Algérie

 (4) Les droits linguistiques
des berbérophones

Remarque: tous les sites portant sur cette question et qui ressemblent au présent site sont des plagiats non autorisés de ce dernier. 

Avis: cette page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien.



Plan de l'article

1. Les berbérophones d'Algérie

2. Les revendications linguistiques
2.1 Les résistances à l'arabisation forcée
2.2 La promotion du tamazigh
2.3 L'affirmation identitaire

3. La législation linguistique à l'égard des berbérophones
3.1 Des communautés linguistiques non reconnues
3.2 Le Haut Commissariat à l'amazighité (1995)
3.3 Le tamazight comme langue nationale (2002)
3.4 Le Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement du tamazight (2003)
3.5 Le tamazigh comme langue officielle (2016)

4. Les interdits maintenus à l'égard des langues berbères
4.1 La loi 91-05 sur l'arabisation

4.2 L'état civil en Algérie
4.3 Les associations et les partis politiques
4.4 Le domaine de la justice

5. L'enseignement du tamazight
5.1 La législation en vigueur
5.2 Les pratiques en vigueur
5.3 Les difficultés majeures

6. Les médias berbères
6.1 La législation actuelle
6.2 Les médias électroniques
6.3 La presse écrite

7. Le point de vue des Nations unies
7.1 Les droits des peuples autochtones
7.2 Des recommandations non sollicitées pour le gouvernement algérien

1 Les berbérophones d'Algérie

En plus des arabophones, l’Algérie comprend quelque huit millions de berbérophones, soit 27 % de la population. Les Berbères sont traditionnellement musulmans, mais ont toujours été réfractaires à l'arabisation. Depuis l’indépendance, le 5 juillet 1962, l'Algérie a maintenu une politique d'occultation ou d'exclusion explicite du berbère (ou tamazight), alors que l'arabisation demeurait encore le fondement absolu de la politique linguistique du pays. En réalité, la langue appelée «nationale et officielle», l'arabe littéraire, est une langue non algérienne parce qu'elle n'a jamais été parlée par le peuple algérien et ses composantes. Et elle tire son origine du Proche-Orient.

Depuis 1989, toute une série d'actions de masse spectaculaires ont confirmé l'affirmation identitaire des Berbères d’Algérie: plusieurs grèves générales en Kabylie, des manifestations d'une grande ampleur à Tizi-Ouzou, à Bougie (aujourd'hui Béjaïa) et à Alger, ainsi que le boycott scolaire général de septembre 1994.

En 1991, l'adoption de la loi n° 05-91 sur la généralisation de l'utilisation de la langue arabe a fait l'effet d'une bombe chez les Berbères d'Algérie, notamment les Kabyles. Elle a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de Berbères pour la plus grande manifestation que la capitale ait jamais vue. Leurs mots d'ordre étaient: «Halte à l'intolérance» et «Non au racisme».

En Algérie, comme au Maroc et en Tunisie, le pouvoir politique se montre tout à fait réfractaire à intégrer la dimension berbère dans l’arabité musulmane. En Algérie, les berbérophones se sont donné le nom Imazighen au pluriel; au singulier, c’est le terme Amazigh (berbère) qui est employé. Le mot tamazight désigne leur langue (berbère) et Tamazgha le territoire auquel ils appartiennent (la Berbérie). On écrit aussi «langue amazighe», mais le «tamazight».

2 Les revendications linguistiques

Dès le lendemain de l'indépendance, les berbérophones se sont bien rendu compte que le nouvel État algérien n'en avait que pour la culture arabo-musulmane. Les campagnes d'arabisation qui commençaient ne leur laissaient guère de place. Nul ne conteste que l'arabe devait devenir la «langue nationale» de l'Algérie. Le problème réside dans le choix de l'arabe littéraire, une langue que peu d'Algériens arabophones réussissent à maîtriser, tant à l'oral qu'à l'écrit. Même les ministres éprouvent beaucoup de difficulté à s'adresser en arabe littéraire au public. Pour les arabophones, l'arabe algérien est leur langue maternelle. Pour les berbérophones, c'est le berbère.

2.1 Les résistances à l'arabisation forcée


Drapeau kabyle

Cependant, s'il veut se maintenir en Algérie, le pouvoir politique doit promouvoir la langue arabe en tant que langue nationale légitime. C’est la raison fondamentale de l’adoption des nombreuses lois sur l'arabisation. La classe moyenne, c'est-à-dire celle des petits salariés, des commerçants, des agriculteurs, etc., profite de l'arabisation et appuie ses dirigeants politiques. À l’opposé, les berbérophones et la grande bourgeoisie technocratique, c'est-à-dire les industriels, les financiers, les grands propriétaires terriens, l'élite des carrières libérales et les employés de l'État dont le pouvoir est solidement établi depuis longtemps, tirent profit du bilinguisme franco-arabe. Si l'appui à l'arabisation est incontournable, la résistance de plusieurs milieux à l'arabisation totale est également très forte et elle n'est pas près de s'atténuer, au contraire. L'Algérie reste donc une société profondément divisée.

Quant aux Berbères, l'arabisation à tout prix joue contre eux, car ils ne retirent aucun profit de cette politique qui supprime leurs droits linguistiques. Ils ont commencé à revendiquer des droits dans tous les domaines, mais surtout en éducation. Ils ont d'abord demandé que leur langue soit reconnue dans la Constitution, puis dans les écoles et les tribunaux. 

2.2 La promotion du tamazigh

L'existence légale d'associations culturelles berbères n’est devenue réalité qu'à la fin de 1988 et au début de 1989, dans la foulée des changements politico-juridiques d’octobre 1988. Depuis, ces associations se sont multipliées et il en existerait aujourd’hui quelques centaines. La plupart d’entre elles ont un caractère strictement local et se consacrent à la promotion d'un élément du patrimoine d'un village ou d'une petite région: poètes, chanteurs nationalistes, sites archéologiques, traditions artisanales particulières, organisation de festivals, de galas, de concerts, de conférences, etc.

D’autres associations sont scolaires, pédagogiques et parfois scientifiques: elles essaient généralement d'intervenir dans le domaine de l'édition, de l'enseignement de la langue berbère et de l'organisation de colloques. D’ailleurs, c’est uniquement grâce à ces associations qu’il y a eu un investissement régulier dans l'enseignement de la langue berbère en Algérie, notamment au moyen de cours d'alphabétisation en berbère. Évidemment, l’enseignement officiel du berbère dans les écoles demeurait encore interdit, bien qu’en 1991 un Département de langue et de culture amazighe (berbère) ait été créé à l’université de Tizi-Ouzou.

Depuis le début des années 1990, des députés berbères ont présenté régulièrement des projets de loi visant à faire reconnaître le tamazight comme langue nationale au même titre que l'arabe. Évidemment, ces projets de loi n'ont jamais eu la moindre chance d'être adoptés, mais les gestes demeuraient significatifs.

2.3 L'affirmation identitaire

Beaucoup d'opposants au régime ont accusé le gouvernement de vouloir museler les Berbères en interdisant à leurs partis politiques d'employer les autres «langues du peuple algérien» dont feraient partie le berbère et le français. D'ailleurs, les chefs berbères sont convaincus que la loi sur l'arabisation a été conçue avant tout pour faire taire les Berbères et qu'elle n'a rien changé aux prérogatives du français dans leur pays. Les Berbères ont tout fait pour demander l’abrogation de la loi de 1991 sur l’arabisation, en vain. Pour eux, cette loi constituait une attaque contre la diversité culturelle algérienne et contre le droit des citoyens de s'exprimer dans la langue de leur choix — arabe, berbère ou français — et de la manière dont ils le souhaitent.

En Kabylie, l’arabe joue un rôle ambivalent : d'une part, les variétés algériennes servent de langues véhiculaires, d'autre part, l'arabe littéraire est rejeté, car il est considéré comme un danger pour le tamazight. C'est pourquoi les berbérophones ne cessent d’afficher leur opposition devant la seule officialisation de l’arabe standard. À l'occasion de sa campagne pour le référendum (du 16 septembre 1999) sur «la concorde civile», le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, avait déclaré, le 3 septembre 1999, à Tizi-Ouzou, en Kabylie, que le «tamazight ne sera jamais langue officielle et, si elle devait devenir langue nationale, c'est tout le peuple algérien qui doit se prononcer par voie référendaire».

Évidemment, le Congrès mondial amazigh fut «consterné par une telle provocation émanant d'un chef d'État, qui démontre ainsi son irresponsabilité, son arrogance et le mépris qu'il cultive vis-à-vis de son peuple». Depuis son élection en avril 1999, le président algérien a toujours écarté l’éventualité de reconnaître officiellement le berbère, sauf à l’issue d’un référendum national. 

En définitive, la revendication fondamentale des Berbères est la reconnaissance de leur entité linguistique particulière, comme c'est le cas pour toute minorité culturelle et ethnique. Tout le discours berbériste en Algérie gravite autour d'une affirmation identitaire: «Le berbère est notre langue et non l'arabe; nous sommes des Berbères et non des Arabes.»

3 La législation linguistique à l'égard des berbérophones

Quand on ratisse le Journal officiel de la République algérienne depuis 1962 jusqu'à aujourd'hui, on ne peut qu'être frappé du très petit nombre de textes juridiques concernant les Berbères et leur langue amazighe. Il ne faut quand même pas oublier que ceux-ci constituent pour le droit international une minorité linguistique autochtone en Algérie. Or, les autorités algériennes ont toujours fait comme si les berbérophones n'existaient pas! Pourtant, les Berbères comptent en Algérie pour près du tiers de la population, soit soit 8,8 millions d'Algériens représentant ainsi 27,4 % de la population (34,8 millions d'habitants en 2008), contre 72 % pour les arabophones. Plusieurs pays, dont le Canada, la Suisse et la Finlande, ont deux langues officielles pour une population minoritaire moindre qu'en Algérie:

  Algérie (2008) Canada (2011) Suisse (2011) Finlande (2002)
Langues officielles arabe anglais et français allemand, français italien et romanche finnois et suédois
Majorité arabe: 72 % anglais: 57 % allemand: 63,7 % finnois: 91,2 %
Minorité(s) tamazight: 27,4 % français: 21,7 % (autres langues: 20 %) français: 20,4 % - italien: 6,5 % - romanche: 0,5 % suédois: 5,5 %

Ainsi, les Berbères en Algérie ne constituent pas une minorité insignifiante, au contraire. Mais l'Algérie a développé et imposé une idéologie arabo-islamique exclusive, laquelle considère que la diversité linguistique est un danger pour l'unité nationale et un germe de division, et que seul l'unilinguisme arabe peut être garant de cette unité nationale. À partir de là, toutes les raisons sont bonnes pour nier les droits des minorités. L'État central n'a jamais modifié sa doctrine en matière de langue et de culture.

3.1 Des communautés linguistiques non reconnues

Au moment de l'indépendance en 1962, seule la langue arabe a bénéficié du statut de langue nationale et de langue officielle. Le 4 juillet 1976, l'État algérien a semblé s'impliquer dans le débat concernant les berbérophones en adoptant la Déclaration universelle des droits des peuples. Le texte ne mentionnait aucune langue en particulier, ni aucun peuple. Seuls les articles 13, 19, 20 et 21 de la Déclaration portent précisément sur la langue:

Article 13

Tout peuple a le droit de parler sa langue, de préserver, de développer sa culture, contribuant ainsi à l’enrichissement de la culture de l’humanité.

Article 19

Lorsqu’un peuple constitue une minorité au sein d’un État, il a droit au respect de son identité, de ses traditions, de sa langue et de son patrimoine culturel.

Article 20

Les membres de la minorité doivent jouir, sans discrimination, des mêmes droits que les autres ressortissants de l’État et participer avec eux à la vie publique, à égalité.

Article 21

L’exercice de ces droits doit se faire dans le respect des intérêts légitimes de la communauté prise dans son ensemble et ne saurait autoriser une atteinte à l’intégrité territoriale et à l’unité politique de l’État, dès lors que celui-ci se conduit conformément à tous les principes énoncés dans la présente Déclaration.

En lisant ces dispositions adoptées sous le régime de Boumédiène, on pourrait croire que les mots tels «tout peuple», «un peuple», «les membres de la minorité» et «communauté» faisaient sûrement référence aux Berbères et à la langue amazighe. Mais ce ne fut pas du tout le cas. Le «peuple» dont il était question dans les textes juridiques est celui qui parle l'arabe littéraire, non pas l'arabe algérien et encore moins le tamazight. La notion de «minorité» se révèle ici un concept vide de sens, puisqu'elle ne s'appliquait qu'à la toute petite minorité arabophone parlant l'arabe littéraire. Les autres langues parlées par le «peuple algérien» sont ainsi demeurées complètement ignorées.

3.2 Le Haut Commissariat à l'amazighité (1995)

Après avoir pratiqué une politique d’assimilation destinée à l'anéantissement et à l'éradication du tamazight, le régime algérien a fini par céder aux revendications berbères et a adopté certaines mesures d'assouplissement. En raison de la menace islamiste qui pesait sur les institutions du pays, les militants de la cause kabyle ont pu obtenir du régime des concessions importantes, même si l’arabisation demeurait le fondement de la politique linguistique. En 1994, le refus d'intégrer le tamazight dans le système d'éducation entraina la «grève du cartable», qui dura une année.

À la suite du boycott scolaire massivement suivi en Kabylie, le gouvernement algérien engagea, en mars-avril 1995, des négociations avec certains leaders berbères. Il fallut attendre 1995 pour voir apparaître le premier texte juridique sur la langue amazighe avec le décret présidentiel n° 95-147 du 27 mai 1995 portant création du Haut Commissariat chargé de la réhabilitation de l'amazighité et de la promotion de la langue amazighe. Ce décret précise à l'article 1er ce qu'est l'organisme du Haut Commissariat à l'amazighité, une «structure» chargée de la réhabilitation de l'amazighité et de la promotion de la langue amazighe. Les articles 4 et 5 énumèrent les missions de l'organisme :

Article 1er

Il est créé une structure dénommée Haut Commissariat à l'amazighité, chargée de la réhabilitation de l'amazighité, et de la promotion de la langue amazighe, régie par les dispositions du présent décret et ci-après désignée le Haut Commissariat.

Article  4

Le Haut Commissariat a pour missions :

- la réhabilitation et la promotion de l'amazighité en tant que l'un des fondements de l'identité nationale,
- l'introduction de la langue amazighe dans les systèmes de l'enseignement et de la communication,

Article 5

Dans le cadre de ses missions, le Haut Commissariat est chargé notamment :

- d'identifier, analyser, préparer et élaborer, tous les éléments nécessaires à la mise en œuvre de la politique nationale de réhabilitation de l'amazighité,
- d'élaborer, en relation avec l'ensemble des secteurs concernés, les plans annuels et pluriannuels d'introduction de la langue amazighe dans le système de l'enseignement et les programmes de développement de la place de la langue amazighe dans le système de communication,
- d'assurer la coordination des plans et programmes arrêtés et veiller à leur mise en œuvre et à leur suivi,
- d'engager toutes études liées à son domaine de compétence.

Ce nouvel organisme fut chargé notamment de prendre diverses initiatives et de formuler des propositions en matière d'enseignement du berbère (tamazight). On pourrait croire que par ce geste les autorités avaient enfin admis la légitimité des demandes des berbérophones, particulièrement au sujet de l’enseignement de cette langue. Toutefois, il ne faut pas oublier que la création du Haut Commissariat à l'amazighité découlait d’une mesure strictement politico-administrative et non d'une reconnaissance juridique de nature constitutionnelle ou législative. Elle demeurait donc fragile et surtout révocable en tout temps.

Dès la rentrée scolaire de 1995, le Haut Commissariat à l'amazighité avait pris plusieurs initiatives en faveur de l'enseignement du tamazight, dont des stages de formation d’enseignants et des cours de tamazight dans plusieurs lycées. Mais les autorités algériennes ont continué à ignorer cette langue et ont refusé de la reconnaître comme l'une des langues nationales du pays avec un enseignement généralisé dans les régions berbérophones.

Dans les faits, l'arabe restait la seule langue officielle, mais le berbère pouvait être introduit comme matière facultative dans certains établissements secondaires (les lycées) du pays. Les berbérophones avaient alors accueilli la mesure par un slogan, «elle rentre à l’école» (tamazight di lakul), croyant qu'elle entraînerait des bouleversements dans la politique linguistique et culturelle de l'État. Mais les berbérophones déchantèrent, car le tamazight avait été introduit dans le système scolaire algérien, mais sans moyens ni structure pour une mise en place sérieuse dans l'enseignement.

Selon les associations berbères, les activités du Haut Commissariat à l'amazighité semblent avoir été très limitées, surtout depuis 1997, aussi bien au plan de la réhabilitation qu'à celui de la promotion de l'amazighité. Certains considèrent que cette institution apparaît comme «une simple façade» destinée à apaiser les revendications berbères avec des «fausses promesses».

3.3 Le tamazight comme langue nationale (2002)

Jusqu'en 2002, les langues berbères, dont le tamazight, n'avaient aucun statut spécifique en Algérie. En avril 2002, à la veille des élections législatives, alors que le climat tendu par les manifestations et les revendications remettait en cause l’autorité de l’État algérien en Kabylie, le Parlement algérien adopta à l’unanimité la loi n° 02-03 du 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle. On pouvait dès lors lire un ajout après l'article 3 de la Constitution:

Article 1er

Il est ajouté un article 3 bis ainsi conçu :

«Art. 3 bis

Le tamazight est également langue nationale.

L'État
œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national.»

Sur les 484 parlementaires présents, dont 20 par procuration, 482 ont voté pour la modification constitutionnelle; seuls deux députés ont opté pour l’abstention. Au moment de l'adoption de la loi constitutionnelle, les Berbères furent ravis, mais ils furent rapidement déçus, car ils s'aperçurent que le statut de «langue nationale» était inférieur à celui de «langue officielle». Le statut de l'arabe comme «langue nationale et officielle» prévaut sur celui du tamazight, puisque dans le cas d'une langue «nationale», l'État s'engage à la promouvoir, non à l'utiliser. 

Comme on pouvait s'y attendre, les Berbères revendiquent aujourd'hui l'officialisation du tamazight. Ils considèrent que le statut de «langue nationale» n'était qu'une tentative destinée à temporiser et à calmer leurs revendications. Quoi qu'il en soit, cette officialisation de la langue amazighe n'est pas pour demain. Elle se heurterait à l'article 178 de la Constitution de 1996, modifiée en 2008, qui déclare que toute révision constitutionnelle peut porter atteinte non seulement à l’islam en tant que religion de l’État, mais également à l’arabe comme langue nationale et officielle :

Article 178 (révision constitutionnelle du 15 novembre 2008)

Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :

1 - au caractère républicain de l’État;
2 - à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme;
3 - à l’islam, en tant que religion de l’État;
4 - à l’arabe, comme langue nationale et officielle;
5 - aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen ;
6 - à l’intégrité et à l’unité du territoire national.

Selon la Constitution de 1996, le statut de «langue nationale» demeurait un symbole, une déclaration théorique, autrement dit coquille vide, qui n'entraînait aucun droit supplémentaire. Il faudrait presque un séisme politique pour modifier cet article de la Constitution.

3.4 Le Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement du tamazight (2003)

L'année suivante (2003), le gouvernement créait le Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement du tamazight (CNPLET), responsable notamment du développement de l'enseignement de la langue amazighe. Ce fut l'objet du décret exécutif n° 03-470 du 2 décembre 2003 portant création, organisation et fonctionnement d'un Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement du tamazight. L'article 5 du décret décrit les missions du Centre, dont celle de réaliser des études sur la langue amazighe :

 
Article 5

Dans le cadre de la mise en œuvre de la politique nationale de l'éducation, le Centre, structure nationale d'études et de recherche chargée du développement de l'enseignement de la langue amazighe, a pour missions :

- la conception de dispositifs organisationnels et de stratégies psychopédagogiques de promotion et de développement de l'enseignement de la langue amazighe, dans tous les cycles du système éducatif,

- de réaliser toute recherche ou étude sur la langue amazighe dans ses variantes linguistiques et leurs évaluations,

- de participer aux recherches initiées par les structures nationales concernées, portant sur la langue amazighe dans ses variantes linguistiques,

- de participer à l'élaboration de programmes de formation des enseignants et à leur mise en œuvre par les institutions spécialisées des secteurs concernés.

L'article 6 du décret n° 03-470 précise davantage le cadre des missions du Centre:  

Article 6

Dans le cadre de ses missions, le Centre est chargé notamment :

- d'élaborer, de suivre et d'évaluer, en collaboration avec les institutions et structures concernées, les programmes de recherche relatifs aux curricula et aux moyens didactiques susceptibles d'assurer un développement harmonieux de l'enseignement de la langue amazighe;

- de réaliser toute étude lexicologique susceptible de faciliter la codification des principes de la langue amazighe et d'en fixer les niveaux d'apprentissage;

- de faire toute recherche et étude à caractère scientifique portant sur les systèmes de transcription graphique de la langue amazighe;

- de participer à l'élaboration de programmes d'enseignement de la langue amazighe dans les différents niveaux avec les structures concernées.

Comme ce fut le cas pour le décret n° 95-147 du 27 mai 1995 sur la création du Haut Commissariat à l'amazighité, le décret n° 03-470 crée une nouvelle structure destinée surtout à calmer les revendications des Berbères. Ce genre d'intervention est fréquent dans les États unitaires; il ne sert qu'à gagner du temps, puisqu'il n'accorde aucun droit supplémentaire aux minorités linguistiques. Lorsque l'article 3 bis de la Constitution déclare à propos du tamazight que «l'État œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national», les faits démontrent que cette promotion consiste à avoir créé le Haut Commissariat à l'amazighité en 1995 et le Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement du tamazight en 2003. D'ailleurs, les interdits demeurent malgré l'adoption des mesures concernant la langue amazighe. 

3.5 Le tamazigh comme langue officielle (2016)

Après un demi-siècle, le statut de langue officielle pour le tamazigh est arrivé en février 2016. En effet, le tamazight est devenu une langue officielle à l'article 3 bis de la Constitution de 2016 :

Article 3

1) L'arabe est la langue nationale et officielle.

2) L'arabe demeure la langue officielle de l'État.

3) Il est créé auprès du président de la République un Haut Conseil de la langue arabe.

4) Le Haut Conseil est chargé notamment d'œuvrer à l'épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu'à l'encouragement de la traduction vers l'arabe à cette fin.

Article 3 bis

1) [Le] tamazight est également langue nationale et officielle.

2) L'État œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national.

3) Il est créé une Académie algérienne de la langue amazighe, placée auprès du président de la République.

4) L'Académie qui s'appuie sur les travaux des experts, est chargée de réunir les conditions de promotion du tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.

5) Les modalités d'application de cet article sont fixées par une loi organique.

Il faut lire les articles 3 et 3 bis de la Constitution pour constater que l'arabe est plus officiel que le tamazight. Il fallait s'attendre un jour à ce que le gouvernement algérien finisse par accorder le statut de «langue officielle» au tamazight, mais en s'organisant pour le vider de tout contenu réel. Si l'État s'engage à employer l'arabe littéraire, il ne fera qu'œuvrer dans les faits à la promotion et au développement du tamazight dans toutes ses variétés linguistiques. Pour concrétiser une véritable co-officialité des deux langues, il aurait fallu lire que «l'arabe et le tamazight sont les langues officielles de l'Algérie», ce qui n'est pas le cas.  L'arabe est «la langue officielle de l'État», pas le tamazight qui «est également langue nationale et officielle». La distinction est subtile, mais il n'y a pas de réelle contradiction, car il subsiste encore ici une hiérarchie entre l'arabe et le tamazight, et c'est l'arabe qui occupe la première place. Il faut bien lire le libellé de l'article 3: «L'arabe demeure la langue officielle de l'État», pas le tamazight.

Il y a fort à parier que l'identité amazighe demeurera marginalisée dans les institutions nationales algériennes. Officiellement, l’Algérie est toujours présentée comme «un pays arabe», alors que les lois anti-amazighes restent toujours en vigueur, dont la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe et l'ordonnance n° 96-30 du 21 décembre 1996 portant généralisation de l’utilisation de l'arabe. Lorsque l’identité amazighe est mentionnée, il s'agit toujours de stéréotypes, c'est-à-dire d'éléments marginalisés et folklorisés. 

4 Les interdits maintenus à l'égard des langues berbères

Depuis l'adoption de la la loi n° 02-03 du 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle, le statut de l'arabe n'a pas changé, car cette langue conserve son statut de prééminence, le tamazight n'étant dans les faits qu'une «langue nationale», sans le statut réel d'une langue officielle, c'est-à-dire utilisée normalement par l'État. Quoi qu'il en soit, il est illusoire de croire que la constitutionnalisation du tamazight suffira à elle seule sans la mise en place d'un dispositif juridique, institutionnel et financier adéquat, en vue de garantir sa promotion et sa généralisation. La Constitution reconnait maintenant la langue amazighe comme officielle, mais la loi 91-05 du 16 janvier 1991 sur l'arabisation interdit son usage, de la même façon qu’elle interdit aussi l’usage des langues étrangères.

4.1 La loi 91-05 sur l'arabisation

La modification constitutionnelle de 2002 et celle de 2016 reconnaissant le tamazight comme langue nationale et officielle auraient dû normalement entraîner des modifications importantes dans la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe, afin d'adapter les interdits et les rendre conformes à l'article 3 bis de la Constitution. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé: la loi de 1991 est restée inchangée et va le demeurer.

Article 2 (1991)

1) La langue arabe est une composante de la personnalité nationale authentique et une constante de la nation.

2) Son usage traduit un aspect de souveraineté. Son utilisation est d'ordre public.

Article 3

1) Toutes les institutions doivent œuvrer à la promotion et à la protection de la langue arabe et veiller à sa pureté et à sa bonne utilisation.

2) Il est interdit de transcrire la langue arabe en caractères autres que les caractères arabes.

Article 4

Les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations, quelle que soit leur nature, sont tenues d'utiliser la seule langue arabe dans l'ensemble de leurs activités telles que la communication, la gestion administrative, financière, technique et artistique.

Article 5

1) Tous les documents officiels, les rapports, et les procès-verbaux des administrations publiques, des institutions, des entreprises et les associations sont rédigés en langue arabe.

2) L'utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et débats des réunions officielles est interdite.

Article 6

1) Les actes sont rédigés exclusivement an langue arabe.

2) L'enregistrement et la publicité d'un acte sont interdits si cet acte est rédigé dans une langue autre que la langue arabe.

L'article 2 continue de ne traiter que de la langue arabe comme «composante de la personnalité nationale authentique et une constante de la nation», ce qui nie la composante amazighe.

Selon l'article 3, «toutes les institutions doivent œuvrer à la promotion et à la protection de la langue arabe et veiller à sa pureté et à sa bonne utilisation», ce qui dénie toute responsabilité de l'État à l'égard du tamazight.

En vertu de l'article 4, les administrations publiques, les institutions, les entreprises et les associations, quelle que soit leur nature, sont tenues d'utiliser la seule langue arabe.

L'article 5 ne permet que l'arabe dans tous les documents officiels, les rapports et les procès-verbaux des administrations publiques, des institutions, des entreprises et des associations. Le paragraphe 2 du même article précise encore que «l'utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et débats des réunions officielles est interdite». Ainsi, non seulement le français est une langue étrangère, mais aussi le tamazight.

Quant à l'article 6, il interdit l'enregistrement et la publicité d'un acte s'il est rédigé dans une langue autre que la langue arabe. 

Il est inutile de mentionner tous les autres articles de la loi qui interdisent l'emploi de toute autre langue que l'arabe. Néanmoins, rappelons le libellé de l'article 15 sur l'enseignement:

L'enseignement, l'éducation et la formation dans tous les secteurs, dans tous les cycles et dans toutes les spécialités sont dispensés en langue arabe, sous réserve des modalités d'enseignement des langues étrangères.

Manifestement, le législateur n'avait pas l'intention d'ajuster la loi sur l'arabisation à l'article 3 bis de la Constitution de 2016.


Une affiche trilingue (arabe, tamazight, français)
Source: Vermondo, Wikipedia

En dépit de la législation qui dénie tout droit linguistique aux berbérophones en matière administrative, il demeure néanmoins possible de communiquer en tamazight avec l'administration dans les zones berbérophones. C'est le cas notamment lorsque le fonctionnaire algérien connaît la langue, c'est-à-dire quand il est lui-même berbère.

Il est aussi toléré que certaines affiches soient rédigées en tamazight avec l'écriture tifinaghe, en plus de l'arabe et du français, notamment dans les wilayas et les établissements d'enseignement, comme les écoles primaires de la Kabylie et l'Université de Tizi-Ouzou. Depuis 2009, les enseignes de quelques services administratifs sont écrites en tamazight. Dans tous les cas, il ne s'agit aucunement de droits reconnus, mais de pratiques tolérées. Ces affiches peuvent disparaître à tout moment; il suffit qu'un fonctionnaire un peu plus légaliste décide de les faire enlever.  

4.2 L'état civil en Algérie

Le système colonial français avait causé un grand nombre d'erreurs dans la transcription des noms et prénoms des Algériens, le passage de l’oral arabe ou berbère à l'écrit en français étant une source de transcriptions erronées. Il est même arrivé que des transcripteurs français aient enregistré des insultes ou des noms d'animaux en pensant qu'il s'agissait de noms propres (patronymes), ce qui allait poser d'irritants problèmes pour les générations suivantes. On peut comprendre que les dirigeants algériens après l'indépendance aient voulu rectifier les incongruités de transcription. Il était possible de porter plainte devant les tribunaux, il fallait alors assumer des frais coûteux, ce qui n'était pas à la portée de tous. C'est pourquoi  le décret n° 71-157 du 3 juin 1971 relatif au changement de nom a autorisé les changements de nom:

Article 1er

Toute personne qui aura quelque raison de changer de nom, en adresse la demande motivée au ministre de la Justice, garde des sceaux, lequel charge le procureur général de la circonscription judiciaire dans laquelle est situé le lieu de naissance du requérant, de procéder à une enquête.

Mais le système prévu par le président Boumédiène au moyen de l'ordonnance n° 70-20 du 19 février 1970 relative à l’état civil consistait à protéger l'arabe de façon apparemment ambiguë en imposant aux prénoms une «consonance algérienne» :

Article 64

1) Les prénoms sont choisis par le père, la mère ou, en leur absence, par le déclarant.

2) Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une confession non musulmane.

3) Sont interdits tous les prénoms autres que ceux consacrés par l'usage ou par la tradition.

4) L'officier de l'état civil attribue lui-même les prénoms aux enfants trouvés et aux enfants nés de parents inconnus et pour lesquels le déclarant n'a pas indiqué de prénoms. L'enfant est désigné par une suite de prénoms dont le dernier lui sert de nom patronymique.

Durant des décennies, les fonctionnaires ont bien compris que la «consonance algérienne» devait être la consonance arabe. Les prénoms berbères furent interdits parce qu'ils avaient une «consonance étrangère» et les mairies durent s'en tenir à une liste arabe autorisée pour les nouveau-nés. Le président Ben Bella a fait fondre l'unique exemplaire de l'alphabet berbère entreposé à l'Imprimerie nationale. En 1976, le président Boumédiène a confisqué le Fichier berbère qui contenait un ensemble de publications sur des recherches écrites en alphabet latin.

Par la suite, le gouvernement a établi une liste nationale des prénoms, qui comprenait, dans l'ordre alphabétique, tous les prénoms recensés en Algérie. Selon l'article 2 du décret n° 81/26 du 7 mars 1981 portant établissement d'un lexique national des prénoms, devaient être transcrits dans la langue nationale tous les noms figurant sur la liste nationale :
 

Article 1er

Les assemblées populaires communales sont chargées de dresser les listes de l'ensemble des prénoms figurant sur leurs registres d'état civil et de les adresser au ministère de l'intérieur en vue de l'élaboration d'une liste nationale.

La liste nationale comporte, enregistrés dans l'ordre alphabétique, tous les prénoms recensés en Algérie.

Article 2

Sont transcrits, en langue nationale, tous les noms figurant sur la liste nationale.

La transcription, opérée par le ministère de l'Intérieur, s'effectue sur la base de la traduction phonétique des prénoms.

Article 3

Il est établi sur la base de la liste nationale un lexique officiel des prénoms conformes aux dispositions de l'article 64 de l'ordonnance n° 75-58 du 26 septembre 1975 et de l'article 28 de l'ordonnance n° 70-20 du 19 février 1970 susvisée.

Ledit lexique est conjointement arrêté par le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Justice.

Le décret 81-26 fut suivi du décret n° 81-28 du 7 mars 1981 relatif à la transcription, en langue nationale, des noms patronymiques, mais rien ne changeait en ce qui concernait l'emploi obligatoire des noms patronymiques dans la langue nationale :

Article 1er

Les assemblées populaires communales sont chargées de dresser les listes de l'ensemble des noms figurant sur leurs registres d'état civil et de les adresser au ministère de l'Intérieur en vue de l'élaboration d'une liste nationale.

La liste nationale comporte, enregistrés dans l'ordre alphabétique, tous les noms patronymiques recensés en Algérie.

Article 2

Sont transcrits, en langue nationale, tous les noms patronymiques figurant sur la liste nationale.

La transcription, opérée par le ministère de l'Intérieur, s'effectue sur la base de la traduction phonétique des noms.

Les caractères latins pouvant admettre plusieurs phonèmes sont classés suivant le tableau annexé au présent décret.

Article 3

La liste nationale est mise à la disposition de l'ensemble des assemblées populaires communales aux fins d'exploitation et de publicité.

La publicité est assurée par voie d'affichage au siège et dans chacune des antennes d'état civil des assemblées populaires communales.

Article 4

L'officier d'état civil peut procéder sur demande du chef de famille, aux rectifications des phonèmes sur la base du tableau en annexe au présent décret.

Les noms figurant en caractères latins sur la liste nationale ne peuvent subir aucune modification.

Toutes ces mesures sont restées inchangées malgré l'adoption de l'article 3 bis de la Constitution de 2002 et le même article 3 bis de 2016. Puis les services de l'état civil d'Oran ont fait parler d'eux, une fois de plus, au début du mois de juin 2013. En effet, les fonctionnaires ont refusé d'enregistrer un prénom berbère, en l'occurrence Massilia. Les parents de la petite fille, née en février 2013, qui souhaitaient l'appeler «Sara Massilia», ont eu la désagréable surprise d'apprendre que le second prénom avait été rejeté et refusé. L'affaire prit une tournure inattendue lorsque le père, un militant des droits de l'Homme, décida d'agir en recourant aux instances internationales de l'ONU par l'entremise de son avocat. Pour les rapporteurs de l'ONU, un prénom berbère a nécessairement une «consonance algérienne», et ce, d'autant plus que la Constitution algérienne reconnaît expressément dans son préambule l'identité berbère comme une composante fondamentale de l'identité algérienne aux côtés de l'arabité et de l'islamité. Le refus du prénom berbère relèverait ni plus ni moins d’une négation de l'identité berbère, donc d'une composante de la société algérienne, et d'une discrimination flagrante.

L'affaire étant devenue d'envergure internationale, le tribunal d'Oran intervint avec le verdict suivant, le 28 octobre 2013 : la petite fille était désormais inscrite dans l'état civil d'Oran sous le prénom composé de «Sarah-Massilia». Finalement, l'État algérien s'est résolu à respecter la Constitution algérienne qui reconnaît expressément dans son préambule la dimension berbère comme une composante essentielle de l'identité algérienne:

Préambule

[...]

Le 1er novembre 1954 aura été un des sommets de son destin.

Aboutissement d'une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l'islam, l'arabité et l'amazighité, le 1er novembre aura solidement ancré les luttes présentes dans le passé glorieux de la Nation. [...]

Pourquoi a-t-il fallu attendre quarante-trois ans, soit de 1970 à 2013, pour comprendre qu'un nom berbère avait une «consonance algérienne» et pourquoi le tribunal a-t-il attendu huit mois pour intervenir ? Le rejet des prénoms amazighs par l’état civil ne se reproduira plus. Dorénavant, les agents de l’administration auront à leur disposition une liste de 300 prénoms comme référence, dont 150 prénoms masculins et 150 prénoms féminins. Elle a été adoptée et validée par le ministère de l’Intérieur et sera introduite dans la nomenclature des prénoms autorisés, le tout en trois alphabets (latin, arabe et tifinagh), dont voici quelques exemples en alphabet latin:

Abranis Aderyan Adherbal Aflawas Agellid Aggour Aghali Aghilas Agman Agmazigh
Abzim Alissya Amenna Anel Anila Assil Atina Atinia Ayeli Aylana

Encore une fois, on adapte les pratiques administratives quand on ne peut plus faire autrement, mais les lois demeurent inchangées. Rappelons l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant,  qui a été signée par l'Algérie:

Article 7

1) L'enfant est enregistré aussitôt après sa naissance et a, dès celle-ci, le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et être élevé par eux.

2) Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride.

Au nom de la sacro-sainte doctrine arabo-islamique, l'Algérie a toujours ignoré cet article 7 de la Convention, selon lequel l'enfant est enregistré aussitôt après sa naissance et a, dès celle-ci, le droit à un nom. Pour l'Algérie, ce droit à un nom était interprété comme «le droit à un nom arabe». 

4.3 Les associations et les partis politiques

Dans de nombreux pays, les minorités linguistiques forment des associations et fondent des partis politiques dans le but de regrouper leurs forces pour faire valoir leurs droits. C'est là une pratique considérée comme normale et courante. Mais pas en Algérie, car aucune association berbère, même culturelle, n'a jamais pu fonctionner légalement. En effet, non seulement l'article 4 de la loi n° 89-11 du 5 juillet 1989 relative aux associations à caractère politique (aujourd'hui abrogée) obligeait toute association à n'utiliser que l'arabe, mais l'article 5 interdisait de fonder des associations à caractère politique sur une base confessionnelle, linguistique ou régionaliste:

Article 4 (abrogé)

Toute association à caractère politique doit utiliser la langue nationale dans son exercice officiel.

Article 5 (abrogé)

Aucune association à caractère politique ne peut fonder sa création et son action sur une base et/ou des objectifs comportant :

- des pratiques sectaires et régionalistes, le féodalisme et le népotisme,
- l'établissement de rapports d'exploitation et de liens de dépendance,
- un comportement contraire à la morale islamique et aux valeurs de la Révolution du 1
er novembre 1954.

Dans ce cadre, l'association à caractère politique ne peut, en outre, fonder sa création ou son action sur la base exclusivement confessionnelle, linguistique, régionaliste, d'appartenance à un seul sexe, à une seule race ou à un statut professionnel déterminé.

C'était une façon à peine subtile d'éliminer toute association fondée sur la langue (tamazight), l'ethnie (berbère) ou la région (Kabylie). La loi fut abrogée en 1997 et, depuis, les associations culturelles se sont multipliées : il en existerait quelques centaines pour la seule Kabylie. Malheureusement, les résultats concrets demeurent décevants, car la plupart de ces associations ne connaissent qu'une existence éphémère ou cyclique, le temps par exemple d'un gala ou d'un festival annuel. Généralement, elles sont très démunies tant matériellement qu'intellectuellement.

Quant aux partis politiques, la situation ne se présente guère mieux. D'abord, précisons qu'il n'existe pas de partis politiques berbères. Leur fondation aurait pu contribuer à faire reconnaître des droits à la langue berbère. Les partis politiques existants, les partis dits «kabyles» comme le Parti de la Révolution socialiste (PRS), le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le Front des forces socialistes (FFS), s’en sont parfois fait l’écho, mais ils ont toujours évité d'en faire l'axe principal de leur action politique. Le seul parti d'opposition à se manifester formellement à propos de la langue berbère fut le PRS, qui critiquait sévèrement le pouvoir algérien parce que ce dernier était resté silencieux sur la question berbère dans les textes de la Charte nationale de 1976.

Sur la question berbère, la Charte ne dit pas un mot. Voilà donc un texte qui se présente comme national et qui évacue complètement un problème auquel sont sensibles des millions d’Algériens. [...] Or, la langue berbère existe. C’est la langue maternelle d’une partie des Algériens. Elle doit être reconnue, préservée et développée comme partie intégrante de notre patrimoine national. Son enrichissement, son passage à la forme écrite, son enseignement, sa diffusion doivent être garantis.

Mais le Parti de la Révolution socialiste (PRS) a éclaté lors du «printemps berbère» de 1980. L'un des derniers-nés de ces organisations, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) fondé en 1989, s'est affirmé avant tout comme une formation «démocrate et républicaine», «algérienne», non pas comme un «parti berbère» et affirmait que son implantation était «nationale». Or, tous les partis politiques de l'opposition craignent de «s'enfermer dans le ghetto kabyle». Il faut noter aussi que l'ordonnance n° 97-09 6 mars 1997 portant loi organique relative aux partis politiques, qui a abrogé  la loi n° 89-11, a repris intégralement les articles de cette loi abrogée pour les appliquer aux partis politiques:

Article 4

Le parti politique doit utiliser la langue nationale et officielle dans l'exercice de son activité officielle.

Article 5

1) Aucun parti politique ne peut fonder sa création et/ou son action sur une base et/ou des objectifs comportant :

- Des pratiques sectaires, régionalistes, féodales ou népotiques.

- Des pratiques contraires aux valeurs de la morale islamique, de l'identité nationale ainsi qu'aux valeurs de la Révolution du 1er novembre 1954 et qui touchent aux symboles de la République.

2) Le parti politique ne peut, en outre, fonder sa création ou son action sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionaliste. 

Le gouvernement s'est bien gardé de modifier cette loi qui dessert les Berbères. C'est pourquoi tous les partis politiques doivent démontrer leur «bonne foi nationaliste algérienne». Ainsi, le danger politique berbère demeure toujours parfaitement circonscrit et contrôlé par le gouvernement.

D'ailleurs, ces dispositions sont reprises dans la Constitution de 1996 à l'article 42, qui précise au paragraphe 3 que «les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale» :

Article 42

1) Le droit de créer des partis politiques est reconnu et garanti.

2) Ce droit ne peut toutefois être invoqué pour attenter aux libertés fondamentales, aux valeurs et aux composantes fondamentales de l'identité nationale, à l'unité nationale, à la sécurité et à l'intégrité du territoire national, à l'indépendance du pays et à la souveraineté du peuple ainsi qu'au caractère démocratique et républicain de l'État.

3) Dans le respect des dispositions de la présente Constitution, les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale.

4) Les partis politiques ne peuvent recourir à la propagande partisane portant sur les éléments mentionnés à l'aliéna précédent.

5) Toute obédience des partis politiques, sous quelque forme que ce soit, à des intérêts ou parties étrangers, est proscrite.

6) Aucun parti politique ne peut recourir à la violence ou à la contrainte, quelles que soient la nature ou les formes de celles-ci.

7) D'autres obligations et devoirs sont prescrits par la loi.

Plus précisément, il est interdit de fonder un parti politique sur la base de la langue, de l'ethnie ou de la région, donc de fonder un parti politique berbère. C'est une façon pour les autorités algériennes de nier des droits politiques à leurs minorités.

4.4 Le domaine de la justice

Rappelons que le tamazight est une langue nationale en Algérie depuis 2002 et une langue officielle depuis février 2016, mais que son statut est inférieur à celui d'une autre langue officielle, l'arabe qui bénéficie toujours d'une supériorité de statut parce qu'il est employé comme langue de l'État. On se serait normalement attendu à ce que le statut du tamazight soit reconnu en matière de justice. Dans le cas algérien, il faut se rappeler que toutes les lois et tous les décrets postérieurs à la reconnaissance de 2002 du tamazight comme «langue nationale» ont systématiquement réaffirmé le caractère exclusif de l'arabe littéraire en tant que langue officielle. Il en est ainsi pour la loi n° 08-09 du 25 février 2008 portant Code de procédure civile et administrative. En effet, l'article 8 de cette loi adopté en 2008 prescrit le caractère exclusif de la langue arabe dans les procès sous peine d'irrecevabilité :

Article 8

1)
Les procédures et actes judiciaires tels que les requêtes et mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés en langue arabe.

2) Les documents et pièces doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés en langue arabe ou accompagnés d'une traduction officielle.

3) Les débats et les plaidoiries s'effectuent en langue arabe.

4) Les décisions sont rendues en langue arabe, sous peine de nullité soulevée d'office par le juge.

5) Il est entendu par décision, dans le présent code, les ordonnances, jugements et arrêts.

Article 119

1)
Les parties et leurs défenseurs, peuvent, sur autorisation du juge, poser des questions.

2) Ces questions doivent être formulées ou traduites en langue arabe ; il en est de même des réponses qui leur sont faites.

Effectivement, les décisions du juge sont rendues en langue arabe, sous peine de nullité. De plus, le tribunal doit exiger des plaideurs la présentation en langue arabe des documents et des pièces invoqués à l'appui de leurs prétentions. Sinon, ces documents et pièces doivent être accompagnés d'une traduction officielle en arabe. En somme, la justice demeure unilingue arabe. Il aurait fallu qu'en adoptant l'article 3 bis de la Constitution de 2016 on rectifie en même temps les lois incompatibles à cet article ou qui le contredisent. Bref, la co-officialité du tamazight demeure une mystification tant qu'on n'aura pas fait les réajustements juridiques nécessaires.

Il reste la solution suivante: en appeler aux tribunaux afin de faire casser les dispositions linguistiques incompatibles avec la Constitution. En espérant que ceux-ci finissent par trancher en faveur des berbérophones (d'ici une vingtaine d'années).  

5 L'enseignement du tamazight

Il paraît évident que, selon tous les berbérophones d'Algérie, l'enseignement de la langue amazighe soit primordial pour la diffusion, la survie et le dynamisme même de la culture berbère. Il faudrait que les populations partageant cette culture, ainsi que l'’ensemble des Algériens, sachent parler et écrire le tamazight, de telle sorte que l'une des composantes essentielles de la culture algérienne puisse exister au-delà d'une reconnaissance strictement formelle. Or, le nouveau statut de «langue nationale» du tamazight ne semble pas lui avoir permis de s'établir de façon convaincante dans les établissements scolaires publics, même là où le tamazight est déjà enseigné sur une base facultative. Introduit dans le système d'éducation en 1995, au lendemain de la «grève du Cartable» et après des décennies de revendications, l’enseignement de la langue amazighe se poursuit encore aujourd'hui, mais la situation est loin d'être enviable. Alors que cet enseignement a été autorisé en 1995, il a fallu attendre en 2003 pour modifier l'ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976, qui régissait l'enseignement public en Algérie.

5.1 La législation en vigueur

Ce fut l'objet de l'ordonnance n° 03-09 du 13 août 2003 modifiant et complétant l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 portant organisation de l’éducation et de la formation. L'article de l'ordonnance n° 03-09 du 13 août 2003 modifiait ainsi l'article 2 de l'ordonnance de 1976, en ajoutant la notion de l'amazighité :

Article 2

L'article 2 de l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976, susvisée, est modifié et complété comme suit :

«Art. 2. — Le système éducatif a pour mission dans le cadre des composantes fondamentales de l’identité du peuple algérien que sont l’islam, l’arabité et l’amazighité»:

(Le reste sans changement):

- le développement de la personnalité des enfants et des citoyens et leur préparation à la vie active,
- l'acquisition de connaissances générales scientifiques et technologiques,
- la réponse aux aspirations populaires de justice et de progrès,
- l'éveil des consciences à l'amour de la patrie.

L'article 4 insérait dans l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 deux articles, 8 bis et 8 ter, pour introduire le tamazight comme «activités d'éveil» ou en tant que «discipline» :

Article 4

Il est inséré dans l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976, susvisée, deux articles 8 bis et 8 ter rédigés comme suit :

«Art. 8 bis. — L’enseignement du tamazight, langue nationale, est introduit dans les activités d’éveil et/ou en tant que discipline dans le système éducatif. L’État œuvre à la promotion et au développement de l’enseignement du tamazight, dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national, en mobilisant les moyens organisationnels et pédagogiques nécessaires pour répondre à la demande de cet enseignement sur le territoire national».

«Art. 8 ter. — La dimension culturelle amazighe est prise en charge dans les programmes d’enseignement des sciences sociales et humaines à tous les niveaux du système éducatif».

Enfin, l'article 8 introduit un paragraphe 2 bis à l'article 25 de l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 afin d'établir l'orientation de l'enseignement du tamazight :

Article 8

L’article 25 de l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976, susvisée, est complété par un deuxième alinéa bis rédigé comme suit :

«2 bis - Un enseignement de langue amazighe permettant aux élèves la maîtrise de cette langue, la connaissance du patrimoine culturel amazigh et sa participation, à travers les âges, au développement de la culture nationale ».

(Le reste sans changement).

C'était la première fois que le gouvernement modifiait une loi existante pour l'adapter à l'article 3 bis de la Constitution. Toutefois, l'article 15 de la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe est demeuré inchangé et interdit toute autre langue que l'arabe dans l'enseignement.

En 2008, une nouvelle loi sur l'éducation a été adoptée: la loi du 23 janvier 2008 n° 08-04 portant loi d'orientation sur l'éducation nationale. Cette loi avait le mérite d'abroger l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976 sur l'éducation. Elle est précédée d'un long préambule servant à justifier l'idéologie arabo-musulmane devant imprégner l'école algérienne. Dans les extraits présentés ici, il est aisé de constater l'importance accordée à la «langue arabe» (nommée sept fois) par comparaison à la «langue amazighe» (nommée deux fois):

Extraits du préambule

[...]

L’arabité, en tant que langue, civilisation et culture, s’exprimant à travers la langue arabe, premier instrument pour l’acquisition du savoir dans toutes les étapes de l’enseignement et de la formation.

La langue arabe, au même titre que l'islam, constitue avec la langue amazighe le ferment de l’identité culturelle du peuple algérien et un élément essentiel de sa conscience nationale.

L’enseignement de la langue arabe doit être développé pour être une langue de communication dans tous les domaines de la vie et un instrument privilégié dans la production intellectuelle. Il est impérieux d’aborder sérieusement les questions de fond de l’enseignement de la langue arabe et rechercher une plus grande efficacité à cette langue d’enseignement, efficacité liée à la fois à l’aspect culturel, scientifique et technique pour rendre disponible l’information scientifique universelle, ainsi qu’une plus grande efficacité dans la communication pédagogique et les pratiques d’enseignement.

La promotion de l’enseignement de la langue arabe en tant que langue nationale et officielle et facteur de recouvrement de la personnalité algérienne sera consolidée et renforcée dans le cadre de la politique rénovée de l’éducation nationale, notamment par la modernisation de ses méthodes et ses contenus d’enseignement pour la rendre compétitive avec les autres langues modernes des pays développés.

L’amélioration de l’enseignement de la langue arabe, dans le but de lui donner sa pleine fonction pédagogique et socioculturelle, permettra de satisfaire les exigences d’un enseignement de qualité, capable à la fois d’exprimer notre «univers algérien, maghrébin, arabe, méditerranéen, africain», d’accéder à la civilisation universelle et de participer au progrès scientifique et technologique.

La promotion de l’enseignement de la langue arabe lui permettra de prendre sa part dans l‘espace de production et de compétition intellectuelle mondiale.

L’amazighité, en tant que langue, culture et patrimoine, est une composante intégrante de la personnalité nationale historique. À ce titre, elle doit bénéficier de toute l’attention et faire l’objet de promotion et d’enrichissement dans le cadre de la valorisation de la culture nationale.

L’école devra faire prendre conscience à l’élève, quelle que soit sa langue maternelle et quel que soit son lieu de résidence, des liens qui l’attachent à cette langue, notamment par l’enseignement de l’histoire ancienne de l’Algérie (et du Maghreb), de sa géographie et de sa toponymie.

Il s’agit d’affermir et de promouvoir la dimension amazighe dans tous ses éléments constitutifs (langue, culture, profondeur historique et anthropologique) dans le cursus éducatif, de la mettre en place progressivement, en dotant l’enseignement de la langue nationale amazighe de moyens didactiques et pédagogiques appropriés ainsi que de moyens pour la recherche.

L’Algérien devra pouvoir apprendre cette langue nationale. L'État devra mettre en œuvre tous les moyens humains, matériels et organisationnels afin d’être en mesure de répondre progressivement à la demande partout ou elle s’exprime sur le territoire national.

[...]

Il ne s'agit pas de deux langues à statut égal, mais d'une langue dominante, l'arabe, et d'une langue subordonnée, le tamazight, peu importe l'énoncé du nouvel article 3 bis de la Constitution de 2016.

Les articles les plus importants de la loi du 23 janvier 2008 n° 08-04 portant loi d'orientation sur l'éducation nationale sont les articles 33, 34 et 35. L'article 33 proclame que «l'enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux d'éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés d'éducation et d'enseignement». L'article 34 énonce que «l'enseignement de la langue amazighe (tamazight) est introduit dans le système d'éducation pour répondre à la demande exprimée sur le territoire national»:
 

Article 33

L'enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux d'éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les établissements privés d'éducation et d'enseignement.

Article 34 

L'enseignement de la langue tamazight est introduit dans le système éducatif pour répondre à la demande exprimée sur le territoire national.

Les modalités d'application de cet article seront fixées par voie réglementaire.

Article 35

L'enseignement des langues étrangères est assuré dans des conditions fixées par voie réglementaire.

Ce que la loi ne précise pas clairement, c'est que l'enseignement du tamazight est autorisé seulement sur une base facultative. Quant au décret exécutif n° 09-318 du 6 octobre 2009 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'Éducation nationale, il n'a rien changé en ce qui concerne l'enseignement du tamazight.

Il reste à mentionner la législation ayant trait aux établissements d'enseignement privés. Selon l'article 8 de l'ordonnance n° 05-07 du 23 août 2005 fixant les règles générales régissant l’enseignement dans les établissements privés d’éducation et d’enseignement: l’enseignement dans les établissements privés d’éducation et d’enseignement est assuré obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux d’enseignement :

Article 8

Hormis l’enseignement des langues étrangères, l’enseignement dans les établissements privés d’éducation et d’enseignement est assuré obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux d’enseignement.

Le gouvernement aurait pu au moins autoriser l'enseignement du tamazight comme langue seconde, mais non.

5.2 Les pratiques en vigueur  

Durant l’année scolaire de 1995-1996, on comptait 16 wilayas (voir le tableau ci-dessous) ayant opté pour l’introduction du tamazight dans leur programme scolaire. À cette époque, il y avait 200 enseignants de tamazight et plus de 37 000 élèves. En 2010-2011, on comptait plus de 1300 enseignants avec un effectif de plus de 213 000 élèves pour toute l'Algérie, selon le secrétariat général du Haut Commissariat à l’amazighité. Toutefois, des 16 wilayas de 1995, il ne restait plus que dix en 2011 (dont seulement sept à Alger). Et plus de 90 % des élèves et des enseignants sont issus des wilayas de Tizi Ouzou, de Bouira et de Bejaia, d'après les statistiques fournies par le Haut Commissariat à l'amazighité (HCA). Il reste 10 % des autres élèves qui sont répartis dans les sept autres wilayas (Alger, Batna, Boumerdès, Khenchla, OE Bopuaghi, Setif et Tamanrasset).

Wilaya 1995-1996 1998-1999 2001-2002 2004-2005 2007-2008 2010-2011
Alger   349     465       61      54   150        37
Batna   805      49        0       0  7 058 18 836
Béjaia 7 949 13 695 22 434 25 433 31 339 54 927
Biskra   654     127     120      249     149        0
Bouira 9 000 11 664 14 334  19 027 25 454 28 474
Boumerdès 1 078    533   1 843     2 125   3 205    4 732
El Bayadh       9      0        0          0        0          0
Ghardaïa    584    64        0         67       55          0
Illizi      80   119        0         0        0           0
Kenchla     483   490     499      429     277        560
Oran     127    75        0         0        0           0
O.E. Bouaghi  1 462 1 375  2 367    2 432  3 253     1 240
Sétif     584 1 526  1 217       904  2 519     3 826
Tamanrasset     114   942    440      321     312        615
Tipaza      980     76       0         0        0           0
Tizi-Ouzou 13 440 24 530 25 680  43 006 65 522  100 016
Total 37 690 55 730 68 995 94 047 139 293 213 263

Source: Seïdh Chalah, 2011

Les wilayas qui ont supprimé cet enseignement sont les wilayas de Biskra (2010), d'Oran (2002), de Ghardaïa (2009), d'Illizi (2000) et de Tipaza (1999). Rappelons que l'Algérie compte huit millions d'élèves, dont seulement 213 000 suivent des cours de tamazight, ce qui représente 2,6 % de l'effectif scolaire. À l'exception des wilayas de Tizi Ouzou, de Béjaïa, de Bouira et de Batna, le tamazight n'est enseigné dans aucune école primaire; le scénario est le même pour les classes du secondaire.

Même si les chiffres officiels avancés par le ministère de l’Éducation nationale, depuis 1995/1996, témoignent d'une «augmentation» du nombre total d'élèves (de 37 000 à 213 263), qui suivent les cours de tamazight/berbère, il faut mentionner que toutes les wilayas n’enregistrent pas de progression de leurs effectifs de la même manière, d'autant plus que plusieurs ont même supprimé cet enseignement (voir la carte).

L'un des responsables du HCA, Bilek Hamid, affirmait en mars 2007 :

La capitale, qui devait être une grande wilaya pilote, dispose seulement de deux enseignants au moment où, de nombreux étudiants licenciés en langue et culture amazighe issus des universités de Béjaïa et de Tizi-Ouzou pataugent dans le chômage.

Selon le HCA, seules les variétés kabyle, chaouïa et touareg sont enseignées. Les autres variantes, telles le chleuh, le chenoui et le mozabit, ne sont pas enseignées. Pour sa part, le HCA semble être une coquille vide, sans pouvoirs ni moyens, totalement contrôlé par les autorités algériennes et dont l’action demeure plutôt insignifiante. Chaque année, le constat dressé par le Haut Commissariat à l’amazighité et les enseignants est pessimiste. Dans les écoles où le tamazight est offert, cette langue est enseignée à raison de trois heures par semaine, c'est-à-dire selon la même tranche horaire que les langues étrangères. Pour le moment, l'enseignement du tamazight n'est donné que dans les régions berbérophones, donc essentiellement en Kabylie, ainsi que dans les Aurès (au nord-est du pays) et de façon occasionnelle au sud, dans le pays des Touaregs.

Dans un rapport remis le 6 janvier 2009 aux Nations unies (Application du Pacte international relatif aux droit économiques, sociaux et culturels), l'Algérie présentait ainsi la situation du tamazight dans le pays:   

11. L’enseignement de la langue amazighe

398. La langue amazighe, consacrée par la Constitution algérienne, en tant que langue nationale est enseignée dans les écoles algériennes, dans tous les cycles d’enseignement, chaque fois que le besoin est exprimé et que les conditions pour son enseignement, notamment en matière d’encadrement pédagogique sont réunies. Elle est intégrée dans les cursus scolaires en tant que discipline à part entière jouissant d’un volume horaire, d’un programme et de manuels qui lui sont propres. Elle est soumise au système d’évaluation et d’examen au même titre que les autres disciplines.

399. La formation des enseignants de langue amazighe est ouverte au niveau des universités ainsi que des instituts de formation et de perfectionnement des maîtres, au même titre que la formation des enseignants des autres disciplines. Un centre chargé de la promotion et du développement de l’enseignement de la langue et de la culture amazighes a été crée et regroupe en son sein des universitaires et chercheurs de haut niveau avec pour missions de mener des travaux de recherche dans le domaine de l’aménagement et de standardisation linguistiques dans tous les aspects liés à l’enseignement de cette matière.

Ce texte rédigé le 31 décembre 2007 se voulait une description neutre de la situation de l'enseignement du tamazight en Algérie. Il s'agit d'un texte officiel tout à fait aseptisé, ignorant toutes les difficultés auxquelles doit faire face l'enseignement de cette langue.

La ministre de l'Éducation nationale, Nouria Benghabrit, a annoncé que l'enseignement du tamazight serait implanté aux établissements de 32 wilayas du pays lors de la rentrée scolaire de 2016-2017. Toutefois, étant donné que l'enseignement de la langue amazighe reste tributaire de la demande et qu'elle n'est pas enseignée comme manière obligatoire à l'instar de l'arabe ou du français, son enseignement demeure aléatoire.

5.3 Les difficultés majeures

De façon générale, les responsables berbérophones semblent très peu préoccupés de l'enseignement du tamazight dans leur pays. Des difficultés majeures empêchent la généralisation du tamazight, même dans les régions berbérophones comme la Kabylie.

Le plus grave problème vient du fait que l'enseignement du tamazight est facultatif, la langue d'enseignement demeurant obligatoirement l'arabe. En général, dans les pays où le respect des minorités linguistiques constitue un principe fondamental, les membres des minorités ont le droit d'employer leur langue maternelle comme langue d'enseignement, et aussi l'obligation d'apprendre la langue majoritaire comme langue seconde. Pas en Algérie!

Il faut préciser que l'enseignement facultatif est conditionnel à la fameuse «demande sociale», une redoutable arme aux mains des directions d'établissements scolaires, car celles-ci peuvent dispenser les élèves pour toutes sortes de prétextes. Par exemple, des directeurs refusent de prévoir des horaires ou des emplois du temps qui tiendraient compte de l’enseignement du tamazight.

Comme si ce n'était pas suffisant, il faut aussi qu'il y ait du personnel disponible et qu'un budget soit alloué. Or, l’ouverture des postes budgétaires destinés à l’enseignement du tamazight semble se faire de manière anarchique et entourée du plus grand secret, comme si prévoir des enseignants pour cette matière relevait d'une affaire d'État. En Algérie, comme tous les poste de travail deviennent effectivement une affaire d’État, certains villages et certaines municipalités ont pris le contrôle du pouvoir dans le domaine de l’enseignement afin d'accorder les postes aux habitants de leur agglomération.

À cela s'ajoute la pénurie de manuels en tamazight avec la problématique des trois alphabets (latin, arabe et tifinagh). Dans le cas des manuels scolaires, le contenu peut être écrit en trois alphabets différents, avec le résultat que les manuels sont trois fois plus lourds que ceux écrits en arabe et coûtent trois fois plus cher. Alors que la Kabylie a opté pour l'alphabet latin, la région des Aurès préfère les caractères arabes, tandis que dans le Sud les Touaregs utilisent les tifinaghs. Pour tous les Berbères, cet alphabet particulier témoigne de l'enracinement profond dans l’identité berbère.

Enfin, le tamazight a un statut de «langue tierce», c'est-à-dire qu'il n'est offert au primaire qu'à partir de la quatrième année, donc après l’arabe et le français, qui sont enseignés respectivement en première année, puis en deuxième ou en troisième année, selon le bon vouloir du ministre en poste. Pourtant, il est admis universellement que les méthodes d'apprentissage privilégient l'enseignement des langues au plus jeune âge possible. De plus, le nombre d'heures consacré à cet enseignement, soit une à trois heures/semaine selon le cas, paraît nettement insuffisant pour que les élèves réussissent à maîtriser cette langue.

On voudrait interdire l'enseignement de la langue maternelle aux minorités qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Dans ces conditions, on peut comprendre aisément la régression de l’enseignement du tamazight dans les écoles et sa gestion balbutiante par les administrions locales. Beaucoup d'enseignants se découragent et jettent l'éponge.

En somme, l'enseignement du tamazight correspond sans aucun doute à celui d'une langue étrangère, encore plus étrangère que le français, ce qui est peu dire. Les autorités algériennes n'ont cure du fait que le berbère (et ses variétés) est la langue première des berbérophones. De là à penser que tous ces blocages administratifs sont voulus et qu'ils sont destinés à décourager les élèves et parents afin de faire échouer le «stade expérimental» de cet enseignement, il y a un pas vite franchi.

En mai 2010, à l'issue des travaux de la 44e session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui s’est tenue à Genève, le Comité a adopté des observations finales au sujet des rapports des États examinés à cet occasion, dont celui de l’Algérie. Le Comité a réitéré à l’État algérien sa demande explicite de la langue amazighe comme langue officielle, mais il recommandait aussi de généraliser l’enseignement de la langue amazighe dans toutes les régions et à tous les niveaux d'enseignement. Le Comité a montré que ce que l’État algérien appelle «enseignement de la langue nationale amazighe» est loin d’être un enseignement digne de ce nom, car celui-ci ne touche qu’un pourcentage dérisoire de l’ensemble des élèves scolarisés, soit 2,5 %. En revanche, les berbérophones continuent d’être massivement scolarisés et alphabétisés en arabe.

6 Les médias berbères

La constitutionnalisation de la langue amazighe en avril 2002, en tant que «langue nationale» (et en février 2016 en tant que langue officielle) n’a entraîné aucune répercussion institutionnelle, notamment dans les médias. Théoriquement, le droit à l’information est garanti en Algérie à tous les citoyens, quelle que soit leur langue d’usage.

6.1 La législation actuelle

Pourtant, l'article 6 de la loi n° 90-07 du 3 avril 1990 relative à l'information n'autorisait que les publications périodiques en langue arabe et, après avis du Conseil supérieur de l'information, dans des langues étrangères, ce qui incluait le tamazight:

Article 6

Les publications périodiques d'information générale, créées à compter de la promulgation de la présente loi, sont éditées
en langue arabe.

Toutefois, les publications périodiques destinées à la diffusion et la distribution nationale ou internationale et les publications périodiques spécialisées peuvent être éditées
en langues étrangères après avis du Conseil supérieur de l'information.

L'année suivante, le décret exécutif n° 91-102 du 20 avril 1991 érigeant l’entreprise nationale de radiodiffusion sonore en établissement public de radiodiffusion sonore (1991) ne traitait encore que de la «langue nationale», l'arabe (art. 7), à propos de l'Entreprise nationale de radiodiffusion sonore, laquelle a été créée par le décret n° 86-146 du 1er juillet 1986: 

Article 7

L'établissement veille à la promotion de la langue nationale au niveau des moyens de production et de diffusion.

Article 11

L'établissement est tenu faire connaître le patrimoine culturel et civilisationnel de l'Algérie et les aspirations de son peuple à travers les différentes langues étrangères de diffusion.

Il fallut attendre en 2012 pour que la loi organique n° 12-05 du 12 janvier relative à l'information mentionne formellement «en langue nationales» ou «l'une d'entre elles», bien que l'État ait gardé une exclusivité à l'arabe dans les délibérations et les décisions de l’Autorité de régulation de la presse écrite (ARPE): 

Article 20

Les publications périodiques d’information générale créées à compter de la promulgation de la présente loi organique sont éditées en langues nationales ou l'une d’entre elles.

Toutefois, les publications périodiques destinées à la diffusion et à la distribution nationale ou internationale et les publications périodiques spécialisées peuvent être éditées en langues étrangères après accord de l’Autorité de régulation de la presse écrite.

Article 55

Les délibérations et les décisions de l’Autorité de régulation de la presse écrite se font dans la langue nationale officielle.

6.2 Les médias électroniques

Dans les faits, les Berbères n'ont droit qu'à fort peu de moyens, car la langue amazighe n’est pas très utilisée dans les médias électroniques. Elle ne bénéficie pas de nombreuses radios locales. La station Chaîne 2, une radio kabyle dont l'existence avait été menacée à plusieurs reprises dans les années 1970 a vu cependant sa place et son rôle fortement élargis et consolidés. Elle est devenue une radio nationale généraliste diffusant ses émissions en cinq variantes linguistiques amazighes: surtout en kabyle, mais également en chenoui, en chaoui, en mozabite et en targui. Ajoutons que la plupart des radios locales de Tizi Ouzou et de Béjaia sont berbérophones. D'autres radios locales (wilayas de Bouira, de Khenchela, de Batna, de Tipaza, d'Oum El Bouaghi, etc.) proposent des émissions en tamazight. Généralement, les nouvelles stations radiophoniques voient le jour lors d'une campagne électorale. À signaler qu'en France il existe plusieurs stations de radio et de télévision en berbère. Des chaînes radiophoniques locales ont vu le jour dans la plupart des wilayas, notamment en Kabylie. La langue utilisée est le kabyle. Dans les régions où certaines populations ont le tamazight comme langue, il existe des émissions dans la variété amazighe régionale. Cela étant dit, la chanson kabyle «engagée» est censurée en Algérie; plusieurs chanteurs ont été interdits de séjour et même arrêtés. 

La télévision, quant à elle, présente quotidiennement une brève version berbère (en kabyle et en chaoui) du journal télévisé, mais il n’y a pas encore d’émission normale en langue berbère. Des projets en ce sens dorment sur les tablettes depuis longtemps: on parle d'une «tranche horaire berbère» ou même de la création d’une seconde chaîne de télévision. De fait, une chaîne télévisée nationale a vu le jour, la Chaîne 2: les émissions sont présentées dans toutes les variétés berbères. Les bulletins d'information ne relèvent pas d'un contenu berbère spécifique, car ils transmettent intégralement le discours officiel des dirigeants algériens. Les émissions religieuses sont nombreuses et restent cantonnées dans la lecture répétitive du Coran. À cela s'ajoutent les menaces et les prêches moralisateurs des imans. Les émissions récréatives disposent d'une plus grande autonomie. Il existe aussi Tamazight TV 4, une chaîne généraliste en tamazight captable uniquement par satellite depuis 2009. Elle émet en kabyle, en chaoui, en tamasheq, en chenoui et en m'zabite, pour une durée de six heures par jour de 17 h à 23 h. Berbère Télévision diffuse de la France des émissions en kabyle (60 %) et en français (40 %).

Une chaîne de télévision publique en langue amazighe a été inaugurée en mars 2009 (A4 ou Algérie 4). D'abord diffusée seulement six heures par jour, elle a progressivement étendu ses horaires de diffusion. Cependant, son contenu ne semble pas correspondre aux attentes des berbérophones en ce qui a trait à la programmation. En effet, les stéréotypes règnent en Algérie berbérophone: les émissions sont dominées par le folklore, les programmes religieux islamiques, et les productions étrangères (surtout françaises) sont doublées en arabe, avec des sous-titres en tamazight transcrits à l'écran en alphabet arabe, ce qui rend ces émissions inaccessibles, voire inacceptables, pour la plupart des berbérophones. Comme on pouvait s'y attendre, la chaîne est boudée par la majorité de la population berbérophone.

De façon générale, la langue berbère utilisée par les médias électroniques contient beaucoup d'emprunts lexicaux majoritairement à l'arabe, mais aussi au français.   

6.3 La presse écrite

Aucune initiative des secteurs publics n’est venue encourager l’écriture de la langue amazighe dans les médias écrits. Depuis 1989, il est possible d’éditer des livres en tamazight sans se faire poursuivre par la police. Mais les incertitudes de la vie politique algérienne n'ont pas vraiment permis à l'édition berbère de prendre son essor. En ce qui a trait à la presse, plusieurs tentatives de création de périodiques ont échoué. Dans la passé, des militants berbérophones ont tenté de fonder des journaux ou des revues (Agraw Adelsan Amazig, Izuran, L’hebdo n Tmurt, etc.), mais sans succès notable. Ces résultats décevants s'expliquent en partie par un lectorat berbérophone insuffisant et par l'inertie de l'État dans les espaces publicitaires. En Algérie, la publicité publique est monopolisée par une institution de l'État. Au mieux, quelques journaux régionaux et nationaux font l'expérience d'une «page berbère» dans leur édition régulière.

La Dépêche de Kabylie est le seul quotidien berbère et il est publié en français avec un tirage limité à 10 000 exemplaires. Ce journal est classé en 24e position des tirages de la presse quotidienne algérienne; mais en 15e position si l'on ne tient compte que des quotidiens francophones généralistes. Quelques journaux régionaux et nationaux font néanmoins l’expérience d’une «page berbère» dans leur édition régulière.

7 Le point de vue des Nations unies

Le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels s'est intéressé de près à la question algérienne en matière de droits linguistiques. En novembre 2001, à l'occasion de la 27e session du Comité tenue à Genève le 30 novembre 2001, les conclusions finales rendues publiques étaient les suivantes (extrait):

[...] Les actions entreprises par le gouvernement algérien dans le domaine des droits de l’Homme en relation avec la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, sont en dessous de ce que préconise ladite Déclaration et le Programme d’action de Vienne.

L’arabe est la seule langue officielle du pays et la population amazighe continue de subir le déni concernant l’utilisation de sa langue au niveau officiel. Le Comité a pris acte de l’annonce par le gouvernement algérien le 3 octobre 2001, d’amender la Constitution afin de faire de la langue amazighe, une langue nationale. Par conséquent, le Comité :

- Recommande au gouvernement algérien, à la lumière du paragraphe 71 de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne, de préparer, par un processus ouvert et une large consultation, la mise en œuvre d’un plan d’action complet visant à s’acquitter de ses obligations internationales en matière de droits de l’Homme.

- Le Comité encourage l’Algérie à préserver la langue et la culture de la population amazighe et à prendre des mesures appropriées afin de mettre en œuvre les projets visant à accorder le rang constitutionnel à la langue amazighe comme cela a été annoncé par le gouvernement le 3 octobre 2001.

- Le Comité recommande en outre à l’État algérien de prendre des mesures pour reconnaître cette langue comme langue officielle.

- Le Comité demande au gouvernement algérien de diffuser le plus largement possible les conclusions de ce rapport et de le tenir informé des progrès réalisés dans leur mise en œuvre. [...]

On sait que, l'année suivante, le président Abdelaziz Bouteflika a rendu le tamazight «langue nationale» par l'introduction de l'article 3 bis de la Constitution.

7.1 Les droits des peuples autochtones

En septembre 2007, l'Algérie votait à l'Assemblée générale des Nations unies en faveur de la Déclaration des droits des peuples autochtones, ce qui signifiait que l'État algérien était en accord avec les articles 13, 14, 15 et 16 de la Déclaration : 

Article 13

1) Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.

2) Les États prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les procédures politiques, juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d’interprétation ou d’autres moyens appropriés.

Article 14

1) Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage.

2) Les autochtones, en particulier les enfants, ont le droit d’accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune.

3) Les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les autochtones, en particulier les enfants, vivant à l’extérieur de leur communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre langue.

Article 15

1) Les peuples autochtones ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations.

2) Les États prennent des mesures efficaces, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones concernés, pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la compréhension et de bonnes relations entre les peuples autochtones et toutes les autres composantes de la société.

Article 16

1) Les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune.

2) Les États prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent dûment la diversité culturelle autochtone. Les États, sans préjudice de l’obligation d’assurer pleinement la liberté d’expression, encouragent les médias privés à refléter de manière adéquate la diversité culturelle autochtone.

À sa 44e session de mai 2010, le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels, a recommandé au gouvernement algérien de reconnaître le tamazight comme langue officielle et d'intensifier ses efforts pour assurer l'enseignement de la langue et de la culture amazighes dans toutes les régions et à tous les niveaux d'enseignement, notamment en augmentant le nombre d'enseignants qualifiés de langue amazighe. En même temps, le Comité recommandait de réviser le Code de la famille afin de proscrire la polygamie, de supprimer l'obligation légale du tuteur matrimonial (obligatoirement un musulman) et de faire en sorte que le mariage d'une femme musulmane avec un non-musulman soit reconnu par la loi, sans exception.

Le Comité rappelait aussi l'Observation générale n° 21 de 2009 sur le droit des personnes appartenant à des minorités de participer à la vie culturelle:

Observation générale no 21 (2009)

Droit de chacun de participer à la vie culturelle

Les instruments relatifs aux droits civils et politiques, aux droits des personnes appartenant à des minorités de jouir de leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d'utiliser leur propre langue, en privé et en public, et de participer pleinement à la vie culturelle, aux droits collectifs des peuples autochtones sur leurs institutions culturelles, leurs terres ancestrales, leurs ressources naturelles et leurs connaissances traditionnelles, et au droit au développement, contiennent aussi des dispositions importantes en la matière.

Évidemment, l'Algérie est loin du compte avec ses minorités berbères. Dans le chapitre sur les minorités, le Comité, en se basant sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, décrit les droits des minorités comme une obligation pour les États de les protéger en tant que «composantes essentielles de l’identité des États eux‑mêmes»:

Minorités

32. De l’avis du Comité, le paragraphe 1 a) de l’article 15 du Pacte porte aussi sur le droit des minorités et des personnes appartenant à des minorités de participer à la vie culturelle de la société et de préserver, promouvoir et développer leur propre culture. De ce droit découle l’obligation pour les États parties de reconnaître, de respecter et de protéger les cultures minoritaires en tant que composantes essentielles de l’identité des États eux‑mêmes. En conséquence, les minorités ont le droit de jouir de leur diversité culturelle, de leurs traditions, de leurs coutumes, de leur religion, de leurs formes d’éducation, de leurs langues, de leurs moyens de communication (presse, radio, télévision, Internet, etc.) et de toutes les manifestations particulières de leur identité et de leur appartenance culturelle.

33. Les minorités et les personnes appartenant à des minorités ont le droit non seulement de jouir de leur propre identité, mais aussi de se développer dans tous les domaines de la vie culturelle. Ainsi, tout programme visant à promouvoir l’intégration constructive des minorités et des personnes appartenant à des minorités dans la société d’un État partie devrait reposer sur l’intégration, la participation et la non‑discrimination, afin de préserver le caractère distinctif des cultures minoritaires.

7.2 Des recommandations non sollicitées pour le gouvernement algérien

Pour l'État algérien, ce type de recommandations sera toujours considéré comme nul et non avenu tant que persistera l'idéologie arabo-musulmane exclusiviste, accompagnée d'une hostilité irraisonnée envers les autres cultures, y compris celles de ses propres minorités. 

Terminons cette question avec les propos d'un universitaire algérien, Salem Chaker (né en 1950), spécialiste de linguistique berbère à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) de Paris. Dans une entrevue accordée le 20 mai 2013 au journal Liberté, il faisait le constat suivant sur les politiques d'arabisation en Afrique du Nord:

On ne peut nier qu’à l’échelle de l’Afrique du Nord, la question a connu des avancées significatives. Mais ces avancées sont pour l’heure, même au Maroc, essentiellement symboliques. Sur le terrain des traductions concrètes, celui des mesures susceptibles d’assurer la survie et le développement réels du tamazight, on reste très loin du compte. Les résistances, dans la plupart des pays, demeurent puissantes : l’idéologie arabiste, caractérisée par une profonde hostilité à tout ce qui n’est pas arabe, conserve des positions tout à fait dominantes dans les appareils d’État et dans les milieux intellectuels proches du pouvoir, même s’il est évident qu’elle ne constitue plus aujourd’hui un horizon politique. Sa capacité de blocage et de nuisance demeure grande : c’est très nettement le cas en Algérie et en Libye, certainement aussi au Maroc. Dans le cas algérien, il est bon de rappeler que toutes les lois et décrets, postérieurs à la reconnaissance de 2002 du tamazight en tant que “langue nationale”, ont systématiquement réaffirmé le caractère exclusif de l’arabe (classique) en tant que langue officielle.

Le vrai défi pour l'Algérie consiste à sortir de son modèle d'une reconnaissance strictement patrimoniale et folklorisante, qui se limite à une simple tolérance en se basant sur le modèle français en ce qui a trait aux langues et cultures régionales (l'alsacien, le breton, le basque, l'occitan, etc.). Pour ce faire, il faudrait au moins une reconnaissance pleine et entière du tamazight sur le modèle espagnol, dans lequel le catalan, le basque et le galicien sont des langues co-officielles (Catalogne, Pays basque et Galice) avec l’espagnol.

En recourant à ces nombreuses lois sur l'arabisation, les dirigeants algériens semblent exploiter un sentiment anti-français primaire en vue de jouer sur le nationalisme arabophone. Si l'Algérie de 1962 était totalement francisée, celle des années 2010 est devenue grandement arabisée, mais par une langue arabe que personne ne parle. Autrement dit, les Algériens se sont toujours fait imposer une politique linguistique: celle de la France avec le français, celle de l'arabe littéraire après l'indépendance.

Pourtant, la société algérienne paraît plus multiforme et pluraliste que ne le laissent croire ses dirigeants. L'«algérianité» devrait davantage passer par les «véritables langues du peuple», soit l’arabe algérien et le berbère (tamazight), que par l’arabe littéraire ou le français. Or, l'arabe algérien ne bénéficie d'aucun statut et le berbère vient de se voir reconnaître tardivement un statut de «langue nationale et officielle», qui va se révéler aussi symbolique qu'auparavant, alors qu'il n'était qu'une langue nationale. La politique linguistique impose l'arabe littéraire — la langue qu'utilise le pouvoir — à l'exclusion de toute autre langue, que ce soit l'arabe algérien, le berbère et ses variétés ou le français. 

Pour la plupart des Algériens, l'arabe algérien, le berbère, l'arabe littéraire et le français font tous partie de leur patrimoine culturel. Abstraction faite des intégristes musulmans, les Algériens résistent à la politique d’arabisation autoritaire et refusent de changer leurs pratiques linguistiques, mais pour le moment ils restent encore prisonniers d'un régime qui les empêche d’évoluer. Il reste à espérer que la politique linguistique s'oriente un jour vers une attitude qui reflétera mieux la pluralité idéologique de la société algérienne et créera un espace de tolérance et d'ouverture en établissant ainsi des bases plus solides pour une démocratie.

Signalons qu'entre-temps la liberté de circulation est limitée à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. La frontière terrestre entre l'Algérie et le Maroc est fermée depuis 1994, empêchant ainsi les berbérophones vivant des deux côtés de la frontière d'entretenir des échanges, comme le prévoit la Déclaration des droits des peuples autochtones de l'ONU (2007), l'Algérie ayant voté pour son adoption. Un rappel qui donne lieu à l'observation suivante: ou bien la notion de «peuples autochtones» ne concernait que les Amérindiens de l'Amérique, ou bien elle ne référait qu'aux seuls arabophones. Chose certaine, elle ne visait pas les berbérophones.  

Dans l'état actuel des choses, toutes les langues utilisées depuis longtemps en Algérie souffrent d'une connotation négative. L'arabe algérien n'est pas une langue de culture, le berbère n'est qu'une langue de «second plan», l'arabe classique ou littéraire est devenu le symbole de l'échec scolaire et économique, le français demeure la langue colonisatrice. Il reste l'anglais, une langue totalement étrangère aux Algériens. Il devient alors difficile de réussir une politique linguistique dans de telles conditions. L'ex-chroniqueur au Quotidien d'Oran, Sid Ahmed Bouhaïk, a raison d'interpréter ainsi la situation linguistique en Algérie: «Si donc, nous nous sommes brouillés avec la culture, c'est que nous nous sommes d'abord brouillés avec nous-mêmes en nous tirant à qui mieux mieux la langue!»

La réconciliation linguistique n'est probablement pas pour demain, mais elle s'avère nécessaire pour sortir les Algériens d'une voie sans issue. Les faits tendent à démontrer que le peuple algérien tient à toutes ses langues et que, contrairement à ses dirigeants, il n'est pas prêt à sacrifier une seule d'entre elles. Jamais dans l'histoire du pays, les Algériens n'ont-ils parlé autant l'arabe classique (ou littéraire) et le français. La seule langue avec laquelle tout le monde est d'accord: ajouter l'anglais comme langue seconde à l'arabe algérien, au berbère, à l'arabe littéraire et au français. Loin de s'enfoncer dans une voie rectiligne, les Algériens semblent très majoritairement préférer une plus grande ouverture sur le monde. Mais les dirigeants traînent de la patte avec quelques décennies de retard. Pour le moment, la politique linguistique de l'État algérien concernant ses minorités linguistiques berbérophones est excessivement limitative et bien en-deça des normes minimales acceptables pour la communauté internationale.

Dernière mise à jour: 18 déc. 2023
 
-
L'Algérie
 
-

(1)
Données démolinguistiques

(2) Données historiques et conséquences linguistiques
 

(3) La politique linguistique d'arabisation
 

(4)
Les droits linguistiques des berbérophones
 

Loi no 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de l'arabe
 

(5)
Bibliographie

 

Afrique

Accueil: aménagement linguistique dans le monde