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Mexique(3) La politique linguistique fédérale |
Plan de l'article
1 Les ethnonymes autochtones 1.1 Les locuteurs autochtones 1.2 Les divers ethnonymes 1.3 Langue ou dialecte pour les autochtones ? 2 Bref historique: de la politique d'assimilation à la politique d’intégration 2.1 Le monde précolombien 2.2 La période coloniale 2.3 La langue unificatrice de la Nation 2.4 L'éducation bilingue biculturelle 3 Les mouvements de rébellion 4 Les problèmes en attente 5 La politique indigéniste récente 6 Les instruments juridiques |
7 Les droits linguistiques généraux 7.1 La désignation des langues autochtones 7.2 Une partie intégrante du patrimoine 8 La représentation politique des autochtones 8.1 La procédure électorale 8.2 La Chambre des députés 8.3 Les langues autochtones et les municipalités 9 Les droits administratifs dans la législation 10 L’emploi des langues dans les tribunaux 12 Les langues dans les médias |
La politique linguistique mexicaine présente deux volets: l’un porte sur la langue officielle qui n'est jamais désignée par ce terme, mais plutôt par «langue nationale» (idioma nacional), ainsi que sur les langues autochtones toujours désignées par le terme indígenas («indigènes»). La politique relative aux autochtones a connu des changements profonds depuis quelques années, mais elle est loin d'être complétée. On a raison d’affirmer que la question des droits des autochtones est d'une actualité toujours brûlante au Mexique, bien que de grandes améliorations aient été obtenues au cours des dernières années.
1.1 Les locuteurs autochtones Sur la base des informations de l'Instituto Nacional de Estadística y Geografía (INEGI) de 2022, on estime que 23,2 millions de personnes âgées de trois ans et plus sont identifiées comme «indigènes». Dans cette population, 51,4% (11,9 millions) sont des femmes et 48,6% (11,3 millions) sont des hommes; de même, 7,1 millions (30,8%) parlent une langue indigène et 16,1 millions (69,2%) n'en parlent aucune, car ils sont passés à l'espagnol. Les entités fédérées avec le nombre le plus élevé de populations parlant une langue indigène sont le Chiapas (398 000), l'Oaxaca (135 000), le Guerrero ( 111 000), le Veracruz (48 000), le Puebla (41 00)), le Hidalgo (29 000 et le Yucatán (25 000). Les États avec le plus faible nombre de locuteurs d'une langue indigène sont les suivants: Colima (189), Zacatecas (187), Basse-Californie du Sud (162), Tamaulipas (145), Coahuila de Zaragoza (4) et Aguascalientes (25). |
1.2 Les divers ethnonymes
Depuis longtemps, les termes ou ethnonymes pour désigner les premiers habitants du Mexique font l'objet de controverses. Beaucoup de ces ethnonymes contiennent une connotation péjorative dans le nom de l'Autre, du point de vue du groupe qui impose le nom, pour parler des autochtones.
- L'Indien / Indio
Le terme Indien ("Indio" au masc. ou "india" au fém.) fut et est encore couramment utilisé pour désigner des individus appartenant aux peuples autochtones d'Amérique. Le Canada a en vigueur une Loi sur les Indiens (en anglais: Indian Act). Aux États-Unis, on trouve les lois suivantes: Indian Reorganization Act ("Loi sur la réorganisation indienne"), Indian Civil Rights Act ("Loi sur les droits civils des Indiens"), Indian Self-Determination and Education Assistance Act ("Loi sur l’autodétermination et l’aide à l’éducation des Indiens"), Indian Child Welfare Act ("Loi sur le bien-être de l’enfance indienne"). Évidemment, dans plusieurs pays de l'Amérique latine, on trouve des leyes de Indias, des lois sur les Indiens.
Cependant, dans la plupart de ces pays, que ce soit en Amérique latine ou même en Amérique du Nord, les mots Indien, Indian, Indio ou Indiano sont perçus comme péjoratifs ou insultants, notamment de la part des communautés autochtones situées à la périphérie de la structure sociale. Autrement dit, désigner une personne par «Indien» équivaut, dans certains contextes, à décrire de manière désobligeante un individu comme une personne pauvre, ignorante, sans éducation, etc. Cette signification sociale du terme a une dimension historique qui commence précisément à l’époque de la découverte de l’Amérique par les Européens.
Bien que, pendant de nombreuses années, les populations autochtones ont été désignées par ce terme, c'est la société d'origine européenne qui l'a employé comme synonyme de mépris ou d'humiliation. Au fil du temps, on lui a attribué une connotation tellement désobligeante qu'il est devenu un terme inacceptable aujourd'hui. Le terme «Indien» désigne la condition de colonisé et fait nécessairement référence à la relation coloniale; il est perçu comme violent, car son usage social est devenu objet de mépris. Le malentendu provient du fait que, lorsqu’ils sont arrivés en Amérique, les Européens pensaient qu’ils avaient atteint l’Inde.
Dans les textes juridiques du Mexique, le terme "Indio" est aujourd'hui très rarement employé, mais il peut l'être encore dans la langue parlée.
- Indito / Indita Il existe un terme encore plus inacceptable pour les autochtones mexicains: il s'agit du couple Indito / Indita en espagnol. En soi, le mot Indien ("Indio") ou Indienne ("India") est déjà offensant pour les autochtones, mais si on y ajoute les diminutifs Indito / Indita, on diminue encore davantage l'individu. C'est comme percevoir l'Indien plus inférieur et plus minimisé. Le même phénomène se produit avec "Negro" ou "Negra". Dans certains contextes des communautés afro-mexicaines, ces termes sont employés pour désigner les Noirs, mais parfois on y ajoute dans certains médias les diminutifs "Negrito" ou "Negrita". On ne sait plus s'il faut en rire ou en pleurer! |
- L'indigène
Au fil du temps, le mot Indigène ("Indígena") a remplacé le terme Indien ("Indio") parce qu'il porte une connotation apparemment plus neutre et plus conviviale. Aujourd'hui, le mot Indigène, en espagnol indígena, est celui qui est employé dans la plupart des textes juridiques et judiciaires mexicains. Selon le Diccionario de la Real Academia Española de la Lengua («Dictionnaire de l’Académie royale de la langue espagnole»), le mot indígena signifie: “Originario del país de que se trata”, c'est-à-dire «natif du pays en question». Parmi les synonymes, on trouve “aborigen” («aborigène») et “nativo” («natif»). Ce sont des termes qui ont été employés tout au long de l’histoire en raison de leur ambiguïté.
Cependant, le terme «indigène» a, lui aussi, progressivement pris une charge relativement négative parce qu'il est associé à des communautés pauvres, isolées et considérées comme primitives. Afin de respecter plus fidèlement les textes juridiques mexicains, c'est le mot indígenas qui sera employé dans le présent article lorsqu'on fera référence à des textes officiels ou administratifs ou encore à des paroles citées provenant de Mexicains eux-mêmes. Cependant, l'auteur de ces lignes peut utiliser comme synonyme le terme autochtone dans les textes de ses articles.
- Le mot «autochtone»
Bien qu'il n'existe pas de définition mondialement acceptée de la notion d'autochtone ou de peuple autochtone, on peut penser qu'une telle acception doit reposer sur trois critères fondamentaux :
1. une continuité historique de caractéristiques (une occupation ancestrale, une ascendance commune avec les premiers occupants, une langue particulière);
2. une auto-identification en tant qu'autochtone:
3. une appartenance à un groupe revendiquée à la fois par l'individu et le groupe auquel il appartient.
En espagnol, le terme "autóctono" existe, mais il n'est jamais employé pour désigner les "indígenas". Rappelons-nous l’histoire de la poule et de l’œuf. Qu’est-ce qui est arrivé en premier ? Qui sont les vrais locaux, les vrais autochtones ? Autrement dit, tous les Mexicains nés au Mexique peuvent se prévaloir d'être des autochtones.
- Le terme "originario"
Au Mexique, il existe un autre mot qui a été proposé pour remplacer «indigène»: originario, un terme perçu comme moins péjoratif, avec une connotation moins négative. On peut traduire en français par «originaire», un adjectif signifiant «qui est à l'origine de». Il n'y a pas d'équivalent satisfaisant en français, y compris les mots «natif» (esp.: "nativo") et «aborigène» (espagnol: "aborigen") qui sont des termes spécifiques en espagnol. Au Mexique, l'emploi du terme "originario" ou des termes "pueblo originario" entraînerait des conflits juridiques, car les conventions internationales, les accords et les documents officiels au niveau international font référence à la population indigène ou ethnique. Employer le mot "originario" dans un contexte juridique impliquerait de très nombreuses réformes, depuis la Constitution mexicaine jusque dans les lois et règlements. C’est pourquoi les Mexicains continuent de recourir au mot "indígena". |
- Les aborigènes
Dans de rares cas, le mot aborigène est employé comme synonyme d'indigène ou de «colon d’origine» (“poblador originario”), mais une personne aborigène diffère des colons d’origine simplement en ce qu’elle préserve la culture de son groupe ethnique. Selon le Dictionnaire de l'Académie royale de la langue espagnole, la définition est la suivante: "Habitante de un lugar, por contraposición al establecido posteriormente en él." («Habitant d’un lieu, par opposition à celui établi plus tard dans celui-ci.»
Normalement, quand on parle d'aborigènes, on fait référence aux aborigènes australiens, aux Canariens (ou Guanches) ou aux Néo-Zélandais (Maoris). C'est pourquoi les Mexicains n'emploient jamais ce terme pour désigner les indigènes.
- Les Indo-Américains
Au Mexique, l'expression "pueblos indoamericanos" («peuples indo-américains») demeure d'un usage peu fréquent. On ne la retrouve qu'à l'article 2 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2002). Ces mots servent à désigner ce qu'on appelle au Canada les «Premières Nations». De façon générale, ce sont les spécialistes et les scientifiques qui ont recours à cette formule de "pueblos indoamericanos".
- Les Premières Nations et autres ethnonymes
L'expression française «Premières Nations» ("Primeras Naciones") n'est jamais employée au Mexique. Elle est perçue comme le nom donné aux autochtones du Canada (en anglais: "First Nations"). En Amérique latine, on préférera l'expression "nativos americanos" pour désigner les autochtones des États-Unis. Quant au terme "Amerindios" («Amérindiens»), il est défini comme "los Indios de América" ou simplement "Indios" ou encore "Indoamericanos".
En somme, les peuples autochtones au Mexique sont les indigènes qui descendent des populations habitant les zones géographiques correspondant aux pays nés à l'époque de la conquête ou de la colonie espagnole, ou lorsque les frontières actuelles des États fédérés ont été définies. Voici comment sont définies les communautés indigènes à l'article 2 de la Constitution fédérale mexicaine:
Son comunidades integrantes de un pueblo indígena, aquellas que formen una unidad social, económica y cultural, asentadas en un territorio y que reconocen autoridades propias de acuerdo con sus usos y costumbres. | Les communautés appartenant à un peuple indigène sont celles qui forment une unité sociale, économique et culturelle, qui sont installées sur un territoire et qui reconnaissent leurs propres autorités, conformément à leurs us et coutumes. |
De plus, chacun des peuples indigènes porte un ethnonyme qui lui est particulier: Akateko, Amuzgo, Awakateko, Ayapaneco, Cora, Cucapá, Cuicateco, Chatino, Chichimeco jonaz, Chinanteco, Chocholteco, Chontal de Oaxaca, Chuj, Ch'ol, Guarijío, Huasteco, Huave, Huichol, Ixcateco, Ixil, Jakalteko, Kaqchikel, Kickapoo, Kiliwa, Kumiai, Ku'ahl, K'iche', Lacandón, Mam, Matlatzinca, Maya, Mayo, Mazahua, Mazateco, etc.
1.3 Langue ou dialecte pour les autochtones ?
D’aussi loin que l'on remonte dans l'histoire du Mexique, le mot dialecte ou dialecto en espagnol a souvent été la manière de désigner la langue des peuples autochtones, ce qui est, bien sûr, une manière de minimiser ces langues. En raison de l'argumentaire des institutions et des défenseurs des langues, il a été proposé depuis plusieurs années au Mexique d'éliminer le mot "dialecto" en raison de la connotation négative que dégage ce terme. D'ailleurs, l’Institut national des langues indigènes ("Instituto Nacional de Lenguas Indígenas": INALI) a pris la décision d'éliminer l'emploi du mot "dialecto", pour désigner les langues indigènes, précisément en raison de la charge négative qu’il a acquise.
Ainsi, au lieu de parler des «dialectes du maya», on doit parler des «variantes linguistiques du maya» ("“variantes lingüísticas”). Pour les linguistes et les ethnologues mexicains, le fait d'appeler «dialectes» ("dialectos) les langues indigènes, même si le terme n'est pas volontairement associé à une connotation péjorative dans les médias, constitue à tout le moins une forme d'ignorance inacceptable. Il est de plus en plus d'usage au Mexique d'appeler «dialectos» les variétés locales de la langue espagnole mexicaine parlée sur le territoire national (voir la carte ci-contre). On distingue sept variétés de dialectes espagnols: la variété septentrionale, la variété centrale autour de Mexico, la variété méridionale, la variété «en formation», la variété côtière, la variété du Chiapas et la variété du Yucatan. Ces variétés se caractérisent par des différences de prononciation parfois assez importantes, mais aussi de grammaire et de vocabulaire, sans toutefois remettre en question l'intercompréhension. Quoi qu'il en soit, les langues des peuples autochtones sont des langues comme l'espagnol ou l'anglais; elles ont le droit d'être désignées comme des "lenguas" ou des "idiomas". On peut consulter un article pour connaître la différence entre les mots «lengua» et «idioma» en espagnol en cliquant ici s.v.p. |
Depuis l’arrivée des Européens, toute l’histoire du Mexique est marquée par des politiques d’assimilation pratiquées de façon systématique. En effet, les autochtones ont subi pendant près de cinq siècles la répression et l’assimilation, mais à des degrés divers, selon les époques. Au Mexique, comme dans d'autres pays d'Amérique latine, l’espagnol n'est pas la langue maternelle des peuples autochtones, pour au moins pour 68 % d'entre eux.
2.1 Le monde précolombien
Bien que l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique date de 1492, l'adjectif «précolombien» englobe généralement l'histoire de tous ces peuples autochtones avant que l'influence européenne ne devienne notable, même si cela s'est produit des décennies ou des siècles plus tard, selon la région. La préhistoire américaine commença à partir du moment où les premiers habitants des steppes sibériennes ont traversé l'Alaska il y a peut-être 40 000 ans, jusqu'au développement des civilisations américaines au IIIe siècle. Toute cette époque, qui correspond dans la préhistoire universelle au paléolithique, au mésolithique, au néolithique et à l'âge du fer. Avec la découverte de l’agriculture, les colons «précolombiens» entamèrent un processus de peuplement et passèrent d’un nomadisme millénaire à un mode de vie sédentaire, ce qui ouvrit la voie au développement de cultures plus élaborées, lesquelles aboutiront à l’émergence de la première plus grande civilisation du continent: l'Empire inca au Pérou.
Au Mexique, les peuples autochtones commencèrent à cultiver des plantes de maïs vers 8000 avant notre ère. Entre 1800 et 300 avant notre ère, des complexes de cultures diverses se sont formés. Un grand nombre d'entre elles évoluèrent vers des civilisations méso-américaines avancées telles que les Olmèques, les Izapas, les Téotihuacans, les Mayas, les Zapotèques, les Mixtèques, les Huaxtèques, les Purépechas, les Totonaques, les Toltèques et les Aztèques. Tous ces peuples ont prospéré pendant près de 4000 ans avant le premier contact avec les Européens.
À différentes époques, trois villes aztèques, soit la capitale aztèque Tenochtitlan (plus de 500 000 habitants), Teotihuacan (200 000 habitants) et Cholula (plus de 100 00 habitants), ont compté parmi les plus grandes villes du monde. Ces villes et plusieurs autres se sont épanouies comme des centres de commerce, d'idées, de cérémonies et de théologie. À leur tour, elles ont exercé leur influence vers les cultures voisines du centre du Mexique. La région de ce qui est aujourd'hui le Mexique a connu sept civilisations majeures avec chacune leur langue: les Olmèques, les Téotihuacans, les Toltèques, les Aztèques, les Zapotèques, les Mixtèques et les Mayas. Ces civilisations, à l'exception des Mayas politiquement fragmentées, ont étendu leur influence à travers le Mexique et au-delà, comme aucune autre. Elles ont consolidé leur pouvoir et réparti leur influence dans les domaines du commerce, de l'art, de la politique, de la technologie et de la théologie. |
D'autres acteurs régionaux puissants ont conclu des alliances économiques et politiques avec ces sept civilisations sur une période de 3000 ans. Évidemment, beaucoup d'entre elles leur ont fait la guerre.
Avant l'arrivée des Européens, la langue la plus répandue était le nahuatl. À partir du IVe siècle de notre ère, la langue nahuatl commença sa diffusion et elle prévalut progressivement sur les autres langues méso-américaines jusqu'à devenir la langue véhiculaire d'une grande partie de la région. Dans un premier temps, elle s'est répandue dans la zone centrale du Mexique grâce aux Toltèques et aux Tepanèques, puis dans une deuxième étape qui eut lieu à partir du XVe siècle cette langue s'étendit à tous les territoires conquis et dominés par l'Empire mexicain. Au cours des siècles précédant la conquête espagnole de l'Empire mexicain, les "Mexicas" avaient incorporé une grande partie du centre du Mexique dans leurs domaines. L'influence impériale a fait de la variante du nahuatl parlée par les habitants de Mexico-Tenochtitlan, capitale de l'empire, une langue de prestige dans la région méso-américaine. À cette époque, le nahuatl était connu sous le nom de "colhua", c'est-à-dire Colhuacan, une cité-État méso-américaine de langue nahuatl de la vallée de Mexico. Par ailleurs, les locuteurs du nahuatl eux-mêmes, les Nahuas, ont fini par appeler souvent leur langue comme étant le "mexicano", le «mexicain».
2.2 La période coloniale
L'ère coloniale du Mexique est la période historique qui a commencé au XVIe siècle, avec la conquête espagnole de l'Empire aztèque dirigée par Hernán Cortés; elle s'est terminée avec la guerre d'indépendance entre 1810 et 1821, qui a conduit à la formation d'un État mexicain indépendant.
Au début de la Conquête, les autochtones furent pourchassés par les conquistadores, pas leurs langues. D'ailleurs, en raison de la popularité et du prestige de la langue nahuatl et, en partie, de l'expansion territoriale due aux conquistadors, le roi Philippe II (1527-1598) prescrivit le nahuatl comme langue officielle de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne en 1570. Après l'arrivée des Espagnols au Mexique, la grammaire du nahuatl, qui jusqu'alors n'avait pas d'orthographe latine, fut systématisée.
Comme tous les territoires colonisés en Nouvelle-Espagne, le Mexique fut remodelé politiquement, religieusement, culturellement, linguistiquement, économiquement et socialement, conformément aux valeurs et aux intérêts des Espagnols. Cela a conduit à l’interdiction, à l’abandon ou à la marginalisation de nombreuses traditions et institutions des populations autochtones qui ont survécu à la conquête. L'ère coloniale du Mexique fut caractérisée par une division sociale basée sur les classes, dans laquelle les «Blancs» (Espagnols et Créoles de la péninsule) avaient une position privilégiée par rapport aux «Indiens» (populations indigènes), aux «Noirs» (Africains ou descendants d’Africains) et aux différentes catégories de Métis. |
Au cours de la période coloniale, les langues autochtones furent progressivement ignorées, y compris le nahuatl. Les colonisateurs se contentèrent, après la «pacification», de parquer les indigènes dans leurs «réserves» et de les oublier. La langue espagnole se révéla fort peu utile pour ces populations qui, complètement isolées, continuèrent néanmoins à employer leurs langues ancestrales, à l’abri de la domination linguistique espagnole. Cependant, la plupart des autochtones qui demeurèrent en contact avec les Européens perdirent leur langue et s'assimilèrent.
2.3 La langue unificatrice de la Nation
Au moment de l’indépendance du Mexique en 1821, les nouvelles autorités mexicaines crurent que le maintien des langues autochtones constituait un frein au développement économique de ces populations. Seule la connaissance de l’espagnol comme «grande langue de civilisation» pouvait les sortir de leur prétendue misère. De plus, l’idéologie occidentale de l’époque véhiculait que l’unité de la nation restait inséparable de l'unification linguistique.
C’est pourquoi les dirigeants entreprirent, sur une base systématique, la castillanisation (esp.: castellanización) linguistique, culturelle et même ethnique de ces populations. Paradoxalement, les langues autochtones furent appréciées en tant qu'«objets d'étude» parce qu’elles contribuaient à l’image nationale «anti-espagnole» que voulait se donner le Mexique indépendant depuis l'indépendance. Il lui fallait développer une image «distincte», de sorte que les valeurs précolombiennes furent récupérées au profit de la nouvelle idéologie nationale. Toutefois, pendant qu’on reconnaissait la culture des peuples autochtones dans la construction d'une histoire nationale, on pratiquait une véritable politique raciste qui postulait l'infériorité des autochtones et mettait en danger la survie de leurs langues.
Les politiciens métis de la Révolution ne reconnurent juridiquement aucune autre langue que l'espagnol et ils pratiquèrent une politique d’assimilation à l’égard des peuples autochtones afin d’unir dans une même langue les peuples composites du Mexique. |
À la suite du mouvement révolutionnaire, l'objectif des hommes politiques fut donc la construction d'une nation métisse unie et unilingue espagnole. Évidemment, les promoteurs de cette politique prétendirent qu'elle était bénéfique aux autochtones puisque, en se «castillanisant», ils auraient enfin accès aux services de l'État.
Dans l’idéologie de l’époque, les populations autochtones étaient censées remplacer leurs langues ancestrales par l’espagnol et, par le fait même, s'alphabétiser afin de répondre à un modèle de développement économique qui réclamait de toute urgence de la main-d'œuvre indigène. Des écoles rurales, qui n’employaient que l’espagnol, furent chargées d'instruire les masses indigènes dans la perspective d’améliorer leur travail dans l’industrie agricole. Devant l’échec de cette politique d’alphabétisation, les politiciens conclurent que les autochtones étaient naturellement inaptes à l’apprentissage de la «grande langue de civilisation» qu’était l’espagnol. Progressivement, les gouvernements successifs laissèrent les autochtones à leur triste sort. On ne comprenait pas que la cause de cet échec relevait de la pédagogie, non de la politique ou de la langue elle-même. Le ministère de l'Éducation nationale tenta même en 1921 de définir les normes de la castillanisation des indigènes, sans plus de succès.
2.4 L'éducation bilingue biculturelle
En 1939, lors de la Première Assemblée des philologues et linguistes du Mexique, des spécialistes proposèrent d'alphabétiser les populations indigènes dans leur langue maternelle. Ils conseillèrent au gouvernement d'adopter une méthode différente pour parvenir à une castillanisation plus efficace. Dès lors, l'usage de la langue maternelle dans le but d’alphabétiser les indigènes devint une méthode pédagogique prioritaire. On expérimenta cette méthode avec les indigènes purépechas habitant l'État du Michoacán (région centrale du pays). Pour les dirigeants mexicains, il n’était pas question de conserver ces langues, mais de les accepter «à titre temporaire» afin de faciliter aux enfants l'apprentissage d'une deuxième langue, l’espagnol, et de les instruire ensuite dans la seule langue officielle.
- Le début de l'éducation bilingue
D’ailleurs, dans toutes les écoles du Mexique, l'espagnol continua d'être la seule langue d'instruction. Le Département des affaires indigènes commença en 1964 à instaurer un service d'animateurs et d’instituteurs bilingues, qui devait recourir avec les enfants indigènes à une méthode d’apprentissage bilingue apprise au Centro Estratégico de Información (CEI), le Centre stratégique d'information. À partir de 1978, l'éducation adressée aux indigènes passa sous la juridiction de la Dirección General de Educación Indígena (DGEI), la Direction générale d'éducation indigène. Ce fut le début de ce qu’on a appelé l’«éducation bilingue biculturelle» ("Educación Bilingüe Bicultural").
L'apprentissage de la lecture et de l'écriture dans les langues indigènes suivi de l'enseignement en l'espagnol comme langue seconde constitua la méthode officielle pour atténuer les conflits entre les autochtones et les autres Mexicains. L’éducation bilingue biculturelle devint la méthode spécifique standard pratiquée à l’intention des populations autochtones, alors que les autres enfants continuaient de recevoir leur instruction uniquement en espagnol. Autrement dit, la «biculturalité» (ou biculturalisme) ne valait que pour les indigènes, pas les autres Mexicains.
- Une image positive
Le gouvernement exerça des pressions pour que les écoles fournissent des manuels bilingues de telle sorte que la politique d’éducation bilingue en arrive à donner une image positive de son succès. Mais les résultats se sont révélés fort minces. L’emploi de ces écritures n’a pas bénéficié en contrepartie de fonctions sociales valorisantes, car elles sont toujours restées confinées dans les salles de classe, l’écriture indigène étant toujours absente des rôles sociaux, juridiques et politiques. De plus, ces expériences furent limitées aux Mayas, aux Nahuas, aux Zapotèques et aux Mazatèques, dont le haut degré d’analphabétisme était notoire.
Néanmoins, les langues autochtones continuèrent de souffrir du peu de prestige qu’on leur accordait au Mexique. Des millions de Mexicains ne leur prêtèrent même plus aujourd'hui le statut de «langue», tout au plus celui de «dialecte». Pour la plupart des Mexicains, il apparaissait normal que les indigènes s'assimilent au monde hispanophone, et qu’ils remplacent leur langue maternelle par l'espagnol ou que leur langue reste indéfiniment marginale. Pendant ce temps, le bilinguisme demeura toujours la seule obligation pour les indigènes, tandis que les hispanophones unilingues ne se sont jamais senti une quelconque obligation à l’égard des quelque 60 langues nationales du Mexique.
C’est au cours de la décennie de 1970 que de forts mouvements sociaux firent leur apparition au Chiapas, considéré comme un «État féodal» et l’un des plus pauvres du Mexique. Sous l’initiative, d’une part, de groupes maoïstes, d’autre part, de l'Église catholique par la voix de Mgr Samuel Ruiz, évêque de San Cristobal de Las Casas, les autochtones avaient réclamé une réforme agraire. Au fil des ans, les revendications prirent de l’ampleur jusqu’à ce que, en 1984, soit formée l'EZLN (ou AZLN en français), l’Ejercito Zapatista de Libéracion Nacional (l’Armée zapatiste de libération nationale) qui recueillait un fort soutien auprès de la population indigène du Chiapas. Le gouvernement mexicain avait bien entrepris en 1991 de reconnaître constitutionnellement les droits culturels des autochtones, mais cette reconnaissance était accompagnée d'une politique économique de type néo-libéral, qui accentuait la pauvreté des peuples autochtones et, en conséquence, la marginalité de leurs langues. |
3.1 La déclaration de guerre des zapatistes
Le mouvement AZLN (ou EZLN en espagnol) changea son orientation en 1992. En effet, le «passage à la guerre» commença lorsque le gouvernement fédéral décida de réviser l'article 27 de la Constitution permettant la privatisation des terres communautaires autochtones. Les zapatistes trouvèrent dans le sous-commandant Marcos, leur leader, qu’il leur fallait pour abattre le parti au pouvoir, le PRI, le Parti révolutionnaire institutionnel qui régnait au Mexique depuis 1946. La "Primera Declaración de la Selva Lacandona" («Première Déclaration de la forêt de Lacandone») en 1993, intitulée "Ya Basta" («Ça suffit»), donnait une idée des revendications zapatistes.
La «déclaration de guerre» était adressée à «l'armée fédérale mexicaine, principal pilier de la dictature» que subissaient les autochtones, cette armée étant «monopolisée par le parti au pouvoir et dirigée par l'exécutif fédéral aux mains de son chef suprême et illégitime, Carlos Salinas de Gortari» (alors président de la République de 1988 à 1994). C’était très clair: l’Armée zapatiste de libération nationale avait pour objectif de «défaire l'armée fédérale mexicaine» et de «marcher sur la capitale du pays» en protégeant dans sa progression libératrice la population civile et en permettant aux populations libérées d'élire librement et démocratiquement leurs propres autorités administratives. En réalité, les revendications zapatistes portaient sur le droit à la terre, au logement, à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, à l’indépendance, à la liberté, à la démocratie, à la justice et à la paix.
3.2 Les réformes politiques
Le 1er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’Armée zapatiste de libération nationale (en français: AZLN) s’empara de quatre villes dans l’État du Chiapas pour exiger des réformes en profondeur. Bien que les troupes fédérales aient rapidement repris une grande partie du territoire occupé par les rebelles, l’AZLN donna naissance à un vaste mouvement de réformes politiques dans tout le Mexique. Élu en août 1994, le président Ernesto Zedillo (1994-2000), du Parti révolutionnaire institutionnel, tenta de réaliser certaines réformes, mais l’ampleur de la récession, la crise financière et monétaire (avec un déficit d’environ 30 milliards de dollars), la multiplication des scandales politico-judiciaires (révélant, entre autres, la lutte que se livraient certains politiciens influents au sein du parti au pouvoir) et la résurgence de la question autochtone (insurrection du Chiapas sous la direction du charismatique «subcomandante Marcos») limitèrent singulièrement les changements annoncés.
Le conflit s’intensifia entre les zapatistes et le gouvernement fédéral au début de 1995. Le gouvernement ressentit la nécessité d’établir à nouveau son autorité en lançant une opération militaire qui permit de reprendre le contrôle de plusieurs municipalités occupées et de repousser les guérilleros, mais sans jamais capturer les leaders du mouvement autonomiste. L’échec de cette offensive entraîna une reprise des négociations qui aboutirent à la signature d’un accord, le 16 février 1996, à San Andrés Larrainzer, au Chiapas. |
On sait que, le 29 novembre 1996, le président Ernesto Zedillo refusa de parapher certaines demandes concernant l’autonomie autochtone. Il avançait que de telles demandes pouvaient compromettre la souveraineté nationale et risquaient de «balkaniser» les États-Unis du Mexique. Les négociations furent alors rompues.
3.3 Les accords de San Andrés (1996)
Les accords de San Andrés (Acuerdos de San Andrés) furent très importants parce qu’ils avaient pour but non seulement de mettre fin au conflit armé du Chiapas, mais aussi de satisfaire les revendications des groupes autonomistes. Le 16 février 1996, les zapatistes et les représentants du gouvernement mexicain signèrent les accords de San Andrés (intitulés "Accords sur les droits et la culture indienne") rédigés avec la participation d'experts nationaux et internationaux sur les questions autochtones, sans oublier les représentants de plus de 47 peuples autochtones du Mexique.
Lors de la «Résolution plénière» du thème sur les droits et la culture indienne, et après les réunions de chacune des parties, l’AZLN (en espagnol: EZLN ou l’Ejercito Zapatista de Libéracion Nacional) et le gouvernement fédéral se sont mis d’accord sur trois documents: |
Déclaration commune que le gouvernement fédéral et l’AZLN s'engagent à envoyer aux organismes de débats et de décisions nationaux (Pronunciamiento conjunto que el Gobierno Federal y el ezln enviarán a las instancias de debate y decisión nacional);
Propositions communes que le gouvernement fédéral et l’AZLN s'engagent à envoyer aux organismes de débats et de décisions nationaux correspondants au point 1.4 des Règles de procédure (Propuestas conjuntas que el Gobierno federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las reglas de procedimiento);
Engagements pour le Chiapas de la part du gouvernement local et du fédéral et ainsi que de l’AZLN correspondant au point 1.3 des Règles de procédure (Compromisos para Chiapas del Gobierno del Estado y Federal y el EZLN, correspondientes al punto 1.3 de las reglas de procedimiento).
Il fut ensuite précisé que «le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de sa délégation, déclare l'acceptation des documents ci-après» en question et que «l’AZLN, par l'intermédiaire de sa délégation, déclare accepter les documents ci-après». Afin de voir plus clairement sur les points soulevés dans ces accords, il a semblé utile de les résumer dans les lignes qui suivent («Proposition 13»), mais en se restreignant surtout aux revendications portant sur la langue. Les informations suivantes correspondent à une politique linguistique globale.
3.4 Les promesses non tenues
Lors de sa campagne électorale à la présidence, le candidat Vicente Fox, ancien PDG de Coca-Cola Mexique, s'était vanté «de régler le problème du Chiapas en un quart d'heure». Même s’il avait été un peu vite en affaires pour régler une question aussi épineuse, les indigènes du Chiapas, en lutte depuis sept ans pour la reconnaissance de leurs droits, eurent pour la première fois eu raison d'espérer une issue au conflit qui les opposait aux dirigeants mexicains depuis cinq cents ans.
Le 1er décembre 2000, le président Vicente Fox (2000-2006) commença à exercer ses fonctions, mais il héritait des problèmes laissés par son prédécesseur, Ernesto Zedillo: la rupture des négociations entre l’AZLN et le gouvernement fédéral, la non-mise en application des accords de San Andrés, l’augmentation de la militarisation et de la paramilitarisation au Chiapas, le projet de «remunicipalisation» mis en place par l’ex-gouverneur du Chiapas, ainsi que le problème du déplacement de plus de 22 000 personnes au Chiapas. |
Durant sa campagne, Vicente Fox s’était engagé à apporter des réformes en profondeur à partir d’un agenda qui promettait les modifications suivantes, dont aucune, à l’exception de la proposition 3, n’impliquait la langue:
PROPOSITION 13
1) créer un Conseil national pour le développement des peuples indigènes composés de représentants de ceux-ci et de personnalités connaissant cette problématique; |
Il est plus facile d'affirmer qu'on va régler «en un quart d'heure» des problèmes qui traînent en longueur que de les résoudre.
3.5 Le projet de loi modifié du Sénat
Conformément à sa promesse, Vicente Fox fit, le 5 décembre 2000, parvenir au Sénat pour discussion et approbation la fameuse proposition de loi de la Comisión de Concordia y Pacificación (Commission de concorde et de pacification) ou Cocopa, proposée par toutes les organisations indigènes. En avril 2001, le projet de loi sur les droits des autochtones — la «loi Cocopa» — fut modifié par le Sénat avant d’être adopté par les deux Chambres, de telle sorte que les dispositions garantissant l'autonomie et l'autodétermination se sont retrouvées considérablement atténuées.
Comme il fallait s’y attendre, les zapatistes rejetèrent carrément le projet de loi et interrompirent toute négociation. Pour reprendre un éventuel dialogue avec le gouvernement, les zapatistes exigèrent se répondre à trois conditions: le démantèlement des bases militaires (qui n’ont été que «repositionnées»), la libération de tous les prisonniers zapatistes et l’adoption intégrale par le Congrès de la «loi Cocopa». |
- Une loi dénaturée
Il faut souligner que la «loi Cocopa» exprimait, avant d’arriver au Sénat, un consensus institutionnel et devait constituer la base du travail des Chambres. Or, elle est en sortie tellement modifiée que les zapatistes n’hésitèrent pas à parler de «loi dénaturée». Ainsi, la notion de «peuples originaires» fut confondue à celle de «communautés», ce qui engendrait des ambiguïtés avec les «communautés hispanophones».
Quant à la notion de «territoire», elle fut totalement supprimée, ce qui annihilait toute la question de la «gestion indigène des ressources naturelles» qu’elle comportait. Alors que le projet de loi incluait dans la Constitution l'autonomie régionale pour les communautés indiennes, la nouvelle version de la loi approuvée par le Parlement laissait à chacun des États du Mexique la possibilité d'appliquer ou non cette autonomie.
Le projet original prévoyait accorder aux «communautés indigènes» le droit à la terre et aux ressources naturelles, mais le principe fut «escamoté» dans la version définitive. Les concepts de «sujets de droit public» des peuples autochtones et de «nouveau fédéralisme» furent confondus avec les «sujets d’intérêt public» à l’exemple de l’eau, de la forêt, de la faune ou de la flore. La question de la «remunicipalisation» par associations libres de communautés et la révision des districts électoraux en vue de la représentation politique des autochtones furent complètement ignorées. Pour les autonomistes zapatistes, cette nouvelle version de la loi Cocopa rendait impraticable et sans effet l’autonomie qui ne devenait qu’un mot vide de sens.
Néanmoins, le président Fox savait parfaitement que la nouvelle version n'avait aucune ressemblance, même lointaine, avec celle qu'il avait lui-même présentée. Bien que la nouvelle loi représentait une avancée réelle pour ce qui était des droits autochtones, elle ne reconnaissait pas les communautés indigènes comme des entités de droit public; elle ne leur donnait pas le droit à un territoire et ne leur permettait pas de gérer de façon autonome les ressources naturelles présentes au sein de leurs communautés. Pour les zapatistes, ce fait démontrait que le président Fox avait seulement feint semblant de faire sienne «l'initiative de la Cocopa» pendant qu'il négociait avec les représentants durs et purs du Congrès une «réforme» qui ne reconnaîtrait pas vraiment les droits des autochtones.
- Un travail bâclé
Les accords de San Andrés et leurs modifications dans la loi Cocopa ne suivirent pas la filière attendue. D’une part, les conseillers du président Fox ne se sont même pas donné la peine de lire le document et ils l’ont transmis aux représentants législatifs sans en préciser la portée; d’autre part, ces derniers ont cru qu’ils devaient réviser complètement la loi et non pas seulement la traduire en textes juridiques fonctionnels. Or, la loi Cocopa ne devait pas être révisée sur le plan du contenu, mais elle devait seulement être réécrite dans un style plus «juridique». Quant au président Fox, il n'est pas certain qu'il ait bien compris les enjeux. En effet, il se félicita aussitôt du vote de cette loi et déclara avec enthousiasme que le conflit armé était «désormais terminé» et que «l'allégresse remplissait le cœur de chacun des Indiens du Mexique». Bref, ce fut un travail bâclé d'individus proprement incompétents!
En somme, les accords de San Andrés n’ont rien donné. Depuis 1996, la situation des peuples autochtones du Chiapas n’avait que fort peu changé et aucun problème ne semblait avoir été résolu. Durant ce temps, les autorités fédérales continuèrent de militariser les États du Chiapas, du Guerrero, d'Oaxaca, de Veracruz, de Guanajuato, de Puebla, du Jalisco, du Nayarit, de Tabasco et de Campeche.
Le gouvernement mexicain augmenta même sa présence militaire au Chiapas (qui passa de 40 000 à 60 000 soldats). L’armée mexicaine (en espagnol: "Ejército Mexicano") se livra à des incursions et à des interrogatoires dans les communautés autochtones du Chiapas et poursuivit sa répression dans l'Oaxaca. Beaucoup de Mexicains furent témoins de la part de groupes paramilitaires d’actes d'intimidation, d'emprisonnements, de tortures et d'assassinats dans les régions du Chiapas, du Guerrero, d'Oaxaca et du Querétaro. |
Pendant qu'au Chiapas la sale guerre vidait des régions entières et créait de plus en plus de déplacés et de réfugiés qui survécurent dans des conditions misérables de subsistance, le gouvernement accusa les autochtones de vouloir détruire le pays, tout en persistant à ne pas entendre leurs revendications.
4.1 Les revendications autochtones
Devant tant de mauvaise foi, par la voix de leurs représentants, les peuples autochtones réclamèrent notamment ce qui suit:
1) que les accords de San Andrés soient respectés et que la Constitution fédérale reconnaisse le droit des peuples autochtones à l'autodétermination;
2) que le gouvernement retire sa contre-proposition et appuie la proposition originale de la loi Cocopa;
3) que l'armée mexicaine quitte les régions autochtones et retourne à ses casernes;
4) qu’il soit mis fin au harcèlement, à la torture, à l'emprisonnement et à l'assassinat des dirigeants autochtones;
5) que les prozapatistes et les prisonniers politiques soient libérés;
6) que soient annulés tous les mégaprojets entrepris par le gouvernement et les sociétés multinationales et que soit respecté l'engagement signé à San Andrés de consulter pour tout projet les peuples et communautés autochtones;
7) que la convention n° 169 de l'OIT, signée et ratifiée par le gouvernement mexicain, soit enfin respectée.
C'étaient là des revendications qui traînaient depuis fort longtemps pour lesquelles les solutions satisfaisantes semblaient impossibles à trouver. Mais le président Felipe Calderón allait faire pire avec sa politique de militarisation.
4.2 La politique de militarisation
Au 1er décembre 2006, Felipe Calderón, du Partido Acción Nacional (PAN) ou Parti action nationale, devint président du Mexique. Préoccupé par la guerre contre le trafic de drogue au Mexique, Calderón avait adopté, alors comme ministre de Vicente Fox, une politique de militarisation des principales régions indigènes du pays qui se voulait la continuité d’une politique de criminalisation des mouvements sociaux, une politique qui, au nom de la «paix sociale», justifiait la violence et la répression de l’État. C'était aussi un catholique conservateur opposé à l'avortement, à l'euthanasie, au mariage homosexuel et à la peine de mort. Compte tenu de ses idées extrêmement conservatrices, le président Calderón n'était certainement pas encore prêt à franchir le pas décisif de l'autonomie et de l'égalité des droits indigènes. Les groupes mexicains les plus conservateurs, dont un bon nombre de politiciens, agitèrent encore davantage le spectre de la balkanisation et du séparatisme. Ils ne se rendaient pas compte qu'ils étaient rétrogrades et que l'injustice n'aurait qu'un temps. |
Contrairement à son prédécesseur, le président Calderón n'a pris aucun engagement explicite et clair au sujet du respect des droits de l'Homme et du droit des indigènes. Malgré les critiques, Calderón a toujours soutenu que l'un des plus grands engagements de son gouvernement fut de parvenir à des conditions d'équité et de développement qui permettaient aux Mexicains en situation de retard économique et de désavantage, en particulier la population indigène, d'avoir accès à des services scolaires, à la santé et à l'alimentation décente, au logement, à l'emploi et aux communications.
Toutefois, l'administration fédérale du président Felipe Calderó n'a pas empêché pas les violations des populations indigènes vulnérables, notamment en matière de protection juridique et de maintien des langues ancestrales, ni les violations contre les femmes, les jeunes, les mères célibataires, les personnes âgées, etc. Bref, que ce soit Carlos Salinas, Ernesto Zedillo, Vicente Fox ou Felipe Calderón, aucun président n'a épargné les armes et les ressources financières pour tenter d'anéantir ou d'acheter les populations indigènes.
Ensuite, en matière de langue, le président Enrique Peña Nieto (2012-2018) voulut créer des services bilingues afin de défendre les communautés indigènes lors des procès où ils seraient partie prenante. Il considéra inacceptable qu'il y ait des condamnations contre les indigènes parce que les avocats ou les juges ne parlaient pas les langues des justiciables. Mais il n'osa pas aller plus loin.
5 La politique indigéniste récente
La politique linguistique fédérale récente fut élaborée à partir de 1989 lorsque la question des droits des peuples indigènes prit une place accrue sur la scène internationale. Au sein de l'Organisation des Nations unies, des représentants des organisations indigènes du monde décidèrent d'élaborer la Déclaration universelle des droits indigènes. De son côté, le Mexique ratifiait, en septembre 1990, la convention n° 169 de l’OIT, c’est-à-dire la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail (un organisme de l’ONU). Le fait que ces changements législatifs n'ont pas donné lieu à beaucoup de répercussions dans la vie des autochtones ne signifie pas qu'il s'agit de changements mineurs. Il fallut attendre la présidence de López Obrador pour faire débloquer la question indigène.
5.1 La «Quatrième Transformation»
Andrés Manuel López Obrador (2018-2024) avait travaillé à l'Institut des peuples indigènes de l'État de Tabasco en 1977, où il s'était fait connaître pour ses programmes sociaux en faveur des communautés indigènes, avant de joindre l'Institut national des consommateurs, une agence gouvernementale, en 1984. Élu président du Mexique en 2018, Andrés Manuel López Obrador arriva au pouvoir avec son projet politique, connu sous le nom de «quatrième transformation» (4T) : "la Cuarta Transformación de la vida pública de México". Il paria sur un changement radical qui donnerait une continuité aux trois grandes transformations nationales : l’indépendance du début du XIXe siècle, la réforme libérale du milieu du siècle et la révolution du premier quart du XXe siècle. |
Sous son mandat, les droits des peuples indigènes furent enfin reconnus, par exemple l’initiative de réforme de l’article 2 de la Constitution qui garantit les droits des communautés et des peuples autochtones et afro-mexicains du pays. Ainsi, la Constitution et les lois reconnaissaient les autochtones comme des entités d’intérêt public; cela signifiait que les «indigènes» seraient traités comme des objets de protection, de tutelle et d’assistance contre les normes, les politiques et les actions du gouvernement et des tiers. Dès lors, les peuples indigènes et afro-mexicains purent nommer et élire leurs représentants dans des assemblées ayant pleine valeur juridique; ils purent effectuer des travaux et offrir des services publics pour le bien-être de leurs communautés, et recevoir et administrer directement les ressources publiques afin de défendre leurs droits collectifs devant les organismes judiciaires et autres autorités.
À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral reconnaît le Mexique comme une nation multiethnique et multiculturelle avec 70 peuples autochtones et le peuple afro-mexicain sur l’ensemble du territoire national. Il existe 68 langues autochtones avec 364 variantes; 7,3 millions de locuteurs de langues autochtones; 23 millions de personnes s’identifient comme autochtones et 2,5 millions de personnes se disent afro-mexicaines. Pour mettre en œuvre les droits des indigènes, l’État a maintenant les obligations suivantes :
- promouvoir le développement communautaire et régional;
- allouer un budget aux peuples et aux communautés autochtones qu'ils peuvent administrer et exercer directement;
- protéger le patrimoine culturel et la propriété intellectuelle collective, en plus de garantir une éducation autochtone, interculturelle et multilingue;
- fournir des services de santé adaptés à la culture et reconnaître la médecine traditionnelle;
- procéder à des consultations avant les actes administratifs et législatifs.
Comme c'est souvent le cas au Mexique, des obstacles de la part de puissants lobbys se dressent pour empêcher tout changement en faveur des autochtones.
5.2 L'arrivée d'une présidente
Le 2 juin 2024, Claudia Sheinbaum devenait la première femme élue présidente du Mexique, dont le mandat doit débuter le 1er octobre de la même année. Claudia Sheinbaum a promis de poursuivre la «quatrième transformation» (4T), c’est-à-dire des nouveaux programmes sociaux, un soutien aux femmes de 60 à 64 ans et des bourses universelles pour les enfants des écoles publiques préscolaires, primaires et secondaires. Claudia Sheinbaum s'est également engagée à respecter et à promouvoir des programmes de justice pour tous les peuples autochtones et de continuer à reconnaître leur identité, leur culture, leur autonomie et promouvoir leur bien-être. De plus, elle veut en arriver à réaliser un diagnostic de la situation linguistique de chaque communauté pour décider, à de celui-ci, des politiques d'aménagement linguistique caractéristiques de la perte des langues, puis renforcer l'enseignement des langues autochtones et promouvoir les taux d'usage dans les communautés ou leurs langues maternelles. Un vaste programme! |
Toutes ces transformations reflètent une transition majeure: le Mexique est en train de passer lentement d’un État unitaire à un État pluraliste. Mais on ne change pas près de 500 ans d’administration pointilleuse et «homogénéisante» en un tour de main.
C'est en 1989, dans la mouvance des revendications autochtones, que l’Instituto Nacional Indigenista (Institut national indigène) ou INI proposa une modification à la Constitution de 1917 afin que les droits culturels des peuples autochtones du Mexique soient officiellement reconnus. Cette modification fut entérinée en 1991 par la Chambre des députés.
6.1 La Constitution de 1991 (abrogée)
Voici les deux articles constitutionnels de 1991 à ce sujet (aujourd'hui abrogés):
Constitución de 1991
Artículo 4 (derogado) 1) La Nación mexicana tiene una composición pluricultural sustentada originalmente en sus pueblos indígenas. 2) La Ley protegerá y promoverá le desarrollo de sus lenguas, culturas, usos, costumbres, recursos y formas específicas de organización social, y garantizará a sus integrantes el efectivo acceso a la jurisdicción del Estado. 3) En los juicios y procedimientos agrarios en que aquellos sean parte, se tomarán en cuenta sus prácticas y costumbres jurídicas en los términos que establezca la ley. Artículo 27 (derogado) La ley protegerá la integridad de las tierras de los grupos indígenas. |
Constitution de 1991
Article 4 (abrogé) 1) La nation mexicaine se caractérise par une composition multiculturelle basée originellement sur ses peuples indigènes. 2) La loi protège et promeut le développement des langues, des cultures, des usages, des coutumes, des ressources et des formes spécifiques d'organisation sociale, et garantit à ses membres l'intégration effective à la juridiction de l'État. 3) Dans les jugements et les procédures agraires dans lesquels les peuples indigènes sont partie prenante, il sera pris en considération leurs pratiques et coutumes judiciaires, conformément aux dispositions fixées par la loi. Article 27 (abrogé) La loi protège l'intégrité des terres des groupes indigènes. |
On constatera que ces dispositions avaient une portée juridique générale et imprécise: elles demeuraient forcément limitées dans leur application, notamment en matière de droits linguistiques. Les dispositions constitutionnelles n'abordaient pas le problème des principes nécessaires à «l'intégrité des terres des groupes indigènes». N'oublions pas que la simple mention de l’existence des indigènes ne peut suffire à effacer du jour au lendemain 500 ans d'exploitation et de discrimination. Ces mesures constitutionnelles — adoptées dans la mouvance internationale des demandes autonomistes — semblaient une concession, faite sous la pression internationale, aux traditions et aux langues indigènes, sans offrir de mesures concrètes destinées à améliorer d’une quelconque manière les conditions de vie des populations concernées.
Étant donné que la reconnaissance constitutionnelle du caractère multiculturel de la composition ethnique du Mexique n'a en rien changé la marginalité quotidienne des autochtones, on comprend mieux pourquoi, quelques années plus tard, est apparue l’Armée zapatiste de libération nationale (Ejercito Zapatista de Libéracion Nacional), la EZLN (en français: l'AZLN). Rappelons que le mot zapatiste provient de Emiliano Zapata, un guérillero révolutionnaire qui vécut de 1879 à 1919. Encore aujourd'hui, tous les bulletins zapatistes officiels sont signés «Emiliano Zapata».Il ne faudrait surtout pas croire qu’on a accepté de reconnaître dans la Constitution mexicaine le caractère pluraliste de la Nation en raison d’une idéologie novatrice de la part des dirigeants mexicains habitués à temporiser. C’était simplement une question d’intérêt conjoncturel: la communauté internationale obligeait le gouvernement mexicain à faire au moins quelque chose de symbolique.
6.2 La Constitution de 2024 (en vigueur)
Cette version de la Constitution de 2024 reconnaît et garantit le droit des peuples indigènes à la libre détermination et, en conséquence, à l'autonomie pour décider de leurs formes internes de vie commune et de leur organisation sociale, économique, politique et culturelle, pour préserver et enrichir leurs langues, leurs savoirs et tous les éléments qui constituent leur culture et leur identité, et accéder pleinement à l'autorité de l’État:
Article 2 1) La nation mexicaine est unique et indivisible.
B. La Fédération, les entités fédérales et les municipalités, pour promouvoir l'égalité des chances pour les peuples autochtones et éliminer toute pratique discriminatoire, doivent créer des institutions et déterminer les politiques nécessaires pour garantir la validité des droits des peuples indigènes et le développement intégral de leurs villes et de leurs communautés, qui doivent être conçues et exploitées conjointement avec elles. |
Toutefois, la reconnaissance des droits des peuples indigènes demeure très inégale à l’échelon local.
6.3 La Convention relative aux peuples indigènes et tribaux
Le gouvernement du Mexique a signé en 1990 la Convention relative aux peuples indigènes de l’Organisation internationale du travail (OIT); le Parlement l’a ratifiée le 5 septembre (1990). Ce document d’une grande importante implique 14 États, dont en Amérique centrale le Guatemala, le Costa Rica, le Honduras et l’Équateur.
- Les droits reconnus
La Convention reconnaît aux peuples indigènes le droit de jouir pleinement des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination (art. 3). Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples. Les gouvernements des États signataires doivent mettre en place des moyens par lesquels les peuples autochtones pourront, à égalité avec le reste de citoyens de leur pays, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent (art. 6). L’article 7 reconnaît aux populations concernées le droit de contrôler leur développement économique, social et culturel propre. Les États doivent aussi tenir compte des coutumes et du droit coutumier de ces populations (art. 8). L’article 20 de la Convention oblige les gouvernements à «prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions d'emploi». Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés.
La partie VI de la Convention relative aux peuples indigènes est consacrée à l’éducation, donc indirectement à la langue. L’article 26 est très clair sur la possibilité des autochtones d’acquérir leur instruction à tous les niveaux:
Article 26
Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la communauté nationale. |
Le paragraphe 3 de l’article 27 de la Convention relative aux peuples indigènes reconnaît «le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation» et que des ressources appropriées leur soient fournies à cette fin. C’est l’article 28 qui semble le plus important en cette matière:
Article 28 1) Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif. 2) Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays. 3) Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples intéressés et en promouvoir le développement et la pratique. |
Les États appuieront l'élaboration de programmes scolaires correspondant à la réalité des peuples autochtones et mobiliseront les ressources techniques et financières nécessaires à leur bonne application. Quant à l’article 31, il précise que «mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces peuples». Dans ces perspectives, il est précisé que «des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des sociétés et cultures des peuples intéressés».
- Les suites à donner
Comme il se doit, les États signataires de la Convention reconnaîtront et établiront des mécanismes pour assurer l'exercice de tous les droits des peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne l'éducation, la langue et la culture. Cependant, au Mexique, la reconnaissance juridique du caractère multiculturel des communautés indigènes du Mexique grâce à la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux de l’OIT n'a pas davantage changé la marginalité généralisée des populations impliquées. C’est que la reconnaissance officielle de la pluralité culturelle ou du multiculturalisme n’entraîne pas nécessairement l’acquisition de nouveaux droits, linguistiques ou autres. On comprendra pourquoi les autonomistes considèrent que la Convention signée par le gouvernement mexicain n'a jamais été respectée.
De la même façon, si le gouvernement mexicain a accepté de signer la convention n° 169, c’était avant tout pour se plier à une situation conjoncturelle: la communauté internationale obligeait le gouvernement mexicain à reconnaître, au moins symboliquement, le caractère pluraliste de la nation et les droits des autochtones. Il ne s’agissait surtout pas d’une quelconque politique subitement novatrice de la part des dirigeants mexicains.
6.4 Les accords de San Andrés (1996)
Le 16 février 1996, rappelons qu'un accord fut signé dans la ville de San Andrés Larráinzar, au Chiapas, entre le gouvernement du Mexique et l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale). Appelés les «Accords de San Andrés ("Acuerdos de San Andrés Larráinzar"), ils aboutissaient après un long cycle de négociations au cours desquelles les deux parties ont débattu et ont conclu des accords sur les questions liées à la représentation indigène dans la Constitution.
Le gouvernement fédéral prit les engagements suivants, qui donnèrent lieu à des modifications constitutionnelles dans le domaine des droits indigènes : reconnaître les peuples indigènes dans la Constitution mexicaine; l’élargir la participation et la représentation politiques; garantir le plein accès à la justice; promouvoir les manifestations culturelles des peuples indigènes; assurer l’éducation et la formation aux indigènes; garantir la satisfaction de leurs besoins fondamentaux; protéger les immigrants indigènes, etc. Ainsi, au moment de la signature des accords de San Andrés, l’objectif central était de mettre fin à l’exclusion politique dirigée contre les peuples indigènes.
Peu de temps après la signature des accords, des divergences apparurent à nouveau parce que le gouvernement proposait des modifications qui changeaient essentiellement le programme initial. Cette mésentente conduisit à la rupture du dialogue. Les accords de San Andrés ont donc été reconnus pendant à peine sept mois et leur non-application est à l’origine de nouvelles étapes du conflit.
À la fin du mandat du président de Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), Ernesto Zedillo, le nouveau président du Mexique (1994-2000), ignora les accords signés par son prédécesseur. Puis son successeur, Vicente Fox Quesada (2000-2006), exprima une intention claire de les réactiver. L’initiative présentée fut modifiée par le Sénat et la réforme fut promulguée en 2001, mais elle fut refusée par les représentants des peuples autochtones parce que l’exercice de leurs droits était soumis au contrôle et à l’interprétation des entités fédérées, de sorte que les peuples étaient relégués au statut de «sujets d’intérêt public» (“sujetos de interés público”). En somme, la vision tutélaire et coloniale de l’État mexicain était maintenue.
Néanmoins, les politiques et les lois continuèrent de progresser dans le pays, notamment avec l’arrivée du gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador (2018-2024) et la promesse de «donner la priorité aux peuples indigènes». Au cours de son mandat, le président Obrador suscita de grandes attentes de changement, dont l’un des principaux enjeux fut de reprendre les questions en suspens de San Andrés afin de les concrétiser dans une ambitieuse réforme constitutionnelle.
6.5 La loi sur les droits des indigènes (2003)
Finalement, en décembre 2002, le Parlement fédéral du Mexique adoptait la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (Ley General de Derechos Lingüísticos de los Pueblos Indígenas). Cette loi importante compte 25 articles répartis en quatre chapitres:
- Chapitre I: Dispositions générales
- Chapitre II: Droits des locuteurs des langues indigènes
- Chapitre III: Distribution, accord et coordination des compétences
- Chapitre IV: L'Institut national des langues indigènes
On trouvera un résumé de la loi en cliquant ici s.v.p.
Il fallut attendre l'année 2024 pour avoir enfin la fameuse réforme constitutionnelle. La nouvelle version de la Constitution reconnaît et garantit dans son article 2 le droit des peuples indigènes à la libre détermination et, en conséquence, à l'autonomie pour décider de leurs formes internes de vie commune et de leur organisation sociale, économique, politique et culturelle, pour préserver et enrichir leurs langues, leurs savoirs et tous les éléments qui constituent leur culture et leur identité, et accéder pleinement à la juridiction de l’État. Il s'agit là d'une grande avancée, mais il faudra en assurer l'application au cours des prochaines années.
7 Les droits linguistiques généraux
Les dispositions du chapitre I («Dispositions générales») de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes sont d'ordre général. L'article 1er précise qu'il s'agit d'une loi d’ordre public et d’intérêt social, qui doit être respectée partout au Mexique; elle a pour objectif la reconnaissance et la protection des droits linguistiques, individuels et collectifs, des peuples et communautés indigènes, ainsi que la promotion, l'utilisation et le développement des langues indigènes.
7.1 La désignation des langues autochtones
L'article 2 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes définit les langues autochtones comme étant «celles qui viennent des peuples existant sur le territoire national avant l'établissement de l'État mexicain», lesquels peuples «se sont enracinés sur le territoire national» et qui ont été reconnus postérieurement «pour posséder un ensemble systématique et cohérent de formes orales fonctionnelles et symboliques de communication».
Article 2
Les langues indigènes sont celles qui proviennent des peuples existant sur le territoire national avant l'établissement de l'État mexicain, ainsi que celles provenant d'autres peuples amérindiens également préexistants qui se sont enracinés sur le territoire national et qui sont reconnus postérieurement pour posséder un ensemble systématique et cohérent de formes orales fonctionnelles et symboliques de communication. Article 3 Les langues indigènes font partie intégrante du patrimoine culturel et linguistique national. La pluralité des langues indigènes est l'une des principales expressions de la composition pluriculturelle de la nation mexicaine. |
7.2 Une partie intégrante du patrimoine
En vertu de l'article 3, les langues indigènes font «partie intégrante du patrimoine culturel et linguistique national», tandis que «la pluralité des langues indigènes est une des principales expressions de la composition multiculturelle de la nation mexicaine». L'article 4 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes définit le statut de ces langues de sorte que l'espagnol et les langues indigènes sont toutes des langues nationales:
Article 4
Les langues indigènes qui sont reconnues selon les dispositions de la présente loi, ainsi que l’espagnol, sont des langues nationales par leur origine historique, et elles ont la même valeur sur leur territoire, lieu et contexte dans lesquels elles sont parlées. |
Il incombe à l'État, par ses trois ordres de gouvernement — fédération, États fédérés et municipalités —, dans le cadre de leurs compétences respectives, de reconnaître, protéger et assurer la promotion, la préservation, le développement et l'utilisation des langues indigènes nationales (art. 5). L'État adoptera et prendra les mesures nécessaires pour assurer que les moyens de communication massive reflètent la réalité et la diversité linguistique et culturelle de la nation mexicaine (art. 6). Enfin, l'article 8 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes énonce le principe de la non-discrimination:
Article 8
Nul ne pourra être soumis à un type de discrimination en raison ou en vertu de la langue qu’il parle. |
Il reste à évaluer comment ces droits reconnus se transposent dans la réalité.
8 La représentation politique des autochtones
Il faudrait en fait parler de la sous-représentation des autochtones au Congrès de l'Union, ce qui peut être considéré comme un problème pour la qualité de la démocratie mexicaine. Afin de garantir la représentation des peuples autochtones au sein du pouvoir législatif, trois pays sud-américains sont cités en exemple pour avoir créé un cadre réglementaire à l'égard des représentants des peuples indigènes afin de garantir leur représentation dans leur parlement : la Bolivie, la Colombie et le Venezuela. De plus, on peut citer le cadre juridique de la Nouvelle-Zélande qui a approuvé une législation en la matière.
8.1 La procédure électorale
Récemment, le Mexique a entrepris des initiatives à la suite de la réforme politico-électorale de 2022. L'approbation d'actions positives concernant les quotas électoraux garantit un minimum de sièges aux autochtones à la Chambre des députés. La Loi générale sur les institutions et la procédure électorale (2014) modifiée en 2024, ne traite pas formellement de la représentation des autochtones au Congrès de l'Union, mais plutôt dans les municipalités où vivent des personnes appartenant à des communautés et aux peuples indigènes ou afro-mexicains; et ce sont les entités fédérées qui doivent reconnaître et réglementer ces droits dans les municipalités:
Article 26 3) Les peuples et les communautés indigènes et afro-mexicaines ont le droit d'élire, dans les municipalités où vivent des personnes appartenant à des peuples et à des communautés indigènes ou afro-mexicaines, selon le cas, des représentants devant les conseils municipaux. Les constitutions et lois des entités fédérées doivent reconnaître et réglementer ces droits dans les municipalités, ainsi que le droit d'élire leurs autorités, dans le but de renforcer la participation et la représentation politiques, conformément à leurs traditions et à leurs normes internes, en garantissant progressivement le principe de parité entre les sexes, dans le respect des dispositions de l'article 2 de la Constitution. (Numéro modifié: DOF 04-01-2024). 4) Les peuples et les communautés indigènes et afro-mexicaines des entités fédérées doivent élire, conformément à leurs principes, à leurs normes, à leur procédure et à leurs pratiques traditionnelles, les autorités ou les représentants pour l'exercice de leurs propres formes de gouvernement interne, en garantissant la participation des hommes et des femmes dans des conditions d'égalité et de parité, en maintenant les normes établies dans la Constitution, les constitutions locales et les lois applicables. |
Les peuples indigènes peuvent élire librement et démocratiquement leurs représentants, comme l’ont fait d’autres secteurs de la population, entre autres aspects de la reconnaissance des droits autochtones. Cependant, le projet de loi présenté par la Commission pour la concorde et la pacification du Congrès de l’Union, la Cocopa, ne reflétait pas pleinement les accords de San Andrés, signés à la fois par le gouvernement et les délégations zapatistes; les législateurs affirmèrent alors aux deux parties que ce qui avait été présenté était «le mieux qu’ils pouvaient faire».
En 2024, l'approbation d'une politique d'action positive en faveur de la population indigène du Mexique, représentée à la Chambre des députés du Congrès de l'Union, dans le domaine des quotas électoraux, profite à une population de 23,2 millions de personnes depuis trois ans et plus qui sont identifiés aux peuples autochtones. Des mesures de parité entre les sexes devaient être appliquées, car environ 50 % des peuples autochtones sont constitués d'hommes et les 50 % restants de femmes; les principaux États qui servent une représentation populaire seront Oaxaca, Chiapas, Yucatán et Guerrero, où sont installés plus de 50% de ce groupe de population.
8.2 La Chambre des députés
En premier lieu, il convient de noter la difficulté d’identifier objectivement le nombre précis de députés indigènes qui ont siégé au Congrès de l’Union au cours des 20 dernières années. À la Chambre des députés ("Cámara de Diputados"), il peut y avoir actuellement entre une douzaine et une quinzaine de députés autochtones. Or, compte tenu de la population autochtone, il faudrait environ 40 élus pour correspondre à une représentation adéquate. L'article 6 du Règlement de la Chambre des députés (2010-2024) autorise la traduction simultanée pour ceux qui appartiennent à une communauté indigène, lorsqu'ils participent à des forums et à d'autres espaces législatifs dans leur langue maternelle:
Article 6
1) Les droits des députés sont :
|
Il ne faut pas croire que cette traduction est disponible dans les 68 langues indigènes, il ne s'agit essentiellement que de trois langues : le nahuatl, le maya et le tzotsil.
Par ailleurs, il ne suffit pas d’augmenter le nombre de députés indigènes, mais il faut également encourager l’élection de représentants démocratiquement dotés de légitimité et de la capacité d’influencer efficacement l’ordre du jour législatif, dans la formulation et le contrôle des politiques publiques. Or, la plupart des députés indigènes élus proviennent généralement de régions multiethniques composées de plus d’un millier de communautés autochtones fortement fragmentées et dispersées, avec leurs propres traditions, leurs coutumes, leurs langues et leurs usages distincts. De ce fait, toute représentation politique des peuples autochtones doit tenir compte de cette complexité incontournable, sans quoi elle sera détachée de la dynamique communautaire qui donne son véritable contenu aux projets collectifs, aux valeurs, aux cultures et aux identités indigènes du Mexique.
De plus, il conviendrait de ne pas perdre de vue le fait qu’il s’agit d’élargir les droits politiques des autochtones, plutôt que de les restreindre. Le contexte historique semble actuellement favorable pour atteindre cet objectif. Après des siècles d’exclusion, de ségrégation et de domination, de nombreux mouvements indigènes ont réussi à légitimer leurs revendications aux yeux de l’opinion publique, de la société mexicaine et de la communauté internationale.
Les représentants autochtones sont aujourd'hui incorporés dans les institutions gouvernementales. Il reste maintenant à ces élites de répondre effectivement aux attentes de leurs électeurs, qu’elles travaillent et influencent la formulation, l’exécution et le contrôle des politiques publiques, conformément aux intérêts de leurs communautés. Cela suppose que le Mexique réussisse à adopter des politiques élaborées du point de vue des minorités indigènes, mais avec des stratégies qui peuvent nourrir et ajouter des initiatives chez les communautés hispanophones majoritaires.
8.3 Les langues autochtones et les municipalités
On compte 192 000 localités au Mexique, dont quelque 2500 «municipalités libres», dont 40 % ou plus de celles-ci abritent des populations autochtones. Au cours des dernières décennies, les autochtones ont exigé une défense et une protection fondées sur la diversité et la pluralité culturelle, mais en même temps, leurs droits impliquent que la spécificité historique de chaque peuple et de chaque communauté soit prise en compte, de sorte que cela permette à ces citoyens de participer et de prendre des décisions sur la direction qu'ils souhaitent suivre pour leur vie et leur communauté.
L'article 7 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2003) énonce que les langues indigènes auront la même valeur que l'espagnol pour toute communication à caractère public, ainsi que pour accéder pleinement à la gestion, aux services et à l’information publique:
Article 7
Les langues indigènes ont la même valeur, tout comme l'espagnol, pour toute affaire ou formalité à caractère public, ainsi que pour accéder pleinement à la gestion, à l'information et aux services publics. L'État doit veiller à ce que les droits énoncés dans le présent article, comme suit :
La Fédération et les entités fédérées doivent rendre disponibles et diffuser par des textes, moyens audiovisuels et informatiques, les lois, les règlements, ainsi que les éléments de programmes, ouvrages et services adressés aux communautés indigènes, dans la langue de leurs bénéficiaires concernés. |
Dans le District fédéral de Mexico (Distrito Federal de México) et dans les autres entités fédérées au sein des municipalités ou des communautés parlant des langues indigènes, les administrations locales doivent adopter des mesures pour que les instances puissent s'occuper et résoudre des affaires concernant les langues indigènes. Pour ce faire, les organismes doivent diffuser des textes ou des documents audiovisuels et informatiques tels que des lois, des règlements, ainsi que des contenus de programmes ou de services adressés aux communautés indigènes, le tout dans la langue des bénéficiaires.
Malgré l'existence de réglementations précises à ce sujet, la réalité montre que la population indigène reste dans une situation de discrimination structurelle. Selon les données enregistrées par l'Enquête nationale sur la discrimination au Mexique (ENADIS 2017), il est reconnu qu'un peu plus 49,3% de la population mexicaine estime que les droits des peuples indigènes ne sont pas respectés; 40,03% estiment que le motif de la discrimination est directement lié à l'appartenance ethnique; de plus, 20,9% croient que le principal problème est le manque d'emploi et 16,1% considèrent que c'est le manque de ressources économiques. De nombreux problèmes subsistent dans ce pays.
- Les dispositions constitutionnelles
L'article 2 de la Constitution garantit le droit des peuples indigènes à l'autonomie pour décider de leurs formes internes de vie commune et de leur organisation sociale, économique, politique et culturelle, ainsi que pour préserver et enrichir leurs langues, leurs savoirs et tous les éléments qui constituent leur culture et leur identité afin d'accéder à une pleine autonomie. Toutefois, la réforme de 2024 n'a jamais changé l'article 115 de la Constitution de 1982. Rappelons maintenant ce qu'inscrit le cadre constitutionnel auquel les réformes de 2024 doivent adhérer :
Artículo 115.
Los estados adoptarán, para su régimen interior, la forma de gobierno republicano, representativo, popular, teniendo como base de su división territorial y de su organización política y administrativa el municipio libre, conforme a las bases siguientes:
|
Article 115
Les États adopteront, pour leur régime intérieur, la forme de gouvernement républicain, représentatif, populaire, ayant la municipalité libre comme base de leur division territoriale et de leur organisation politique et administrative, conformément aux bases suivantes :
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Voilà pour les textes législatifs, mais quatre questions peuvent attirer l'attention :
1) Que le seul système d'organisation sociale, politique et culturelle que l'article 2 modifié en 2024 autorise pour les peuples indigènes est celui protégé par la «municipalité libre» (en espagnol: "el municipio libre");
2) Que la seule forme de gouvernement local que la Constitution reconnaît pour tous les peuples indigènes du pays est celle du conseil municipal;
3) Que les seules autorités qui sont reconnues par la Constitution sont le président, les conseillers municipaux et les administrateurs;
4) Que la seule façon d'élire l'autorité locale doit se faire par le concours des partis politiques, avec un vote libre et secret.
- La "municipio libre"
La «municipalité libre» ("el municipio libre") constitue la base de la division territoriale et de l’organisation politique et administrative des États fédérés, en reposant sur les principes suivants : chaque municipalité doit être administrée par un conseil municipal élu au suffrage direct, avec un président municipal, sans autorité intermédiaire entre la municipalité et le gouvernement de l’État. Cet article 115 de la Constitution décrit les compétences et les responsabilités des municipalités, en leur conférant notamment l’administration des services publics les plus élémentaires — sécurité publique, eau potable, drainage, éclairage, cimetières, marchés, parcs, petits travaux publics, services de nettoyage, utilisation des sols, développement urbain et/ou communautaire, transports publics, etc.—, l’action «législative» des municipalités à cet effet, la perception des impôts sur ces services et tout autre pouvoir qui lui est conféré par la Constitution de l’État et la loi organique de la municipalité. En 2013, le Mexique comptait 2458 municipalités libres réparties dans 32 entités fédérales, où vivent aujourd'hui 125 millions de citoyens. |
- Une modalité uniforme d'administration locale
Compte tenu de ces précisions, il convient de savoir si l'institution de la «municipalité libre», dans sa conception actuelle, permet la réalisation des droits des indigènes. Le problème, c'est que la description de la «municipalité libre» ignore la diversité des formes dans l'organisation sociopolitique indigène. Ce genre d'institution empêche l'exercice du droit à l'autonomie gouvernementale indigène, du fait que la Constitution impose une modalité uniforme de gouvernement ou d'administration locale, laquelle forme est identique au niveau national, ce qui inclut un modèle unique tant pour les populations hispanophones que pour les communautés indigènes, ou encore pour les populations mixtes. Or, la plupart des indigènes résident dans de petites localités ou de plus grandes où cohabitent hispanophones et autochtones. L'article 115 de la Constitution, qui date de 1982, le même que celui de 1917, se trouve à limiter la validité des droits reconnus dans le corset de l'institution de la municipalité libre, puisque le texte ne prend pas en compte la complexité de la diversité culturelle inhérente aux formes d'administration indigène.
Comme on peut le constater, avec l'existence des «municipalités libres» déjà présentes dans la Constitution de 1917, il semblait évident que les droits des indigènes étaient mort-nés, depuis la conception de l'État mexicain comme État-nation, car ce concept ne permettait pas alors, et pas davantage aujourd'hui, la diversité des administrations locales, ni la multiethnicité, ni le multilinguisme.
En délimitant les droits à l'autonomie et en les subordonnant au corset de la «municipalité libre», la situation demeure la même qu'auparavant, soit au début du XXe siècle. Les pratiques d'organisation sociale et d'administration des peuples indigènes sont encore étrangères à la Constitution, car celle-ci n'a pas été suffisamment modifiée pour tenir compte de cette réalité.
Ainsi, lorsque, sur la base de leurs propres pratiques socioculturelles, les indigènes veulent faire valoir certains de leurs droits reconnus dans l'article 2 de la Constitution, ils doivent agir en faisant fi de ladite Constitution, puisqu'elle n'a pas subi simultanément d'autres réformes (comme celle de l'article 115) qui devait transformer l'État-nation et faire place à la diversité ethnolinguistique.
- Le régime monocommnautaire
Dans les accords de San Andrés, il était écrit mot pour mot ce qui suit sous le titre de "Municipio con población mayoritariamente indígena":
Municipio con población mayoritariamente indígena En los municipios con población mayoritariamente indígena, se reconocerá el derecho de los pueblos y comunidades indígenas para elegir a sus autoridades tradicionales y municipales, de acuerdo a sus usos y costumbres, y otorgar validez jurídica a sus instituciones y prácticas. [...] En particular, se reconocerán las figuras del sistema de cargos, asamblea, consulta popular y cabildo abierto. Los agentes municipales serán electos y removidos por los pueblos y comunidades correspondientes, y no designados por el Presidente Municipal. [...] Deben respetarse los usos y costumbres que, en los pueblos y municipios mayoritariamente indígenas, definan tiempos específicos de duración de cargos. |
Municipalité à population majoritairement indigène Dans les municipalités à population majoritairement indigène, il est reconnu le droit des peuples et des communautés indigènes d'élire leurs autorités traditionnelles et municipales, conformément à leurs us et coutumes, et d'accorder une validité juridique à leurs institutions et à leurs pratiques. [...] Sont reconnues en particulier les formes du système des fonctions publiques, des assemblées, de la consultation populaire et des conseils municipaux ouverts. Les représentants municipaux sont élus et révoqués par les communautés et les peuples correspondants, et non nommés par le président municipal. [...] Les us et coutumes qui, dans les peuples et les municipalités à majorité indigène, définissent des périodes précises de service public doivent être respectés. |
Il devient ainsi difficile de concilier les articles 2 et 115 de la Constitution avec les accords de San Andrés. Dans la situation actuelle, il paraît nécessaire de «lever les verrous» que les législateurs ont laissés en place au moment de la réforme de l'article 2 de la Constitution sans toucher à l'article 115. Bref, il reste à modifier cet article afin que le régime monocommunautaire de la «municipalité libre» soit remplacé par un régime multicommunautaire qui autoriserait l'existence de différentes formes d'organisation municipale et, de fait, la reconnaissance des municipalités indigènes comme une forme particulière.
- La municipalité à population majoritairement indigène
Un autre obstacle réside dans la notion de «population majoritairement indigène». Or, les accords de San Andrés n'ont pas précisé quels seraient les critères permettant de définir les «municipalités à majorité autochtone», de sorte que le concept devient une question d'interprétation juridique. Si le critère démographique était utilisé, les municipalités qui pourraient en avoir 50 % ou plus d'indigènes deviendraient-elles des «municipalités indigènes», en oblitérant la population hispanophone ? Si tel était le cas, le nombre de municipalités présentant ces caractéristiques au niveau national serait très faible. En examinant l'Enquête nationale sur le développement institutionnel municipal de 2000 ("Encuesta Sobre Desarrollo Municipal 2000"), réalisée par l'Institut national de développement social (INDESOL), les données de cette enquête ont identifié que, parmi les 2437 municipalités auxquelles il est fait référence, soit celles qui comptent plus de 50 % de locuteurs d'une langue indigène, leur nombre est réduit à 465 (19,08% du total des municipalités du pays) et concentré dans huit États :
État | Nombre des municipalités libres à majorité indigène |
Total des municipalités |
État | Nombre des municipalités libres à majorité indigène |
Total des municipalités | |
Oaxaca | 231 | 570 | Veracruz | 35 | 212 | |
Yucatán | 68 | 106 | Guerrero | 18 | 81 | |
Puebla | 44 | 217 | Hidalgo | 12 | 84 | |
Chiapas | 36 | 118 | San Luis Potosí | 11 | 58 |
L'enquête mentionne un nombre de 10 autres municipalités à majorité indigène, sans en préciser leur localisation.
- La complexité d'une «municipalité libre»
Selon le Recensement général de la population et du logement de l'an 2000, il existerait des locuteurs d'une langue indigène dans presque toutes les municipalités du Mexique, mais en 2000 seulement 29 d'entre elles s'étaient inscrites comme n'ayant pas de citoyens parlant une langue indigène. D'après ces données, si la population d'une langue indigène est répartie dans tout le pays, soit dans 2408 municipalités, et que toutes ont un certain pourcentage de population d'une langue indigène, lesquelles d'entre elles seraient des «municipalités indigènes»? Par ailleurs, il n'existe pas une seule municipalité où 100% de la population parle une langue indigène.
Bref, tenir compte des municipalités indigènes à partir de la proportion des autochtones semble problématique. Exiger 50% plus correspond à une exigence très élevée pour reconnaître une «minorité», sinon plus rien en dessous de 50%? En recourant à des critères différents, d'autres auteurs mexicains estiment que le nombre de municipalités indigènes atteint un tiers du total des municipalités du pays, ce qui correspondrait à 812 municipalités. Dans les années 1990, l'Institut national indigène (INI) a élaboré une typologie basée sur les informations du recensement de la population de 1990; il y établissait que les localités indigènes étaient celles dont la population comptait au moins 30% de locuteurs d'une langue indigène, en les considérant comme des «municipalités indigènes», alors que la majorité de la population était hispanophone.
Ce n'est pas le seul problème. Prenons l'exemple de la municipalité de Chilón, une ville et une municipalité de l'État du Chiapas; elle s'étend sur une superficie de 2490 km². En 2010, la municipalité comptait une population totale de 111 554 habitants, mais elle comptait, outre la ville de Chilón plus de 700 localités, dont les plus grandes étaient les suivantes : Bachajón (5063), classée comme urbaine, et Guaquitepec (2868), Tzajalá (2529), San Jerónimo Tulijá (1859), Alán-Sac'jún (1632), San Antonio Bulujib (1206), Tacuba Nueva (1189), El Mango (1141), Chiquinival (1101) et Santiago Pojcol (1001), toutes classées comme rurales.
La ville de Mérida au Yucatan comptait en 2020 plus de 995 000 habitants, répartis en onze municipalités qui sont toutes divisées en différentes localités. Autrement dit, il n'est pas simple de circonscrire le nombre des locuteurs d'une langue indigène dans les agglomérations mexicaines. En 2020, les cinq principales langues parlées au Mexique, en raison de la proportion de la population qui les parle, sont le nahuatl (1 725 620 locuteurs), le maya (859 607 locuteurs), le tzeltal (556 720 locuteurs), le tzotsil (487 898 locuteurs) et le zapotèque (479 474 locuteurs).
Chalchihuitan est une ville de l'État du Chiapas dont la population était en 2020 de 21 915 habitants. Plus de 99% des habitants de cette ville s'identifiaient comme indigènes, alors que 19 500 d'entre eux parlent l'une des 10 langues indigènes, dont le tzotsil, langue parlée par 19 483 locuteurs, soit 99%. Les États d'Oaxaca, du Yucatán et du Chiapas sont ceux qui comptent la plus grande population parlant des langues indigènes, représentant à eux trois 42,6% du total des locuteurs.
Néanmoins, tous les locuteurs d'une langue indigène sont répartis dans presque tout le pays à travers de nombreuses villes et localités. Dans l'état actuel, faire appliquer les droits des autochtones relève de défis stratégiques fort nombreux.
9 Les droits administratifs dans la législation
L'administration dont il est question dans ces lignes concerne l'administration fédérale et non les États fédérés. L'une des lois plus importantes est la Loi fédérale pour prévenir et éliminer la discrimination (2003-2024). Les articles qui suivent interdisent la discrimination à l'égard des autochtones:
Article 9 Sur la base des dispositions du premier article constitutionnel et de l'article 1, deuxième paragraphe, section III de la présente loi, est considéré, entre autres, comme une discrimination :
Article 15.4
|
9.1 Les services publics
L'article 33 de la Loi fédérale sur les responsabilités des employés des services publics (1982-2024) ne précise pas que les communications officielles doivent être transmises dans une langue indigène, mais indique que les citoyens indigènes peuvent, au choix, remettre leurs documents dans leur langue ou en espagnol:
Article 33
4) Toutes les communications officielles qui doivent être rendues pour la pratique des poursuites auxquelles réfère le présent article doivent être parvenues personnellement ou être envoyées par courrier, en pièce recommandée et avec accusé de réception, libres de tous les frais. Les communications provenant d'un citoyen, d'un peuple ou d'une communauté indigène peuvent être remises, selon leur choix, en espagnol ou être traduites dans une langue indigène qui dispose d'une écriture. |
L'article 12 de la Loi générale sur la communication sociale (2018-2024) énonce que des «efforts» — ce qui est différent d'une «obligation» — doivent être déployés pour garantir que les campagnes de communication sociale soient diffusées dans les langues locales:
Article 12 1) Tous les efforts seront déployés pour garantir que les campagnes de communication sociale soient transmises dans des versions et des formats accessibles aux personnes ayant des capacités différentes. 2) Les campagnes de communication sociale doivent envisager l'usage de la langue des signes mexicaine au moyen d'interprète, de sous-titrage, ainsi que des textes ou des technologies permettant l'accès au contenu de communication sociale à la télévision pour les personnes malentendantes. 3) Dans les villes et communautés indigènes et afro-mexicaines, des efforts doivent être déployés pour garantir que les campagnes de communication sociale soient diffusées dans la ou les langues correspondantes. |
La Loi organique sur l'administration publique fédérale (1976-2024) ne concerne que le ministère de la Culture qui est chargé de promouvoir, de diffuser et de conserver les langues indigènes:
Article 41.2 Le ministère de la Culture est chargé de l'envoi des affaires suivantes :
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La notion de «promotion» demeure un concept à géométrie variable dans la mesure où il n'existe aucune précision à cet effet.
9.2 L'obligation de recourir aux langues autochtones
La Loi fédérale sur la consultation populaire (2014-2021) est l'une des rares lois à exiger une traduction dans les langues indigènes:
Article 26
Article 28 Lorsque la demande émane de citoyens, la procédure suivante sera respectée :
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Il en est ainsi dans la Loi générale sur la santé (1984-2024), car les usagers ont le droit d'obtenir les informations nécessaires dans leur langue:
Article 51.2 1) Les usagers ont le droit de recevoir des informations suffisantes, claires, opportunes et véridiques, ainsi que des conseils nécessaires concernant leur santé et les risques et alternatives des procédures, des diagnostics thérapeutiques et chirurgicaux indiqués ou appliqués. 2) Lorsqu'il s'agira de fournir des soins aux usagers originaires des communautés et peuples indigènes et afro-mexicains, ceux-ci ont le droit d'obtenir les informations nécessaires dans leur langue. Article 67 4) En matière de planification familiale, les actions d'information et d'orientation éducative dans les communautés indigènes doivent être menées en espagnol et dans la ou les langues indigènes en usage dans la région ou la communauté en question. |
Deux des objectifs principaux du ministère de la Culture du gouvernement du Mexique sont, d'une part, qu'aucune des langues indigènes ne soit laissée de côté, d'autre part, que la population mexicaine hispanophone soit consciente de ce problème, et puisse connaître et valoriser la diversité linguistique et culturelle du pays.
Mais ce n'est pas si simple, car le nombre des locuteurs varie d'une langue à l'autre, sans oublier leur répartition et leur localisation. Certaines langues sont plus avantagées par le nombre de leurs locuteurs à l'échelle du pays: le maya, le nahuatl, le tzeltal, le purépecha, le totonaque, le tzotsil, le mayo, etc. Cependant, dans les localités, ce peut être autre chose; ainsi le tzotsil est parlé par 185 000 locuteurs au Mexique, mais peut-être par seulement deux locuteurs dans une localité donnée.
Compte tenu des nombreuses langues indigènes dans le pays, il n'est pas possible d'exiger que le personnel judiciaire maîtrise toutes ces langues. Ou bien on s'en tient à deux ou trois langues, ou bien, de façon plus générale, on a recours à des interprètes. Cependant, il faut être indigène pour avoir le droit d’être assisté par des interprètes et des défenseurs connaissant leur langue et leur culture. Dans ce cas, les tribunaux doivent fournir gratuitement des interprètes.
10.1 Le recours à l'interprétariat
Ce qui est un peu surprenant dans Code fédéral de procédure pénale (1934-2009), c'est d'exiger qu'un avocat, comme le traducteur, doive avoir une pleine connaissance de la langue et la culture indigènes:
Article 124.2
3) Lorsqu'il s'agit de personnes appartenant aux peuples ou aux communautés indigènes, l'avocat et l'interprète désigné devront avoir une pleine connaissance de la langue et la culture indigènes. Article 128 Lorsque l'accusé est arrêté ou qu'il se présente volontairement devant le Ministère fédéral public, il sera procédé immédiatement de la manière suivante :
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Le Code fédéral de procédure civile (1943-2021) est plus explicite pour les indigènes. Ceux-ci doivent être assistés d'un interprète afin qu'ils puissent s'exprimer dans leur langue; c'est le tribunal qui assurera la traduction à partir de son budget:
Article 107
2) Lorsque la personne accusée est indigène et ne parle pas espagnol, ou si elle parle espagnol et ne sait pas lire, un interprète connaissant sa langue et sa culture doit l'assister, sa déclaration étant enregistrée en espagnol et dans sa propre langue. Article 180 2) Si le témoin est indigène et ne parle pas espagnol, ou s'il parle espagnol et ne sait pas lire, il doit être assisté par un interprète connaissant sa langue et sa culture, afin qu'il puisse témoigner, que ce soit dans sa propre langue ou en espagnol, mais dans tous les cas les deux langues doivent être employées. Article 271 1) La procédure judiciaire et la défense doivent être rédigées en espagnol. Tout ce qui sera présenté écrit dans une langue étrangère sera accompagné de la traduction correspondante en espagnol. 2) Dans la procédure employée lors des procès dans lesquels l'une ou les deux parties sont indigènes, qui ne savent pas lire l'espagnol, le tribunal doit les traduire dans leur langue, leur dialecte ou leur idiome, aux frais de son budget, par l'intermédiaire de la personne autorisée à le faire. 3) Les défenses que les peuples ou communautés indigènes ou individus indigènes, installés sur le territoire national, font dans leur langue, leur dialecte ou leur idiome, n'auront pas besoin d'être accompagnées d'une traduction en espagnol. Le tribunal le fera d'office à partir de son budget, par l'intermédiaire de la personne autorisée à le faire. |
La procédure est similaire dans la Loi agraire (1992-2024):
Article 164 Dans la résolution des différends qui sont portés à leur connaissance, les tribunaux sont toujours soumis à la procédure prévue par la présente loi et il sera indiqué par écrit de respecter ce qui suit:
|
L'article 10 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2003) garantit le droit aux peuples et aux communautés indigènes d’avoir accès aux activités judiciaires de l'État dans la langue indigène nationale qu’ils connaissent.
Article 10
1) L'État garantit le droit aux peuples et aux communautés indigènes d’avoir accès aux activités judiciaires de l'État dans la langue indigène nationale qu’ils connaissent. Pour garantir ce droit, dans tous les jugements et toutes les procédures dans lesquels ils sont partie prenante, individuellement ou collectivement, les coutumes et spécificités culturelles de ces communautés doivent être prises en considération en respectant les prescriptions de la Constitution politique des États-Unis du Mexique. 2) Les autorités fédérales responsables de la gestion et de l'administration de la justice, y compris les activités agricoles et celles du travail, doivent faire le nécessaire pour que dans les décisions judiciaires les indigènes soient assistés gratuitement, en tout temps, par des interprètes et des défenseurs qui ont des connaissances dans la langue et la culture indigènes. 3) Selon les dispositions de l’article 5, dans les États et les municipalités où vivent des communautés parlant des langues indigènes, les mesures visées au paragraphe précédent doivent être adoptées et mises en œuvre dans les instances qui sont requises. |
Dans la Loi générale sur les responsabilités administratives (2016-2022), l'article 155 reprend les mêmes dispositions concernant le recours à un traducteur:
Article 155
Lorsque le témoin ne connaît pas la langue espagnole ou ne sait pas la lire, l’autorité compétente désigne un traducteur et, dans ce cas, doit enregistrer la déposition de l’accusé en espagnol, ainsi que dans la langue ou le dialecte de l’accusé, pour lequel il doit être assisté par le traducteur désigné par ladite autorité. Dans le cas des personnes ayant un handicap visuel, auditif ou langagier, l’intervention de l’expert ou des experts doit être demandée pour leur permettre d’être traitées avec dignité et de manière appropriée dans la procédure de responsabilité administrative dans laquelle elles interviennent. |
10.2 Des mesures pragmatiques
Il faut comprendre que ces dispositions correspondent à des mesures qui ne se transposent pas vraiment en droits linguistiques, car le juge, les avocats ou les témoins ne sont pas tenus de connaître une autre langue que l’espagnol. Autrement dit, le justiciable indigène ne peut exiger d’être compris sans interprète dans sa langue maternelle. Quoi qu’il en soit, le juge devra rendre sa sentence en espagnol, mais l’interprète est tenu de traduire celle-ci dans la langue de l’accusé ou des témoins. La loi n’accorde pas davantage le droit aux avocats de faire usage d’une langue indigène auprès du tribunal, même s'il la connaît, car il ne sera pas compris. Dans les services judiciaires, il n'est pas permis au personnel de s'exprimer dans une autre langue qu'en espagnol.
- Les accords non tenus de San Andrés
Lors des accords de San Andrés de 1996, le gouvernement fédéral s'engageait à garantir le plein accès à la justice aux indigènes:
Acuerdo de San Andrés5. Acerca de las garantías de acceso pleno a la justicia, la delegación del EZLN considera que no puede pasarse por alto la necesidad del nombramiento de intérpretes en todos los juicios y procesos que se sigan a los indígenas, asegurando que dichos intérpretes cuenten con la aceptación expresa del procesado y conozcan tanto el idioma como la cultura y el sistema jurídico indígenas. . |
Accord de San Andrés
5. Concernant les garanties du plein accès à la justice, la délégation de l'AZLN considère que l'on ne peut ignorer la nécessité de désigner des interprètes dans tous les procès et procédures impliquant des peuples indigènes, en garantissant que ces interprètes aient l'acceptation expresse de l'accusé et connaissent la langue indigène, la culture et le système juridique. |
L'État devait garantir le plein droit des peuples à la juridiction de l'État mexicain, tout en reconnaissant et en respectant leurs spécificités culturelles. Étant donné que cet accord n'a pas été mis en pratique, il ne fait pas partie des politiques actuelles, mais il témoigne de la nécessité pour le gouvernement fédéral de modifier en profondeur son système judiciaire de telle sorte qu'il soit plus conforme aux traditions indigènes, notamment en ce qui a trait aux procédures de désignation de leurs autorités légitimes et de leurs systèmes régulateurs des conflits internes. En d'autres mots, il est demandé que, dans les jugements et procès mettant en cause les indigènes, leurs us et coutumes dans la résolution des conflits soient pris en considération. Mais on n'en est pas encore là.
- Les obstacles à l'accès à la justice
D'ailleurs, selon la Commission nationale des droits de l'homme, les obstacles à l'accès à la justice constituent l'une des principales difficultés à laquelle les peuples indigènes sont confrontés au Mexique. Cela signifie que, par habitude, un justiciable autochtone impliqué dans une procédure judiciaire a une forte probabilité d'être considéré comme coupable et risque de recevoir une peine de prison. Annuellement, on compterait, selon la Commission nationale des droits de l'homme, plus de 8000 autochtones dans les prisons mexicaines. Parmi eux, la majorité — plus de 5700 — n'a pas été assistée par un défenseur ni par un interprète ou un traducteur qui accompagne le justiciable et, dans de nombreux cas, celui-ci ignore même la raison pour laquelle il est détenu, ce qui est contraire à l'esprit de l'article 2 de la Constitution.
Il faut aussi comprendre que le Mexique compte 11 familles linguistiques, 68 groupes linguistiques et 364 variétés linguistiques. Pour simplifier les données, on peut dire que les langues numériquement les plus importantes concernent les groupes algique, maya, cochimi-yumana, yuto-nahuatl, tarasca, mixézoque, seri, chontal d'Oaxaca, otomangue, huavé et totonaque-tepehua. Finalement, les langues numériquement importantes sont les suivantes: le nahuatl (1 544 968 locuteurs), le maya (786 113), le tzeltal (445 856), le tzotsil (404 704), l'otomi (284 992), le totonaque (244 033) et le mazatèque (223 073). Devant une telle profusion de variétés linguistiques, peut-on aisément trouver des interprètes dûment formés et associés au système judiciaire? La réponse est non! Mais il est encore possible de trouver des solutions dans les types de traduction.
10.3 Les types d'interprétariat
Le système judiciaire fonctionne avec les autochtones par l'interprétariat, sauf qu'il existe plusieurs façons pour traduire les propos des justiciables. Ces modalités informelles doivent être établies avec le demandeur avant que la traduction n'ait lieu; le choix d'un type de traduction dépend notamment de la langue du locuteur, du sujet traité et de la complexité de la cause en cours.
- La traduction simultanée
L'un des types d'interprétation les plus courants dans les langues étrangères telles que l'anglais, le français, le portugais, etc., est ce qu'on appelle la «traduction simultanée». Dans cette forme de traduction ("interpretación simultánea"), l'interprète restitue immédiatement le message dans la langue cible tout en l'écoutant dans la langue source. Au Mexique, cette modalité est surtout employée pour les langues étrangères.
- La traduction consécutive
En traduction consécutive, l'interprète commence à parler une fois que le locuteur de la langue source a terminé son exposé, qui est divisé en plusieurs parties. L'interprète se tient à proximité de l'orateur pour l'écouter et prendre des notes s'il est nécessaire. Lorsque le justiciable a fini de parler, l'interprète transmet le message complet dans la langue cible.
L'interprétation consécutive complète et non fragmentée "interpretación consecutiva completa (no fragmentada)", permet à l'interprète de comprendre le sens complet du message produit dans la langue source avant de l'interpréter dans la langue cible, obtenant ainsi une interprétation plus précise et plus accessible que lorsqu'une interprétation simultanée est effectuée. C'est le type de traduction le plus utilisé dans les tribunaux du Mexique.
- La traduction chuchotée
Dans l'interprétation chuchotée ("a interpretación susurrada"), l'interprète s'assoit ou se tient à côté d'un petit public dans la langue cible tout en chuchotant une traduction simultanée du sujet abordé. Aucun équipement spécial n'est nécessaire pour recourir à cette pratique. La traduction chuchotée est utilisée dans les situations où la majorité d’un groupe de personnes parle la langue source.
- La traduction libre
Cette pratique consiste à une interprétation dans laquelle celle-ci adhère à des techniques établies, mais pas nécessairement à un mode d'interprétation, de sorte que l'interprète peut interpréter consécutivement, puis simultanément, à la première ou à la troisième personne. C'est là évidemment une pratique courante de la part des interprètes.
- La traduction littérale ou déclarative
L'interprétation littérale ou déclarative (" interpretación literal o declarativa") est une approche qui n'attribue aux dispositions normatives rien d'autre que leurs «propres» significations. Mais cette pratique n'est généralement pas acceptée par un juge, car elle repose sur l’idée trompeuse que les mots indigènes sont dotés, justement, de leur propre signification intrinsèque, indépendamment des usages de la cour.
Rappelons que le système d'éducation au Mexique comprend différents niveaux. Les enfants fréquentent d'abord l'école primaire pendant six ans (la "Primaria"), puis trois ans au collège (la "Secundaria") et enfin trois ans au lycée (la "Preparatoria"), mais chez les Mexicains celle-ci peut être aussi appelée “Prepa”, “Bachillerato” ou “Bachi”. Le système d'éducation des écoles publiques se divise en trois catégories : l’éducation élémentaire obligatoire, qui comporte l’éducation maternelle, primaire et secondaire, puis l’éducation moyenne supérieure appelée "Preparatoria", et finalement l’éducation supérieure. Il existe aussi une éducation préscolaire ("educación preescolar") pour les enfants de la maternelle.
En ce qui concerne le domaine de l'enseignement, ce sont principalement la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2003), la Loi générale sur l'éducation (2019) et la Loi générale sur l'enseignement supérieur (2021) qui réglementent l'enseignement des langues au Mexique, bien que cette dernière concerne surtout les langues indigènes. Parmi les problèmes socio-économiques auxquels est confrontée la population indigène, il faut souligner leur retard éducatif, notamment le taux d'analphabétisme qui, en 2020, était de 23%; à titre de comparaison, le taux d'analphabétisme de la population non autochtone était de 3,6 % (INEGI, 2022).
11.1 Le droit de recevoir leur instruction dans leur langue
Nous savons que l’État fédéral mexicain a pris des dispositions pour que l’éducation soit étendue à tout indigène ayant la nationalité mexicaine. C’est surtout la Loi générale sur l'éducation (2019) qui réglemente les droits linguistiques en matière d’enseignement. Dans cette loi, les autorités sont tenues de promouvoir l'éducation de la pluralité ethnique, culturelle et linguistique de la nation (art. 15) et de tenir compte des programmes concernant l'apprentissage des langues indigènes, l'importance de la pluralité linguistique de la nation et le respect des droits linguistiques des peuples indigènes (art. 30):
Article 15 L'enseignement offert par l'État, ses organismes déconcentrés et les particuliers titulaires d'une autorisation ou d'une reconnaissance de validité officielle des études, poursuit les finalités suivantes :
Article 30 Le contenu des programmes d’enseignement offerts par l’État, ses organismes décentralisés et les personnes autorisées ou reconnues comme étant de validité officielle des études, selon le type et le niveau d’enseignement, doit être, entre autres, le suivant : V. La connaissance et, le cas échéant, l'apprentissage des langues indigènes de notre pays, l'importance de la pluralité linguistique de la nation et le respect des droits linguistiques des peuples indigènes ; |
La Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2003) garantit à la population indigène l’accès à l'éducation obligatoire, bilingue et interculturelle :
Article 11
Les autorités éducatives fédérales et les entités fédérées doivent garantir à la population indigène l’accès à l'éducation obligatoire, bilingue et interculturelle, et adopter des mesures nécessaires pour que dans le système d'éducation le respect à la dignité et à l'identité des personnes soit assuré, indépendamment de la langue. De même, dans les niveaux d'éducation moyens et supérieurs, l'interculturalité sera privilégiée, de même que le multilinguisme et le respect de la diversité et des droits linguistiques. |
Mais c'est l'article 56 de la Loi générale sur l'éducation (2019), qui est le plus explicite:
Article 56
1) L’État garantit le droit des peuples et des communautés indigènes et afro-mexicains, des migrants et des travailleurs agricoles journaliers à recevoir une éducation inclusive, humaniste et équitable avec des chances égales, avec la garantie de la pertinence et de la non-discrimination. 2) Il veille à ce que l’éducation indigène contribue à la production de connaissances, à l’apprentissage, à la reconnaissance, à la valorisation, à la préservation et au développement de la tradition orale et écrite indigène, ainsi que les langues indigènes nationales en tant que moyen de communication, d’enseignement, d’objet et de source de connaissances. 3) Pour se conformer aux dispositions prévues au paragraphe précédent, l'État entreprendra, sans s'y limiter, les actions suivantes :
Article 57 1) L'État garantit et favorise l'usage des langues indigènes dans le système d'éducation indigène, interculturel et plurilingue. La suppression de cette garantie ne peut jamais être justifiée en raison du faible nombre de locuteurs. Pour atteindre les objectifs précédents, les conditions suivantes doivent être remplies :
2) Pour les langues indigènes qui n’ont aucune forme de présence, des mesures positives doivent être prises pour les inclure dans les programmes scolaires. Les langues indigènes qui sont déjà présentes dans le système d'éducation actuel doivent être renforcées et leur usage consolidé. 3) L'éducation indigène, interculturelle et plurilingue doit être considérée comme une priorité dans le Plan national de développement dans le cadre des obligations établies par l'article 20 bis de la Loi sur l'urbanisme. |
Que faut-il retenir de cet article 57? Il signifie que les enfants indigènes peuvent obtenir des heures d'enseignement dans leur langue à la maternelle et au primaire, mais la langue d'enseignement demeure l'espagnol. D'ailleurs, seuls les autochtones doivent apprendre l’espagnol comme langue seconde.
11.2 L'éducation bilingue interculturelle
C'est pourquoi le gouvernement mexicain a développé un système d'éducation bilingue à l'intention des indigènes: "educación bilingüe intercultural". Ce système permet d'alphabétiser les «indigènes» dans leur langue pour assurer ensuite un meilleur apprentissage de l'espagnol. La loi précise que les autorités scolaires doivent prendre des mesures tendant à fixer des conditions permettant l'exercice de plein droit à l'éducation de chaque individu, une plus grande équité scolaire, ainsi que la réalisation de l'égalité effective et permanente à l’accès dans les services pédagogiques. En vertu de la loi, le Secrétariat fédéral à l’éducation (ministère de l’Éducation) détermine les plans et les programmes d'études applicables et obligatoires dans toute la République, de l'éducation primaire jusqu’au secondaire, incluant l'éducation dans les écoles normales pour la formation d'enseignants. Ce sont les autorités scolaires locales qui proposent, le cas échéant, avec l’autorisation du Secrétariat fédéral à l’éducation des contenus régionaux qui tiennent compte d’une meilleure connaissance de l'histoire, de la géographie, des coutumes, des traditions et des autres aspects propres à certaines communautés locales. |
- Une obligation pour les autochtones
En somme, le bilinguisme et l'éducation «interculturelle» restent toujours une obligation pour les seuls indigènes, tandis que les hispanophones unilingues ne se sentent aucune obligation à l’égard des quelque 60 autres «langues nationales» du Mexique. Il faut souligner que, même si la langue maternelle des indigènes est maintenant reconnue comme un droit, elle demeure dans les faits un «handicap» pour un indigène unilingue, ce qui est le cas pour 1,2% des indigènes à l'échelle du pays, mais pour 9,6% au Chiapas, 7,8% dans l'État d'Oaxaca et 4,7% dans l'État du Guerrero.
D'ailleurs, c'est dans la langue espagnole avec des lois rédigées en espagnol que les droits linguistiques des populations concernées sont négociés. On pourrait penser, idéalement, que toutes les écoles du pays soient bilingues et interculturelles, et que la population d'une région donnée puisse voir sa langue faire concurrence à l'espagnol, ce qui aurait comme résultat de transformer un pays unilingue espagnol en un pays polyglotte, où les langues indigènes seraient développées, parce qu'elles envahiraient les fonctions publiques liées au langage.
- Quand c'est possible
Il faut ajouter aussi que certains indigènes ne reçoivent pas l'éducation bilingue à laquelle ils ont droit, faute d'enseignants bilingues ou de manuels appropriés. L’Institut national pour l’évaluation de l’éducation (INEE) soulignait en 2020 que dans les écoles préscolaires le service le plus répandu est indigène pour 59,9% des inscriptions); il était de 52,1% à l’école primaire, mais il n'y a pas de service spécifique pour les adolescents indigènes dans l’enseignement secondaire; ils doivent fréquenter des écoles espagnoles. D'ailleurs, seulement un quart des locuteurs indigènes âgés de 10 à 24 ans termine ses études secondaires. Les États ayant les taux d'échec scolaire les plus élevés dans les écoles primaires et secondaires sont le Guerrero, le Michoacán et l'Oaxaca, trois des entités du pays ayant la grande population autochtone.
11.3 L'enseignement supérieur
En principe, les indigènes ont droit de recevoir une éducation supérieure. L'article 37 de la Loi générale sur l'enseignement supérieur (2021) énonce que les autorités scolaires et les établissements d'enseignement supérieur doivent promouvoir l'enseignement des langues indigènes et des langues étrangères:
Article 37 Les autorités scolaires et les établissements d'enseignement supérieur, dans l'exercice de leurs compétences, doivent promouvoir de manière coordonnée les actions suivantes :
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En août 2024, l'Observatoire du droit à l’éducation et à la justice ("Observatorio del Derecho a la Educación y la Justicia") révélait que le nombre des jeunes indigènes rejetés par l’Université nationale autonome du Mexique ("Universidad Nacional Autónoma de México" ou UNAM) permet de jeter un regard trouble sur le non-respect du droit à l’éducation à ce niveau scolaire et l’utopie de la démocratisation de l’enseignement supérieur. Selon ce qui a été rapporté par l’UNAM, seuls 14 151 étudiants ont été acceptés à l'université, ce qui équivaut à moins de 10% de ceux qui ont postulé, donc 129 276 ont été rejetées, soit plus de 90 %.
Par ailleurs, l'Université indigène autonome du Mexique ("Universidad Autónoma Indígena de México" ou UAIM) est un établissement public d'enseignement supérieur de l'État du Sinaloa, décentralisé du gouvernement de l'État. Il s'agit de la première institution du pays dédiée au service de la jeunesse autochtone. Il offre un enseignement supérieur et mène des recherches scientifiques en l'appliquant aux processus de revalorisation soutenus par le développement social. |
Cette université offre des spécialités dans les domaines suivants: comptabilité, droit, psychologie sociale communautaire, ethnopsychologie, sociologie rurale, tourisme d'affaires, génie forestier, ingénierie des systèmes informatiques, ingénierie du développement durable.
À la date de création officielle de l'UAIM, en décembre 2001, les inscriptions s'élevaient déjà à 1000 étudiants universitaires issus de 15 groupes ethniques du pays. Y compris le Sud-Est mexicain et la côte atlantique. Durant cette période, l'université a ouvert le Centre de recherche et de Troisième cycle proposant trois «masters», enregistrant en avril la première génération avec 66 titulaires, organisant la deuxième génération de 70 intéressés également qui a débuté en septembre 2002. Les cours sont offerts dans quatre campus et se donnent en espagnol. Au moins, l'environnement est autochtone!
12 Les langues dans les médias
Les médias autochtones peuvent avoir la capacité de promouvoir les langues, les identités, les modes de pensée et les cultures indigènes; ils deviennent naturellement une plateforme qui permet aux citoyens d’unir leur culture et de célébrer leurs expressions culturelles. La réforme des télécommunications et de la radiodiffusion de 2013 a facilité l'intégration de nouveaux agents et de nouvelles voix sur la scène audiovisuelle mexicaine. Cependant, il existe encore d'importants obstacles non seulement à l'accès, mais aussi à la subsistance, à la promotion et au développement réussi de ces médias.
12.1 La législation concernant les autochtones
L'article 6 de la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes (2003) oblige l'État à s'assurer que les médias diffusent la réalité et la diversité linguistique et culturelle de la nation mexicaine, et de prévoir prévoir des émissions dans les diverses langues nationales parlées dans leurs aires de diffusion, ainsi que des émissions culturelles visant à promouvoir la littérature, les traditions orales et l'usage des langues indigènes nationales des diverses régions du pays:
Article 6
L'État doit adopter et harmoniser les mesures nécessaires pour s'assurer que les médias diffusent la réalité et la diversité linguistique et culturelle de la nation mexicaine. En outre, un certain pourcentage de répartition du temps disponible dans les médias autorisés est obligatoire, conformément à la loi en vigueur en vue de prévoir des émissions dans les diverses langues nationales parlées dans leurs aires de diffusion, ainsi que des émissions culturelles visant à promouvoir la littérature, les traditions orales et l'usage des langues indigènes nationales des diverses régions du pays. |
D'après l'article 6 du Règlement de la Loi fédérale sur la radio et la télévision en matière de concessions, de permis et de contenus (2002), la langue nationale sera considérée comme incluant les langues des peuples et des communautés indigènes existant dans le pays:
Article 6 Aux fins de l'application de la loi fédérale sur la radio et la télévision, la langue nationale sera considérée comme incluant les langues des peuples et des communautés indigènes existant dans le pays. |
Selon la Loi fédérale sur les télécommunications et la radiodiffusion (2024), l'Institut fédéral des télécommunications ("Instituto Federal de Telecomunicaciones") doit promouvoir l'octroi de concessions indigènes et afro-mexicaines, faciliter l'octroi de concessions aux communautés et aux peuples indigènes et afro-mexicains là où ils sont présents et afin qu'ils puissent diffuser dans leurs langues maternelles, et contribuer à préserver et enrichir leurs langues, leurs connaissances:
Article 87
[...] L'Institut doit établir des mécanismes de collaboration avec l'Institut national des peuples indigènes ou d'autres organismes :
Article 230 Dans leurs émissions, les stations de radiodiffusion des concessionnaires peuvent utiliser n'importe laquelle des langues nationales conformément aux dispositions légales applicables. Les concessions à usage social autochtone peuvent utiliser la langue des indigènes correspondante. |
L'article 230 du Décret n° 14 par lequel est promulguée la Loi fédérale sur les télécommunications et la radiodiffusion (2014), les stations de radio des concessionnaires peuvent employer la langue des peuples indigènes correspondants:
Article 230 Dans leurs transmissions, les stations de radio des concessionnaires doivent utiliser la langue nationale. Ce qui précède, sans préjudice du fait qu’en outre, les concessions pour l’usage social indigène peuvent employer la langue des peuples indigènes correspondants. |
Enfin, l'article Loi sur l’Institut national des peuples indigènes (2018-2023) doit promouvoir l'usage des cultures et des langues indigènes:
Article 4 Afin d’atteindre son objectif, l’Institut détient des fonctions et pouvoirs suivants:
|
Au Mexique, la propriété des moyens de communication est hautement oligopolistique; ceux-ci sont gérés par un groupe de petite taille qui domine un marché sur lequel ils ne trouvent pas de réelle concurrence. De plus, il n'y a pas de réglementation transparente de leurs activités. Dans cette situation, la prépondérance des médias fait forcément de l’ombre à la complexité et à la diversité concernant l'univers médiatique des minorités indigènes.
12.2 La radiophonie autochtone
Avant la reconnaissance du droit des communautés autochtones à exploiter et à gérer leurs propres médias, le gouvernement mexicain a élaboré un moyen de répondre aux besoins d'information de ces communautés. Au sein de la Commission nationale pour le développement de peuples indigènes ("Comisión Nacional para el Desarrollo de los Pueblos Indígenas"), le Système de radio culturelle indigène ("Sistema de Radio Cultural Indígena" ou SRCI) fut fondé en 1979 avec pour objectif de transmettre et de diffuser la langue, la culture, les traditions et la musique des communautés et des peuples indigènes.
Le SRCI est aujourd'hui composé de 20 stations qui émettent en modulation d'amplitude (AM) et en fréquence modulée (FM); ces stations sont situées dans les principales régions indigènes du Mexique. Selon les informations que le SRCI fournit lui-même sur son site Internet, le travail réalisé par le système au cours des 40 dernières années a généré des racines significatives dans des centaines de communautés indigènes du Mexique, s'imposant comme un modèle de communication différent de celui de la radio commerciale ou universitaire dans 16 États fédérés: San Luis Potosí, Hidalgo, Chiapas, Puebla, Sonora, Oaxaca, Quintana Roo, Yucatán, Baja California, Michoacán, Chihuahua, Durango, Campeche, Veracruz, Guerrero et Nayarit. |
Les langues dans lesquelles ces radios transmettent sont les suivantes: le mayo, le yaqui, le guarijío, le rarámuri, l'ódami, le pima, le cora, le huichol, le mexicanero, le tepehuano, le tének, le mam, le poptí, le chinantec, le mazatec, le cuicateco, soit 16 langues sur des 68 existantes au Mexique. Malgré le rôle culturel important de ces radios, la gestion, la concession, l'exploitation et le contenu sont définis par une institution publique.
- Les radios communautaires
Les radios indigènes sont des radios communautaires qui se caractérisent par leur appartenance à un groupe indigène ou à un groupe au sein d’une communauté; leur fonction principale est de la promotion de la culture, principalement la langue et les traditions. De nombreuses stations de radio indigènes ont également un rôle très important dans la défense de leur mission; elles ont été menacées par des mégaprojets tels que l’exploitation minière exemple dans la Sierra Negra de Puebla ou dans des communautés d’Oaxaca comme San José del Progrès. Les stations de radio indigènes (concédées et non concédées) sont principalement concentrées dans le centre et le sud du pays, notamment dans les États suivants: Oaxaca, Michoacán, Guerrero, Puebla, Chiapas, Veracruz, État de Mexico, Yucatán, Hidalgo, Morelos, Sonora, Jalisco et Baja California. Oaxaca est l’État qui compte le plus nombre de radios, suivi par le Chiapas et le Michoacán.
Chacune de ces stations radiophoniques transmet dans les langues majoritaires de sa zone de couverture et, en outre, collecte les expressions culturelles, musicales et artistiques des peuples indigènes de la région. Les langues diffusées sont une vingtaine : le na' savi (mixtèque), le tu’um savi (mixtèque), le me’phaa (tlapaneco), l'amuzgo), Nahuatl, le purépecha, le tzeltal, le didxazá (zapotèque), le xhidza (zapotèque), le nühü (otomí), le ñañu (otomí), le masapijni (tepehua), le maya, le tzotzil, le tojolabal, le chol, l'ayuuk (mixé), le triqui, l'ombeayiüts (huave), le tacuate (mixtèque). De façon générale, on estime que ces radios atteignent leur population dans une fourchette comprise entre 50% et 90%. |
Bien qu'il existe au Mexique différents systèmes de radiodiffusion, seules quelques communautés indigènes gèrent et exploitent leurs propres stations de radio. L'organisme "Cultural Survival" estime que la radiodiffusion communautaire est une plateforme de communication électronique permettant de partager des idées et des visions du monde. Cependant, les peuples autochtones et les communautés autochtones ont été limités et parfois privés de leur droit à la communication en raison du manque d'accès aux fréquences du spectre radio. Il existe un petit nombre de stations qui possèdent une concession légale d'exploitation. Les stations qui opèrent sans licence le font selon deux options : soit qu'elles ne disposent pas de suffisamment d'informations sur le processus de légalisation et sur les droits et responsabilités qui accompagnent l'obtention d'une concession, soit qu'elles ont décidé que l'exploitation d'une station de radio est un média enraciné dans leur autonomie et leur autodétermination indigènes.
12.3 La télévision autochtone
Il n'existe que peu d'émissions télévisées destinées aux indigènes. Seules les chaînes publiques, tels Canal 12, Canal Once, Canal 14, Canal 22 et Radio Educación, peuvent diffuser des émissions ponctuelles dans un certain nombre de langues: en nahuatl, en maya, en zapothèque, en mazatèque, en tlahuica, en matlatzinca, en mazahua, en otomi, en tseltal, en tsotsil, en mixtèque, en triqui, etc.
- Les émissions en langue indigène
Pourquoi n'y a-t-il pas d'émissions télévisées dans les chaînes privées utilisant les langues indigènes du Mexique? Pour le simple fait qu’il n’existe pas de langue indigène avec un grand nombre de locuteurs. Les langues autochtones numériquement les plus importantes au Mexique sont le nahuatl et le maya du Yucatan, chacune comptant un peu plus de 400 000 locuteurs; on parle de deux langues parlées par seulement 1% de la population ! Aucune chaîne de télévision privée n'oserait diffuser une émission qui pourrait potentiellement être vue par seulement 1% de la population, puisque le reste n'y comprendrait rien.
C'est au Yucatan qu'on trouve le plus d'émissions télévisées dans une langue indigène. Dans cet État, les chaînes locales diffusent des feuilletons et d'autres émissions en langue maya. Mais cela n'est possible que parce qu'au Yucatan la moitié de la population est d'origine maya, ce qui garantit à des émissions un auditoire infiniment plus grand que la moyenne nationale. Il serait peu probable qu’il en soit de même à Oaxaca, l’autre État du Mexique qui compte près de la moitié de la population d’origine autochtone. Car contrairement au Yucatán, qui est très homogène, à Oaxaca cohabitent des dizaines de peuples indigènes de langues différentes (zapotèque, mixtèque, mixé, triqui, entre autres.
- La représentation autochtone à la télévision
Un autre problème réside dans la programmation en langue espagnole reflétant peu la diversité et la pluriculturalité de la nation mexicaine. La télévision mexicaine demeure très discriminatoire à l'égard des autochtones. L'absence ou la participation et la présence limitée des peuples indigènes dans les médias non autochtones constituent un type de discrimination qui menace également le droit à l'information de la société. La publicité commerciale n’inclut jamais une personne autochtone; la publicité gouvernementale n'inclut les peuples indigènes comme protagonistes que dans 0,66% et l'autopromotion des chaînes de télévision dans 0,23%. Par exemple, dans la publicité du gouvernement et des partis politiques, sur un total de 304 publicités, les autochtones n'apparaissent que dans cinq cas (1,64%), étant protagonistes dans seulement deux cas (0,66%).
Encore aujourd'hui, aucun autochtone n'anime un journal télévisé ni une table d'analyse ni n'est chargé de présenter une quelconque section d'un journal télévisé. Il arrive qu'un journal télévisé invite à une table d'analyse un ou quelques autochtones, mais ceux-ci doivent alors parler des problèmes des peuples indigènes. L'image que la télévision transmet aux Mexicains se résume aux faits que les autochtones qui s'expriment dans l'une des langues indigènes vivent dans des zones rurales, s'adonnent à des activités manuelles et sont plus pauvres que ceux qui s'identifient comme indigènes, mais parlent espagnol, vivent dans des zones rurales, dans des environnements urbains, travaillent dans les commerces ou les services, et connaissent moins la pauvreté.
Bref, l'existence d'un cadre réglementaire au Mexique composé de dispositions constitutionnelles, juridiques et de traités internationaux relatifs aux médias et aux peuples autochtones s'est révélée insuffisante pour que la télévision mexicaine reflète la diversité et la pluriculturalité du pays. La télévision et la radio publiques du pays ont encore beaucoup à faire pour donner une voix et un visage à ceux qui n'ont pas été vus ni entendus. La pauvreté, l'accès difficile aux services de santé ou aux institutions judiciaires et la discrimination sont les problèmes auxquels sont confrontés les peuples indigènes du Mexique. Si ces derniers étaient «riches et prospères», cette situation n'existerait pas.
12.4 La presse autochtone
La presse autochtone n'existe pas de la même façon que pour la presse de langue espagnole. On n'y trouve pas de quotidiens ni d'hebdomadaires provenant de firmes privées, mais des bulletins d'information venant d'organismes tels l'Institut national indigène (INI: "Instituto Nacional Indígena") subventionné par l'État ou par une instance internationale. Citons le bulletin Acción Indigenista devenu la revue México Indígena. On y trouve des articles d'éminents intellectuels, anthropologues et écrivains indigènes, qui ont laissé une profonde marque dans les sociétés indigènes.
Par contre, certains journaux mexicains de langue espagnole peuvent consacrer des pages spéciales sur les «criminels indiens» ("criminales indios"), les «vautours» ("buitres"), les «sauvages» ("salvajes"), etc., sans jamais faire mention de leur art, des couleurs de leurs fêtes, du caractère dramatique de leur misère, de leur abandon dans l'ignorance, etc. Folkloriser ou criminaliser ces communautés fait partie du discours raciste, tout comme la victimisation ou l'infantilisation. Ainsi, à travers la lecture et l'analyse de certains journaux à sensation, les indigènes sont presque toujours étrangers aux intérêts des groupes puissants du pays.
En ce sens, la Voz del Indio, («La Voix de l'Indien») parue en 1952 mais disparue depuis constituait un moyen de contrer la désinformation, car cette revue décrivait les autochtones comme les déshérités du Mexique.
13 La perte intergénérationnelle des langues autochtones
En analysant la perte intergénérationnelle des langues autochtones, nous pouvons constater qu'à l'échelle nationale, le pourcentage de perte est de 39,8%, soit deux garçons et filles sur cinq qui sont des enfants de mères ne parlant plus leur langue autochtone. L’intensité de la perte intergénérationnelle varie considérablement selon les langues autochtones en présence. Dans le tableau ci-dessous, nous pouvons constater le pourcentage de perte intergénérationnelle des 15 langues comptant le plus grand nombre de locuteurs, selon la classification des 68 langues autochtones utilisée de l'Institut national des langues autochtones lors du recensement de 2020. Les langues comptant le plus grand nombre de locuteurs, le nahuatl et le maya, ont des pourcentages de perte supérieurs à la moyenne nationale. En fait, après l'otomi, qui présente un pourcentage de perte intergénérationnelle de 71,1 %, le maya est la langue avec le pourcentage de perte le plus élevé : pratiquement deux garçons et filles sur trois (65,8 %) de mères parlant le maya ne parlent plus cette langue.
Perte intergénérationnelle des 15 langues autochtones comptant le plus grand nombre de locuteurs (2020)
Langue |
Pourcentage |
Pourcentage de perte intergénérationnelle |
Nahuatl | 22,3 % | 47,4 % |
Maya | 10,2 % | 65,8 % |
Tzeltal | 8,9 % | 12,5 % |
Tzotsil | 7,4 % | 12,4 % |
Mixtèque | 6,9 % | 39,2 % |
Zapotèque | 6,7 % | 48,8 % |
Otomi | 3,8 % | 71,1 % |
Totonaque | 3,6 % | 47,5 % |
Mazatèque | 3,3 % | 48,6 % |
Ch'ol | 3,2 % | 19,7 % |
Huastèque | 2,6 % | 37,3 % |
Chinantèque | 1,9 % | 41,9 % |
Mixé | 1,9 % | 41,4 % |
Purépecha (tarasco) | 1,9 % | 33,3 % |
Tlapanèque | 1,8 % | 25,9 % |
Source : estimations basées sur l'échantillon du Recensement de la population et de l'habitat de 2020.
Ces pourcentages élevés de perte intergénérationnelle devraient signifier une baisse très significative du nombre de locuteurs de ces langues au cours des prochaines décennies. D’un autre côté, certaines des langues autochtones les plus employées dans le pays présentent des pourcentages de perte intergénérationnelle relativement faibles par rapport à la moyenne nationale. C'est le cas du tzeltal et du tzotsil, qui occupent les troisième et quatrième places parmi les langues comptant le plus grand nombre de locuteurs et présentent un pourcentage de perte intergénérationnelle relativement très faible, équivalent à 12 %.
Les analyses nous révèlent aussi que la plus grande perte intergénérationnelle des langues autochtones se produit parmi les familles qui atteignent de meilleurs niveaux socio-économiques; il s'agit des mères plus scolarisées qui n'enseignement plus leurs langues à leurs enfants. Cette situation est une indication d'un ordre social futur dans dont l'accès à des possibilités de vie meilleure est structurellement associé à un déracinement social, culturel et communautaire.
Tant que cette adéquation ne sera pas résolue par la promotion et la mise en œuvre d'autres modèles de bien-être et de développement socio-économique, qui incluent le respect et la promotion des modes de vie sociaux et culturels des peuples autochtones, il sera difficile d'inverser cette tendance à la perte intergénérationnelle des langues qui prévaut actuellement au Mexique.
La politique linguistique mexicaine est ambiguë à plus d'un titre. D'une part, elle affirme reconnaître le caractère multiculturel du Mexique et n'hésite pas à faire appel aux symboles autochtones pour se distinguer à la fois des Espagnols et des Américains; d'autre part, elle relègue les autochtones et leurs langues à un rôle d'arrière-plan tout en promouvant les vertus du bilinguisme pour les autochtones et de l'unilinguisme espagnol pour les autres citoyens. C'est en ce sens qu'on parle aussi d'interculturalisme, c'est-à-dire d'intégration unilatérale des communautés autochtones dans un environnement où l'espagnol est la langue commune de la vie publique.
Or, pour être vraiment démocratique et atteindre une société juste, il faudrait bien un jour que le Mexique rompt avec sa vision de l'éducation bilingue valable dans un seul sens à l'égard des autochtones. Or, la Loi générale sur les droits linguistiques des peuples indigènes de 2002 poursuit la même idéologie. Tant que l'on concevra cette éducation uniquement pour les autochtones, on fera de la politicaillerie et de la stratégie électorale. Le droit à l'éducation bilingue pourrait devenir un droit partagé par tous les Mexicains. Bref, que l'apprentissage soit un droit des autochtones, mais que l'apprentissage de l'une des langues indigènes soit également un droit pour les hispanophones. Cette perspective devrait conduire à établir la réciprocité de droits linguistiques valables, autant pour les indigènes que pour les unilingues hispanophones. Il ne s'agit pas de mexicaniser les indigènes ou d'indigéniser le Mexique, mais de viser un équilibre plus démocratique.
Le Mexique reconnaît maintenant des droits collectifs pour ses autochtones, mais ces droits s'appliquent de façon individuelle. Juridiquement parlant, le Mexique préfère reconnaître des droits individuels égaux pour tous les citoyens sans tenir compte de leurs particularités ethniques et linguistiques. Il ignore que des droits égaux accordés à des groupes socialement et économiquement inégaux vont forcément aboutir à des résultats inégaux. Il faudrait en arriver à accorder des droits collectifs inégaux à l'avantage des autochtones pour que ceux-ci réussissent à tenir tête aux Métis unilingues hispanophones.
Dans le cas contraire, les autochtones finiront par s'assimiler, mais c'est peut-être ce que désire secrètement le gouvernement mexicain, sinon la société mexicaine en général. Ce n'est pas en accordant des droits théoriques qui ne se transposent pas dans la réalité qu'on réglera les problèmes. Bref, l'histoire du Mexique nous enseigne que ce pays est aux prises avec de sempiternels besoins de réformes depuis l'arrivée des Européens. Il semble que pour les autochtones celles-ci n'aient jamais abouti en 500 ans. Pour le moment, on ne peut parler que d'une politique d'éducation bilingue au Mexique, mais assez proche finalement d'une politique d'assimilation, même si des progrès notables ont eu lieu ces dernières années.
Tout cela nous amène à penser que le merveilleux monde de la politique, des luttes d'intérêts, de la résistance aux changements et des négociations constitutionnelles est bien complexe et que, pour être réaliste, ce n'est pas demain que le problème sera résolu. Tant que les langues autochtones ne seront pas présentes dans la vie publique, comme les services administratifs locaux, les tribunaux locaux, la radio, la télévision, etc., elles risquent de s'éteindre à plus ou moins long terme, car elles demeurent trop exclusivement réduites dans leurs fonctions de communication dans les salles de classe ou à la maison. En somme, la politique linguistique mexicaine révèle que toute politique de ce genre orientée vers la préservation et la promotion des langues autochtones semble presque incompatible avec une politique nationale destinée à assurer une éducation égalitaire pour tous. Le Mexique est l'un des pays ayant l'une des plus grandes diversités linguistiques et culturelles au monde. Malgré l'immense richesse culturelle que cela représente, de nombreuses langues indigènes du Mexique sont menacées et risquent de disparaître.
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