
Total (2020) |
1 932 500 |
100,0 % |
- |
|
- |
2.1 Les albanophones
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L'albanais parlé par les habitants du Kosovo (et de l'Albanie) fait partie des langues indo-européennes, mais cette langue constitue un sous-groupe particulier (le groupe albanais ne comprenant qu'une seule langue) au même titre que l’arménien, le slave, le germanique, le celtique, etc. C'est donc un isolat parmi les langues indo-européennes.
L'albanais du Kosovo n'est pas l'albanais standard unifié. Il existe même des différences notables du fait que l'albanais kosovar est influencé par la phonétique et le lexique serbes. Les Kosovars parlent en réalité la variété guègue de l'albanais, plus précisément le guègue du Nord-Est, parlé dans tout le Kosovo ainsi que dans le nord-est de l'Albanie (voir la carte des dialectes albanais). Certains Kosovars du Sud parlent le guègue moyen comme langue maternelle.
L'albanais guègue est parlé non seulement au Kosovo, mais aussi dans le nord de l'Albanie, au Monténégro et en Macédoine. Le guègue s'oppose au tosque employé dans le sud de l’Albanie, ainsi qu'en Grèce et dans la région macédonienne du lac de Prespa. C’est depuis 1944 que l’albanais officiel a été normalisé à partir du tosque. La réunification des deux variétés linguistiques a permis la création d'une langue littéraire, laquelle semble avoir été acceptée par tous les albanophones. |
Si les albanophones du Kosovo parlent le guègue, ils écrivent en albanais standard, lequel constitue une source de frustration pour bien des Kosovars au point que des intellectuels voudraient officialiser l'albanais kosovar. Fait unique en Europe, le Kosovo est entouré sur toutes ses frontières (sauf au nord-est) par des populations albanophones, majoritaires ou minoritaires.
2.2 Les communautés minoritaires
Compte tenu de la législation en vigueur et de l'application des lois dans les
municipalités du Kosovo, on oublie souvent que les Albanais peuvent constituer une minorité linguistique dans certaines
municipalités ou du moins dans certaines municipalités. Ainsi, les Albanais du Kosovo constituent la population minoritaire dans les localités suivantes:
Albanais minoritaires -
municipalités
- |
Nombre de localités |
Localités |
1. Leposaviq/Leposavić |
72 |
Leposaviq/Leposavić (1 %) + Koshtovë/Košutovo + Bistricë e Shalës /Šaljska Bistrica + Cerajë/Ceranje |
2. Zveçan/Zvečan |
35 |
Zveçan/Zvečan + autres localités (4,5 %) |
3. Zubin Potok |
28 |
Zubin Potok + autres localités (11,6 %) |
4. Mitrovicë / Mitrovica |
48 |
Mitrovica-Nord (1 %) |
5. Shtërpcë / Štrpce |
16 |
Shtërpcë/Štrpce (24,5 %) |
6. Gnjilane / Gjilan |
57 |
Ranillug/Ranilug (1 %) + Kllokot/Klokot (33 %) |
7. Prishtinë / Priština |
47 |
Graçanicë/Gračanica (3,7 %) |
8. Prizren
/Prizen |
97 |
Mamuşa/Mamushë/Mamuša (2,3 %) | |
|
Dans ces localités ou municipalités, les Albanais sont considérés comme des minorités, ce qui peut entraîner des difficultés dans l'application de leurs droits linguistiques. Les municipalités de Leposaviq/Leposavic, de Zubin Potok et de Zveçan/Zvečan sont contrôlées par la Serbie, alors que les municipalités de Boletin/Boljetin, de Lipë/Lipa et de Zhazhë/Žaža, appartenant à la municipalité de Zveçan/Zvečan, sont peuplées d'une majorité d'albanophones.
Quant aux communautés non albanophones minoritaires, le Kosovo en compte plusieurs. Leurs locuteurs parlent le serbe, le bosniaque, le monténégrin, le romani, le turc et le croate.
- Les Serbes
Les Serbes constituent la minorité la plus importante du Kosovo, mais ils font face aux conditions les plus hostiles de toute autre minorité en Europe. La plupart des Serbes vivent confinés dans des enclaves ethniquement homogènes, sous surveillance armée internationale ou dans des régions entièrement contrôlées par les Serbes, telles les municipalités
de Leposaviq/Leposavic, de Zveçan/Zvečan, de Zubin Potok/Zubin Potok et de Mitrovica-Nord. Tous ces Serbes ont conservé des relations étroites avec Belgrade et vivent dans des enclaves isolées des Albanais.
Il faut également souligner que l’essentiel de la minorité serbe du Kosovo, en termes numériques, ne vit pas seulement dans les quatre municipalités du nord du pays, Leposavić, Zubin Potok, Mitrovica Nord et Zvečan (environ 79 000 personnes), où elle est très majoritaire. Les Serbes se retrouvent
également, numériquement, dans des municipalités enclavées dans le centre (Pristhtinë/Pristina)
et le sud du pays (Shtërpcë/Štrpce,
Gjilan/Gnjilane et Prizen/Prizen), où ces communautés sont minoritaires à l’échelle de la grande municipalité, mais parfois majoritaires dans des collectivités rurales.
Le serbe, le monténégrin, le bosniaque et le croate sont des langues slaves sensiblement similaires. Ces langues étaient auparavant appelées serbo-croate, la langue officielle de la Yougoslavie titiste de 1945. En réalité, qu'on l'appelle le serbe, le croate, le bosniaque ou le monténégrin, il s'agit de la même langue, puisque toutes les variantes possèdent, à quelques exceptions près, les mêmes formes, les mêmes fonctions et la même histoire, sauf qu'elles s'écrivent en alphabet cyrillique (serbe et monténégrin) ou en alphabet latin (bosniaque et croate).
- Les minorités islamisées
Les Turcs parlent le turc, une langue de la famille altaïque, mais le turc parlé au Kosovo est, contrairement à celui de la Turquie, grandement influencé par l'albanais et le serbe. On peut le désigner comme
du «turc kosovar».
Il existe d'autres minorités islamisées plus particulières : les Ashkalis, les Égyptiens des Balkans
(ou Balkano-Égyptiens) et les Gorans. Les Ashkalis — issu du mot albanais ashkë signifiant «charbon de bois», suivi du suffixe turc li évoquant le métier de forgeron — sont appelés Cigani par les Serbes et Magjup par les Albanais. Leur origine
historique semble incertaine, mais ils pourraient venir de l'ancienne Perse au IVe siècle de notre ère avant de faire partie de l'Empire ottoman.
Quant aux Égyptiens des Balkans, appelés aussi
Balkano-Égyptiens, ils viendraient de l'Égypte, alors que ce pays faisait partie de l'Empire ottoman. Avant la guerre, ils étaient environ 150 000 au Kosovo; ils se sont massivement réfugiés depuis en Serbie, notamment à Belgrade.
Cette communauté est albanophone.
Les Gorans (ou Gorani) sont appelés ainsi parce qu'ils habitent traditionnellement la région de Gora située dans les montagnes du sud du Kosovo (municipalité de Dragash / Dragaš). Ils parlent en principe une langue slave appelée nachenski (normalement écrit "našinski", voire "naainski") ou plus simplement encore goranski, idiome plus proche du macédonien que du serbe, avec de nombreux mots empruntés au turc. Dans les faits, beaucoup de Gorans parlent le serbe comme langue maternelle, en raison des similitudes entre le goranski et le serbe. La plupart des Gorans sont demeurés neutres durant la guerre du Kosovo, car ils étaient à peine tolérés tant par les Serbes que par les Albanais. Si les Ashkalis et les Égyptiens des Balkans sont
généralement albanophones, les Gorans sont davantage serbophones, bien qu'on
trouve des Gorans albanophones. Beaucoup de Gorans sont trilingues (goranski,
serbe et albanais); lorsqu'on parle le serbe, on comprend le bosniaque, le
croate et le monténégrin.
Quant aux Roms (Tsiganes), ils parlent en principe le romani (ou romaneshti), une langue indo-iranienne, mais la plupart sont bilingues et s'expriment aussi bien en albanais, parfois en serbe. Pour les Albanais, le mot «Tsigane» comprend à la fois les Roms et les Ashkalis. De fait, on a souvent associé les Roms, les Ashkalis et les Égyptiens des Balkans au même groupe ethnique, mais ils se définissent eux-mêmes comme appartenant à trois communautés distinctes; ils sont d'ailleurs reconnus ainsi par la législation et les institutions du Kosovo, ainsi que par les organisations internationales. Les Ashkalis, les Égyptiens des Balkans, les Gorans et les Tsiganes sont tous de confession musulmane, mais une minorité de Tsiganes sont des chrétiens orthodoxes.
Rappelons que toutes ces langues s'écrivent avec l'alphabet latin, sauf le serbe et le monténégrin, qui exigent normalement l'alphabet cyrillique comptant 30 lettres, ce qui le distingue de l'alphabet russe (33 lettres), et chacune d’elles correspond à un son. Dans le monde slave, l’héritage catholique a favorisé l’alphabet latin avec le croate le polonais, le tchèque, le slovaque, le slovène et le sorabe, alors que l’héritage orthodoxe a favorisé l’alphabet cyrillique avec le russe, le biélorusse, l'ukrainien, le serbe, le bulgare et le macédonien.
Pour résumer, on peut dire que la majorité de la population du Kosovo parle l'albanais (env. 85 %), alors que les minorités parlent des langues slaves (Serbes, Croates, Monténégrins, Bosniaques, Gorans), des langues altaïques (Turcs) ou indo-iraniennes (Rom/Tsiganes), voire l'albanais (Ashkalis et Égyptiens).
2.3 La population AVANT la guerre du Kosovo (1999)
Avant la guerre du Kosovo (déclenchée le 24 mars 1999), la province comptait 1,9 million d’habitants (statistiques fédérales officielles de 1991), ce qui correspondait alors à près de 20 % de la population de la république de Serbie. Les Albanais y étaient massivement majoritaires avec au moins 82 % de la population (1,5 million), selon les statistiques officielles fédérales, et 90 % selon les prétentions albanaises.
|
Les Serbes et les Monténégrins, quant à eux, formaient environ 11 % de la population (soit 209 000 personnes) de cette province. Les Albanais étaient majoritaires dans 25 municipalités sur 31; quant aux Serbes, ils n’étaient majoritaires que dans cinq municipalités. Il a toujours existé aussi de petites minorités: quelque 60 000 Bosniaques (3 %) de langue serbe, 45 000 Tsiganes (2,4 %), 15 000 Turcs (0,7 %) et environ 700 Croates. Les Serbes
étaient généralement de religion orthodoxe, mais les Albanais, les Bosniaques et les Turcs pratiquaient l’islam sunnite; les Croates
étaient catholiques.
- La diaspora albanaise
Au plan démolinguistique, on peut comprendre l’insécurité des Serbes vis-à-vis des Albanais qui, avant la guerre du Kosovo de 1999, occupaient massivement presque toute la province du Kosovo et partageaient également des frontières
municipalités avec d’autres «frères» albanais, soit en Albanie et en Macédoine, sans compter le Monténégro. Bref, les trois millions d’albanophones d’Albanie, les 490 000 albanophones de la Macédoine et le 1,6 million d’albanophones du Kosovo (avant le 24 mars 1999) formaient une forte diaspora de plus de cinq millions de locuteurs. C’est pourquoi les Serbes de Yougoslavie ont toujours redouté le nationalisme albanais et ses conséquences, c’est-à-dire la sécession éventuelle de la province du Kosovo, en vue de former une prétendue «Grande Albanie» avec l’actuelle Albanie, le Kosovo de la Serbie, le nord-ouest de la Macédoine et une portion de la république du Monténégro (60 000). C’est ce que les Serbes appellent le «front islamique» qu’ils craignent par-dessous tout.
À cette diaspora albanaise, il faut ajouter une communauté de quelque 220 000 Kosovars vivant en Suisse (surtout depuis 1988), ce qui fait de cette communauté la deuxième communauté étrangère du pays, après la communauté italienne et avant la communauté portugaise. On prétend que chacune des familles de la communauté albanaise de Suisse aurait, lors de la guerre du Kosovo, versé jusqu’à 2000 marks allemands (env. 900 $US) par mois à l’Armée de libération du Kosovo (ce qui paraît énorme!) et que certains de ces immigrants albanais contrôleraient la plus grande partie de l’héroïne en Suisse. Quoi qu'il en soit, on n'est plus là dans les questions de langue. |
2.4 La population APRÈS la guerre du Kosovo
Évidemment, la guerre du Kosovo aura modifié considérablement la répartition des Serbes et des albanophones non seulement au Kosovo, mais également en Albanie, en Macédoine et probablement au Monténégro. Rappelons que, entre le mois de mars 1998 jusqu’au début de juin 1999, le Haut Commissariat des Nations unies a estimé à 978 000 le nombre de réfugiés kosovars, dont 800 000, juste à partir du début des bombardements de l’OTAN; on dénombrerait aussi plus de 100 000 disparus. Depuis la crise de 1998, le nombre de personnes qui ont dû quitter leurs foyers au Kosovo — réfugiés ou déplacés à l'intérieur de la province — a atteint 1,6 million sur une population totale évaluée à 1,9 million de personnes. En septembre 1999, on estimait à 772 300 le nombre d’Albanais qui étaient retournés au Kosovo: 718 000 étaient revenus des pays de la région et 54 300 autres, d’Europe, d’Amérique et d’Océanie. Il est probable que les Kosovars albanais, pour la plupart, soient revenus au Kosovo. Du côté des Kosovars serbes, le Haut Commissariat des Nations unies estime qu’au moins 80 % des Serbes et Monténégrins (soit 170 000 sur une population évaluée à 209 000), ainsi qu’environ 90 % des Tsiganes (40 000 sur une population de 45 000), auraient fui le Kosovo depuis l’arrivée des troupes de l’OTAN. Selon l’Église orthodoxe serbe, il restait au Kosovo, en septembre 1999, quelque 30 000 Serbes et quelque 10 000 Tsiganes. En juin 1999, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés affirmait que près de 65 000 Serbes étaient restés au Kosovo et qu'ils habitaient dans des enclaves protégées par la Force multinationale de paix.
ll y avait encore 60 000 Bosniaques et quelques dizaines de milliers de Gorans, sans oublier 15 000 Turcs. Il faut aussi considérer que plus de 200 villages serbes ont été systématiquement détruits au Kosovo par les Albanais ou les frappes de l’OTAN. Ainsi, le «nettoyage ethnique» à grande échelle du printemps 1999 contre les Albanais revêt un aspect pathétique, même du point de vue des Serbes, parce qu’ils ont subi eux-mêmes un «nettoyage ethnique». Dorénavant, il est peu probable qu’une population serbe acceptera de repeupler les villes et villages serbes du Kosovo. D’ailleurs, 80 % des Serbes de l'ex-Yougoslavie estimaient avoir «perdu leur Kosovo».
2.5 La situation en 2011
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Selon le recensement de 2011, dont certains résultats préliminaires ont été publiés par l'Office statistique du Kosovo, la population du Kosovo serait de 1,7 million d'habitants (1 733 872). Les municipalités les plus importantes sont Prishtinë / Priština (198 214 hab.), Prizren (178 112), Ferizaj / Uroševac (108 690), Pejë/Peć (95 723), Gjakova/Dakovica (94 158), Gjilan/Gnjilane (90 015) et Podujevë / Podujevo (87 933).
Évidemment, ces résultats ont été rejetés par la Serbie, probablement parce qu'ils sont nettement inférieurs aux prévisions. Selon les estimations, plus de 500 000 Albanais vivent encore en exil et leurs nombres n'ont pas été inclus dans les calculs. De plus, comme le recensement a été boycotté par beaucoup de Kosovars non albanophones, on ignore la population dans le nord du pays, resté sous contrôle serbe.
Il n'y a pas eu de recensement officiel des groupes ethniques au Kosovo depuis 1991, et il avait été largement boycotté par l'ethnie albanaise. Un recensement était prévu pour 2007, puis il fut reporté en 2011. Les chiffres qui suivent proviennent d'estimations de 2009 de la part des municipalités kosovares avec l'aide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). D'après ces résultats, les Albanais représenteraient 85,2 % de la population totale. Les autres groupes sont constitués des Serbes (6,3 %), des Bosniaques (2,3 %), des Roms ou Tsiganes (2 %), des Turcs (1,7 %), des Monténégrins (1 %), des Ashkalis (0,69 %), des Gorans (0,60 %), des Égyptiens
des Balkans (0,04 %) et des Croates (0,01 %). |
- Les municipalités
Nationalité |
Population estimée |
% |
Langue maternelle |
Localisation (albanais/serbe) |
1. Serbes |
110 000 |
6,3 % |
serbe* |
Mitrovicë/Mitrovica-Nord (93%); Leposaviq/Leposavic (95%); Zubin Potok (89,4%); Zveçan/Zvečan (95%); Shtërpcë/Štrpce (75%); Novobërdë/Novo Brdo (40%); Kamenicë/Kamenica (14%); Obiliq/Obilic (10,9%); Gjilan/Gnjilane (12,8%); Lipjan/Lipljan (12,7%); Viti/Vitina (7,6%); Prishtinë/Priština (5,9%); Vushtrri/Vucitrn (5,4%), etc. |
2. Bosniaques |
40 000 |
2,3 % |
bosniaque* |
Prizren (10%), Dragash/Dragaš (25%), Pejë/Peć (4%), Istog/Istok (3,3%); Leposaviq/Leposavic (3%); Gjilan/Gnjilane; Mitrovicë/Mitrovica-Nord (2%); Mitrovicë/Mitrovica-Sud (3 %); Deçan/Dečani (0,5 %); Prishtinë/Pristina (0,2%), etc. |
3. Roms/Tsiganes |
35 000 |
2,0 % |
romani |
Prizren (4,2%), Gjakovë/Ðakovica (0,3%); Obiliq/Obilic (2,4%); Pejë/Peć (2%); Gjilan/Gnjilane (0,04%); Deçan/Dečani (0,06%); Lipjan/Lipljan (0,07%); Klinë/Klina (0,2%); Prishtinë/Pristina (0,3%); Fushë Kosovë/Kosovo Polje (0,3%), etc. |
4. Turcs |
30 000 |
1,7 % |
turc |
Mamuşa/Mamushë/Mamuša (97%); Prizren (6,9%); Istog/Istok (3,3%); Mitrovicë/ Mitrovica-Sud (3%); Gjilan/Gnjilane (1,3%); Prishtinë/Priština (0,7%); Vushtrri/Vuèitrn (0,4%) |
5. Monténégrins |
19 000 |
1,0 % |
monténégrin* |
Pejë/Peć; Deçan/Dečani et Prishtinë/Priština |
6. Ashkalis |
12 000 |
0,69 % |
albanais |
Fushë Kosovë/Kosovo Polje (9,5%); Ferizaj/Uroševac (2,2%); Lipjan/Lipljan (2%); Shtime/Štimlje (2,4%); Obiliq/Obilic (1,4%); Podujevë/Podujevo (1,1%); Prishtinë/Priština ( 0,1%), Prizren (1,3%); Klinë/Klina (1,2%); Leposavic/Leposaviq (1%); Gjilan / Gnjilane ( 0,1%); etc. |
7. Gorans |
10 300 |
0,60 % |
goranski |
Dragash/Dragaš (25 %); Mitrovicë/Mitrovica (3%); Prishtinë/Priština (0,2%); Prizren (10%); Viti/Vitina (0,1%) |
8.
Balkano-Égyptiens |
700 |
0,04 % |
albanais |
Gjakovë/Ðakovica (4,4%); Istog/Istok (5,4%); Klinë/Klina (1,8%); Pejë/ Peć (3%); Prizren (2,20%); Leposaviq/Leposavic (1%); Deçan/Dečani (0,96%); Lipjan/Lipljan (0,1%); etc. |
9. Croates |
260 |
0,01 % |
croate* |
Gjilan/Gnjilane, Lipjan/Lipljan et Prishtinë/Priština |
Total |
257 260 |
14,8 % |
*
Anciennement serbo-croate |
- |
On peut aussi consulter la liste des 38 municipalités. Une municipalité peut compter entre 17 et 92 localités (municipalités et villages). Les municipalités les plus importantes sont les suivantes: Prishtinë/Priština(198 000), Prizren/Prizren (176 000), Gjakovë/Ðakovica (115 000), Pejë/Peć (115 000), Gjilan/Gnjilane (90 000) et Podujevë/Podujevo (87 000). Bien que les albanophones constituent la grande majorité de la population, le Kosovo demeure un pays multilingue, car la plupart des
municipalités abritent plusieurs nationalités (voir aussi la carte).
Voir également le tableau montrant la
répartition des nationalités dans les municipalités du Kosovo (recensement de 2011). Parmi ces municipalités, les Albanais sont majoritaires dans 24 d'entre elles; les Serbes dans six.
- La municipalité de Mitrovicë/Mitrovica
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La situation de la municipalité de Mitrovicë/Mitrovica mérite une explication particulière. C'est une ville divisée en deux par la rivière Ibar (en serbe Ибар): Mitrovica-Nord, où les Serbes habitent en grande majorité, et Mitrovicë-Sud, où résident très majoritairement les Albanais. Les résultats du recensement local de 2003 indiquaient que la population de Mitrovica-Nord était de 13 402 Serbes sur un total de 16 352 habitants, alors qu'au sud elle était de 65 012 Albanais sur un total de 65 912 habitants. On trouve aussi dans les deux parties de la ville des petites minorités rom, askhali et gorane, dont le futur est incertain.
Tout sépare les deux parties de la ville : au nord, le dinar serbe sert de monnaie, au sud c'est l'euro. Au nord règne l'alphabet cyrillique et le serbe; au sud, c'est l'alphabet latin et l'albanais. Il y a deux mairies, dont l'une est reconnue par Belgrade, l'autre par Prishtinë/Priština.
Quelques ponts traversent la rivière Ibar reliant ainsi les deux quartiers, dont le plus connu est le pont Ouest, qui relie les deux centres-villes et où l'on trouve les principaux magasins de la ville. |
- Les minorités slavophones
De façon générale, les minorités slavophones (Serbes, Bosniaques, Croates, Monténégrins et Gorans) éprouvent beaucoup de difficultés à parler l'albanais comme langue seconde, contrairement aux Turcs et aux Roms/Tsiganes. Cette situation empêcherait les membres de ces minorités de sentir en sécurité et de circuler librement sur l'ensemble du territoire du Kosovo. Lorsqu'ils se trouvent en dehors de leur propre communauté, ces personnes continuent de dissimuler leur langue, car elles craignent pour leur sécurité. Bien que beaucoup s'abstiennent de parler leur langue maternelle en public, les slavophones ont néanmoins la possibilité de l’utiliser dans leurs rapports formels avec les instances municipales lorsqu'elles constituent une proportion suffisante de la population, surtout si les employés connaissent le serbe avec plus ou moins d’aisance.
C'est un peu pour cette raison que, pour de nombreux Albanais, toutes les minorités du Kosovo, qu'elles soient musulmanes ou non, sont souvent perçues comme des «races inférieures», à l'exemple des anciens «occupants» serbes. Après quelques années d'indépendance, cette perception pourrait changer progressivement, mais la haine contre les Serbes
(et vice versa) risque de perdurer encore un certain temps. De fait, les églises chrétiennes orthodoxes situées au sud de la rivière Ibar doivent encore demander la protection des forces de maintien de la paix de l'OTAN, afin d'éviter le vandalisme de la part des nationalistes albanais. Les Serbes et d'autres minorités doivent affronter le harcèlement et parfois la violence physique pour circuler dans les rues, pour vivre dans leurs propres maisons lorsqu'elles appartiennent à la «mauvaise» communauté, voire pour parler leur langue. Jusqu'à présent, les autorités gouvernementales du Kosovo, ainsi que la police des Nations unies et les forces de maintien de la paix de l'OTAN ont été incapables ou peu disposées à remettre à la justice de nombreux auteurs de crimes dirigés contre les minorités. Depuis 2008, les communautés albanaises et serbes du Kosovo demeurent plus divisées que jamais, ce qui constitue sans nul doute un échec pour lequel les Nations unies et la communauté internationale doivent accepter une partie importante de la responsabilité.
- Les langues officielles
Il n'en demeure pas moins que l'albanais et le serbe sont les deux langues officielles de la république du Kosovo et que d'autres langues parlées par les nationalités peuvent être co-officielles dans les municipalités où résident les locuteurs de ces langues. C'est ainsi que le bosniaque et le turc sont reconnus comme co-officielles ou comme «langue d'usage officiel» dans certaines municipalités:
Statut |
Bosniaque |
Turc |
Langues officielles |
Dragash / Dragaš - Pejë / Peć - Prizren / Prizren, |
Prizren / Prizren - Mamush / Mamuša |
Langues d'usage officiel |
Istog / Istok |
Gjilan / Gnjilane - Mitrovicë / Mitrovica - Prishtinë / Priština - Vushtrri / Vučitrn |
Par contre, il n'existe aucune mesure concernant le goranski des Gorans et le romani des Roms/Tsiganes. Ces langues demeurent circonscrites au domaine privé. Quant au monténégrin et au croate, ils sont associés au serbe et considérés comme du serbe, mais pas le bosniaque qui a obtenu un statut de co-officialité dans trois municipalités. Pourtant, le serbe, le monténégrin, le croate et le bosniaque peuvent à la rigueur constituer comme la même langue appelée jadis le
serbo-croate.
- Les religions
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Selon l'étude de 2015 du Pew
Research Center, en 2010, le Kosovo comptait 93,8% de musulmans et
6,1% de chrétiens ; tous les autres groupes religieux et les non
affiliés en comptaient chacun moins de 1%. Selon l'enquête sociale
européenne de 2012, la population du Kosovo était répartie de la
façon suivante: 88,0% de musulmans, 5,8% de catholiques, 2,9%
d'orthodoxes de l'Est et 2,9% d'irréligieux. Le recensement de la
population du Kosovo 2011 a été largement boycotté par les Serbes du
Kosovo (qui s'identifient principalement comme orthodoxes serbes
chrétiens), en particulier dans le nord du Kosovo, laissant la
population serbe sous- représentée. D'autres communautés
religieuses, y compris les tarikats et les protestants, contestent
également les données du recensement. Les chefs protestants et ceux
sans affiliation religieuse déclarent que certains membres de leurs
communautés ont été classés à tort comme musulmans par les
recenseurs. Ces chiffres ne représentent pas des sectes
individuelles opérant au Kosovo telles que le soufisme ou le
bektashisme qui sont parfois classées généralement dans la catégorie
«Islam». |
3 Les différents statuts du Kosovo
La Kosovo a connu depuis plus d'une décennie différents statuts, passant de la province yougoslave à une province serbe, puis un territoire sous tutelle des Nations unies et enfin, l'indépendance.
3.1 La province serbe
La Yougoslavie de l'ancien président Slobodan Milosevic (1941-2006) n’a pas su concilier les intérêts des deux principales communautés du Kosovo: les Albanais et les Serbes. Les solutions, toutes radicales, furent la suppression de l’autonomie du Kosovo en mars 1989 et la répression pendant dix ans. Pourtant, le gouvernement yougoslave devait savoir que l’option du «nettoyage ethnique» ne pouvait, à long terme, être sérieusement envisagée dans une région où les Albanais constituaient (avant la guerre) plus de 82 % à 90 % de la population.
On aura intérêt à consulter sur ce sujet le texte de la recommandation n° 1360 adoptée dès le 18 mars 1998 par la Commission permanente agissant au nom de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Il restait alors l’une des trois possibilités suivantes:
1) que le Kosovo redevienne une province serbe dotée d’une grande autonomie;
2) qu’il obtienne le statut de république yougoslave au même titre que la Serbie et le Monténégro;
3) qu’il soit rattaché à l’Albanie.
La première hypothèse, c’est-à-dire l’autonomie provinciale, a été rapidement écartée par les albanophones qui ne voulaient plus faire confiance aux Serbes; la seconde hypothèse, une république yougoslave, fut refusée par le Monténégro qui répugnait à l’idée de compter pour un tiers dans les institutions fédérales et non plus pour la moitié; la troisième hypothèse, l’annexion à l’Albanie, fut rejetée à la fois par les Serbes qui ne voulaient pas perdre le Kosovo et par la communauté internationale qui craignait les conséquences d’une déstabilisation de la Macédoine où les Albanais représentaient au moins 25 % de la population.
3.2 Les tergiversations
Dans sa déclaration publique du 10 juin 1999, l'ancien président Milosevic avait déclaré à la presse internationale que «la question d’une possible indépendance du Kosovo a été refermée» et que «cette garantie est contenue dans le projet de résolution de l’ONU». Avant la guerre, le président de la Serbie, Milan Milutinovic, avait convenu avec le chef kosovar modéré, alors Ibrahim Rugova, de maintenir le Kosovo dans la République fédérale de Yougoslavie en lui accordant «une large auto-administration».
Malgré les assurances officielles des grandes puissances, l'objectif de l'autonomie risquait quand même d’être abandonné au profit de l'indépendance du Kosovo. Dans ce cas, comment refuser aux Serbes et aux Croates de la Bosnie ce qu'on aurait accordé aux Albanais du Kosovo? Cela mettrait fin aux accords de Dayton et, avec eux, de la fragile Bosnie-Herzégovine, sans parler des revendications des Albanais de la Macédoine, de la Hongrie sur la Voïvodine, de la Bulgarie et de la Grèce sur la Macédoine, de la Grèce sur l'Épire albanaise, etc. Bref, la plupart des pays aux prises avec des minorités revendicatrices voyaient l'indépendance du Kosovo d'un mauvais œil. C'est que le gouvernement du Kosovo était réputé corrompu et protégeait mal ses minorités. La recomposition ethnique qui se formait pouvait déboucher sur des décennies de combats, de massacres et d'épurations ethniques.
Cela étant dit, en octobre 2000, une commission internationale indépendante, présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, a recommandé l'octroi d'une «indépendance conditionnelle» au Kosovo. Selon cette commission, il n'était «ni réaliste, ni justifiable» de s'attendre à ce que les albanophones de la province acceptent maintenant une administration serbe, mais les Serbes et les autres minorités de la province ont droit à la protection et à une existence paisible au Kosovo, comme par le passé. Et la commission de conclure: «Le Kosovo pourrait devenir indépendant sous réserve de remplir un certain nombre de conditions, ce qui pourrait prendre des années.»
Le 17 novembre 2005, le Parlement du Kosovo adoptait une résolution soutenant l'idée de la création d'un État indépendant et souverain, quelques jours avant le début des négociations sur le statut final de la province à majorité albanaise et administrée encore par l'ONU. Les députés s'engageaient par cette résolution à «tester une nouvelle fois par référendum la volonté du peuple». Ils faisaient ainsi allusion à un référendum semi-clandestin, organisé en 1991, sur l'indépendance. Le OUI l'avait emporté à 99 %, selon des chiffres albanais.
Par la suite, selon les termes de l’accord de paix du 10 juin 1999 (la résolution 1244 des Nations unies), c’est une autonomie substantielle qui fut prévue au Kosovo, non pas l’indépendance; c'est au plan juridique un statut ambigu difficile à appliquer. La résolution 1244 confirme «l’attachement de tous les pays membres du Conseil de sécurité à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres États de la région», en faisant référence aux règlements internationaux. Cependant, cette résolution confirme en même temps «l’appel des résolutions précédentes pour une large autonomie et une auto-administration réelles du Kosovo». Par ailleurs, la définition du statut futur du Kosovo est mentionnée par une seule disposition de la résolution qui, parmi les autres responsabilités de la mission civile au Kosovo, mentionne «l’aide au processus politique qui a pour objectif la définition du futur statut du Kosovo, en tenant compte des accords de Rambouillet». Les deux annexes à la résolution 1244 parlent seulement des garanties et de l’application d’une réelle auto-administration du Kosovo dans le cadre de la RFY. Selon leur pays d’origine, certains membres de la MINUK (Mission des Nations unies pour le Kosovo) préconisent une suspension totale de la souveraineté yougoslave; d’autres sont favorables au respect relatif d’une souveraineté yougoslave fondamentale. En pratique, l’application de ces deux concepts contradictoires a provoqué confusion et retards.
N’oublions pas qu’une écrasante majorité de la population albanophone désirait avant tout l’indépendance. Les Albanais n’éprouvaient plus aucun intérêt à faire partie d’une fédération des «Slaves du Sud» (encore moins dans une république serbe indépendante), qui les ont méprisés durant trop longtemps.
3.3 La déclaration unilatérale d'indépendance
Chose certaine, le Kosovo ne pouvait être maintenu éternellement sous occupation militaire, même s’il s’agissait d’une force internationale. Avec le recul, nous pouvons certainement affirmer qu’il aurait été préférable que l'ex-président Slobodan Milosevic n’eût jamais aboli, en mars 1989, le statut d’autonomie du Kosovo. Dix ans de répression et d’abolition des droits pour obtenir une autonomie que les Kosovars avaient déjà en 1989, et ce, au prix de souffrances et d’un nettoyage ethnique sans précédent! Le coût est dramatique quand on sait qu’il a fallu repartir à zéro!
La guerre du Kosovo s’est terminée d’une façon tout aussi embrouillée et mal planifiée qu’elle s’était déroulée, et elle s’est transformée à la fois en une «guerre ethnique» et en une «guerre linguistique», qui n'a pas laissé de quartiers. Les problèmes ne sont pas définitivement résolus pour les Albanais, même après avoir déclaré unilatéralement, le 17 février 2008, leur indépendance. Les lois serbes ont continué de s'appliquer afin d'éviter le vide juridique.
Les négociations qui ont eu lieu le Kosovo et la Serbie en 2007 ne sont jamais parvenues à une solution. C'est l'impasse totale: la Serbie
ne veut accorder qu'une grande autonomie, alors que le Kosovo demande l'indépendance.
Évidemment, la Serbie ne reconnaîtra probablement jamais le Kosovo, alors que
les Serbes du Kosovo sont tentés de déclarer leur autonomie au sein du Kosovo,
sans proclamer déclarer leur indépendance de peur de devoir reconnaître celle du
Kosovo. La situation risque d'être explosive, car le Kosovo pourrait rester
encore longtemps un baril de poudre! L'histoire récente de cette région, qui baigne dans le sang, a fait en sorte qu'il est devenu impossible que les deux peuples, les Serbes et les Albanais, puissent vivre ensemble. Au lendemain de la déclaration de l'indépendance, le Conseil de sécurité de l'ONU a de nouveau constaté son désaccord sur le Kosovo, les pays occidentaux reconnaissant la proclamation d»'indépendance, alors que la Russie demandait à l'ONU de la déclarer «nulle et non avenue». Cependant, aucun pays n'a soutenu la demande de la Russie d'annuler la proclamation d'indépendance du Kosovo.
Quant aux Serbes de Serbie, ils ont l'impression qu'on est venu leur donner un coup de marteau sur la tête. Ils croyaient que la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo et l'intégrité territoriale étaient garanties par la Constitution serbe, la Charte des Nations unies
et le Conseil de sécurité, ainsi que le droit international. Les Serbes semblent avoir oublié que ce sont bien eux qui ont exercé durant dix ans une sanglante répression sur le Kosovo. Ils ont oublié la campagne de nettoyage ethnique entreprise sous le président Milosevic, qui a coûté la vie à plus de 10 000 civils albanais. Par ce fait même, les Serbes ont définitivement largué la province du Kosovo, car il était devenu impossible pour les Albanais d'accepter d'être gouvernés par Belgrade.
En contrepartie, les albanophones du Kosovo ont accepté, comme prix de leur
indépendance politique de facto, un pacte qui prescrivait le statut de
deux langues officielles, l'albanais et le serbe, afin d'assurer la protection,
la promotion des droits de toutes les communautés dans le but de préserver la multidiversité
culturelle du Kosovo. Albanophones et serbophones du Kosovo devront trouver une
solution, car le conflit actuel n'aide pas les populations locales.
Dernière mise à jour:
18 févr. 2024