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Algérie
(3) La politique linguistique
d'arabisation |
Remarque:
tous les sites portant sur cette question et qui
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sont des plagiats non
autorisés de ce dernier.
Avis: cette
page a été révisée par Lionel Jean, linguiste-grammairien. |
Plan de l'article
1.
Un État
arabo-musulman
1.1 Les dispositions constitutionnelles de
1963 à 2016
1.2 La Charte nationale de 1986
1.3 Le choix de l'arabisation
1.4 Le rejet du berbère
2.
La législation et le statut de l'arabe
2.1 L'importance de
l'arabité et de la langue arabe
2.2 La place restreinte de l'amazighité
3.
La politique d'arabisation
3.1 Les lois
arabisantes à l'ère des colonels
3.2 Une pause dans la législation
linguistique
3.3 Les lois évinçant le français et le
tamazigh
4.
La langue du Parlement
4.1 L'arabe littéraire
4.2 Les langue interdites
5. La
langue de la justice
5.1 L'usage exclusif de l'arabe
5.2 L'arabe algérien et le kabyle
6.
L'administration publique
6.1 L'éviction des fonctionnaires francisés
6.2 l'exclusivité de l'arabe |
6.3 L'arabe et les symboles de l'État
6.4 Les patronymes et l'état civil
6.5 L'arabisation et les partis politiques
6.6 Les entreprises publiques
6.7 Les sanctions pénales
7.
Les
langues en éducation
7.1 L'école publique et l'enseignement des
langues
7.2 Les problèmes de l'enseignement algérien
7.3 Les écoles privées
7.4 L'enseignement supérieur
8.
L'affichage commercial et la vie économique
8.1 La publicité commerciale
8.2 La modification du paysage linguistique
8.3 La persistance du bilinguisme
8.4 L'étiquetage des denrées alimentaires
9.
Les
médias et les langues
9.1 La presse écrite
9.2 La radio algérienne
9.3 La télévision algérienne
10.
La politique
appliquée envers la Francophonie
10.1 Le virage apparent
10.2 La persistance du français |
Depuis l'acquisition de l'indépendance, l'État algérien
tient à se définir comme
arabe et musulman. La politique linguistique et culturelle mise en œuvre par le
Front de libération nationale (FLN), le parti socialiste algérien qui contrôle
le pouvoir depuis l'indépendance, ainsi que par les différents gouvernements qui se
sont succédé, a constamment favorisé l'arabisation et l'islamisation de la société
algérienne. Les constitutions successives depuis 1963 restent invariables
sur ce plan: l'islam est la religion de l'État et l'arabe, sa langue nationale
et officielle.
1.1 Les dispositions constitutionnelles
de 1963 à 2016
- La Constitution de 1963
Constitution de 1963
[abrogée]
Article 4
L'islam
est la religion de l'État. La République garantit à chacun le
respect de ses opinions et de ses croyances, et le libre
exercice des cultes.
Article 5
La
langue arabe est la langue nationale et officielle de l’État.
Article 76
La réalisation
effective de l’arabisation doit avoir lieu dans les meilleurs délais
sur le territoire de la République. Toutefois, par dérogation aux
dispositions de la présente loi, la langue française pourra être
utilisée provisoirement avec la langue arabe.
|
- La Constitution de
1976
Constitution de 1976
[abrogée]
Article 2
L’islam est la religion de l’État.
Article 3
L’arabe est la langue
nationale et officielle. L’État œuvre à généraliser l’utilisation de
la langue nationale au plan officiel.
|
- La Constitution de
1989
Constitution du 23 février 1989
[abrogée]
Article 2
L’islam est la religion de l’État.
Article 3
L’arabe est la langue nationale et officielle.
|
- La
Constitution de 1996 (en vigueur jusqu'en 2016, mais modifiée en 2002 et en
2008)
Constitution de 1996
[abrogée]
Article 2 (1996)
L’islam est la religion de l’État.
Article 3
(1996)
L’arabe est la langue nationale et officielle.
Article 3 bis
(adopté le 10
avril 2002)
Le tamazight est également langue
nationale.
L'État œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire
national.
Article 178 (adopté le 15 novembre 2008)
Toute révision constitutionnelle ne peut porter
atteinte :
1- au caractère républicain de l’État; 2- à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme; 3- à l’islam, en tant que religion de l’État; 4- à l’arabe, comme langue nationale et officielle; 5- aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen; 6- à l’intégrité et à l’unité du territoire national.
|
- La Constitution de 2016 (en vigueur)
Constitution actuellement en vigueur
Article 2
L’islam est la religion de l’État.
Article 3
L'arabe est la langue nationale et officielle.
L'arabe demeure la langue officielle de l'État.
Il est créé auprès du président de la République un
Haut Conseil de la langue arabe.
Le Haut Conseil est chargé notamment d'œuvrer à
l'épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation
dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu'à l'encouragement de
la traduction vers l'arabe à cette fin.
Article 3 bis
[Le] tamazight est également langue nationale et
officielle.
L'État œuvre à sa promotion et à son développement dans
toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national.
Il est créé une Académie algérienne de la langue
amazighe, placée auprès du président de la République.
L'Académie qui s'appuie sur les travaux des experts
est chargée de réunir les conditions de promotion du tamazight en vue de
concrétiser, à terme, son statut de langue officielle.
Les modalités d'application de cet article sont fixées
par une loi organique.
Article 178
Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :
(1) au caractère républicain de l'État;
(2) à l'ordre démocratique, basé sur le multipartisme;
(3) à l'islam, en tant que religion de l'État;
(4) à l'arabe, comme langue nationale et officielle;
(5) aux libertés fondamentales, aux droits de l'homme et du citoyen;
(6) à l'intégrité et à l'unité du territoire national;
(7) à l'emblème national et à l'hymne national en tant que symboles de la
Révolution et de la République.
(8) au fait que le président de la République est rééligible une seule fois.
|
On constate bien en réalité que les changements sont mineurs. Certes, le
tamazight est déclaré «également langue nationale et officielle», mais il
demeure subordonné à l'arabe. Si «l'arabe demeure la langue officielle de
l'État», ce n'est pas le cas pour le tamazight. L'État algérien s'engage à
utiliser l'arabe (classique), mais se contente d'œuvrer à la promotion et au
développement du tamazight dans toutes ses variétés linguistiques, ce qui
n'implique pas que l'État l'utilisera. De plus, le fait de privilégier toutes
les variétés amazighes, mais une seule variété d'arabe, risque de noyer le
poisson dans l'eau. C'est appliquer le principe bien connu de «diviser pour régner». Rien ne
change dans ce pays: ni l'arabisation coranique, ni la non-égalité juridique du
tamazight, ni le statut dévolu au français.
Les autorités algériennes ont toujours agi comme si les
berbérophones n'existaient pas! Pourtant, les Berbères
comptent en Algérie pour près du tiers de la population, soit 8,8 millions
d'Algériens représentant ainsi 27,4 % des citoyens (34,8 millions
d'habitants en 2008), par rapport à 72 % d'arabophones. Plusieurs pays, dont le
Canada, la
Suisse et la Finlande, possèdent au
moins deux langues
officielles tout en comptant une population minoritaire moindre qu'en Algérie.
|
Algérie |
Canada |
Suisse |
Finlande |
Langues officielles |
arabe |
anglais et français |
allemand, français italien et romanche |
finnois et suédois |
Majorité |
arabe: 72 % |
anglais: 57 % |
allemand: 63,7 % |
finnois: 91,2 % |
Minorité(s) |
tamazight: 27,4 % |
français: 21,7 % |
français: 20,4 % - italien: 6,5 % -
romanche: 0,5 % |
suédois: 5,5 % |
L'Algérie a développé et
imposé une idéologie arabo-islamique, laquelle considère que la diversité
linguistique est un danger pour l'unité nationale et un germe de division, et
que seul l'unilinguisme arabe peut être garant de cette unité nationale.
1.2 La Charte nationale de 1986
Ainsi, la Charte nationale du 16 février 1986,
alors une loi à
valeur constitutionnelle, ne mentionne aucunement l'existence du berbère ou du
tamazight, ni par ailleurs le type d'arabe retenu. Le texte utilise l'expression
«langue nationale», non pas «langue officielle», en faisant référence à la
langue arabe, celle-ci étant par défaut associée à l'arabe littéraire
(classique»), non à l'arabe algérien :
1. La langue arabe
Dans cette même optique,
la langue arabe qui est la langue nationale, est un éléments
fondamental de la personnalité nationale du peuple algérien. Aussi,
la généralisation de son utilisation est-elle une des missions
essentielles de la société algérienne dans le domaine de
l'expression des manifestations de la culture, et dans tous les
autres domaines de son activité nationale, et est l'expression de
l'idéologie du parti du Front de libération nationale (FLN). En
retrouvant son propre équilibre à travers l'expression de son
identité, grâce à un outil authentique, l'Algérie contribuera,
beaucoup mieux, à enrichir la civilisation universelle tout en
profitant, à bon escient, de ses apports et expériences.
Portée par la ferveur
populaire, la généralisation de l'utilisation de la langue nationale
réalise, de jour en jour, des progrès considérables et permet à de
larges secteurs, notamment la jeunesse, de se retrouver dans l'usage
de la langue nationale. Il s'agit là, objectivement, d'un acquis
d'une grande portée et qui n'est, au demeurant, que très légitime.
Il constitue déjà, en même temps, qu'une réponse à l'une des
aspirations majeures du peuple algérien pendant l'occupation
étrangère, un environnement culturel et psychologique qui
prédisposera l'appareil de l'État, le Parti, les organisations de
masses, les entreprises économiques, à parachever, par des mesures
appropriées, l'utilisation de la langue arabe dans leurs services.
De cette façon, et les initiatives de la Direction politique aidant
pour hâter la réalisation méthodique de ce grand projet, se
concrétisera la généralisation de l'usage d'une même langue de
travail, d'enseignement et de culture, objectif qui s'identifie,
entre autres, à la préservation de toutes les composantes
essentielles de la personnalité du peuple algérien.
La démarche de
restauration de la langue nationale dans ses droits et sa nécessaire
adaptation à tous les besoins de la société n'excluent pas un ferme
encouragement à l'acquisition des langues étrangères. À cet égard,
l'idéal à la réalisation duquel s'attelle la Révolution dans ce
domaine est de sauvegarder l'authenticité tout en assurant
l'ouverture nécessaire pour bénéficier des aspects positifs des
autres cultures et de veiller à ce que le citoyen puisse maîtriser
sa langue nationale qui garde priorité et primauté, en même temps
qu'il acquiert l'usage d'autres langues.
L'accès aux cultures
universelles, une fois assurée la maîtrise de la langue nationale,
permet une communication positive avec le monde extérieur, pour
tirer profit de l'esprit créateur d'autrui dans les domaines
de la science et de la technologie.
De ce fait, la langue
nationale acquerra plus d'aptitude à communiquer avec son temps et
retrouvera progressivement son rôle en tant qu'instrument universel
qui véhicule la civilisation, génère la culture, assimile les
sciences et la technologie et se mettra de nouveau au service de la
civilisation humaine. |
La Charte nationale fut adoptée par référendum le
16 janvier 1986, puis reconnue par le Décret n° 86-22 du 9 février 1986
relatif à la publication au Journal officiel de la République algérienne
démocratique et populaire de la Charte nationale adoptée par référendum du 16
janvier 1986. Comme la Charte de 1976, celle de 1986 fut conçue comme
une déclaration de principes générale, plutôt que comme un texte établissant des
droits et obligations détaillés. De longs développements sont consacrés aux
fondements historiques de la société algérienne, puis aux références
idéologiques que sont l'islam et le socialisme. La langue arabe demeurait la
seule langue nationale et officielle, alors que les autres langues, forcément
des «langues étrangères», n'étaient citées que par des allusions à la
mondialisation, à la science et à la technologie. La Constitution abrogée de 1976
déclarait que la Charte nationale était la
source fondamentale de la politique de la
nation et des lois de l’État:
Article 6
[abrogé]
La Charte nationale est la source fondamentale de la politique
de la nation et des lois de l’État. Elle est la source de
référence idéologique et politique pour les institutions du Parti
et de l’État à tous les niveaux. La Charte nationale est
également un instrument de référence fondamental pour toute
interprétation des dispositions de la Constitution.
|
À l'époque, la Charte nationale avait même primauté
sur la Constitution, du moins selon l'interprétation qu'on pouvait en faire.
Mais la
Constitution de 1989, qui a suivi, ne faisait plus aucune allusion à cette
charte. Même le mot charte est disparu, ainsi que les articles qui y
faisaient référence. La seule Charte dont il est question est la Charte des
Nations unies. Cependant, la Constitution de 1989 n'a jamais formellement abrogé la
Charte nationale. On a procédé pareillement pour la Constitution de 1996, celle qui est actuellement en vigueur; le mot
Charte n'apparaît qu'aux articles 28 et 95 pour faire allusion à la
Charte des Nations unies.
1.3 Le choix de l'arabisation
Cette politique d’arabisation a entraîné plusieurs
conséquences fâcheuses. Elle a polarisé les différences entre les élites
arabophones et les élites francophones, élites que le système d'éducation actuel continue
largement de reproduire. La politique d'arabisation a aussi favorisé l'émergence du
nationalisme berbère. L'arabisation et la poursuite de l’arabité ont eu comme
corollaire l’islamité. La religion musulmane avait échappé au colonialisme
français et était même devenue le principal pôle de la résistance algérienne.
C'est pourquoi les autorités algériennes se sont toujours appuyées sur une
politique d’arabisation, car celle-ci consacrait la légitimité de l’État dont
l’islam était le dépositaire. La religion a été ainsi utilisée comme un instrument
pour contenir une possible progression des mouvements laïcs et démocratiques. En
même temps, elle a favorisé les mouvements extrémistes islamistes et permis
d’augmenter leur influence politique jusqu'à menacer le pouvoir en place.
Or, les Kabyles se sont toujours opposés à cet État arabo-musulman duquel ils se
considèrent exclus en tant que groupe ethnique. Ils ont toujours refusé
cette interprétation de l'histoire exclusivement arabo-musulmane et cette
conception arabo-centrique de la question nationale. À l'époque, Rachid Ali Yahia, alors
directeur du journal L'Étoile algérienne, le journal de la Fédération de
France du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD),
expliquait (1948) de la façon suivante de point de vue selon lequel l'Algérie devait être
algérienne au risque de tomber dans une autre forme d'impérialisme... arabe,
celui-là :
L'Algérie n'est pas arabe, mais algérienne. Il faut former une
union de tous les Algériens musulmans qui veulent lutter pour la
libération nationale, sans distinguer entre Arabe et Berbère.
[...] Nous dépassons résolument la question raciale. [...] Nous
lisons depuis un certain temps dans les journaux, et certains
leaders l'ont dit, que l'Algérie est arabe. Non seulement ces
propos sont faux, mais l'idée qu'ils expriment est clairement
raciste, voire impérialiste. (Cité par Janet Dorsh Zagoria,
thèse de doctorat, Columbia University, 1973).
|
Le Parlement algérien a adopté, il est vrai, en avril 2002, à l’unanimité,
une modification constitutionnelle instituant le tamazight comme «langue nationale»
: ce fut la
loi no 02-03 du 10 avril portant révision
constitutionnelle (2002).
Ce geste historique est intervenu à l'approche des élections législatives, alors que
le climat tendu par les manifestations et les revendications remettait en cause
l’autorité de l’État en Kabylie. Quoi qu'il en soit, le statut de la prééminence
de l'arabe n'a
pas changé, puisque le
tamazight n'est qu'une «langue nationale»
— non une «langue officielle»
— que
l'État s'engage à promouvoir, mais non pas à utiliser (contrairement à l'arabe).
Compte tenu de l’attachement à l’arabité et de l’anti-berbérisme ancrés dans la
culture algérienne, tant de la part des autorités politiques que des forces
armées, la recherche d’une solution risque d’emprunter la voie de la
confrontation plutôt que celle du compromis, au mieux celle de l'évitement qui
consiste à temporiser par des mesures symboliques et des promesses non tenues.
1.4 Le rejet du berbère
Au lendemain de l'indépendance, le FLN (parti au pouvoir) a entraîné les
Algériens dans le rêve du pays indépendant qui devait apporter le bonheur à tous,
tout en réduisant la part berbère au minimum, ce qui a eu comme conséquence de
compromettre les perspectives d’une Algérie démocratique et moderne. Le véritable
problème, c'est que l'idéologie officielle insiste encore sur la supériorité
prétendue de
l'arabe classique et de la culture arabo-musulmane sur la «culture algérienne»
véhiculée essentiellement par l'arabe algérien et le berbère ainsi que ses variétés
régionales.
On le sait maintenant, ce n'est pas ce point de vue de la
nation algérienne incluant Arabes et Berbères qui a prévalu en Algérie. Les
premiers dirigeants, tous arabophones, ont préféré conserver le pouvoir pour eux
plutôt que de le partager avec la minorité berbère. Pour les arabophones de
l'époque, l'Algérie devait être arabe et rien d'autre. La notion de «berbérophonie»
était perçue comme une pure invention du colonialisme français en vue de diviser la grande
nation arabe. Il faut comprendre que la communauté majoritaire du pays est
arabophone et musulmane, et qu'elle ne peut s'opposer à l’arabisation et à sa
dimension islamique. Il se trouve que cette arabisation se fait sur le dos des
citoyens algériens de langue berbère. Dans un État démocratique moderne,
l'arabisation devrait s'accompagner en même temps d'une berbérisation afin de
favoriser tous les Algériens. Dans le cas contraire, c'est la dictature
de la majorité qui finit par s'imposer.
L'article 3 de la Constitution de février 1989 stipulait
que «l'arabe est la langue nationale et officielle». C'était la seule
disposition constitutionnelle concernant cette langue, mais elle permettait la
poursuite légitime de la politique d'arabisation. La Constitution de 1989 a été
modifiée le 28 novembre 1996 à la suite d’un référendum et est entrée en vigueur le 7
décembre 1996.
2.1 L'importance de l'arabité et de la
langue arabe
La Constitution de 1996 commence par un long préambule dont un
passage fait mention de l’amazighité (la civilisation berbère) comme l'une
des «composantes fondamentales» de l’identité algérienne avec «l’islam et
l’arabité»:
Le 1er novembre 1954
aura été un des sommets de son destin. Aboutissement d'une longue résistance
aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes
fondamentales de son identité que sont l'islam, l'arabité et l'amazighité,
le 1er novembre aura solidement ancré les luttes présentes dans
le passé glorieux de la Nation.
|
Ainsi, l'islam, l'arabité et l'amazighité sont devenus les
trois éléments constitutifs de la «personnalité» nationale algérienne. L’article
2 reconnaît, comme dans la Constitution précédente, que l’islam est la religion
de l’État: «L'islam est la religion de l'État.» Quant à l’article 3, il
reproduit intégralement la disposition constitutionnelle de 1989: «L'arabe est
la langue nationale et officielle.»
On peut se demander quelle sorte d’«arabe» est visée dans la Constitution. Est-ce l’arabe coranique, l'arabe
littéraire ou l’arabe algérien? Il semble bien que cette ambiguïté ait été
voulue ainsi, car elle permet de jouer sur plusieurs tableaux: un arabe coranique à
peu près inconnu du peuple lui-même et essentiellement symbolique, un arabe
littéraire jamais parlé et un arabe algérien parlé par tous mais non reconnu
officiellement. En cas de complication, il serait toujours temps de se rabattre sur
la «langue du peuple», mais jusqu'ici l'État algérien arabo-musulman a su jouer
habilement sur cet ambiguïté en misant tout sur l'arabe littéraire (classique).
2.2 La place restreinte de l'amazighité
Aucune mention n’était donc faite de cette
autre identité algérienne qu’est l'amazighité. On voit bien le caractère
contradictoire d’une telle reconnaissance juridique puisque toutes les autres
dispositions de la Constitution restent silencieuses sur les droits qui devraient
découler de la reconnaissance de l'«amazighité». En 2002, un
article 3 bis a été
ajouté à l'article 3 de la Constitution:
Article 3
L'arabe est la langue
nationale et officielle.
Article 3 bis
Le tamazight est
également langue nationale. L'État œuvre à sa promotion et à son
développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le
territoire national.
|
Cependant, le tamazight ne bénéficie pas du même statut que
l'arabe. Si l'arabe est une langue officielle, ce n'est pas le cas du tamazight
qui n'a que le statut d'une «langue nationale». Ces statuts de «langue officielle» et de
«langue nationale» ne sont pas définis par la Constitution, ni dans aucun texte, mais il est certain
que la langue officielle est nécessairement employée par l'État, alors que la
langue nationale ne peut être qu'encouragée, l'État ne s'engageant qu'à œuvrer à
sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en
usage sur le territoire national. En fait, l'État algérien ne peut plus,
du moins ouvertement, ignorer ou combattre le tamazight. Il peut lui
accorder cette disposition ayant une grande valeur de symbole dans le but de calmer
les revendications berbères.
Par exemple, l’article 29 de la Constitution pourrait
contribuer à protéger les citoyens berbérophones,
puisqu’il déclare que tous les Algériens jouissent d’une égalité juridique sans
aucune discrimination que ce soit :
Article 29
Les citoyens sont égaux devant la
loi, sans que ne puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de
naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou
circonstance personnelle ou sociale.
|
On se serait attendu à voir le mot «langue» dans le texte
accompagnant la race, le sexe, l'ethnie, la fortune, etc., mais cette omission, elle
aussi, est volontaire. Il est donc possible en Algérie de discriminer les citoyens sur
la base de la langue. Par ailleurs, la Constitution de 1996 a donné plus de
pouvoir au Conseil des ministres et au président qui nomme partiellement le
Conseil national (Sénat), ce qui permet ainsi de réduire l’influence de
l'opposition et prive le peuple algérien d'une représentation démocratique au
sein de cette assemblée.
Compte tenu de l'histoire algérienne et des réactions
antifrançaises ou anticoloniales qui se sont manifestées, le statut juridique de l'arabe a été
nettement plus défini que, par exemple, en Tunisie et au Maroc. Il faut, à ce sujet, noter
qu'au lendemain de l'indépendance l'administration publique du pays était restée
totalement francisée. Les quelque 22 000 fonctionnaires algériens formés par la France
constituaient une redoutable force de résistance à l'arabisation, mais le régime
algérien ne pouvait pas se passer de ses fonctionnaires. Il a donc fallu
composer avec ces derniers et procéder par étapes, car les fonctionnaires
tentaient de s’opposer à la transformation de l'administration coloniale en celle
d'un État arabo-musulman.
Plus d'une trentaine de lois ayant trait à l'arabisation ont
été adoptées, mais peu d'entre elles ont pu être intégralement respectées. Le coup
d'envoi de l'arabisation fut donné par le président
Ben Bella (1962-1965)
qui fit promulguer, le décret du 22 mai 1964, le premier décret portant sur
l'arabisation de l'administration. Ce décret fut suivi du
décret n° 64-147 du 28 mai 1964 relatif à l'exécution
des lois et règlements (1964)
imposant l'arabe dans la rédaction des lois et règlements ainsi que, à titre
provisoire, une édition en langue française.
Ces décrets constituaient une suite logique de sa déclaration
antérieure à l'aéroport de Tunis en juillet 1963: «Nous sommes arabes, nous
sommes arabes, nous sommes arabes.» Tout en s'adressant aux Français, ce message
était aussi dirigé vers les militants berbéristes ainsi qu'aux dirigeants
proche-orientaux pour leur signifier formellement son adhésion au «monde arabe».
3.1 Les lois arabisantes à l'ère des
colonels
Par la suite, ce fut le président
Houari Boumédiène
(1965-1978) qui fit adopter les textes de loi suivants:
- l'ordonnance n°
66-155 du 8 juin 1966 portant code de procédure pénale
(1966);
- l'ordonnance n° 68-92
du 26 avril rendant obligatoire, pour les fonctionnaires et
assimilés, la connaissance de la langue nationale (1968);
- l'ordonnance
n° 70-20
du 19 février relative à l’état civil
(1970);
- l'ordonnance n° 73-55 du 1er
octobre relative à l'arabisation des timbres nationaux
(1973);
- le
décret n° 74-70 du 3 avril 1974
portant arabisation de la publicité commerciale (1974);
- le
décret n° 81-36 du 14 mars 1981 relatif à
l'arabisation de
l'environnement (1981);
- l'ordonnance
no 76-35 du 16 avril, portant
organisation de l’éducation et de la formation (1976);
- le décret n° 76-66 du 16
avril relatif au caractère obligatoire de l'enseignement fondamental
(1976);
- le décret n° 76-67 du 16 avril
1976 relatif à la gratuité de l'éducation et de la formation
(1976);
- le décret n° 76-70 du 16
avril portant organisation et fonctionnement de l'école préparatoire
(1976);
- l'arrêté du 21 avril 1976 relatif à la
publicité des prix (1976);
- la
Déclaration universelle des droits des peuples
(1976).
À la mort de Boumédiène en 1978, un autre
colonel fut porté au pouvoir,
Chadli Bendjedid
(1979-1992), ne parlant pas français, mais le tamazight et l'arabe.
Avec lui, l'arabisation augmenta d'un cran avec les lois et décret
suivants:
- le
décret n° 80-146 du 24 mai modifiant le décret n° 66-306 du 4
octobre 1966 relatif au fonctionnement de l'École nationale d'administration
(1980);
- le
décret n° 81/26 du 7 mars 1981 portant établissement d'un lexique
national des prénoms (1981);
- le
décret n° 81-28 du 7 mars
relatif à la transcription, en langue nationale, des noms
patronymiques
(1981);
- le
décret n° 81-36 du 14 mars 1981 relatif à
l'arabisation de
l'environnement (1981);
- la
loi n° 86-10 du 19 août portant création de l'Académie algérienne de langue arabe
(1986);
- la
loi n° 89-11 du 5 juillet 1989 relative aux associations à caractère
politique (1989, abrogée);
- le
décret présidentiel n° 89-124 du 25 juillet 1989 instituant le «Prix Houari
Boumédiène pour la promotion de la création en langue nationale»
(1989);
-
la loi n° 90-07 du 3 avril
relative à l'information
(1990);
-
le
décret
exécutif n° 90-366 du 10 novembre
(1990);
- le
décret exécutif n° 90 - 367 du 10 novembre
(1990);
- la loi
n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de
l'utilisation de la langue arabe
(1991);
- le décret
législatif n° 92-02 du 4 juillet
relatif à la mise en œuvre de la loi n° 91-OS du 16 janvier 1991,
portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe
(1992);
- le
décret présidentiel n° 92-303 du 4 juillet relatif aux modalités
de la mise en œuvre de la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991
relative à la généralisation de l'utilisation de la langue arabe
(1992);
3.2 Une pause dans la législation
linguistique
Après la «démission» du président Chadli Bendjedid, le 11
janvier 1992, Mohamed Boudiaf fut
rappelé en Algérie pour devenir le président du Haut Comité d’État (HCE) en
charge provisoire des pouvoirs de chef de l'État. Boudiaf ne demeura que cinq
mois à la tête de l'État. Juste avant son assassinat, le 29 juin 1992, il mit sur pied une commission afin de «geler» la
loi no 91-05 du 16 janvier 1991 portant
généralisation de l'utilisation de la langue arabe. Il n'eut pas le temps
d'intervenir autrement sur la question linguistique.
Le colonel
Ali Kafi (1992-1994) succéda à
Boudiaf le 2 juillet 1992, alors que le pays était en pleine «décennie noire», en tant
que président du Haut Comité d'État (HCE). Deux
jours plus tard, reprenant la cause de l'arabisation, Kafi signait
deux décrets apparemment contradictoires: le
décret présidentiel n°
92-303 du 4 juillet 1992 et le
décret législatif n° 92-02 du 4
juillet 1992. D'une part, le décret 92-303 déclarait que «la
généralisation de l'utilisation de la langue arabe, comme langue
nationale et officielle, dans toutes les administrations publiques,
les institutions, les entreprises et les associations [...] est un principe
fondamental irréversible», d'autre part, le décret 92-02 suspendait
la
loi no 91-05 du 16 janvier 1991 «jusqu'à réunion des
conditions nécessaires».
La population algérienne ne
s'en plaignit nullement.
Sous le règne du président
Liamine Zeroual
(1994-1999), seules
une loi et une ordonnance furent adoptées sur l'arabisation: l'ordonnance no 96-30 du
21 décembre (1996)
et la
loi no 99-05 du 4 avril portant loi d'orientation sur
l'enseignement supérieur (1999). C'est
lui également, qui signa l'ordonnance
n° 97-09 6 mars portant loi organique relative aux
partis politiques (1997) imposant
la langue arabe.
3.3 Les lois évinçant le français et le
tamazigh
Depuis l'accession du président
Abdelaziz
Bouteflika, élu en avril 1999, ont été adoptés les textes qui suivent :
- le
décret
présidentiel n° 95-147 du 27 mai, portant création du Haut Commissariat
chargé de la réhabilitation de l'amazighité et de la promotion de la langue
amazighe
(1995);
- l'ordonnance n° 96-30 du
21 décembre
(1996);
- l'ordonnance
n° 97-09 6 mars 1997 portant loi organique relative aux
partis politiques (1997);
- la
loi n° 99-05 du 4 avril portant loi d'orientation sur
l'enseignement supérieur (1999);
- l'ordonnance n° 03-09 du 13 août
modifiant et complétant l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril portant organisation de l’éducation et de la formation
(2003);
- l'ordonnance n° 03-05 du 19 juillet sur la
protection des droits d’auteur et droits voisins
(2003);
- le décret
exécutif n° 03-470 du 2 décembre 2003 portant création, organisation et
fonctionnement d'un centre national pédagogique et linguistique pour
l'enseignement du tamazight (2003);
- l'ordonnance n° 05-07
du 23 août fixant les règles générales régissant l’enseignement
dans les établissements privés d’éducation
(2005);
- la
loi
du 23 janvier 2008 n° 08-04 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008);
- la
loi n° 08-09 du 25
février portant code de procédure civile et administrative
(2008);
- le
décret exécutif n°
09-318 du 6 octobre portant organisation de l'administration
centrale du ministère de l'Éducation nationale (2009);
- le
décret présidentiel n°10-236 du 7 octobre portant réglementation des marchés
publics (2010);
- la
loi organique n° 12-05 du 12 janvier relative à l'information
(2012).
De tous ces actes législatifs ou décrets et ordonnances,
c'est la
loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant
généralisation de l'utilisation de la langue arabe
qui constitue le texte le plus important depuis l'indépendance de l'Algérie. Cette loi vise
à exclure l'usage et la pratique du français dans l’administration publique, la
justice, le
monde de l’éducation (incluant les universités), les hôpitaux, les secteurs
socio-économiques, etc. Elle vise également à évincer l'élite francisée formée
essentiellement dans les écoles d’administration publiques algériennes et
représentant l'encadrement technique et scientifique de tous les secteurs
d'activité. En définitive, la loi de 1991 impose l'usage unique de la langue
arabe, interdit toute «langue étrangère» et prévoit pour les contrevenants de
fortes amendes (équivalant de 150 $ à 1200 $ US).
Si l’État algérien visait par sa
loi n° 91-05 l’unicité de la
nation algérienne, les associations berbères y voyaient une loi «scélérate» qui
avait pour but non seulement d’accélérer et d’intensifier le processus
d'arabisation, mais surtout de supprimer définitivement le berbère (en
particulier le tamazight) comme langue d’une importante minorité (plus du tiers
de la population). Certains représentants de la minorité berbérophone se
considéraient «hors-la-loi dans leur propre pays». Le gouvernement algérien
avait imposé le 5 juillet 1998 (date anniversaire de l’indépendance) comme date
limite pour l'arabisation dans l'ensemble de la vie algérienne (administration,
justice, affaires, médias, éducation, etc.). La loi no 91-05 fut modifiée par la
loi du 21 décembre 1996, mais en réalité elle n’ajouta
pas grand-chose à la loi
précédente. La généralisation de l'arabe touche les secteurs où le français est
encore la langue de travail majoritaire, dont la vie économique et l'université
pour les matières scientifiques.
Le 12 juin 1963, l'Assemblée nationale adopta une motion en
faveur de l'introduction de la langue arabe dans les débats du Parlement. Aucune
loi ne précisait auparavant le statut des langues au Parlement. Puis le
président Ben Bella fit adopter le
décret n° 64-147 du 28 mai 1964 relatif à l'exécution
des lois et règlements, qui ordonnait
l'usage de l'arabe dans la rédaction des lois et règlements, ainsi que celui du
français à titre provisoire:
Article 2
1) Le Journal officiel
est rédigé en langue arabe.
2) À titre provisoire, il comporte également une édition en langue
française.
|
Cependant, le caractère provisoire du français est
toujours resté jusqu'à aujourd'hui:
4.1 L'arabe littéraire
Depuis, l'arabe
classique ou littéraire est devenu la langue écrite la plus employée au Parlement, mais l'arabe
dialectal (ou arabe algérien) et le français sont aussi utilisés fréquemment à
l'oral; il
n'existe aucun système de traduction simultanée. Les articles 13 et 14 de la
loi
n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de
l'utilisation de la langue arabe imposent «exclusivement» l'arabe dans
le Journal officiel de la République et celui des débats du Parlement:
Article 13
Le Journal officiel de la République algérienne démocratique et
populaire est édité exclusivement en langue arabe.
Article 14
Le Journal officiel des débats de l'Assemblée populaire nationale
est édité exclusivement en langue arabe.
|
Jusqu’en 1991, les lois étaient promulguées en arabe
littéraire, mais toutes ont continué d’être traduites en français (version
non officielle), ce qui inclut les décrets, les ordonnances, les arrêtés et
autres actes juridiques. En réalité, il est difficile de savoir quelle est la véritable
langue de départ : est-ce l'arabe littéraire ou le français? Compte tenu de la
mauvaise connaissance de l'arabe littéraire par la plupart des ministres, on peut supposer
que le français peut servir comme langue de rédaction provisoire avant que les
textes soient
traduits en arabe littéraire par des juristes compétents. Même les juristes de
l'État font
constamment référence aux versions françaises. Quant aux réunions du Conseil des ministres, elles se sont
toujours déroulées à la fois en arabe algérien et en français, rarement en arabe
littéraire.
4.2 Les langues interdites
Les articles 5 et 6 de la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 sont pourtant très clairs à ce sujet,
interdisant toute autre langue que l'arabe dans les textes officiels et les
délibérations des assemblées publiques:
Article 5
1) Tous les documents officiels, les apports, et les procès-verbaux
des administrations publiques, des institutions, des entreprises et
les associations sont rédigés en langue arabe.
2) L'utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et
débats des réunions officielles est interdite.
Article 6
1)
Les actes sont rédigés exclusivement an langue arabe.
2)
L'enregistrement et la publicité d'un acte sont interdits si cet
acte est rédigé dans une langue autre que la langue arabe.
|
Évidemment, on ne mentionne jamais quel type d'arabe est
autorité: l'arabe algérien? Certainement pas. L'arabe littéraire? Bien sûr.
L'article 3 de la Constitution
déclare que «l’arabe est la langue nationale et officielle» et toute autre langue
est interdite, que ce soit le tamazight ou le français. On aurait pu ajouter
l'arabe algérien. Toutefois, le
décret n° 64-147 du 28 mai 1964 du
président Ben Bella (1962-1965) est toujours demeuré en vigueur, ce qui signifie
que le statut provisoire du français est maintenu.
Dans le domaine de la justice, l'ordonnance n°
66-155 du 8 juin 1966 portant code de procédure pénale était déjà venue préciser la place
de la traduction pour faire place à l'arabe:
Article 91
Le juge d'instruction peut faire appel à un interprète,
à l'exclusion de son greffier et des témoins. L'interprète, s'il
n'est pas assermenté, prête serment dans les termes suivants : «Je
jure et promets de traduire fidèlement les propos qui vont être
tenus ou échangés par les personnes s'exprimant en des langues ou
idiomes différents.»
|
5.1 L'usage exclusif de l'arabe
Mais l’article 7 de la
loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 interdit toute autre langue que
l’arabe:
Article 7
1) Les requêtes, les consultations et les plaidoiries au sein des
juridictions sont en langue arabe.
2) Les décisions de justice et les jugements, les avis et les
décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour des comptes sont
rendus ou établis dans la seule langue arabe.
|
Plus récemment, la
loi n° 08-09 du 25
février portant code de procédure civile et administrative
(2008) imposait l'usage exclusif de la langue arabe
«sous peine de nullité soulevée d'office par le juge» :
Article 8
1) Les
procédures et actes judiciaires tels que les requêtes et mémoires
doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés en langue arabe.
2) Les documents et pièces doivent, à peine d'irrecevabilité,
être présentés en langue arabe ou accompagnés d'une traduction
officielle.
3) Les débats et les plaidoiries
s'effectuent en langue arabe.
4) Les décisions sont rendues en langue arabe, sous peine de
nullité soulevée d'office par le juge.
5) Il est entendu par décision, dans le présent code, les
ordonnances, jugements et arrêts.
Article 119
1) Les parties et leurs défenseurs, peuvent, sur autorisation du
juge, poser des questions.
2) Ces questions doivent être
formulées ou traduites en langue arabe ; il en est de même des
réponses qui leur sont faites. |
5.2 L'arabe algérien et le kabyle
Encore une fois, il s'agit de quel arabe parle-ton dans
les textes juridiques? Bien que l'arabe classique soit effectivement la seule
langue permise dans les cours de justice, l'arabe algérien (ou arabe
dialectal)
est habituellement utilisé, alors que le français et le berbère (tamazight) ne sont en
principe pas
acceptés, sauf en cas de force majeure. Toutefois, en Kabylie,
les citoyens qui ne maîtrisent pas l’arabe ont le droit aujourd'hui
d'utiliser le kabyle. Contre toute attente, les sentences des
juges, qui ne devaient être rendues qu'en arabe classique (ou littéraire), sont généralement formulées en
arabe algérien.
Au début des campagnes d’arabisation, le faible niveau de
connaissance de l'arabe classique ou littéraire chez les fonctionnaires conduisait d'abord le
gouvernement à n'envisager l'arabisation que par le moyen d'un système
généralisé de traduction: ce fut le décret du 22 mai 1964 qui devait fournir les
instruments nécessaires à l'instauration progressive de l'arabe dans
l'administration.
6.1 L'éviction des fonctionnaires
francisés
L'ordonnance n° 68-92
du 26 avril rendant obligatoire, pour les fonctionnaires et
assimilés, la connaissance de la langue nationale marqua un pas décisif en rendant
obligatoire pour les fonctionnaires la connaissance de l'arabe appelé «langue
nationale» :
Article 1er
L'article 25 de l'ordonnance n° 66-133 du 2 juin 1966
portant statut général de la fonction publique, est ainsi
complété :
«
4) S'il ne justifie, au moment de son
recrutement, d'une connaissance suffisante de la langue
nationale.
Toutefois, cette disposition n'est pas opposable aux
candidats à un emploi public qui ne possèdent pas la
nationalité algérienne à titre originaire.
Un décret fixe les modalité et le champ d'application du
paragraphe 4 du présent article ».
|
Le 20 janvier 1971 parut l'ordonnance
«portant extension de l'ordonnance n° 68-92 du 26 avril 1968 rendant
obligatoire, pour les fonctionnaires et assimilés, la connaissance de la
langue nationale». En 1975, un rapport gouvernemental concluait que
l'arabisation s'avérait un échec; après 20 ans d'efforts, seuls les
ministères de la Défense, de l'Éducation et de la Justice étaient arabisés.
L'article 1er du
décret n° 80-146 du 24
mai 1980 modifiant le décret n° 66-306 du 4 octobre 1966 relatif au
fonctionnement de l'École nationale d'administration
(1980) modifiait le décret
n° 66 -306 de 1966 en
imposant des examens aux candidats à la fonction publique :
Article 1er
Les articles 15, 18 et 17 du décret n° 66 -306 du 4 octobre
1966 relatif au fonctionnement de l'École nationale
d'administration, sont modifiés comme suit :
« Art. 15. — Les épreuves d'admissibilité comprennent
:
- une composition d'ordre général, en langue nationale,
portant sur les problèmes politiques, économiques, sociaux
et culturels du monde contemporain ; durée : 4 heures,
coefficient : 2.
- une étude de texte, en langue nationale ; durée:
heures, coefficient : 1.
La note zéro ou l'absence à l'une ou l'autre épreuve est
éliminatoire».
« Art. 16. — L'épreuve orale d'admission consiste en
une interrogation et une conversation en langue nationale sur
une question à caractère général permettant de vérifier les
aptitudes de compréhension et de perception du candidat ainsi
que ses capacités d'exposition et d'expression
orale ; coefficient 1.
La note zéro ou l'absence à cette épreuve est éliminatoire ».
« Art. 17. —
Le jury et son président sont nommés chaque
année, sur proposition du directeur de l'École nationale
d'administration, par arrêté du ministre de l'Intérieur.
Il est composé de trois fonctionnaires occupant des emplois
supérieurs et de quatre enseignants de l'école.
Les épreuves écrites sont anonymes ; le jury arrête la liste
des candidats admissibles.
L'interrogation orale d'admission est notée par trois membres
du jury au moins ».
|
Dans les faits,
en 1989, le bilinguisme arabe-français constituait encore une pratique courante
dans toute l'administration publique, et il s’est poursuivi durant quelques
années, bien que l’arabe se soit taillé une place de plus en plus grande dans
toutes les communications orales.
6.2 L'exclusivité de l'arabe
Depuis la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991,
l’Administration a dû passer exclusivement à l’arabe. Il est fait désormais
obligation à toutes les administrations publiques, les instances, les
entreprises et les associations de tous genres d'utiliser exclusivement la
langue arabe dans leurs activités en matière de gestion et de relations
publiques (art. 4):
Article 4
Les administrations publiques, les institutions, les entreprises
et les associations, quelle que soit leur nature, sont tenues
d'utiliser la seule langue arabe dans l'ensemble de leurs activités
telles que la communication, la gestion administrative, financière,
technique et artistique.
|
Selon l’article 6 de la loi
n° 91-05, les actes sont rédigés
exclusivement en langue arabe. De plus, l’enregistrement et la publicité d’un
acte sont interdits si cet acte est rédigé dans une langue autre que la langue
arabe. Néanmoins, dans les extraits de naissance, les noms
des individus peuvent être rédigés également en français.
Article 5
Tous les documents officiels, les apports, et les procès-verbaux
des administrations publiques, des institutions, des entreprises et
les associations sont rédigés en langue arabe.
L'utilisation de toute langue étrangère dans les délibérations et
débats des réunions officielles est interdite.
Article 6
Les actes sont rédigés exclusivement
en langue arabe.
L'enregistrement et la publicité d'un acte sont interdits si cet
acte est rédigé dans une langue autre que la langue arabe.
|
L’article 8 précise que «les concours professionnels et les examens de
recrutement pour l’accès à l’emploi dans les administrations et entreprises
doivent se dérouler en langue arabe». L’article 11 de l’ordonnance n° 96-30 du
21 décembre 1996 stipule que «les échanges et les correspondances de toutes les
administrations, entreprises et associations, quelle que soit leur nature,
doivent être en langue arabe».
Article 11
1) Les échanges et les correspondances de toutes les administrations,
entreprises et associations, quelle que soit leur nature, doivent être en
langue arabe.
2) Toutefois, les échanges des administrations et associations avec
l'étranger doivent s'effectuer selon ce qui est requis par les usages
internationaux.
|
Comme il est de coutume dans les textes de loi algériens, il
n'est faite aucune mention du type d'arabe. Dans les faits on écrit en arabe
littéraire, mais on s'exprime oralement en arabe algérien.
6.3 L'arabe et les symboles de l'État
|
Rien de plus facile pour un
État que d'imposer une langue pour des éléments qu'il contrôle comme
les timbres-postes. Au moment de l'accession de l'Algérie à
l'indépendance, les inscriptions sur les timbres-postes étaient
encore rédigées en français. Mais l'article 1er
de l'ordonnance n° 73-55 relative à l'arabisation des timbres nationaux
(1973) imposait la «langue nationale» sur toute inscription :
Article 1er
Toute inscription portée en légende
des timbres nationaux, cachets et autres marques des autorités
administratives et judiciaires, doit être effectuée
exclusivement dans la langue nationale, exception faite pour
l'administration des postes concernant ses relations avec
l'étranger. |
|
La situation s'est améliorée depuis
1973, mais le mot «Algérie» figure toujours en français en plus des
inscriptions en arabe. Rappelons-le, la «langue nationale» devrait être
l'arabe algérien (et ses variétés locales) puisque c'est la langue parlée
par tous les arabophones de ce pays.
6.4 Les patronymes et
l'état civil
Sous l'administration française, les
registres de l'état civil avaient introduit de nombreuses erreurs de
transcription des noms et prénoms arabes ou berbères. La méconnaissance de
l'arabe de la part des fonctionnaires avait entraîné des patronymes parfois
purement fictifs. Après l'indépendance, le régime imposa la langue arabe
dans les registres de l'état civil. Le modèle français fut remplacé par le
modèle arabe, l'essentiel étant de donner une forme arabe au prénom, même
quand celui-ci était inadéquat ou se révélait aberrant.
L'article 37 du
Code civil
du 10 février 1970 énonce clairement que «les
actes doivent être rédigés en
langue arabe», mais que, à titre transitoire, «les actes de l'état civil
pourront continuer [...] à être rédigés en langue française» :
Article 37
Les actes doivent être rédigés en langue arabe.
Article 127
À titre transitoire et nonobstant
les dispositions de l'article 37 de la présente ordonnance, les actes de l'état
civil pourront continuer, dans les communes qui seront déterminées par arrêté
conjoint du ministre de la justice, garde des sceaux et du ministre de
l'intérieur, à être rédigés en langue française. |
La
première loi sur l’arabisation de l’état civil fut
l'ordonnance
n° 70-20
du 19 février 1970 relative à l’état civil, qui imposait
à l'article 64 des prénoms «de consonance algérienne» :
Article 64
1) Les prénoms sont choisis par le père, la mère ou, en leur
absence, par le déclarant.
2) Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en
être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une
confession non musulmane.
3) Sont interdits tous les prénoms autres que ceux consacrée par
l'usage ou par la tradition.
|
En même temps, le ministère de
l'Intérieur devait
fournir une «liste
nationale» qui comportait, dans l'ordre
alphabétique, tous les prénoms recensés et autorisés en Algérie.
Cette ordonnance
accordait
beaucoup de pouvoir aux fonctionnaires qui pouvaient, pour diverses raisons,
refuser des prénoms... berbères ou français. Durant des décennies, les mairies ont ainsi refusé
des prénoms berbères sous prétexte qu'ils n'étaient pas «de consonance
algérienne».
Le
décret n° 81/26 du 7 mars 1981 portant établissement d'un lexique
national des prénoms établit les
règles de transcription de prénoms en «langue nationale» (l'arabe):
Article 1er
Les assemblées populaires communales sont chargées de dresser les
listes de l'ensemble des prénoms figurant sur leurs registres
d'état civil et de les adresser au ministère de l'intérieur en vue
de l'élaboration d'une liste nationale.
La liste nationale comporte, enregistrés dans l'ordre alphabétique,
tous les prénoms recensés en Algérie.
Article 2
Sont transcrits, en langue nationale, tous les noms
figurant
sur la liste nationale.
La transcription, opérée par le ministère de l'Intérieur, s'effectue
sur
la base de la traduction phonétique des prénoms.
Article 3
Il est établi sur la base de la liste nationale, un
lexique
officiel des prénoms conformes aux dispositions de l'article 64 de
l'ordonnance n° 75-58 du 26 septembre 1975 et de l'article 28 de
l'ordonnance
n° 70-20 du 19 février 1970 susvisée.
Ledit lexique est conjointement arrêté par le ministre de
l'Intérieur et
le ministre de la Justice.
Article 4
Toute inscription nouvelle d'un prénom sur les registres
d'état
civil ou toute modification de prénom se fait sur la base de ce
lexique.
|
Le
décret n° 81-28 du 7 mars
1981 relatif à la transcription, en langue nationale, des noms
patronymiques
fait de même
avec les noms patronymiques :
Article 2
Sont transcrits, en langue nationale, tous
les noms patronymiques figurant sur la liste nationale.
La transcription, opérée par le ministère
de l'intérieur, s'effectue sur la base de la traduction phonétique
des noms.
Les caractères latins pouvant admettre
plusieurs phonèmes sont classés suivant le tableau annexé au présent
décret.
Article 3
La liste nationale est mise à
la disposition de l'ensemble des assemblées
populaires
communales aux
fins d'exploitation
et de publicité.
La publicité est assurée par
voie d'affichage au
siège et dans chacune des antennes d'état
civil des
assemblées populaires communales.
Article 4
L'officier d'état civil peut
procéder
sur demande du chef de famille aux
rectifications des phonèmes sur la base du tableau en annexe au
présent
décret.
Les noms figurant en caractères latins
sur
la liste nationale ne peuvent subir aucune modification.
|
Dans ces documents, il n'est question que
de «la langue nationale», c'est-à-dire l'arabe, comme si d'autres langues
n'existaient pas en Algérie. C'est ainsi que,
jusqu'en juin 2013, les fonctionnaires
disposaient d'une liste de noms arabes autorisés et décidaient des prénoms
acceptables ou non. On pouvait porter plainte devant les tribunaux,
mais il fallait alors assumer des frais onéreux.
En raison des revendications berbères et des
procès qui s'ensuivraient, les autorités algériennes ont fini par reculer.
Le ministère de l'Intérieur a alors publié une liste de 300 prénoms
berbères autorisés de sorte que les fonctionnaires ne pourront plus refuser
de tels prénoms.
6.5 L'arabisation et les partis
politiques
Les partis politiques sont aussi
assujettis à l'arabisation. Ainsi, l'article 4 de la
Loi n° 89-11 du 5 juillet relative aux associations à caractère politique
énonçait à l'article 4 que «toute association à caractère
politique doit utiliser la langue nationale dans son exercice officiel». Cette
loi fut remplacée en 1997 par l'
ordonnance
n° 97-09 6 mars 1997 portant loi organique relative aux
partis politiques , qui reprenait les mêmes articles en
matière de langue :
Article 4
Le parti politique doit utiliser
la langue nationale et
officielle dans l'exercice de son
activité officielle.
Article 5
1) Aucun parti politique ne peut fonder sa création et/ou son
action sur une base et/ou
des objectifs comportant :
- Des pratiques sectaires, régionalistes, féodales ou népotiques.
- Des pratiques contraires aux valeurs de la morale islamique, de
l'identité nationale ainsi
qu'aux valeurs de la Révolution du 1er
novembre 1954 et qui touchent
aux symboles de la
République.
2)
Le parti politique ne peut, en outre, fonder sa création ou son
action sur une base religieuse,
linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionaliste. |
De cette manière, la législation exclut toute possibilité
de formation politique basée sur la langue, comme c'est le cas dans d'autres
pays où une minorité peut former une parti politique basé sur une langue. En
Algérie, un parti kabyle serait interdit.
6.6 Les entreprises publiques
|
Lorsque la loi parle des «entreprises», il s'agit des entreprises
dites «nationales» ou publiques, car les entreprises privées
ont le droit d'utiliser en plus d'autres langues, comme c'est le cas pour les
entreprises françaises. Selon la législation en vigueur, les entreprises
publiques dites «économiques» sont des «entreprises socialistes»
régissant particulièrement le mode de valorisation des richesses
nationales, notamment celles concernant les hydrocarbures. Les
entreprises les plus importantes sont le suivantes: Sonatrach
(pétrole), Sonelgaz (distribution de l'électricité et du gaz),
Algérie Télécom (télécommunications), ADE (Algérienne des eaux),
Cosider (travaux publics), Air Algérie (compagnie aérienne
nationale), GTP (travaux pétroliers), etc. |
Ainsi, la loi n° 91-05 du 16
janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe
fait référence aux «entreprises» à plusieurs reprises, c'est-à-dire aux articles
8, 10, 11, 12, 20 et 34. L'article 8 de cette loi énonce que les concours professionnels et les examens de recrutement pour
l'accès à l'emploi dans
les administrations et entreprises
doivent se dérouler «en langue arabe» :
Article 8
Les concours professionnels et les examens de recrutement pour
l'accès à l'emploi
dans
les administrations et entreprises
doivent se dérouler en langue arabe.
|
La loi ne fournit pas de précision lorsqu'il s'agit des entreprises
publiques, mais en principe, à défaut de préciser une disposition contraire,
nous pouvons croire que la loi n° 91-05 du 16
janvier 1991 s'applique à ces entreprises.
Article 29
Est nul et de nul
effet tout document officiel rédigé dans une langue autre que la langue arabe.
La partie ayant rédigé ou authentifié ledit document assume l'entière
responsabilité des effets qui en découlent. |
L'article 39 de la
loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 va très
loin en interdisant aux organismes
et entreprises d'importer les équipements d'informatique et de télex et tout
équipement destiné à l'impression et la frappe s'ils ne comportent pas des
caractères arabes :
Article 39
II est interdit aux organismes et entreprises d'importer les
équipements d'informatique et de télex et tout équipement destiné à
l'impression et la frappe s'ils ne comportent pas des caractères
arabes.
|
La loi interdit même (art. 39 de la
loi n° 91-05) l'importation
de machines à écrire, d'ordinateurs, de télécopieurs et de tout autre appareil
qui ne sont pas munis de lettres arabes. Toute violation des dispositions de la
loi constitue «une faute grave entraînant des sanctions disciplinaires» (art.
30 de la loi no 91-05). Dans la plupart des cas, il s’agit d’une amende de 5000 à 10 000 dinars
(équivalant d'environ 70 $US à 140 $US). Évidemment, la loi existe, mais
la réalité peut être autre, puisque tous les cahiers de charge sont en
français. Parfois même, les notes ministérielles circulent en deux versions
(en arabe et en français). Finalement, dans le cas des entreprises publiques, la loi n'est à
peu près pas appliquée. Ainsi, la Sonatrach, la Société nationale pour la
recherche, la production, le transport, la transformation et la
commercialisation des hydrocarbures, qui pourtant est une entreprise
publique algérienne, a toujours utilisé uniquement le français. Depuis quelque temps,
l'anglais a même été introduit. Rien n'est écrit en arabe.
6.7 Les sanctions
pénales
L'obligation d'employer la langue arabe
est assortie de lourdes sanctions. L’emploi de l'arabe étant une mesure
«d’ordre public», son non-respect est sévèrement sanctionné. Dans le
chapitre IV de la
loi n° 91-05, le législateur a prévu des
«dispositions pénales». Ainsi, diverses sanctions sont prévues :
- des sanctions civiles,
consistant en la nullité de tout document officiel préparé dans une
autre langue que l’arabe,
tout en réservant aux victimes, la possibilité d’engager la
responsabilité civile de l’auteur du document au titre des
dommages qui résulteraient du fait de la nullité du document;
- des sanctions disciplinaires, le non-respect des dispositions de la loi étant considéré comme une
faute disciplinaire grave;
- des sanctions pénales, soit
une amende, en cas de violation des
articles 17 à 22 de la loi;
des sanctions contre le signataire d’un document rédigé dans une langue
autre que l’arabe; des sanctions pouvant aller jusqu’à la fermeture
temporaire ou définitive, en cas de récidive, contre toute personne
(commerçant, artisan, entreprise privée) qui n’observerait pas les
dispositions de la loi; des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait du
permis contre les associations qui ne respecteraient pas les
dispositions de la loi.
L'article
35 de la loi n° 91-05 du 16
janvier 1991 permet enfin à toute personne qui a un intérêt moral ou matériel
pour le faire
d’intenter un recours administratif ou de saisir les tribunaux en cas de
violation des dispositions de la loi. Les délateurs sont les bienvenus.
C'est surtout dans le domaine de l'enseignement que des
mesures législatives importantes ont été prises. Étant donné que, en 1962, l'Algérie était
dépourvue d'enseignants parlant l’arabe coranique, le gouvernement n'imposa que
sept heures d'enseignement de l'arabe par semaine dans toutes les écoles; ce
nombre passa à 10 heures par semaine en 1964. Pour pallier le problème de la
pénurie de professeurs, il fallut en recruter des milliers en Égypte et en
Syrie, ce qui suscita à l'époque des controverses et des résistances dans le
milieu enseignant. Une ordonnance de 1976 sur l'école fondamentale imposa
l'enseignement du français seulement à partir de la quatrième année. En 1974,
l'arabisation de l'enseignement primaire était achevée et celle du secondaire
était en bonne voie de l'être. L'application de cette pratique est conforme aux
dispositions de l'article 15 de la loi
n° 91-05 du 16 janvier portant généralisation de
l'utilisation de la langue arabe (1991):
Article 15
L'enseignement, l'éducation et la formation dans tous les
secteurs, dans tous les cycles et dans toutes les spécialités sont
dispensés en langue arabe, sous réserve des modalités d'enseignement
des langues étrangères.
|
Les réformes de 2008, notamment la
loi
du 23 janvier 2008 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008), ont établi que le système d'éducation en Algérie est sous la juridiction
du ministère de l'Éducation nationale et comprend les niveaux suivants :
l'éducation préparatoire ou préscolaire (crèches, jardins d'enfants, «petites
sections»), l'enseignement fondamental qui regroupe l'enseignement primaire et
l'enseignement moyen, puis l'enseignement secondaire général et technologique.
Les principes fondamentaux de l'éducation nationale sont
définis par la Constitution algérienne:
Article 53
1) Le droit à
l'enseignement est garanti.
2) L'enseignement est
gratuit dans les conditions fixées par la loi.
3) L'enseignement
fondamental est obligatoire.
4) L'État organise le
système d'enseignement.
5) L'État veille à l'égal
accès à l'enseignement et à la formation professionnelle. |
7.1 L'école publique et l'enseignement
des langues
L'enseignement préscolaire est obligatoire depuis
l'année scolaire 2008-2009; cet enseignement préscolaire est offert uniquement
en langue arabe. Les programmes d'éveil de la petite enfance couvrent
l'initiation à la lecture, à l'écriture, aux mathématiques ainsi qu'aux
activités artistiques et ludiques en passant par l'apprentissage de versets du
Coran.
Depuis 1989, l'arabe classique est la seule langue
d'enseignement tout au cours du primaire et du secondaire. C’est l’article 15 de
la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 qui impose cet enseignement exclusif de la
langue arabe:
Article 15
L’enseignement, l’éducation et la formation dans tous les secteurs, dans
tous les cycles et dans toutes les spécialités sont dispensés en langue
arabe, sous réserve des modalités d’enseignement des langues étrangères. |
L'article 4 de la
Loi
du 23 janvier 2008 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008) précise que l'école a pour mission d'assurer
la maîtrise de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale et
officielle; de promouvoir
la langue tamazight et d'étendre son enseignement; et de
permettre la maîtrise d'au moins deux langues étrangères :
Article 4
En matière d'instruction, l'école a pour mission de garantir à tous
les élèves un enseignement de qualité favorisant l'épanouissement
intégral, harmonieux et équilibré de leur personnalité et leur
donnant la possibilité d'acquérir un bon niveau de culture générale
et des connaissances théoriques et pratiques suffisantes en vue de
s'insérer dans la société du savoir.
À ce titre, elle doit notamment :
[...]
· assurer la
maîtrise de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale
et officielle, en tant qu'instrument d'acquisition du savoir à
tous les niveaux d'enseignement, moyen de communication sociale,
outil de travail et de production intellectuelle ;
· promouvoir
la langue tamazight et étendre son enseignement ;
· permettre
la maîtrise d'au moins deux langues étrangères en tant
qu'ouverture sur le monde et moyen d'accès à la documentation et
aux échanges avec les cultures et les civilisations étrangères ;
|
L'article 33 de la
Loi
du 23 janvier 2008 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008) énonce clairement que «l'enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux
d'éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les
établissements privés d'éducation et d'enseignement»:
Article 33
L'enseignement est dispensé en langue arabe à tous les niveaux
d'éducation, aussi bien dans les établissements publics que dans les
établissements privés d'éducation et d'enseignement.
|
De fait, l'arabe est la langue d’enseignement
obligatoire durant les neuf premières années du cursus scolaire.
L'article 34 de la
loi du 23
janvier 2008 autorise aussi l'enseignement
de la langue tamazight :
Article 34
L'enseignement de la langue tamazight est introduit dans le système
éducatif pour répondre à la demande exprimée sur le territoire
national.
Les modalités d'application de cet article seront fixées par voie
réglementaire.
|
Depuis 2001, la langue tamazight, l'une des
variantes du berbère, est devenue une «langue nationale» inscrite grâce à
une modification dans la Constitution du pays,
un article 3 bis:
Article 3
bis
1)
Le tamazight est également
langue nationale.
2)
L'État
œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses
variétés linguistiques en usage sur le territoire national.»
|
L'article 4 de l'ordonnance
n° 03-09 du 13 août 2003 modifiant et complétant l’ordonnance n° 76-35 du 16
avril 1976 portant organisation de l’éducation et de la formation
précise bien que l'’enseignement du
tamazight, langue nationale, est introduit dans les activités d’éveil
et/ou en tant que discipline dans le système éducatif:
Article 4
Il est inséré dans l’ordonnance n° 76-35 du 16 avril 1976,
susvisée, deux articles 8 bis et 8 ter rédigés comme suit :
«Art. 8 bis. — L’enseignement du
tamazight, langue nationale, est
introduit dans les activités d’éveil et/ou en tant que discipline
dans le système éducatif. L’État œuvre à la promotion et au
développement de l’enseignement du tamazight, dans toutes ses
variétés linguistiques en usage sur le territoire national, en
mobilisant les moyens organisationnels et pédagogiques nécessaires
pour répondre à la demande de cet enseignement sur le territoire
national».
«Art. 8 ter. — La dimension culturelle amazighe est prise en
charge dans les programmes d’enseignement des sciences sociales et
humaines à tous les niveaux du système éducatif».
|
Le tamazight est autorisé sur une base
facultative dans les lycées
avec une obligation de passage à l'examen. L'enseignement du tamazight ne
supprime pas l'enseignement de l'arabe qui demeure obligatoire. En 2013, au
niveau national, on comptait quelque 1000 enseignants et quelque 340 000
élèves qui suivaient des cours en langue amazighe. Toutefois, cet
enseignement demeure précaire, avec une régression continuelle de l'effectif
scolaire.
L'horaire
hebdomadaire par discipline pour l'enseignement primaire est le suivant:
Discipline |
1re |
2e |
3e |
4e |
5e |
Langue arabe |
14 |
12 |
12 |
10 |
10 |
Langue tamazight |
- |
- |
- |
(3) |
(3) |
Français |
- |
3 |
3 |
3 |
3 |
Éducation islamique |
1,5 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation civique |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Histoire |
- |
- |
- |
1 |
1 |
Géographie |
- |
- |
- |
1 |
1 |
Mathématiques |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
Éducation scientifique et technologique |
2 |
2 |
2 |
2 |
2 |
Éducation musicale |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation plastique |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation physique |
1,5 |
1 |
1 |
1 |
1 |
Total
hebdomadaire |
27 h |
27 h |
27 h |
27-30- h |
27-30 h |
L'horaire hebdomadaire par
discipline pour l'enseignement moyen est le suivant:
Discipline |
6e |
7e |
8e |
9e |
Langue arabe |
5 |
5 |
5 |
5 |
Langue tamazight |
(3) |
(3) |
(3) |
(3) |
Français |
3 |
3 |
3 |
3 |
Anglais |
3 |
3 |
3 |
3 |
Éducation islamique |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation civique |
1 |
1 |
1 |
1 |
Histoire |
1 |
1 |
1 |
1 |
Géographie |
1 |
1 |
1 |
1 |
Mathématiques |
5 |
5 |
5 |
5 |
Sciences de la nature et de la vie |
2 |
2 |
2 |
2 |
Sciences physiques, technologie et communication |
3 |
3 |
3 |
3 |
Éducation musicale |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation plastique |
1 |
1 |
1 |
1 |
Éducation physique et sportive |
2 |
2 |
2 |
2 |
Total
hebdomadaire |
29 h |
29 h |
29 h |
29 h |
Quant à l'article 35 de la
Loi
du 23 janvier 2008 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008), il permet l'enseignement
des langues étrangères:
Article 35
L'enseignement des langues étrangères est assuré dans des conditions
fixées par voie réglementaire
|
Le français est introduit comme langue étrangère
obligatoire dès la troisième année du primaire et, par la suite, jusqu'à la fin
du secondaire. Deux sondages d'opinions, réalisés en 1999 et en 2001,
ont révélé que plus de 70 % des Algériens étaient en faveur de l'enseignement du
français dès la première année de l'école primaire. C'est aussi la langue
d’enseignement pour les cours avancés de mathématiques et de sciences. Les
Algériens peuvent aussi apprendre l’anglais, l’espagnol, l’italien ou
l'allemand.
7.2 Les problèmes de l'enseignement
algérien
Au cours de la décennie 2000, l'école algérienne se portait mal, alors qu’elle avait
été considérée comme l'un des acquis essentiels de l'indépendance. En effet,
chaque année, dans tous les cycles confondus, quelque 400 000 élèves finissaient par
quitter l’école. Sur 100 enfants de la première année du primaire, neuf
seulement décrochaient leur baccalauréat et cinq un diplôme à l'université, mais
sans aucune perspective d'emploi. Ainsi, l’école était devenue une fabrique
d'exclusion sociale. Mais l'analphabétisme apparaissait encore plus grave, car il
atteignait des proportions alarmantes: plus de sept millions d'Algériens étaient
touchés. À mesure que les conditions de vie se détérioraient dans le pays, de très
nombreuses familles sacrifiaient la scolarisation de leurs enfants, notamment
celle des filles.
Heureusement, les choses ont changé en une dizaine
d'années et les groupes d'écoliers qu'on avait coutume de voir sur les
routes ne sont plus squelettiques, mais normaux.
Concernant le taux d'élèves scolarisés âgés de six
ans, il est passé de 87,9 % en 1995 à 96 % en 2005, selon les statistiques
publiées par le ministère de l'Éducation nationale. Mais l'UNICEF estimait le taux
de scolarisation des enfants âgés de six ans et plus à 78,6 % seulement pour
l’année 2006.
En raison de l'absence de données complètes accessibles au
sujet de la part du système d'éducation algérien, il est difficile d'évaluer
précisément celui-ci et de mesurer l'efficacité de la politique de l’éducation nationale.
Selon le Rapport national sur le développement humain en Algérie du
Conseil national économique et social
(CNES), il existe en Algérie plus de 6,4 millions d'analphabètes, soit 21,3 % de
la population, ce qui est relativement élevé. Ce taux était de 31,6 % en 1998 et
représentait une population de près de 7,5 millions de personnes, dont 27,2%
âgés de moins de 15 ans (en 2006).
Taux
d’alphabétisation des 15 ans et plus |
66,6 % |
67,20 %
|
74,0 %
|
76,3 %
|
Taux
d’alphabétisation des 15 ans et plus |
55,7 %
|
55,7 %
|
63,0 %
|
68,0 %
|
Garçons |
77,4 % |
77,4 %
|
80,0 %
|
84,5 %
|
Taux
d’analphabétisme des 15 ans et plus |
33,4 %
|
32,8 %
|
26,0 %
|
23,7 %
|
D’après le CNES, cette situation serait causée
essentiellement par un taux d’encadrement en régression, dans les cycles moyen
et secondaire: l'augmentation du nombre d’élèves n'aurait pas été accompagnée
d’un nombre consécutif des enseignants.
Parmi les difficultés relevées dans le système d'éducation
algérien, on note les suivantes:
- un nombre trop élevé d’élèves par classe
- une pénurie d'enseignants qualifiés;
- des programmes et des méthodes d’enseignement inappropriés;
- un taux de redoublement variant tout au long du parcours scolaire de 10 %
à 16 %;
- près de 500 000 élèves quittent l’école chaque année, sans diplôme ni
qualification, soit 33 % de l'effectif scolaire.
Selon une enquête menée en 2005 par le Centre national
d’études et d’analyses pour la planification (CENEAP), c’est la population
masculine qui est la plus touchée par ces phénomènes de redoublement et de
déperdition scolaire.
Enfin, le problème de la langue d'enseignement en Algérie est
régulièrement soulevé par diverses instances internationales. On relève surtout
le fait que la langue d'enseignement, l'arabe littéraire, diffère de la
langue maternelle pratiquée dans la vie quotidienne par les élèves, c'est-à-dire
l'arabe algérien. Il est plutôt normal que le français et l'anglais
soient enseignés comme «langues étrangères», mais ce ne l'est pas du tout pour
le tamazigh parlé par une proportion de plus de 27 % comme langue
maternelle. Beaucoup d'observateurs se plaignent de ce que les étudiants
algériens ne maîtrisent finalement aucune des quatre langues enseignées et
qu'ils ne puissent pas, une fois arrivés aux études supérieures, maîtriser
tous les outils scientifiques modernes et universels produits massivement en
français ou en anglais.
7.3 Les écoles privées
Depuis le début des années 1990, le secteur privé s'est
également développé dans l'enseignement algérien. C'est le
décret exécutif n° 04-90 du 24 mars 2004 qui a fixé les conditions de création, d'ouverture et
de contrôle des établissements privés d'éducation et d'enseignement. Le décret
ne contient aucune disposition linguistique, mais tout «établissement privé doit
se conformer à la législation et à la réglementation en vigueur», ce qui suppose
aussi l'enseignement de la langue arabe :
Article 2
Est entendu par
«établissement privé d’éducation et d’enseignement», au sens du présent
décret, tout établissement d’éducation et d’enseignement préscolaire,
primaire, moyen et secondaire, crée par une personne physique ou morale
de droit privé, dispensant un
enseignement à titre onéreux.
Article 3
L’établissement privé
doit se conformer à la législation et à la réglementation en vigueur,
notamment en matière de registre de commerce.
|
L’ordonnance n° 05-07
du 23 août fixant les règles générales régissant l’enseignement
dans les établissements privés d’éducation et d’enseignement
(2005) a abrogé les dispositions du décret exécutif no
04-90 de mars 2004 fixant les conditions de création, d’ouverture et de contrôle
des établissements privés d’éducation et d’enseignement, ainsi que celles du
décret présidentiel no 04-433 de décembre 2004 fixant les conditions d’ouverture
des établissements scolaires étrangers. Cette ordonnance de 2005 énonce
que les établissements privés d'éducation doivent se conformer à la législation
et à la réglementation en vigueur et sont tenus d'appliquer les programmes
officiels d'enseignement en vigueur dans les établissements publics d’éducation
et d’enseignement relevant du ministère de l'Éducation nationale.
Les écoles privées qui ne répondent pas aux dispositions de l'ordonnance no
05-07,
qui régit les établissements privés d'éducation, se voient retirer leur permis.
L'article 8 de l'ordonnance
n° 05-07 du 23 août 2005
énonce très clairement que, à l'exception de l’enseignement des langues
étrangères, l’enseignement dans les établissements privés est assuré
obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous les
niveaux d’enseignement :
Article 8 Hormis
l’enseignement des langues étrangères, l’enseignement dans les
établissements privés d’éducation et d’enseignement est assuré
obligatoirement en langue arabe dans toutes les disciplines et à tous
les niveaux d’enseignement. |
De toute façon, l'article 59 de la
Loi
du 23 janvier 2008 portant
loi d'orientation sur l'éducation nationale
(2008) précise clairement que «l'enseignement
est dispensé en langue arabe dans les établissements privés d'éducation et
d'enseignement à tous les niveaux et dans toutes les disciplines»:
Article 59
En application de l'article 33 ci-dessus, l'enseignement est
dispensé en langue arabe dans les établissements privés d'éducation
et d'enseignement à tous les niveaux et dans toutes les disciplines.
Article 60
Les établissements privés d'éducation et d'enseignement sont tenus
d'appliquer les programmes d'enseignement officiels arrêtés par le
ministre chargé de l’éducation nationale.
Toute autre activité éducative ou pédagogique que les établissements
se proposent de dispenser, en sus de celles prévues par les
programmes officiels, est soumise à l'autorisation préalable du
ministre chargé de l'éducation nationale et aux dispositions de la
présente loi notamment son article 2.
|
Enfin, dans les années 2000, on comptait en Algérie près de 380 écoles privées, dont une centaine pour
l'enseignement primaire. En 2010, on en comptait 126, tous
cycles confondus, alors que les établissements d'enseignement étaient répartis
dans 16 wilayas. Ces établissements se sont implantés dans des villes comme
Alger, Tizi Ouzou, Annaba, Sétif, Béjaïa, Constantine, etc. La langue
d'enseignement est le français dans ces établissements. Rappelons que, dans les années
1970, le
gouvernement avait aboli les écoles privées et avait placé toutes les écoles
sous son contrôle. Le nombre d’élèves inscrits dans ces établissements scolaires
privés a augmenté d’année en année. Selon le ministre de l’Éducation, ils sont
près de 25 000 élèves à travers le territoire national. D’autres sources
indiquent que leur nombre avait atteint les 80 000, tous paliers confondus (de la
maternelle au brevet). Ces établissements privés ont fait leur apparition dans
les années 1990 et offrent la
totalité des cours en langue arabe. En 2010, le
nombre d’élèves inscrits dans les établissements privés était de 16 560 pour
l'ensemble des cycles.
Le gouvernement algérien a prévu une loi dont la mise en
application devait être l'automne 2005. Le ministre de l'Éducation menaçait de
faire fermer les écoles qui ne se conformeraient pas au programme officiel,
notamment à un enseignement à 90 % en arabe:
Les écoles privées sont
(reconnues, mais) soumises aux mêmes programmes et au même encadrement
que les écoles publiques, la seule différence est qu'elles sont
autorisées à avoir d'autres programmes supplémentaires que le Ministère
doit avaliser également. Nous allons leur donner un délai pour se
conformer à la réglementation, sans cela elles devront arrêter leurs
activités. |
Le 12 avril 2005, le chef de l’État algérien,
Abdelaziz Bouteflika, s’exprimant devant les ministres de l’éducation de
l’Union africaine (UA), posait l’une des dernières pierres d’un édifice datant
de l’indépendance algérienne : « Il est tout à fait clair que toute institution
privée qui ne tient pas compte du fait que l’arabe est la langue nationale et
officielle, et qui ne lui accorde pas une priorité absolue, est appelée à
disparaître.» Son ministre de l’éducation, Abou Bakr Benbouzid, développait
ainsi dans la foulée la pensée du président : «Il n’ y aura pas de réformes au
détriment de la langue arabe et de l’identité nationale.» Il a aussi rappelé que
l’Algérie «a perdu la langue arabe pendant 132 ans et nous avons consenti
beaucoup de sacrifices pour la récupérer et aujourd’hui, il est tout à fait
clair que je n’ai pas l’intention d’en faire l’objet d’un jeu». Dans un
entretien accordé au Quotidien d’Oran en juin 2004, le ministre s'est
montré intransigeant :
Je pourrais peut-être fermer
les yeux sur certaines choses telles que le bâti, la cour, mais je ne
ferai aucune concession sur le programme et la langue enseignée. Cette
dernière est un facteur d’intégration sociale très important. Une fois
cette expérience faite, nous pourrons, si besoin est, changer le décret,
ce n’est pas un verset coranique. |
Le président, pour sa part, avait été catégorique : «Les écoles privées qui ne se
conformeront pas à la réglementation en vigueur seront fermées.» Au cours des
mois qui ont suivi, 75 écoles ont choisi de se conformer à la réglementation, ce
qui leur a valu d'être agréées par le ministère de l'Éducation. Moins d'une année après son avertissement, le président Bouteflika est passé
aux actes en fermant, en février 2006, plus de 40 écoles privées francophones de
Kabylie pour causes de «déviation linguistique», d'«antinationalisme» et
d'«errements francisants», car on y enseignait l’histoire
de la France au lieu de celle d’Algérie.
En réalité, ces établissements ont été accusés de
«franciser l’école et franciser l’Algérie, imposer une école du déracinement qui
renie la langue arabe et l’Islam». Cette opération de force a été menée par la
police dans de nombreuses localités; elle est intervenue à la suite d'une
ordonnance présidentielle qui exigeait d'enseigner «obligatoirement en langue
arabe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux». Des peines de six à
douze mois de prison étaient même prévues contre les récalcitrants. Quelques jours
plus tard, le gouvernement algérien accordait aux écoles fermées un «délai
supplémentaire exceptionnel jusqu’à la fin juin 2006» pour se conformer à la loi
qui leur fait obligation d’enseigner les mêmes programmes que les écoles
publiques. Après l’illégalité autorisée et encouragée, l’heure de la mise au pas
était arrivée. Par ailleurs, la réglementation oblige les propriétaires des
écoles privées à déclarer leurs sources de financement et leur interdit de
recevoir des fonds de la part des associations nationales ou d'autres organismes
étrangers, sans l’aval préalable du ministère de l’Éducation.
Cette situation n'a guère empêché les dirigeants algériens de
placer leurs propres enfants dans des «classes spéciales» francophones au lycée Bouâamama (ex-Descartes) d'Alger, un établissement d'enseignement public
«privatisé». Et maintenant, on les envoie au Centre
culturel français. Les écoles privées actuelles sont dans l'obligation de respecter le
programme national établi par le ministère de l’Éducation, conformément à
l'article 8 de l'ordonnance
n° 05-07 du 23 août 2005, fixant les conditions de création,
d’ouverture et de contrôle des écoles privées d’éducation et d’enseignement. Le
programme comprend toutes les matières enseignées dans les établissements
publics: la langue arabe, la langue française, la langue anglaise, l’éducation
islamique, l’éducation civile, l’éducation technologique, l’éducation
environnementale, les mathématiques, avec en plus le sport pour le primaire.
Dans les faits, l'ordonnance demeure partiellement appliquée,
mais elle continuera d'alimenter la schizophrénie linguistique. La plupart des
directeurs des écoles privées affirment que leurs écoles ont pour objectif de
former de bons bilingues (arabe-français) pour qu’ils puissent suivre
normalement les études supérieures dont plusieurs filières sont généralement
dispensées en français.
7.4 L'enseignement supérieur
Le réseau de l’enseignement supérieur comprend 58
établissements, dont 27 universités, 16 centres universitaires, 6 instituts
nationaux, 5 écoles nationales et 4 écoles normales supérieures. Quant à
l'enseignement professionnel, qui relève du ministère de la Formation et de
l’Enseignement professionnels, il assure les formations à caractère pratique
permettant l’accès à un emploi. Il compte plus de 731 établissements.
L'Université d'Alger est la première université du
pays en termes d'effectifs d'étudiants inscrits en formation (plus de 100 000
étudiants). Suivent l'Université de Constantine (plus de 60 000 étudiants),
l'Université d'Oran (plus de 40 000 étudiants) et l'Université d'Annaba (plus de 40 000
étudiants) en 2007-2008.
Les décennies d'arabisation intensive ont fait perdre au
français sa place prépondérante dans le domaine de l’éducation, sauf dans
l'enseignement supérieur. En général, la plupart des cours sont offerts en arabe
littéraire, en français et parfois en anglais. Dans les faits, le français
exerce toujours une fonction privilégiée dans l'enseignement supérieur et
technique, alors que les cours sont essentiellement offerts en français; seules
les filières des sciences humaines et sociales étant enseignées en langue arabe.
L'article 37 de la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991
portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe énonçait que «l'enseignement
dans la seule langue arabe, au niveau des établissements et instituts
d'enseignements supérieurs prendra effet à compter de la première année
universitaire 1991/ 1992 et se poursuivra jusqu'à l'arabisation totale et
définitive au plus tard le 5 juillet 1997» :
Article 37
L'enseignement dans la seule langue arabe, au niveau des
établissements et instituts d'enseignements supérieurs prendra effet
à compter de la première année universitaire 1991/ 1992 et se
poursuivra jusqu'à l'arabisation totale et définitive au plus tard
le 5 juillet 1997.
|
Force est de constater que cette partie de la loi n'a été
que très partiellement appliquée. En 1999, la
loi n° 99-05 du 4 avril portant loi d'orientation sur
l'enseignement supérieur (1999) ordonnait que les documents de thèse
et de mémoire (art 44 et 45) soient rédigés en arabe (la «langue nationale»)
ou en une autre langue «si une autorisation expresse
est accordée par le chef de l’établissement, après avis motivé du conseil
scientifique de l’entité universitaire concernée ou du conseil scientifique ou
pédagogique de l’établissement habilité»
:
Article 59
Le document de thèse doit être rédigé en langue nationale.
Il peut également être rédigé dans une autre langue, si une
autorisation expresse est accordée par le chef de l’établissement,
après avis motivé du conseil scientifique de l’entité universitaire
concernée ou du conseil scientifique ou pédagogique de
l’établissement habilité.
Article 60
Un résumé en langue nationale
du document de thèse doit
obligatoirement accompagner le dossier de thèse de son dépôt
officiel pour évaluation.
Les thèses rédigées dans une langue autre que la langue nationale
doivent également faire l’objet d’un résumé élaboré dans
la langue
d’écriture de la thèse.
La consistance et la présentation de la thèse et des résumés de
thèse seront précises par arrêté du ministre chargé de
l’Enseignement supérieur. |
Ces dispositions demeurent pour le moment rarement
appliquées. L'arabisation des universités a été ralentie depuis que les
étudiants se sont révoltés parce que leurs diplômes arabes ne leur offraient
pas de réels débouchés sur le marché du travail. Les universités
algériennes présentent un taux d'échec effarant dès la première année. C'est
que les étudiants arrivent dans l’enseignement supérieur avec une formation
arabophone, alors qu’ils sont appelés à suivre leur cursus en langue
française.
De plus, les échanges entre professeurs et étudiants,
entre étudiants et agents de l'administration, ainsi que entre les
étudiants eux-mêmes, se font en arabe algérien, rarement en français ou en
tamazight et jamais en anglais.
Pour résumer la situation, nous pouvons affirmer que la
politique linguistique de l’Algérie s’inscrit dans un modèle idéologique de la
langue nationale et officielle unique avec un système d'éducation qui a toujours
exclu de l'enseignement les langues parlées par la nation, c'est-à-dire l'arabe
algérien et le tamazight, au profit de l'arabe littéraire et, jusqu'à un certain
point, du français. Toutes les langues autres que l'arabe littéraire sont
considérées juridiquement comme des «langues étrangères», y compris l'arabe
algérien et le tamazight.
C'est seulement en 1976 que le gouvernement algérien a
commencé à prendre des mesures draconiennes pour faire de l'Algérie un pays
qui ait un visage arabe. Le ministère de l'Intérieur a fait parvenir une
circulaire en juillet 1976, dont les directives devaient être exécutées dans
tout le pays. Les paragraphes 3 et 4 de cette circulaire apparaissent
suffisamment explicites pour qu'il soit utile de les reproduire ici:
Circulaire
administrative de 1976
3) arabiser
totalement toutes les enseignes extérieures des administrations et
sociétés publiques, et les écrire en lettres apparentes, de grande
dimension, d'écriture belle et élégante, et interdire absolument toute
inscription en langue étrangère;
4) utiliser
seulement l'écriture en arabe pour les divers services, bureaux et
guichets internes, et pour les diverses inscriptions, panneaux
d'indication ou d'orientation, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des
institutions.
|
L'opération a été parfois exercée dans une certaine
précipitation; par exemple, à Alger, en une nuit, on a remplacé presque toutes
les inscriptions françaises. L’objectif sera atteint dans l'ensemble du pays,
avec des résultats inégaux il est vrai: les zones rurales ont été presque
complètement arabisées, mais les villes du Nord ont résisté davantage.
8.1 La publicité commerciale
Deux ans plus tôt, le
président Boumédiène
avait signé le
décret n° 74-70 du 3
avril 1974 portant arabisation de la publicité commerciale.
Ce décret imposait l'usage de la langue arabe sur le territoire
national dans la publicité commerciale :
Article 1er
La publicité commerciale produite et diffusée sur le
territoire national doit être exprimée en langue arabe.
L'utilisation, aux mêmes fins, d'une langue étrangère
est
facultative. Dans ce cas, le message publicitaire devra
être conçu comme une reproduction complémentaire traduite ou
transposée.
Article 2
Les dispositions de l'article 1er s'appliquent aux
enseignes, affiches, panneaux-réclames et éditions publicitaires
(prospectus, dépliants, catalogues, brochures, calendriers,
agendas, etc.) et, d'une façon générale, à tout message à
caractère publicitaire commercial émis sous forme figurée,
parlée ou filmée.
|
L'emploi d'une langue étrangère demeurait facultatif
et les messages publicitaires devaient
être conçus «comme une reproduction
complémentaire traduite ou transposée». De plus, l'arrêté du 21 avril 1976 relatif à la publicité des prix
obligeait les commerçants à utiliser dans l'étiquetage les «chiffres arabes»
et la monnaie nationale «en caractères arabes» :
Article 2
L'étiquetage consiste en l'indication, en monnaie nationale
et en caractères arabes,
du prix de vente du produit accompagné d'une référence
permettant d'identifier la facture achat.
Ces indications doivent être apposées, soit sur le produit
lui-même, soit sur son emballage, soit sur une étiquette fixée
ou collée, au produit.
Article 3
Les indications de l'étiquetage doivent être portées en
caractères bien lisibles. L'emploi des chiffres arabes
est obligatoire pour désigner le prix.
|
8.2 La modification du paysage
linguistique
Mais il fallut attendre le
décret n° 81-36 du
président Chadli Bendjedid,
pour arabiser tout le paysage linguistique de l'Algérie, ce que le décret
appelle «l'environnement». L'article 1er
du
décret n° 81-36 du 14 mars 1981 relatif à
l'arabisation de
l'environnement
prescrit l'emploi de la langue nationale sur les enseignes, les panneaux
et sur toute inscription peinte, gravée ou
lumineuse, indiquant un établissement, une entreprise, un organisme :
Article 1er
Les enseignes, panneaux et, de manière
générale, toute inscription peinte, gravée ou lumineuse, indiquant
un établissement, une entreprise, un organisme ou mentionnant
l'activité qui s'y exerce, sont exprimés
en langue nationale.
La transcription en langue nationale
s'effectue dans le respect de la réglementation en matière de dépôts
de marques de fabriques et notamment, les dispositions de
l'ordonnance n° 66-57 du 19 mars 1966 susvisée .
|
Il en est ainsi à l'article 5 du
décret n° 81-36 du 14 mars 1981 pour
les noms des produits et marchandises commercialisés en Algérie:
Article 5
Les noms et indications, concernant les produits,
marchandises et tous objets fabriqués et commercialisés en Algérie
sont exprimés en langue nationale. En cas de nécessité et pour les
produits précités, l'usage complémentaire d'une langue étrangère
peut être décidé par le ministre compétent.
Toutefois. les noms et indications concernant les produits,
marchandises et tous objets destinés à l'exportation, peuvent être
exprimés en une ou plusieurs langues étrangères, l'inscription
en
langue nationale étant en évidence. |
Cependant, le décret prévoit des
exceptions où il est possible d'utiliser en plus une ou plusieurs langues
étrangères. Ces exceptions concernent notamment les centres de soins ou
d'urgence, les ports et aéroports, les gares de transports terrestres,
maritimes et ferroviaires, les services de police, des douanes et de la
protection civile, les stations touristiques et thermales, les hôtels et
restaurants classés, les banques et agences de voyages, les sites et
monuments historiques classés, les musées (art. 3); les panneaux et plaques
de signalisation routière, les panneaux et plaques de localisation, les panneaux et plaques désignant les lieux dangereux ou interdits
ou indiquant des matières dangereuses ou polluantes (art. 2); les
produits pharmaceutiques, les produits chimiques, les produits dangereux, les engins, machines et installations diverses,
les appareils de sauvetage et de lutte contre les calamités, etc. (art. 7).
Dans tous les cas, l'inscription en langue nationale doit être «portée plus
haut et en gros caractères» ou «mise en évidence».
Dans le domaine de l'affichage, voici comment
sont libellés les articles 20, 21 et 22 de la
loi n° 91-05 du 16 janvier 1991:
Article 20
1) Sous réserve d’une transcription esthétique et d’une
expression correcte, les enseignes, les panneaux, les slogans, les symboles,
les panneaux publicitaires ainsi que toute inscription lumineuse, sculptée
ou gravée indiquant un établissement, un organisme, une entreprise ou un
local et/ou mentionnant l’activité qui s’y exerce, sont exprimés dans
la seule langue arabe.
2) Il peut être fait usage de langues étrangères
parallèlement à la langue arabe dans les centres touristiques classés.
Article
21
Sont imprimés en langue arabe et en
plusieurs langues étrangères et à condition que la langue arabe soit mise en
évidence, les documents, imprimés, emballages et boîtes comportant des
indications techniques, modes d’emploi, composantes, concernant notamment:
-
les produits
pharmaceutiques,
- les produits chimiques,
- les produits dangereux,
- les appareils de sauvetage et de lutte contre les incendies et les
calamités.
Article 22
1)
Les noms et indications concernant les produits, marchandises et
services et tous objets fabriqués, importés ou commercialisés en
Algérie sont établis en langue arabe.
2)
Il peut être fait usage de langues étrangères à titre
complémentaire.
|
8.3 La persistance du bilinguisme
|
Aujourd'hui, la plupart des plaques de rues sont bilingues avec des noms arabes,
mais certaines rues portent encore des noms français «comme avant». À l'heure actuelle, si la publicité commerciale est
généralement française, parfois bilingue arabe-française, l'affichage
gouvernemental et l’affichage municipal demeurent unilingues arabes. Quant aux
raisons sociales, elles sont unilingues arabes ou bilingues, mais toutes les
étiquettes des produits de consommation courante sont bilingues, à la condition
que la langue arabe soit mise en évidence. Les entreprises commerciales sont
souvent en arabe seulement, mais dès qu'elles prennent de l'importance et
commencent à prospérer, elles ont tendance à devenir bilingues. L'anglais est très rare en
Algérie. L'un des rares cas connus est la grande enseigne de l'aéroport d'Alger
«Algiers National Airport». En dépit des dispositions des lois, des décrets et
des ordonnances, beaucoup d'inscriptions apparaissent encore uniquement en français, même dans la
capitale (Alger). Sur les enseignes des magasins, on peut lire des inscriptions
telles cafétéria, boulangerie, imprimerie, papeterie, vente en gros,
coiffeur, etc. |
Bred, le français demeure très présent en
Algérie. Ainsi, on trouve surtout des affiches unilingues en
français, puis des affiches bilingues en français et en arabe, ensuite de rares
affiches trilingues en arabe, en français et en anglais. Les affiches trilingues
en arabe, en berbère et en français appartiennent en général à des
établissements d'enseignement ou à des commerçants. Les affiches unilingues
arabes concernent les édifices publics, les écoles, certains commerces, etc. C'est
comme si l'article 20 de la
n° 91-05 du 16 janvier 1991 était interprété
au sens large : «Il peut être fait usage de langues étrangères parallèlement à la
langue arabe dans les centres touristiques classés.» À plusieurs
égards, le pays semble représenter différents
«centres touristiques classés».
En vertu de la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant
généralisation de l’utilisation de l'arabe, les responsables des entreprises
privées, les commerçants et les artisans qui contreviennent aux dispositions
de la loi sont passibles, rappelons-le, d’une amende de 1000 à 5000 dinars
(art. 33) ou de 15 $US à 70 $US. De plus, «en cas de récidive, il est procédé à
la fermeture temporaire ou définitive du local ou de l’entreprise». Même les
associations à caractère politique sont soumises à la loi, mais pour elles
les amendes s’élèvent de 10 000 à 100 000 dinars (de 140 $US à 1400 $US).
L'article 4
décret exécutif n° 90-367 du 10 novembre 1990
concerne les mentions d'étiquetage des
«denrées alimentaires» qui doivent être rédigées dans la
langue nationale et, à titre complémentaire, dans une autre langue :
Article 5
Les mentions d'étiquetage doivent être visibles, lisibles et
indélébiles. Elles sont rédigées en langue nationale et, à titre
complémentaire, dans une autre langue.
|
Enfin, un décret concernant les marchés publics permet de constater que
l'emploi d'une langue étrangère n'est pas vraiment interdit. En effet,
l'article 49 du
décret présidentiel n° 10-236 du 7 octobre 2010 portant réglementation des marchés
publics autorise l'emploi de l'arabe et d'une autre langue:
Article 49
L'avis d'appel d'offres est rédigé en
langue arabe et, au moins, dans une langue étrangère.
Il est publié obligatoirement dans le Bulletin officiel des
marchés de l'opérateur public (BOMOP) et au moins dans deux
quotidiens nationaux, diffusés au niveau national. |
Le BOMOP, c'est le Bulletin officiel des
marchés de l'opérateur public, créé par décret le 12 mai 1984. Ce
bulletin hebdomadaire est publié en deux versions, en arabe et en français.
Il s'agit d'un recueil des avis d'appels à la concurrence nationale et
internationale, des avis de présélection, des avis d'adjudication, des
concours, des avis de prorogation de délai, des mises en demeure, des
résiliations, des indices salaires et matières des travaux publics et du
bâtiment, des études et textes à caractère juridique et réglementaire.
La situation des médias traditionnels en Algérie a
toujours été marquée par une grande emprise de l'État, malgré son caractère
hybride ou mixte. La couverture médiatique demeure fermée et orientée,
surtout la télévision, encore qu'on autorise la présence des médias
internationaux, notamment dans le domaine de la télévision satellitaire
étrangère. Le piratage télévisuel, en particulier des chaînes françaises et
arabes, est généralisé chez le public et largement toléré par le gouvernement. De
façon générale, en dépit des avancées réalisées depuis quelques années, la presse
écrite reste plus ou moins contrôlée, l’audiovisuel est toujours monopolisé,
tandis que le service public demeure assujetti.
9.1 La presse écrite
En matière de publication périodique, l'article 11 de
la
loi
organique n° 12-05 du 12 janvier 2012 relative à l'information
précise que «l'édition de toute publication périodique est libre» :
Article 11
1) L'édition de toute publication périodique est libre.
2) L'édition de toute publication périodique est soumise aux
dispositions d’enregistrement et de contrôle de véracité de
l’information au dépôt d’une déclaration préalable signée par le
directeur responsable de la publication auprès de l’autorité de
régulation de la presse écrite prévue par la
présente loi organique. Un récépissé lui en est immédiatement
remis.
|
En même temps, l'article 20 de la
loi
organique n° 12-05 du 12 janvier 1212 relative à l'information
énonce que les publications périodiques d’information générale doivent être
éditées en langues nationales ou l'une
d’entre elles, ce qui suppose en arabe ou en tamazight :
Article 20
Les publications périodiques d’information générale créées à
compter de la promulgation de la présente loi organique sont
éditées en langues nationales ou l'une
d’entre elles.
Toutefois, les publications périodiques destinées à la diffusion
et à la distribution nationale ou internationale et les
publications périodiques spécialisées peuvent être éditées
en langues étrangères après
accord de l’autorité de régulation de la presse écrite.
|
Auparavant, l'article 16 de la
loi
n° 91-05 du 16 janvier portant généralisation de
l'utilisation de la langue arabe imposait
uniquement l'arabe:
Article 16
Sous réserve des dispositions de l'article 13 de la loi relative
à l'information, l'information destinée aux citoyens doit être en
langue arabe.
L'information spécialisée ou destinée à l'étranger peut être en
langues étrangères.
|
Il existe près d'une cinquantaine de
journaux quotidiens en Algérie. Le gouvernement contrôle les imprimeries et
la publicité, ce qui rend la liberté des journaux indépendants plus
relative. Les journaux sont publiés en arabe, en français et en tamazight,
mais pas de façon équivalente pour le tamazight.
|
Les journaux les plus importants en
langue arabe sont les suivants: Echourouk El Youm, El Khabar, El Massa
et Ennahar. Les journaux en langue française sont El
Watan, Liberté, Le Soir d'Algérie, L'Expression, Le Quotidien d'Oran, La
Tribune, La Dépêche de Kabylie et El Moudjahid. Il existe aussi
une foule de journaux locaux, surtout en arabe. Seuls quelques magazines
locaux paraissent en tamazight.
Aujourd'hui, on trouve plus de journaux en
français que durant l'époque de l'Algérie française. Par exemple, seulement à Alger, on
compte six quotidiens francophones : El-Moujahid, Alger-Républicain,
Liberté, Alger-Soir, Le Matin, El-Watan. De plus, ces journaux
bénéficient d'un lectorat fidèle et concurrencent les journaux arabophones.
|
9.2 La radio
algérienne
En Algérie, il existe une
entreprise nationale de radiodiffusion: la Radio algérienne, appelée
officiellement «Entreprise nationale de radiodiffusion sonore»,
abrégée en ENRS. Celle-ci dispose de trois stations nationales
(Chaîne 1, Chaîne 2 et Chaîne 3), de deux stations thématiques
(Radio-Coran et Radio-Culture), d'une station internationale
(Radio-Algérie internationale) et d'au moins une quarantaine de
stations régionales. Cet organisme diffuse en arabe, en tamazight et
en français. Selon l'article 7 du
décret exécutif n° 91-102 du 20 avril 1991 érigeant l’entreprise nationale
de radiodiffusion sonore en établissement public de radiodiffusion sonore,
l'ENRS doit veiller à la
promotion de la langue nationale au niveau des moyens de
production et de diffusion, tout en recourant à «différentes langues
étrangères de diffusion» :
Article 7
L'établissement veille à la
promotion de la langue nationale au niveau des moyens de
production et de diffusion.
Article 11
L'établissement est tenu faire connaître le
patrimoine culturel et civilisationnel de l'Algérie et les
aspirations de son peuple à travers
les
différentes langues étrangères
de diffusion. |
Pour sa part, Radio-Algérie
internationale émet douze heures par jour en arabe, en français,
en anglais et, depuis 2016, en espagnol.
Les principales chaînes de radio à couverture
locale (bande FM) sont les suivantes: Radio Elbahja (94.2
91.5), Radio algérienne (91.0), la Chaîne 3 (89.2),
Jil FM (94.7), Radio el Bahia FM (92.7). Les
stations radiophoniques berbérophones sont principalement
Radio-Kabyle, Radio Numydia et Radio Tamurt. Les radios locales de
Tizi Ouzou et de Béjaia sont presque entièrement berbérophones.
D'autres radios locales (Bouira, Khenchela, Batna, Tipaza, Oum El
Bouaghi, etc., diffusent quelques émissions en langue amazighe.
9.3 La
télévision algérienne
En Algérie, l'Entreprise nationale de
télévision (ENTV) est l'organisme national algérien qui
assure le service de la télévision publique; elle administre
cinq chaînes de télévision: Télévision algérienne nationale
(en arabe), Canal Algérie (principalement en français),
Algérie 3 (en arabe), Tamazight TV 4 (en
tamazight) et Coran TV 5 (en arabe). Certains
observateurs affirment que l'Algérie est le seul pays au monde
qui possède cinq chaînes de télé diffusant toutes le même
programme en même temps. Évidemment, tel n'est vraiment pas le cas, mais
cela signifierait tout simplement que l'État exerce un contrôle sur les émissions de
télé. Outre les chaînes nationales, il existe des chaînes
locales arabophones: Canal Alger-Centre, Oran TV, Constantine
TV, Ouargla TV et Bechar TV.
Signalons enfin que les Algériens peuvent
avoir accès à la télévision par satellite. Dès lors, ils peuvent
regarder des émissions françaises, espagnoles, arabes, américaines,
etc. Les chaînes dites «satellitaires», tant arabophones que
francophones, sont très prisées par les Algériens qui se sont
équipés en conséquence. Le nombre de paraboles dépasserait
largement les 20 millions.
Depuis l'accession à l'indépendance, les différents leaders algériens
ont toujours refusé les liens avec ce qui est devenu aujourd'hui la
Francophonie. L'Algérie s'est toujours dérobée à toutes les rencontres qui ont
donné naissance à cette organisation politique et culturelle. Elle a renoncé, généralement sans aucune
forme d'examen objectif, à toute participation aux activités de l'Agence de
coopération culturelle et technique par crainte de se voir qualifiée de «néocolonisée».
10.1 Le virage apparent
Au du IXe Sommet de
la Francophonie de 2002 (Beyrouth), l'Algérie a fait un virage à 180 degrés. Le 18 octobre 2002, le
président Abdelaziz Bouteflika
s'est rendu à Beyrouth pour assister au Sommet de la Francophonie,
en tant qu'«invité personnel» de son homologue libanais, Émile Lahoud. Dans son
discours, le président Bouteflika a expliqué les raisons de la participation
de son pays à cette première réunion. Les raisons avancées par le chef de
l'État sont d'abord politiques:
Aujourd'hui,
nous devons savoir nous départir de la nostalgie chatouilleuse, qui
s'exprime en repli sur soi, et nous ouvrir sans complexe à la culture
de l'autre, afin de mieux affronter le défi de la modernité et du
développement, par nous-mêmes et dans nous-mêmes [...]. L'usage de la
langue française est un lien qui assure notre unité. |
Le président Bouteflika a reconnu lui-même au Sommet de
Beyrouth que le français permettait aux Algériens d'élargir
leur horizon et de participer à l'évolution de la modernité: «L'Algérie a
conscience que l'usage de la langue française permet à nos jeunes d'élargir leur
horizon et de participer à l'évolution du monde moderne.»
Le président algérien a pris ses précautions pour
ménager les islamistes; il a ainsi souligné «les préoccupations de l’Algérie en tant que
pays arabe» et «en tant que pays méditerranéen». Pendant ce temps, le chef
de la diplomatie algérienne et chef de file du courant islamo-baâthiste,
Abdelaziz Belkhadem, annonçait que l'Algérie œuvrait pour adhérer au
Commonwealth et tentait, en même temps, de se rapprocher des pays hispanophones
(Espagne et Amérique latine). Enfin, en cas d’effective adhésion, l’Algérie
ne désire pas défendre la culture francophone, encore moins devenir
le promoteur de la langue française dans le monde. Dans
un article («Situation linguistique en Algérie», 21 avril 2005), Sid Ahmed Bouhaïk résume bien cette situation difficile:
Les langues arabe, amazighe,
française font partie du paysage linguistique d’une même identité, mais
qui s’obstinent à s’ignorer, campant le plus souvent sur des positions de
suspicion envers l’autre, celle-ci n’étant pourtant que l’expression de sa
propre image exprimée par un de ces véhicules linguistiques de son
algérialité (...) Francophones algériens, nous y entrons (l’immense forêt
qu’est le fonds culturel arabe) quand nous avons pris, une fois pour
toutes, la décision de vivre notre arabité et notre maghrébité avec un
sentiment de malaise et de culpabilité. |
Bref, la question linguistique continue d'alimenter les
conflits en Algérie. Comme tout est récupéré par la politique, il est très
difficile d'établir un bilan objectif de la situation.
En octobre 2008, le
président Bouteflika s'est présenté encore «en qualité d'invité spécial» au
XIIe Sommet de Québec
(Canada), qui s'était déroulé du 17 au 19 octobre et coïncidait avec le 400e
anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain
(1608). En somme, les sommets de la Francophonie sont encore perçus par les
autorités algériennes comme un «cadre politique de soumission à la France», et
ce, même quand un Sommet se passe au Québec ou ailleurs.
Pourtant, la Francophonie de 2008 n’était plus
du tout celle des années 1970, alors que les barrières idéologiques de
l'époque ont été levées, mais l'Algérie semble encore l'ignorer, empêtrée
elle-même dans sa propre idéologie anticoloniale française.
10.2 La persistance du français
Il n'en demeure pas moins que la politique d’arabisation menée à tout crin ne semble pas avoir eu raison de
la langue française. Faisant peut-être à contrecœur preuve de réalisme, le gouvernement algérien fut
dans l'obligation d’apporter quelques exceptions à la
loi n° 91-05 du 16 janvier 1991; ce fut l'objet
de l'ordonnance
n° 96-30 du 21 décembre.
Dans un article intitulé «Bilinguisme & bijuridisme, l’exemple du droit
algérien» paru dans un numéro spécial des Annales de l'Université d'Alger 1,
Le bilinguisme juridique dans les pays du Maghreb, le professeur
Ali Filali, au cours d'un colloque
international tenu les 2 et 3 avril 2012 à Perpignan (France), a résumé ainsi la place de
la langue française en Algérie.
L’usage du français est une réalité quotidienne non seulement pour une
catégorie de la population dans un cadre professionnel, mais pour tous les
citoyens. Il en est ainsi pour plusieurs raisons:
- la disponibilité d’une presse écrite en langue française dont le nombre
connaît une évolution sensible depuis les années 1990 (une vingtaine de
quotidiens nationaux d’information);
- le lancement depuis 1994 d’une chaîne de télévision nationale «Canal
Algérie» en langue française;
- l’existence au sein de l’entreprise nationale de radiodiffusion sonore
ENRS d’une station nationale «la chaîne 3» en français;
- la poursuite des enseignements universitaires en français, notamment
pour les matières scientifiques (médecine, pharmacie, informatique, etc.);
- la dispense de l’enseignement de la langue française en tant que langue
étrangère pendant tout le cursus scolaire (primaire,
secondaire, universitaire);
- la poursuite de la publication des textes législatifs et règlementaires
en langue française quel que soit le support (papier, électronique);
- la disponibilité d’une documentation en langue française au sein des
établissements universitaires, de la Cour suprême,
voire au niveau des juridictions d’appel, etc.
- la plupart des travaux de recherches (thèses de doctorat, mémoires de
magister, ouvrages, etc.) préparés en langue arabe comportent au titre des
renvois de bas de page des références à une documentation en langue
française et une bibliographie en langue française;
- la publication de travaux en langue française dans les revues éditées
par les universités, la Cour suprême, les centres de recherches, etc.
Le professeur Filali mentionne aussi l’influence de la mondialisation en
Algérie. Après deux décennies d'indépendance et de fermeture, l'Algérie a décidé
de s’ouvrir au monde. Cette ouverture sur le monde extérieur s’est amplifiée
avec l’émergence du phénomène de la mondialisation. C'est dans cet esprit que se
situait la réforme de la justice, car il semblait préférable que l'Algérie
s'aligne au niveau des normes internationales en matière de législation,
d’organisation et de fonctionnement des institutions judiciaires. Ainsi, le
recours aux langues étrangères et aux cultures juridiques étrangères est devenu
une nécessité pour le développement du droit algérien. Néanmoins, l'élimination de la langue française en Algérie n'est pas pour
demain.
Les politiques d'arabisation instaurées par
l'oligarchie algérienne ont été imposées d'en haut à la population. Contrairement à
d'autres pays, tels que la Pologne, la Lituanie ou l'Ukraine, qui ont instauré
des politiques linguistiques réhabilitant la langue du peuple (polonais,
lituanien ou ukrainien) contre l'omniprésence du russe, l'État algérien a voulu
supprimer la langue de l'oppresseur, le français, pour imposer une autre langue,
l'arabe classique en lieu et place de l'arabe algérien. Ces politiques
d'arabisation auraient été fort différentes si elles avaient été orientées vers
l'arabe algérien plutôt que vers l'arabe classique que personne ne parle dans ce
pays. Ainsi,
il n'apparaît pas normal ni souhaitable que l'arabe algérien soit
supprimé, sinon interdit au profit de l'arabe classique.
Aujourd'hui, l'Algérie est aux prises avec un
problème important d'analphabétisme:
entre 50 % et 75 %, selon les estimations.
Certains croient que ce problème est dû à l'usage du français qui confère encore
un caractère élitiste à l'enseignement. Mais les plus réalistes sont plutôt
convaincus que le problème provient de l'usage de l'arabe classique dans les
écoles et, surtout, des méthodes pédagogiques totalement désuètes.
L'enseignement de l'arabe classique fonctionne selon une méthode pédagogique
répétitive et prisonnière d’une conception théocratique de l’islam. On ne
l'enseigne pas comme une langue moderne (comme on le ferait pour l'anglais),
mais comme une langue morte. C'est pourquoi il serait illusoire de demander aux
Algériens de soutenir des conversations en arabe classique sur des sujets de la
vie quotidienne. Cet arabe classique est une langue seconde pour tous les
Algériens.
De toute façon, la
langue de la réussite économique et sociale
demeure le français. Les islamistes arabisants n'ont jamais été capables
de s'emparer de ce secteur. Le rapprochement avec l’Union européenne ne fait
qu'accentuer cette tendance à la francisation de l'économie. Aucune réforme
crédible de
l’enseignement ne peut se permettre d’ignorer cet aspect. L'une des difficultés de la politique linguistique algérienne vient du fait qu'elle ne
distingue pas l'oral de l'écrit. L'oral est aujourd'hui l'apanage de l'arabe
algérien, alors que l'écrit était tenu par le français et l'arabe classique.
Pendant que l'État imposait l'arabe classique à l'école, tant à l'oral qu'à
l'écrit, il ignorait l'arabe algérien, voire le méprisait au même titre que le
français. Il s'agit là d'une attitude négative, qui consiste à créer une belle
fracture de l'identité algérienne.
Alors que les langues naturelles de la
communication, soit l'arabe algérien et le berbère, sont méprisées et ignorées,
l'école et l'administration imposent deux langues écrites «étrangères»: l'arabe
classique et le français. Pourtant, l'arabe classique aurait pu servir de refuge
identitaire, le français, d'un apport culturel. Le fait de créer une politique
linguistique sur l'improvisation, le manque d'expertises et surtout sur
l'exclusion (l'arabe algérien et le français) ne peut pas donner des résultats
positifs. Aujourd'hui, la population continue d'utiliser le français, la «langue
de l'ex-puissance colonisatrice» au grand dam des partisans de
l'arabisation. Dans l'état actuel des choses, la politique d’arabisation
implique nécessairement le refus de la réalité et du plurilinguisme algériens.
Au lieu d'avoir libéré le peuple algérien et d'avoir valorisé les langues
algériennes (arabe dialectal, arabe classique, berbère et français d'Algérie),
l’arabisation a fini par signifier une «nouvelle colonisation». C'est l'un des
paradoxes de ce qu'on a appelé «l'Absurdistan algérien». Bref,
l'Algérie a toujours étonné par ses excès, mais il
faut avouer que ce
n'est pas le seul pays dans ce cas.
La politique linguistique
d’arabisation est caractérisée par des références et des contenus inscrits
franchement dans le conservatisme et l’archaïsme. Elle vise à empêcher les
Algériens d'accéder pleinement à leurs
langues parlées. Cette politique linguistique tire son origine de
l'idéologie pan-arabiste imposée et d’une perception conservatrice de
l'islam comme seules références linguistiques et culturelles, ce qui a
transformé la question linguistique en conflit politique et idéologique. Ce sont
les médias, la justice et l'éducation qui ont été les champs de prédilection de
cet affrontement. D'une part, il y a l'Algérie conservatrice prônant une nation
arabo-islamique mythique destinée à supprimer toute référence à
l'amazighité et à entraîner la disparition de cette langue, d'autre part, une Algérie
maghrébine, méditerranéenne et africaine inscrite dans la modernité. À long
terme, c'est la seconde qui devrait survivre, mais rien n'est gagné d'avance. N'oublions
jamais que l'élite dirigeante actuelle n'a aucun intérêt à se mettre à la merci
de la minorité berbère en acceptant l'égalité des deux grandes communautés
linguistiques. Quoi
qu'il en soit, la politique linguistique algérienne consiste à disqualifier les
langues maternelles des citoyens, l'arabe algérien et le berbère, pour
privilégier l'opposition entre deux langues secondes, l'arabe littéraire et le
français. Ce genre de politique linguistique n'augure rien de bon. À long terme,
elle est vouée à l'échec.
Dernière mise à jour:
18 déc. 2023