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Ukraine4) Politique linguistique
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Plan de l'article
L'Ukraine a connu de nombreux conflits d'ordre linguistique au cours de son histoire. Sa présence sous l'empire de Russie, puis sous l'Union soviétique, a fait en sorte que sa minorité russophone a toujours bénéficié de droits linguistiques importants, et ce, aux dépens de la langue ukrainienne. 1.1 La Loi sur l'autonomie nationale et personnelle (1918) Le 22 janvier 1918, la République populaire d'Ukraine occidentale (1918-1923) adoptait sa première loi linguistique à l'intention des minorités nationales: il s'agissait de la Loi sur l'autonomie nationale et personnelle (en ukrainien: Закон про національно-персональну автономію ou Zakon pro natsionalʹno-personalʹnu avtonomiyu). Cette loi n'a qu'une valeur historique, puisqu'elle a été abrogée depuis longtemps.Cette loi sur l'autonomie nationale accordait aux représentants des nations russes, juives et polonaises vivant en Ukraine le droit à l'autonomie nationale et personnelle. De plus, les Biélorusses, les Tchèques, les Moldaves (Roumains), les Allemands, les Tatars, les Grecs et les Bulgares qui résidaient en Ukraine pouvaient bénéficier d'un tel droit après avoir soumis au tribunal général de la Cour suprême une pétition spéciale de chacune de ces nationalités, laquelle devait être signée par au moins 10 000 ressortissants, sans distinction de sexe ni de religion, ne concernant pas les droits civiques, et déclarant qu'ils appartiennent à l'une de ces nationalités. |
Voici la description des droits accordés par la loi:
Article 1er
[obsolète] Chaque nationalité habitant l'Ukraine dispose du droit à l'autonomie nationale et personnelle, à l'intérieur des frontières de la République nationale ukrainienne - c'est-à-dire du droit d'organiser son existence nationale en toute liberté - ceci étant mis en application par l'administration de l'Union nationale «dont la compétence s'étend à tous ses membres, quel que soit leur lieu de résidence, à l'intérieur des frontières de la République nationale ukrainienne». C'est là un droit imprescriptible, pour toute minorité nationale, et aucune d'elles ne peut être privée de ses droits ni voir restreinte son application. Article 2 [obsolète] Les Grands-Russes, les Juifs et les Polonais, résidant sur le territoire de la République nationale ukrainienne, disposent du droit à l'autonomie nationale et personnelle, en vertu de la présente loi. Les Biélorusses, les Tchèques, les Moldaves (Roumains), les Allemands, les Tatars, les Grecs et les Bulgares peuvent bénéficier du droit à l'autonomie nationale et personnelle, sous réserve que la Cour suprême reçoive une pétition spéciale de chacune de ces nationalités, signée par au moins 10 000 ressortissants, sans distinction de sexe ni de religion, ne concernant pas les droits civiques, et déclarant qu'ils appartiennent à l'une de ces nationalités. La Cour suprême doit examiner cette pétition en session publique, dans un délai de six mois à dater de sa réception, informer le secrétariat général (le gouvernement) de sa décision, et la notifier à la population. Les nationalités dont il n'est pas fait mention, dans le présent article, peuvent présenter leurs requêtes au Parlement de la République nationale ukrainienne, qui les examinera. |
La loi accordait une autonomie nationale et personnelle à trois nations : les Russes, les Juifs et les Polonais. Cependant, les Biélorusses, les Tchèques, les Moldaves, les Allemands, les Tatars, les Grecs et les Bulgares pourraient exercer leur droit à l'autonomie nationale et personnelle en soumettant au Tribunal une demande correspondante signée par au moins 10 000 citoyens qui auraient déclaré leur identité à cette nation. Chacune des minorités nationales, conformément à la loi, pouvait former une Union nationale, dont les membres étaient enregistrés, et ensemble ils formaient une union politique qui avait obtenu le droit d'initiative législative et de gouvernement dans le cadre des compétences établies par l'Assemblée constituante. Selon leur statut juridique, les organismes de l'Union nationale étaient considérés comme des États.
Cette loi était une première mondiale et elle avait un caractère constitutionnel; elle constituait une partie distincte de la Constitution de la République populaire d'Ukraine occidentale (avril 1918). Toutefois, en raison de la guerre civile qui a sévi en en Ukraine de 1917 à 1921, ce modèle n'a jamais été mis en œuvre, sauf durant une très courte durée de quelques mois. À la suite du coup d'État du 29 avril 1918, la Rada centrale fut supprimée. Par la suite, les autorités soviétiques traitèrent cette autonomie nationale et personnelle de façon très négative, la considérant comme une manifestation du «nationalisme bourgeois».
1.2 La Loi sur les langues de 1989
Alors qu'elle était une république soviétique, le Parlement adopta la Loi sur les langues de 1989, qui proclamait pour la première fois l’ukrainien comme langue officielle (art. 2):
Article 2
[abrogé] 1) Conformément à la Constitution de la RSS d'Ukraine, la langue officielle de la RSS d'Ukraine est l’ukrainien. 2) La RSS d'Ukraine garantit sous tous les aspects, le développement et le fonctionnement de la langue ukrainienne dans tous les domaines de la vie sociale (État, république) et locale, les partis politiques, les organismes publics, les institutions et les organisations fondées, les conditions nécessaires pour l'étude de la langue. |
En dépit du caractère formel de la proclamation de l'ukrainien comme langue officielle de la RSS d'Ukraine, le russe demeurait dans les faits la «première» langue officielle, l'ukrainien, la «seconde». En fait, cette Loi sur les langues adoptée se voulait un compromis entre la diffusion inévitable de la langue ukrainienne et la préservation obligée de la place privilégiée du russe dans de nombreux domaines de la vie publique.
Au cours de cette époque soviétique, le développement de l'ukrainien fut continuellement entravé par de constants succès de la langue russe. La grammaire et l'orthographe furent modifiées à répétition pour ressembler davantage au russe. Cette situation eut des conséquences sur la langue ukrainienne à un point tel qu'un ukrainophone surpris à parler sa langue dans un lieu public passait soit pour un «indigène» perdu dans la grande ville ou un «nationaliste» nécessairement suspect, voire dangereux!
Certes, après l’indépendance de 1991, la situation allait considérablement changer, mais l’ukrainien n’aura pas, partout sur le territoire de l’Ukraine, le statut réel auquel il avait droit, notamment dans les oblasts du Sud et de l'Est, principalement dans les grandes villes.
1.3 La Loi sur les minorités nationales de 1992 (abrogée)
Avec l'indépendance en 1991, la république d’Ukraine s'est trouvée confrontée à la question des minorités ethniques au sein d’un État de droit. La défense des droits des minorités nationales devint alors l'un des objectifs prioritaires du gouvernement ukrainien. Étant donné que la population ukrainienne était composée de plusieurs ethnies — plus du quart des citoyens du pays ne sont pas des «Ukrainiens de souche» — et que ces groupes étaient très diversifiés au plan culturel, religieux et linguistique, l'Ukraine devait opter pour une société multiculturelle.
L’Ukraine n’a pas mis beaucoup de temps à se réajuster au multiculturalisme qui caractérisait son approche juridique à l’égard de ses nombreuses minorités nationales. La nouvelle assise politique voulait tenir compte des intérêts des diverses communautés linguistiques et tenter de trouver des solutions afin d’équilibrer les rapports de force entre les groupes, notamment entre la majorité ukrainophone et la minorité russophone, ce qui n'apparaissait pas facile dans la mesure où les russophones formaient en 1991 une «minorité» numérique, mais faisait partie de la «majorité fonctionnelle» avec les ukrainophones.
C'est pourquoi l’État ukrainien a élaboré une déclaration des droits des minorités nationales en Ukraine et toute une série de lois concernant notamment la citoyenneté, les minorités nationales, les langues de ces minorités, l'éducation, la liberté de conscience et les organisations religieuses. La Loi sur les minorités nationales en Ukraine adoptée le 24 juin 1992 faisait partie de cette politique. Les autorités ukrainiennes ont voulu aussi harmoniser les dispositions de la législation ukrainienne relative aux droits politiques, économiques, sociaux et culturels, dont devaient bénéficier tous les groupes ethniques, notamment pour que ceux-ci puissent s’épanouir dans le respect de leur langue, culture et identité culturelle, en conformité avec les principes fondamentaux assurant à tous les citoyens de l'Ukraine les conditions réelles de l'égalité.
Selon l'article 3 de la Loi sur les minorités nationales en Ukraine (1992), constituent des minorités nationales les individus qui appartiennent à des groupes de citoyens de l'Ukraine, qui ne sont pas de nationalité ukrainienne, mais qui manifestent un sentiment de communauté et d'appartenance nationale. L'article 1er de la loi garantissait à tous les citoyens de la République, sans distinction d’origine nationale, les mêmes libertés et droits politiques, sociaux, économiques et culturels; cet article reconnaissait aussi leur sentiment d’identité et leurs aspirations nationales:
Article 1er
[abrogé] 1) L’État garantit à tous les citoyens de la République, sans distinction d’origine nationale, les mêmes libertés et droits politiques, sociaux, économiques et culturels; et reconnaît leur sentiment d’identité et leurs aspirations nationales. 2) Tous les citoyens de l'Ukraine bénéficient de la protection de l'État sur un pied d'égalité. 3) Dans l'application des droits individuels appartenant aux minorités nationales, l'État admet comme fondement que ces droits font partie intégrante des droits de l'homme universellement reconnus. |
L'article 6 de la Loi sur les minorités nationales de 1992 garantissait à toutes les minorités nationales le droit à l'autonomie nationale et culturelle : l'emploi et l'étude de leur langue maternelle dans des établissements publics d'enseignement ou par l'intermédiaire de sociétés culturelles nationales:
Article 6
[abrogé] 1) L'État garantit à toutes les minorités nationales le droit à l'autonomie nationale et culturelle : l'usage et l'étude de leur langue maternelle ainsi que son usage et son étude dans des établissements d'enseignement publics ou par l'intermédiaire de sociétés culturelles nationales; le développement des traditions culturelles, l'usage de symboles nationaux, la célébration de leurs fêtes nationales, l'exercice de leur religion, la réalisation de leurs besoins en littérature, les arts, les médias, la création d'institutions culturelles et scolaires et tout autre activité qui n'entre pas en conflit avec la présente loi. 2) L'héritage historique et culturel des nationalités sur le territoire de l'Ukraine est protégé conformément à la loi. |
Cette loi de 1992 allait être remplacée en 2012-2013 par la
Loi sur les
modifications de la Loi sur les minorités nationales. Au lendemain de l'indépendance (1991), les minorités
nationales pouvaient ainsi participer activement aux processus de
construction de l'État en Ukraine. Les russophones occupaient plus de 20%
des postes de responsabilité dans la politique et la fonction publique
ukrainiennes, ce qui correspondait au pourcentage de la population russe en
Ukraine. En 2000, un Conseil des représentants des organisations non
gouvernementales pour les minorités nationales, dirigé par le président de l'Ukraine
Leonid
Koutchma, fut créé afin de renforcer l'interaction des organismes des
minorités nationales avec les autorités exécutives centrales et l'autonomie
locale.
De cette façon, l'État ukrainien estimait contribuer activement aux besoins
ethnoculturels des minorités nationales: la renaissance de leurs coutumes et
traditions, le développement global de leur langue et de leur éducation, les
arts amateurs et professionnels, la protection et la préservation des
monuments historiques et culturels, la création de périodiques, etc.
En 2003-2004, deux millions d'enfants étudiaient dans les langues des
minorités nationales en Ukraine, alors l'un des rares pays où les minorités
nationales avaient la possibilité d'achever l'enseignement secondaire dans
toutes les matières dans leur langue maternelle. Selon le ministère de
l'Éducation et des Sciences, il y avait 1880 écoles de langue russe dans le
pays, 94 écoles de langue roumaine, 69 de langue hongroise, 12 de langue
tatare de Crimée, 4 de langue polonaise, 9 de langue moldave et 2242 avec
deux et plus de langues d'enseignement. Dans les cas où les représentants
des minorités nationales ne vivaient pas de manière compacte, pour cinq
enfants ou plus, il était permis d'ouvrir des écoles spéciales dans les
écoles ordinaires.
Quant à l'article 5 de la Loi sur la culture (2010), il garantit le libre usage des langues de toutes les minorités nationales en Ukraine:
Article 5
[en vigueur] La langue dans la culture 1) L'emploi de la langue dans la culture est garanti par la Constitution de l'Ukraine et est régi par la législation de l'Ukraine sur la langue. 2) L'État assure le développement et le fonctionnement complet de la langue dans la culture et garantit le libre usage des langues de toutes les minorités nationales en Ukraine. |
En somme, l’État garantit à tous les citoyens de l’Ukraine une protection égale et considère que la protection des droits des personnes appartenant à des minorités ethniques fait partie intégrante de la protection des droits de l’homme.
Bref, la Loi sur les minorités nationales de 1992 s'inscrivait dans une perspective post-soviétique, alors que toutes les minorités russophones des anciennes républiques avaient le haut du pavé partout; elles avaient tendance à agir comme une majorité fonctionnelle et n on comme une simple minorités linguistique parmi d'autres. Il n'en demeure pas moins que la Loi sur les minorités nationales de 1992, aujourd'hui abrogée, fut perçue à l'époque comme un modèle du genre du fait que toutes les minorités, du moins en principe, avaient les mêmes droits que ceux de la majorité ukrainophone avec le résultat que toutes ces langues, surtout le russe, livraient une solide concurrence à la langue ukrainienne officielle.
1.4 La «loi Kivalov-Kolesnichenko» invalidée
En mai 2012, le Parti des régions du président russophone Viktor Ianoukovitch présenta un projet de loi linguistique au Parlement afin de conférer un statut à la langue russe. Conformément à sa promesse électorale, le Parti des régions voulait fonder sa politique linguistique sur un bilinguisme ukraino-russe en accordant au russe le statut de «deuxième langue officielle». Ce statut devait s'appliquer à l’ensemble du pays, donc dans les oblasts où la proportion de la population russophone était plus ou moins importante. Les débats parlementaires furent acrimonieux entre pro-russophones et pro-ukrainophones. Le 3 juillet 2012, par un tour de passe-passe habile, le Parlement ukrainien adopta à la majorité (248 députés sur 450, soit 55 %) la «loi Kivalov-Kolesnichenko» (officiellement: Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État). Il aura fallu moins de deux minutes pour que le projet de loi sur la langue soit voté, sous le nez d'une opposition abasourdie et paralysée; le projet de loi fut adopté dans des circonstances troubles par une majorité pro-russe avec la collaboration d'un certain nombre de députés ukrainophones russophiles. Or, la loi n'avait même pas été inscrite à l'ordre du jour, et la procédure légale n'aurait pas été respectée. Le président Ianoukovitch avait promis de faire du russe une langue officielle de facto, mais la façon de le faire entraîna, sous les fenêtres du Parlement, des affrontements entre les défenseurs de la langue ukrainienne et les partisans du renforcement du statut de la langue russe.
- La «loi russe»
Dans les faits, l'adoption de ladite «loi russe», appelée ainsi par les ukrainophones, accordait au russe, comme à toute autre langue, un statut de «langue régionale» dans 13 des 27 régions administratives de l'Ukraine, notamment dans les oblasts d'Odessa, de Donetsk, de Dnipropetrovsk, de Kharkiv, etc., y compris à Kiev et dans la région de Sébastopol en Crimée, où la Russie possédait une importante base militaire. Dans certaines municipalités et quelques villages, c'était le hongrois, le tatar de Crimée ou le roumain, qui bénéficiait de ce statut. Dans quelques oblasts de l'Ouest (Ternopil et Lviv), les autorités locales refusèrent d'appliquer la loi. De son côté, l'opposition contestait la loi : elle la considérait comme une menace pour la langue nationale, l'ukrainien, et promettait de l'abolir si elle parvenait au pouvoir.
L'article 7 de la «loi Kivalov-Kolesnichenko», s'appuyant sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, désigne les langues régionales ou minoritaires de l'Ukraine, auxquelles s'appliquent les mesures visant l'emploi des langues régionales ou minoritaires déterminées dans la présente loi. Non seulement la loi accordait certaines prérogatives importantes à la langue russe, mais aussi à une vingtaine de langues régionales ou minoritaires parlées en Ukraine :
Article 7
[abrogé]
Langues régionales ou minoritaires de l'Ukraine |
D'un point de vue strictement diplomatique, il n'était certainement pas très habile d'accorder au russe et à un grand nombre de langues très minoritaires quasiment les mêmes privilèges qu'à la langue ukrainienne avec le risque de banaliser cette dernière au même rang que toutes les autres, bref une façon d'accorder à toutes les langues un statut de co-officialité.
- Le critère des 10%
Mais ce qui souleva la plus grande controverse, c'est le critère des 10 % et plus de la population. Selon le paragraphe 3 de l'article 7 de la loi, lorsque les locuteurs d'une langue donnée atteignent 10% et plus de la population d'un oblast, leur «langue régionale» peut être employée sur un pied d'égalité avec la langue officielle dans tous les domaines de la vie publique: Parlement, conseil municipal, collectivités locales, instances judiciaires, éducation, activités économiques et sociales, médias, etc. Dans les faits, une telle disposition signifiait que la plupart des langues régionales ou minoritaires, dont le russe, pouvaient acquérir les mêmes droits et privilèges que la langue officielle, l'ukrainien, y compris à Kiev.
Article 7
[abrogé]
3)
Pour chaque langue définie au deuxième paragraphe du présent article,
les mesures visant à l'emploi des langues régionales ou
minoritaires, comme le prévoit la présente loi, à
la condition que le
nombre de locuteurs des langues régionales
résidant dans la région où la langue est employée
représente 10 % ou plus de sa population.
Le droit de soulever la question concernant
l'application des mesures visant à l'utilisation des
langues régionales ou minoritaires appartient également aux
habitants du territoire sur lequel cette langue est employée. La procédure pour constituer des groupes d'initiative et la préparation des listes de signature sont déterminées dans ce cas par la législation en matière de référendum. |
De plus, un conseil local ou municipal pouvait décider que ce statut de «langue régionale» peut être accordé même lorsque le groupe de la langue régionale est inférieur à 10 % de la population du territoire concerné.
- Le russe comme «langue régionale»
C'est ainsi que le russe fut déclaré «langue régionale» dans les
oblasts d'Odessa, de Kharkiv, de Kherson, de Mykolaïv, de Zaporijia, de Dnipropetrovsk, de Louhansk, de Donetsk,
de Soumy et de Tchernihiv, sans oublier la ville de Sébastopol en Crimée
ukrainienne. De plus, le hongrois dans l'oblast de Transcarpathie, le moldave et/ou le roumain dans l'oblast de Tchernivtsi avaient obtenu ce même statut dans plusieurs villes de l'Ukraine occidentale. Dans les faits, la loi fut étendue à 18 langues, mais la signification politique de la loi se voulait un soutien à la langue russe, puisque la plupart des autres langues dans les régions n'ont pu franchir la barre des 10%. Au lendemain de l'adoption de la loi, le ministère ukrainien des Finances déclara que les dépenses pour la mise en œuvre de la loi s’élèveraient de 12 à 17 milliards de hryvnia par an, soit l'équivalent de 500 à 700 millions de dollars US/année. Étant donné que les auteurs du projet de loi n'avaient fourni aucun calcul du coût de l’application de la loi, le Ministère n’a pu concrétiser l’adoption du projet de loi. En l’absence de mécanisme de financement, la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État («loi des trois K») devenait davantage un geste politique visant qui risquait de diviser la société ukrainienne. Ce statut de «langue régionale» équivalait dans les faits à rendre toute autre langue aussi officielle que l'ukrainien. |
Évidemment, du point de vue de la stricte protection linguistique, la Loi sur les principes de la politique linguistique de l'État («loi des trois K») était une loi très libérale, très permissive et très généreuse des langues minoritaires. Le problème, c'est que la loi voulait surtout, sans le dire, accorder à la minorité russophone les mêmes droits que la majorité ukrainophone. Dans un contexte où l'histoire, la géographie et la politique avaient réduit l'ukrainien à l'état de langue de seconde zone au profit du russe, une telle loi ne faisait rien pour redonner à l'ukrainien ses droits et ses prérogatives.
Quoi qu'il en soit, le 23 février 2014, le président par intérim Alexandre Tourtchynov voulut faire voter la révocation de cette loi, avant de se rétracter sous la colère des populations des régions russophones du Sud et de l’Est de l’Ukraine. En février 2018, la Cour constitutionnelle ukrainienne invalidait la «loi Kolesnichenko-Kivalov» de 2012; elle l'annulait non pas seulement pour son contenu, mais en raison de la procédure illégale employée au moment de son adoption. En fait, la Cour constitutionnelle concluait que les violations de la procédure constitutionnelle d'examen et d'adoption du projet de loi, le 3 juillet 2012, avaient eu un impact significatif sur le résultat final de l'adoption de la loi. Il n'en demeure pas moins que la classe politique à la tête de l’Ukraine semble avoir moins brillé par son génie diplomatique que par son sens des «magouilles».
Par ailleurs, la Cour constitutionnelle déclarait, entre autres, dans son arrêt du 2 février 2018, que le loi était inconstitutionnelle parce qu'elle neutralisait le statut de la langue ukrainienne en accordant un statut identique au russe et en élevant cette langue au-dessus des autres langues minoritaires d'Ukraine, ce qui apparaissait inacceptable pour la majorité ukrainophone.
La protection juridique actuellement en vigueur à l'égard des minorités nationales est inscrite dans plusieurs documents, dont la Constitution du 28 juin 1996, la Loi sur la pesse écrite (1993-2018), la Loi sur la télévision et la radio (1994-2019), la Loi sur l'autonomie locale en Ukraine (1997-2019), la Loi sur l'enseignement secondaire général (1999-2019), la Loi modifiant la Loi sur les minorités nationales (2013), la Loi sur la fonction publique (2016), la Loi sur l'éducation (2019), la Loi visant à assurer le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle ou "Loi sur la langue" (2019).
2.1 La Constitution ukrainienne (1996)
La Constitution de l'Ukraine fut adoptée et mise en vigueur par la Verkhovna Rada d'Ukraine le 28 juin 1996. Elle se compose d'un préambule et de 14 chapitres. Bien que l'article 10 de la Constitution énonce que «la officielle de l'Ukraine est l'ukrainien», il demeure que «le libre développement, l'usage et la protection du russe et des autres langues des minorités nationales d'Ukraine sont garantis» et que «l'emploi des langues en Ukraine est garanti par la Constitution» :
Article 10
1) La langue
officielle de l'Ukraine est l'ukrainien. |
Le paragraphe 3 mentionne expressément que «le libre développement, l'usage et la protection du russe et des autres langues des minorités nationales d'Ukraine sont garantis». L'État reconnaît aussi les «particularités ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses de tous les peuples autochtones et des minorités nationales de l'Ukraine»:
Article 11
L'État favorise la consolidation et le développement de la nation ukrainienne, sa conscience historique, ses traditions et sa culture, et aussi le développement des particularités ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses de tous les peuples autochtones et des minorités nationales de l'Ukraine. |
L'article 24 de la Constitution ukrainienne dispose que tous les citoyens ukrainiens jouissent également des droits et libertés consacrés par la Constitution et qu'ils sont égaux devant la loi et interdit l'établissement de privilèges ou de restrictions fondées sur la race, la couleur, la politique, la religion ou d'autres croyances, le sexe, l'origine ethnique ou sociale, la richesse, le lieu de résidence, la langue ou d'autres caractéristiques:
Article 24 1) Les citoyens ont des libertés et des droits constitutionnels identiques, et sont égaux devant la loi. 2) Il ne saurait exister aucun privilège, ni restriction fondé sur la race, la couleur de peau, les convictions politiques, religieuses ou autres, les origines sociales ou ethniques, la richesse, le lieu de résidence, la langue ou toute autre élément. |
En vertu de l'article 53, les citoyens appartenant aux minorités nationales ont la garantie et le droit de recevoir leur instruction dans leur langue maternelle ou d'étudier leur langue maternelle dans des établissements d'enseignement communs et publics:
Article 53
1)
Tous ont droit à l'instruction. |
Cependant, il faut consulter les lois concernant «les modalités pour l'emploi des langues»:
Article 92 Les éléments suivants sont définis exclusivement par les lois de l'Ukraine:
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Ce sont là des prescriptions constitutionnelles qu'aucune loi ne peut déroger. Les minorités nationales, y compris, les russophones, ont donc le droit de pratiquer librement leur langue maternelle et de l'étudier aux frais de l'État dans les établissements publics.
2.2 La Loi modifiant la Loi sur les minorités nationales (non adoptée)
Cette nouvelle version de la Loi sur les minorités nationales de 2013 devait remplacer celle de 1992 (Loi sur les minorités nationales) plus qu'elle la modifiait. Le projet de loi a été retiré et n'a donc pu être adopté; il avait pour objectif d'améliorer la législation sur les droits des minorités nationales, laquelle définit les critères selon lesquels les représentants des peuples et des groupes nationaux peuvent recevoir le soutien de l'État en tant que minorités nationales.
L'article 3 de la Loi modifiant la Loi sur les minorités nationales (2013) porte sur la notion de «minorité nationale», c'est-à-dire un groupe du groupe national qui réside sur le territoire de l'Ukraine depuis au moins le 22 janvier 1918 et qui diffère du reste de la population par sa langue, sa culture et ses traditions :
Article 3 (non adopté) Les citoyens de l'Ukraine sont considérés comme des minorités nationales ─ les représentants du peuple ou du groupe national qui résident sur le territoire de l'Ukraine depuis au moins le 22 janvier 1918 ─ au moment de la proclamation de la République populaire d'Ukraine en tant qu'État indépendant; ils constituent quantitativement une minorité dans la structure de la population de l'État; ils diffèrent du reste de la population par leur langue, leur culture, leurs traditions; ils attestent d'un niveau approprié de conscience d'unité visant à préserver leur communauté et leur identité. |
L'article 33 dresse la liste suivante des minorités nationales au nombre de 18 :
Article 33 (non adopté) 1) Selon la présente loi, les minorités nationales en Ukraine sont les suivantes: les Biélorusses, les Bulgares, les Arméniens, les Gagaouzes, les Grecs, les Juifs, les Karaïtes, les Tatars de Crimée, les Criméens, les Moldaves, les Allemands, les Polonais, les Roms, les Russes, les Roumains, les Serbes, les Slovaques et les Hongrois. |
On peut se demander quelle est la différence entre les Tatars de Crimée (Krymsʹki tatary) et les Criméens (Krymchaky), mais les deux appellations font référence à des communautés plus ou moins distinctes. Les Tatars de Crimée sont des turcophones de religion musulmane originaires en principe de la péninsule de Crimée, alors que les Criméens forment une communauté juive ethnolinguistique distincte des Tatars de Crimée; ils sont originaires, eux aussi, de la péninsule et ils parlent une langue turcique proche du tatar. On les appelle aussi «Juifs criméens».
L'article 13 de la Loi modifiant la Loi sur les minorités nationales garantit à toutes les minorités de l'Ukraine le droit notamment d'employer et d'apprendre leur langue maternelle, l'étudier et la développer:
Article 13 (non adopté) L'État garantit à toutes les minorités nationales le droit:
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L'Ukraine, ayant entrepris un processus de décentralisation pour les communautés minoritaires, a prévu d'accorder une certaine autonomie au moyen d'organismes à cet effet. Ainsi, les organismes peuvent exercer un certain nombre de pouvoirs, comme il est annoncé à l'article 21 de la Loi sur les minorités nationales :
Article 21
(non adopté) 1) Un organisme d'autonomie minoritaire exerce tous ses pouvoirs conformément à la loi ukrainienne sur l'autonomie locale en Ukraine et a également le droit:
2) L'organisme d'autonomie minoritaire reçoit un soutien financier du budget de l'État d'Ukraine pour la création et le fonctionnement d'établissements d'enseignement ou de classes (groupes) séparées avec un enseignement de la langue de la minorité nationale, une organisation de l'enseignement de la langue de la minorité nationale dans d'autres établissements d'enseignement, un soutien des médias, des institutions culturelles et des groupes créatifs de la minorité nationale et aussi pour mener des activités culturelles et éducatives appropriées, etc. |
Il est également prévu qu'un organisme d'autonomie minoritaire puisse recevoir un soutien financier du budget de l'État d'Ukraine pour la création et le fonctionnement d'établissements d'enseignement ou de classes séparées avec un enseignement de la langue de la minorité nationale.
Au point de vue linguistique, les assemblées d'un organisme autonome minoritaire et de leurs commissions permanentes peuvent se tenir en ukrainien, dans la langue de la minorité nationale ou dans les deux langues, mais dans tous les cas il faut au moins une traduction en ukrainien :
Article 22
(non adopté) 1) Les assemblées d'un organisme
autonome d'une minorité nationale et de ses commissions
permanentes peuvent se tenir en ukrainien, dans la langue de la
minorité nationale ou dans les deux langues. S'il est
nécessaire, l'organisme d'autonomie minoritaire doit veiller à
ce que les délibérations soient traduites en ukrainien ou dans
la langue de la minorité nationale concernée. |
L'article 32 de la Loi sur l'autonomie locale en Ukraine de 1997, modifiée de nombreuses fois jusqu'en 2019, prévoit que les pouvoirs des organismes exécutifs d'autonomie locale s'étendent aux domaines de l'éducation, des soins de santé, de la culture, de l'éducation physique et des sports. La loi donne la garantie la disponibilité et la gratuité de l'enseignement et des soins médicaux sur le territoire respectif, ainsi que la possibilité de recevoir un enseignement dans la langue officielle et, dans le territoire où la langue régionale est parlée, dans cette langue régionale ou minoritaire :
Article 32
[en vigueur]
Pouvoirs dans les domaines de l'éducation,
des soins de santé, de la culture, de
l'éducation physique et des sports |
Cependant, l'accès limité à l'information, l'isolement, la ségrégation et le manque de relations directes et de partenariat avec les autorités ukrainiennes laissent la plupart des petites communautés minoritaires bien au-delà de toute prise de décision. En un sens, le projet de Loi modifiant la Loi sur les minorités nationales n'aurait peut-être pas été suffisant dans la mesure où il n'était pas accompagné d'appuis financiers convenables.
2.3 Les conventions internationales
L'Ukraine est aussi signataire de nombreuses conventions internationales en matière de protection des minorités. Il faut ajouter la Convention-cadre pour la protection des minorité nationales (signée en 1995 et ratifié en janvier 1998), la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (signée le 2 mai 1996, ratifiée le 19 février 2005 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006), la Loi portant ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (1997), sans compter de nombreux traités internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, la Convention du BIT sur la discrimination en matière d’emploi et de profession, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention de l’UNESCO contre la discrimination dans l’éducation, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Convention sur les droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, etc.
3 Les droits linguistiques à la suite de la Loi sur la langue de 2019
La Verkhovna Rada a adopté en avril 2019 la Loi visant à assurer le fonctionnement de la langue ukrainienne en tant que langue officielle, appelée aussi plus brièvement «Loi sur la langue». Les promoteurs de cette loi désiraient s’inscrire dans l'Histoire en arguant que la langue ukrainienne avait toujours été malmenée t qu’il fallait la défendre, en l'occurrence face au russe. Les législateurs ukrainophones affirmaient se placer dans une logique positive de promotion légitime de l’ukrainien. L'assimilation d'une grande partie de la population ukrainienne, qui a conduit à l'affaiblissement de la conscience nationale des Ukrainiens, au déplacement de la langue ukrainienne vers le russe dans les régions orientale, méridionale et partiellement centrale de l'Ukraine, en particulier dans les grands centres industriels, demeure l'un des principaux obstacles à la construction d'un État-nation indépendant. De toutes les minorités nationales, seuls les Polonais ont tendance à s'assimiler aux Ukrainiens: 71% des Polonais vivant en Ukraine parlent leur langue maternelle ukrainienne et seulement 15,6% parlent russe. Cependant, dans un contexte de guerre, la Loi sur la langue risquait aussi d'exacerber un conflit.
Quoi qu'il en soit, la Loi sur la langue de 2019 a été fortement dénoncée par les représentants des minorités nationales, surtout par les russophones, parce que la langue ukrainienne est désormais la seule autorisée à être employée, et ce, tant par les autorités nationales et locales que par les entreprises, les institutions et les divers organismes. Évidemment, la Loi ukrainienne sur la politique linguistique de l'État (2012), déjà abolie, se trouvait automatiquement remplacée De plus, la loi de 2019 a eu pour effet de modifier la plupart des autres lois dont certaines dispositions contenaient des articles sur la ou les langues.
3.1 Les droits limités en matière de législation
La Verkhovna Rada est un parlement monocaméral de 450 députés élus sur la base d'un suffrage universel direct et égal, après vote à bulletin secret. En raison de l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, 26 des sièges du Parlement restent vacants depuis cette date. Les droits linguistiques en matière de législation sont très limités, car seul l'ukrainien est autorisée non seulement dans la rédaction des lois, mais également comme langue de travail au Parlement. L'article 2 de la Loi sur la réglementation de la Verkhovna Rada d'Ukraine (2010-2019) est clair à ce sujet:
Article 2 Lieu et langue des réunions
de la Verkhovna Rada 3) La langue de travail de la Verkhovna Rada, de ses organismes et de ses fonctionnaires est la langue officielle. |
Si l'article 27 de la Loi sur l'élection des députés du peuple d'Ukraine (2012) oblige les candidats à une élection à maîtriser la langue officielle, l'article 69 permet que le matériel lors d'une campagne électorale soit imprimé dans une langue régionale ou minoritaire, chaque exemplaire de ce même matériel doit être accompagné d'une traduction dans la langue officielle:
Article 69 Matériel de campagne
électorale |
Pour ce qui est des membres des minorités nationales, ils ont le droit de nommer leurs dirigeants dans les circonscriptions uninominales et donc de déléguer leurs représentants dans Verkhovna Rada d'Ukraine.
3.2 Les droits et l'interprétariat en matière de justice
Étant donné que l'ukrainien est la langue officielle, c'est la langue obligatoire dans les tribunaux. L'article 14 de la Loi sur la langue de 2019 est clair à ce sujet :
Article 14
Application de la langue officielle à la magistrature 2) Le tribunal peut utiliser une autre langue que la langue officielle, conformément à la manière prescrite par les codes de procédure de l'Ukraine et par la Loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges. |
Cependant, la cour peut recourir à une autre langue que la langue officielle, conformément aux dispositions prévues dans la Loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges, ainsi que dans les codes de procédure, soit le Code de procédure administrative (2005-2019), le Code de procédure pénale (2012-2018) et le Code de procédure civile (2018).
L'article 12 de la Loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges (2010-2018) garantit l'égalité des droits des citoyens dans toute procédure judiciaire sur la base de la langue, ce qui signifie que la cour, tout en employant la langue officielle dans une procédure judiciaire, garantit le droit des citoyens de pouvoir utiliser leur langue maternelle ou la langue qu'ils maîtrisent devant les tribunaux (par. 3) :
Article 12 Langue de la justice et de la procédure
judiciaire
Article 65
Article 69 |
Dans la version originale de 2010, l'article 12 comprenait un paragraphe 4 énonçant que «les langues régionales ou minoritaires peuvent être employées devant les tribunaux, en plus de la langue officielle», mais ces dispositions n'apparaissent plus dans la loi actuelle. Selon la Cour constitutionnelle, le concept de «langue régionale» n'est pas légal en Ukraine.
L'article 9 du Code de procédure civile (2018) prescrit l'emploi de la langue officielle, mais les justiciables qui ne connaissent pas cette langue ont le droit de recourir à leur langue maternelle ou une autre langue qu'ils maîtrisent en demandant l'aide d'un interprète (par. 3 et 4) :
Article 9 Langue de la procédure civile 3) Les tribunaux doivent utiliser la langue officielle dans la procédure judiciaire et garantissent le droit des justiciables d'employer leur langue maternelle ou la langue qu'ils maîtrisent devant les tribunaux. 4) Les participants à une action en justice qui ne parlent pas ou ne maîtrisent pas la langue officielle ont le droit de faire des déclarations, de fournir des explications, de comparaître devant le tribunal et de faire une demande dans leur langue maternelle ou la langue qu'ils maîtrisent en utilisant les services d'un interprète, conformément à la procédure établie par le présent Code. |
L'article 15 du Code de procédure administrative (2005-2019) reprend exactement les mêmes dispositions:
Article 15 Langue de la procédure judiciaire et du greffe dans les tribunaux administratifs
3)
Les tribunaux doivent utiliser
la langue officielle
dans la procédure judiciaire et
garantissent le droit des justiciables
d'employer
leur langue maternelle ou la langue
qu'ils
maîtrisent
devant les
tribunaux. |
Enfin, le Code de procédure pénale (2012-2018) reprend également les mêmes mesures en ce qui concerne les justiciables qui ne connaissent pas la langue officielle:
Article 29 Langue employée dans la procédure pénale 1) La procédure pénale doit se dérouler dans la langue officielle. Le parquet, le juge d'instruction et le tribunal doivent rédiger les actes de procédure dans la langue officielle. 2) Le justiciable doit être informé de toute accusation d'infraction pénale dans la langue officielle ou dans toute autre langue qu'il maîtrise suffisamment pour comprendre la nature de l'accusation d'une infraction pénale. 3) Le juge d'instruction, le tribunal, le procureur et l'enquêteur doivent accorder aux participants à la procédure pénale qui ne parlent pas ou ne maîtrisent pas suffisamment la langue officielle le droit de témoigner, de présenter une requête et de déposer une plainte, de s'exprimer devant le tribunal dans leur langue maternelle ou dans une autre langue qu'ils maîtrisent, et de recourir si c'est nécessaire aux services d'un interprète selon la manière prescrite par le présent Code. |
Dans un procès, le juge n'est pas tenu de connaître une autre langue que l'ukrainien, d'où le recours à un interprète lorsqu'un justiciable ne connaît pas cette langue. Par exemple, si un juge russophone connaît la russe, il doit néanmoins employer l'ukrainien au tribunal, sauf s'il obtient le consentement de toutes les parties. Depuis le 1er janvier 2010, toute procédure judiciaire est autorisée en russe avec le consentement mutuel des parties. Mais la cour est tenue de fournir un interprète lorsqu'un justiciable le demande, notamment en hongrois, en roumain ou en polonais. La situation peut se complexifier lorsque, dans une région donnée à un même procès, il se présente des justiciables issus de plusieurs nationalités différentes.
De plus, selon les articles 65 et 69 de la Loi sur le pouvoir judiciaire et le statut des juges, la maîtrise de la langue officielle est obligatoire pour devenir juge.
3.3 Les droits dans les services publics
La Loi sur la langue (2019) ne s'applique pas dans les communications privées: les individus peuvent parler n'importe quelle langue. Toutefois, ceux qui exercent leurs fonctions dans les institutions publiques, que ce soit pour l'État ou les municipalités, doivent employer l'ukrainien. C'est le cas pour les fonctionnaires, les représentants des administrations locales, les employés de la Banque nationale d'Ukraine, les officiers du personnel militaire, les agents de police, les procureurs, les avocats, les notaires, le personnel des établissements de santé ou d'enseignement, etc. Il convient d'ajouter que les individus ou les entreprises qui offrent des services au public sont aussi tenus de parler la langue officielle. Autrement dit, toute personne peut aller au supermarché, au restaurant, chez le coiffeur la coiffeuse, et parler n'importe quelle langue, mais le caissier, le vendeur ou tout autre employé doit pouvoir s'exprimer en ukrainien.
L'article 30 de la Loi sur la langue prescrit l'emploi de la langue officielle dans tous les services publics, mais à la demande d'un client, des services personnels peuvent également être fournis dans une autre langue acceptée par les parties :
Article 30 Langue officielle dans le domaine des services à la clientèle
|
La loi prévoit, par exemple, qu'un client peut contacter un fonctionnaire ou un employé des services dans une autre langue, par exemple le russe. Mais le fonctionnaire ou l'employé des services est tenu de prendre la parole d'abord en ukrainien. Ainsi, le premier mot d’un employé de café en Ukraine à un client doit être la langue par défaut, l’ukrainien. Cependant, le client du café peut être servi dans la langue de son choix à la condition que l'autre langue soit acceptée par les deux parties.
Il en est ainsi à l'article 33 de la Loi sur la langue pour les soins médicaux ou soins de santé:
Article 33 Langue officielle dans le domaine de la santé |
Bref, la langue officielle est obligatoire, mais tout autre langue peut être employée si toutes les parties en conviennent ainsi. Par exemple, un médecin russophone peut s'adresser à un patient en russe si celui-ci le désire et que le médecin accepte.
Contrairement à certains autres pays, l’offre des services en une langue minoritaire ne précède pas la demande de service. Si les membres des minorités nationales n’exigent pas leurs droits, ils ne les obtiendront pas, sauf pour les minorités importantes telles que les Russes, les Juifs, les Biélorusses, les Moldaves, les Bulgares, les Polonais, les Hongrois et les Roumains. Les membres des nombreuses petites minorités sont normalement laissés à eux-mêmes. De façon générale, même si l’ukrainien est exigé dans les écrits officiels, les documents et les contrats, il est accepté qu'un individu remplisse les formulaires en russe, même si le document soumis est en ukrainien.
Dans les districts administratifs de Novoselytskyi et de Storozhynets de l'oblast de Tchernivtsi, l'administration du district tient ses registres dans la langue officielle, mais étant donné que beaucoup de locuteurs du roumain habitent ce district, les réponses orales ou écrites de la part de l'administration locale sont transmises dans cette langue. Il en est ainsi dans les oblasts de langue russe (Odessa, Soumy, Kharkiv, Louhansk, Donetsk, Zaporijia, Mykolaï v).
3.4 Les droits linguistiques dans les médias
L’article 34 de la Constitution de l’Ukraine garantit le droit de collecter, de conserver, d'employer et de diffuser des informations sous quelque forme que ce soit. Afin de garantir le droit des membres appartenant aux minorités nationales de recevoir et de diffuser des informations dans leur langue, et de favoriser la coopération entre les nationalités et la tolérance au sein de la société, l’État ukrainien soutient le développement et accorde même son aide matérielle aux médias des minorités nationales. En ce sens, l’État attribue à chacune des minorités un temps d’antenne sur les chaînes de télévision et les radios publiques.
La législation ukrainienne reconnaît aux minorités nationales le droit de créer leurs propres médias. L’article 5 de la Loi sur la culture (2010) déclare que l'État «garantit le libre usage des langues de toutes les minorités nationales en Ukraine»:
Article 5 La langue dans la culture 1) L'emploi de la langue dans le domaine culturel est garanti par la Constitution de l'Ukraine et est régi par la législation de l'Ukraine sur la langue. 2) L'État assure le développement et le fonctionnement complet de la langue dans la culture et garantit le libre usage des langues de toutes les minorités nationales en Ukraine. |
Avant que l'Ukraine ne proclame sa souveraineté en 1991, les journalistes soviétiques étaient guidés par les principes et les instructions du Parti communiste afin de mettre l'accent sur l'optimisme et le positif, et de proposer des rapports sur les réalisations économiques (qui n'étaient pas nécessairement vraies) et des histoires sur les héros du travail socialiste et les initiatives prometteuses. Tout ce qui se passait de négatif, de tragique ou de controversé dans le pays ou tout ce qui se passait dans les pays capitalistes était rarement autorisé à être couvert par les journalistes. Au cours de la dernière décennie du XXe siècle et au cours des premières années du XXIe siècle, les médias ukrainiens ont subi une transition radicale du style soviétique pour passer à un monde démocratique et libre. Mais l'héritage du passé soviétique, les réalités du nouvel État-nation et le pluralisme linguistique font en sorte que l'identité culturelle de nombreux médias ukrainiens constitue un phénomène plutôt complexe.
- La presse écrite
Selon les données fournies en 2019 par le Comité d'État pour
la radiodiffusion télévisuelle et radiophonique d'Ukraine, il y aurait 3085
journaux et périodiques dans le pays. De ces journaux, 1120 sont publiés à
Kiev, la capitale de l'Ukraine, tandis que 1965 journaux sont régionaux. Le
marché de la presse écrite reflète le multilinguisme ukrainien: 1370 points
de vente sont publiés en ukrainien, 612 en russe, et 459 dans ces deux
langues. Il existe également des points de vente dans les langues des
minorités nationales: quatre en hongrois, deux en polonais, deux en roumain
et un en gagaouze. Il existe également 44 points de vente en anglais.
Alors que l'Ukraine démocratique s'ouvre au monde, le peuple bénéficie d'un
accès accru aux publications imprimées internationales, dont certaines sont
publiées dans une version traduite pour un public plus large qui ne parle
pas une langue étrangère. La presse écrite nationale est publiée surtout en
ukrainien, en russe et en anglais, mais également en allemand ainsi que dans
de nombreuses autres langues, y compris les langues des minorités
nationales. En raison d'un nombre considérable de mariages mixtes, de
nombreux Ukrainiens sont bilingues, généralement ukrainien et russe; ils
peuvent lire les publications dans ces deux langues. Étant donné que la
plupart des Russes et des russophones (62%) vivent dans les régions de l'Est
et du Sud, les médias dans ces parties du pays utilisent principalement la
langue russe, alors que la langue ukrainienne est plus souvent employée dans
les médias situés dans les zones centrales et occidentales. Dans un cas
comme dans l'autre, des journalistes ukrainophones sont fermement opposés à
l'usage du russe dans les médias, alors que des journalistes russophones
sont complètement fermés aux publications en ukrainien.
La plus grande partie de la presse écrite (72,4%) est constituée de quotidiens. La majorité des médias imprimés et électroniques ont lieu dans la capitale de Kiev. Cependant, 64% de la diffusion des médias imprimés se fait au plan local dans les 24 oblasts. Selon l'étude d'InMind pour la firme Internews Network en 2018, seulement 21% des Ukrainiens lisaient la presse écrite au moins une fois par mois, ce pourcentage tendant à diminuer de 10% depuis 2016. Seulement 16% des Ukrainiens utilisaient la presse écrite comme source hebdomadaire d'informations. Le Fakty i Kommentarii («Faits et Commentaires»), fondé en 1997, est le journal tabloïd de langue russe le plus vendu en Ukraine, avec un tirage de plus de 1,1 million. Mentionnons aussi le journal KP (ou Komsomolskaya Pravda) publié six fois par semaine à Kiev; c'est aussi un journal de langue russe avec quelques éditions régionales en langue ukrainienne. Un autre journal populaire (700 000 exemplaires) est le Segodnya («Aujourd'hui»), un tabloïd de langue russe fondé en 1997; bien que dirigé depuis Kiev, il est lié à des groupes politiques et commerciaux du Donbass. |
Le Vecherniye Vesti («Les Nouvelles du soir»), fondé en 1999, est un journal à sensation de langue russe basé à Kiev et diffusé à 530 000 exemplaires. Il existe beaucoup d'autres journaux publiés en russe, mais avec un tirage plus restreint: Delo, Delovaya Stolitsa, Ukrainianwall, Odessa Daily, Vesti, Video Novosti, etc.
Ces titres démontrent que les journaux en langue russe sont ou ont été très populaires en Ukraine, non seulement dans les oblasts de l'Ouest (Soumy, Kharkiv, Dnipropetrovsk, Louhansk, Donest) et du Sud (Odessa, Mykolaiv, Zaporijjia) où ils sont légions, mais également dans la capitale, Kiev : sur un total de 42 journaux, 24 étaient en russe, 14 en ukrainien et 4 en anglais (De, Ekspres Obiava, Kyiv Post et What's One). Depuis l'invasion de 2022, il est probable que les journaux en langue russe soient devenus moins populaires.
En vertu de l'article 4 de la Loi sur la presse écrite (1993-2018), la presse écrite en Ukraine est publiée dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues:
Article 4 La langue de la presse écrite 1) La presse écrite en Ukraine est publiée dans la langue officielle ainsi que dans d'autres langues. 2) Le style et le vocabulaire de la presse écrite doivent être conformes aux normes éthiques et morales généralement reconnues. L'emploi de mots abusifs et brutaux n'est pas autorisée. |
Cependant, l'article 25 de la Loi sur la langue de 2019 oblige les journaux de langue russe à publier en plus des versions équivalentes en ukrainien:
Article 25
1) La presse écrite doit être publiée dans la langue officielle en Ukraine. 5) Les prescriptions des premier, deuxième et quatrième paragraphes du présent article ne s'appliquent pas aux médias imprimés et publiés exclusivement en tatar de Crimée, dans les langues des peuples autochtones d'Ukraine, en anglais, dans une autre langue officielle de l'Union européenne, qu'ils contiennent ou non des textes dans la langue officielle et dans des publications scientifiques dont la langue est déterminée par l'article 22 de la présente loi. |
Ainsi, la loi oblige que la presse écrite soit publiée dans la langue officielle, mais la possibilité de la publier dans une autre langue est prévue à la condition que l'éditeur ait une diffusion identique dans la langue officielle. Dans le même temps, le paragraphe 5 de la loi (voir ci-haut à l'article 25.5) tient compte du fait que les exigences ci-dessus ne s'appliquent pas aux médias publiés exclusivement en tatar de Crimée, dans les langues des peuples autochtones d'Ukraine, en anglais, et en d'autres langues officielles de l'Union européenne. Toutes les versions linguistiques doivent porter le même nom, correspondre au contenu, au volume et à la méthode d'impression, et leurs éditions doivent avoir les mêmes numéros de série numérotés et être publiées en une journée. Bref, il n’est pas interdit de diffuser ou d’imprimer des journaux en russe, comme dans d’autres langues des minorités nationales, mais l'ukrainien devient obligatoire pour tous les médias. Tous les journaux ukrainiens, à l'exception de ceux publiés en anglais et dans d'autres langues de l'Union européenne, ainsi qu'en tatar de Crimée, doivent être en ukrainien. La période de transition pour ceux-ci était fixée à deux ans. Le journal, qui sera imprimé en russe ou dans une autre langue de la minorité nationale sans diffusion dans la langue officielle, est passible d'une amende de 6800 à 8500 hryvnias, soit 250 € à 315 € ou 280 $US à 350 $US.
Les journaux en ukrainien sont populaires en région, mais ils n'ont pas toujours une aussi grande diffusion que ceux en russe. L'Ekspres (en ukrainien : Експрес) est un quotidien publié à partir de la ville de Lviv dans l'ouest du pays; il prétend être le plus grand journal en langue ukrainienne en termes de diffusion, avec plus de 500 00 exemplaires. L'Uryadovy Kuryer («Le Courrier du gouvernement») est publié en ukrainien entre 130 000 et 260 000 exemplaires; ce journal, dont le siège social est à Kiev, figure régulièrement parmi les trois premiers journaux du pays.
Les journaux nationaux les plus influents au pays sont les suivants: Kyiv Post (anglais), Byznes («Entreprises»), Vechirniy Kyyiv (Le Soir de Kiev»), Hazeta po-ukrayinsʹki («Journal pro-ukrainien»), Holos Ukrayiny («La Voix d'Ukraine»), Denʹ («Le Jour»), Delovaya stolytsa («Le Capital commercial»), Demokratychna Ukrayina («Ukraine démocratique»), Dzerkalo tyzhnya («Le Miroir de la semaine»), Informatyka («Informatique»), KP v Ukrayne («KP en Ukraine»: en ukrainien et en russe), Kulʹtura i zhyttya («Culture et Vie»), Literaturna Ukrayina («L'Ukraine littéraire»), Medya kurʹer v Ukrayne («Courrier des médias en Ukraine»), Molodʹ Ukrayiny («Jeunesse d'Ukraine»), Osvita («L'Éducation»), Svit («Le Monde»), Segodnya («Aujourd'hui»), etc. La presse ukrainienne n'est pas disponible dans les régions de Donetsk et de Louhansk (Donbass), ainsi qu'en Crimée, où seuls circulent les journaux en russe. Selon les contrôles réguliers des médias par la Donetskaya Pravda et le Detector Media, la plupart des journaux encourage des discours de haine contre les ukrainophones. En plus des journaux en ukrainien, en russe et en anglais, il existe plus de 160 journaux ou magasines publiés dans les langues des autres minorités nationales, dont 46 sont distribués au niveau national. En 2015, les journaux les plus populaires étaient en allemand (44 titres), en polonais (20 titres), en roumain (14 titres), en moldave (8 titres), en hongrois (6 titres), en bulgare (3 titres), en slovaque (2 titres), en biélorusse (1 titre), en gagaouze (1 titre), en tatar de Crimée (1 titre), en hébreu (1 titre). Il existe aussi des magazines en d'autres langues (arménien, kazakh, azéri, géorgien, ouzbek, hindi, coréen, yiddish, etc.). La figure de gauche indique des journaux en polonais, en roumain, en hongrois, en bulgare, en anglais et en allemand. Ajoutons aussi que le journal parlementaire Holos Ukrainy publie six suppléments à l’intention des minorités nationales: Roden Krai pour les Bulgares, Dziennik Kijowski pour les Polonais, Yevreiskiie vesti pour les Juifs, Aragats pour les Arméniens, Concordia pour les Roumains et Golos Kryma pour les Tatars de Crimée. Le journal parlementaire Holos Ukrainy contribue à 50 % aux frais de production de ces suppléments et offre un soutien logistique à l’édition de chacun d’eux. Dans les régions d’implantation substantielle de certaines minorités nationales, comme à Zakarpattia (Transcarpathie), à Odessa et dans l’oblast de Tchernivtsi, les autorités locales publient des journaux régionaux en roumain et en hongrois. |
ll faut aussi préciser que la Loi sur le soutien de l'État aux médias et à la sécurité sociale des journalistes (2001-2018) permet au gouvernement de subventionner jusqu'à 50% des médias pour les enfants et les, jeunes ainsi que les revues scientifiques et les médias qui favorisent le développement des langues et de la culture des minorités ethniques:
Article 3
Motifs et conditions
d'octroi d'un soutien ciblé de l'État aux médias |
Cette loi permet donc aux petites minorités de bénéficier de publications dans leur langue.
De plus, selon la Loi sur l'édition (1997-2018) l’État apporte son soutien aux maisons d’édition, aux imprimeries et aux entreprises de vente de livres, qui produisent ou distribuent au moins 50% des produits dans la langue officielle et des publications à petit tirage (jusqu’à 5000 exemplaires) dans les langues des petites minorités nationales en accordant des privilèges pour le paiement des taxes et des redevances. L'article 3 énonce que l'édition vise, entre autres, à favoriser des publications dans les langues des minorités nationales et en russe afin de répondre à leurs besoins culturels et scolaires.
Article 3
L'objectif des activités de l’édition vise les buts suivants: Article 8 Langue
dans l’édition |
Ces dispositions concernant l'édition est mise œuvre au moyen d'un soutien de l'État aux maisons d'édition et aux entreprises d'impression et de vente de livres, qui produisent ou distribuent des éditions à faible tirage (jusqu'à 'à 5000 exemplaires) dans les langues des petites minorités nationales en offrant des avantages pour le paiement des taxes et des redevances.
- La presse électronique
La réglementation de l'emploi des langues dans les activités d'information par les organismes de radio et de télévision doit être conforme à la législation ukrainienne, en particulier l'article 10 de la Constitution, l'article 10 de la Loi sur la télévision et la radio et l'article 24 de la Loi sur la langue (2019). Les exigences relatives à l'emploi des langues dans la radiodiffusion, telles que définies par la législation ukrainienne, s'appliquent également aux radiodiffuseurs de toutes les formes de propriété (État, municipalités et entreprises privées).
Si l'article 10 de la Constitution énonce que «l'emploi des langues en Ukraine est garanti par la Constitution», l'article 4 de la Loi sur la télévision et la radio (1994-2019) précise que «l'État ne doit pas entraver la réception directe d'émissions de télévision et de radio d'autres pays qui sont diffusés dans une langue nationale minoritaire ou une langue régionale similaire»:
Article 4
Principes fondamentaux de la
politique de l'État dans le domaine de la télévision et de la
radiodiffusion 4) L'État ne doit pas entraver la réception directe d'émissions de télévision et de radio d'autres pays qui sont diffusés dans une langue nationale minoritaire ou une langue régionale similaire. Article 10 Langue des médias audiovisuels
(électroniques) |
Quant à l'article 24 de la Loi sur la langue de 2019, il énonce que la couverture médiatique hebdomadaire nationale ou régionale en ukrainien devrait représenter au moins 90% de la durée totale des émissions et / ou des films dans chaque période entre 7h00 et 18h00 et entre 18h00 et 22h00 :
Article 24 Langue officielle dans le domaine de la radiodiffusion télévisuelle et
radiophonique |
Depuis quelques années, 75% de la langue ukrainienne était exigée sur les chaînes de télévision nationales. En effet, la Loi sur la langue prévoit une augmentation pouvant aller jusqu'à 90%, mais cela ne changera que de façon progressive. En même temps, la clause qui autorisait l'emploi d'autres langues dans les discours, les interviews, les commentaires, les explications, les questions des participants à la diffusion ou dans les remarques individuelles des présentateurs a été exclue de la loi. La loi supprime également l'état de droit selon lequel les émissions télévisées et radiophoniques permettent l'emploi d'autres langues sans duplication. Ce taux de 75 % du temps d'antenne demeure tel pour les langues des minorités autochtones. Selon les autorités ukrainiennes, les minorités autochtones sont les suivantes : les Tatars de Crimée, les Karaïtes et les Criméens ou Krymchaks, qui vivent tous en Crimée. Les autres groupes ethniques d'Ukraine sont des «minorités nationales», c'est-à-dire une diaspora de peuples qui ont leur propre patrie ethnique ou leur origine nationale en dehors de l'Ukraine: Hongrois, Roumains, Moldaves, Polonais, Gagaouzes, Grecs, Juifs, Ruthènes, Roms, etc.
L'emploi des langues minoritaires et de langues étrangères est toujours autorisé dans la couverture de la scène (à l'exception de la langue et des propos des journalistes), dans les chansons, dans les vidéoclips et dans toutes les œuvres et performances dans les langues des peuples autochtones. Des exceptions aux quotas linguistiques, comme actuellement, sont prévues pour les langues étrangères, la radiodiffusion en langues étrangères, les chaînes d'enseignement scientifique dans les langues de l'Union européenne, les chaînes éducatives pour l'étude des langues étrangères.
Dans l'état actuel des choses, des émissions télévisées ont lieu en russe, en polonais, en tchèque, en hongrois, en bulgare, en slovaque, en roumain, en moldave, en allemand, en gagaouze, en arménien, etc. En cas de non-respect de la loi, toute entreprise de radiodiffusion doit payer une amende de 5% du montant total de la licence.
Selon des sources gouvernementales, le nombre d’heures de programmes spéciaux pour les minorités nationales diffusés dans leurs langues serait de 1229 heures par an à la télévision et de 1988 heures à la radio. Cependant, les deux tiers du temps de diffusion sur les chaînes de radio et de télévision sont occupés par la diffusion d’émissions et de films russes. On trouve des émissions juives (yiddish) sur la chaîne de télévision nationale depuis quelques années ans et des émissions également diffusées par des chaînes de radio et de télévision régionales à Tchernivtsi, à Lviv, à Donetsk et dans quelques autres villes d’Ukraine. L’émission "Yednist" est diffusée en polonais par la radio de l’oblast de Jytomyr une fois par mois et l’émission "Chervona kalyna" par la chaîne de télévision régionale. Des programmes quotidiens de radio et de télévision sont diffusés en hongrois dans l’oblast de Transcarpathie et les programmes de radio et de télévision de Hongrie peuvent être captés sur l’ensemble du territoire de l’oblast. Dans l’oblast de Tchernivtsi, où existe une population roumaine importante (10,7 % de la population de la région), plus de 30 % des émissions de la télévision régionale et 25% du temps de diffusion de la radio régionale sont en roumain.
Dans les régions d’implantation des minorités nationales en Ukraine, des comités de programmation spécialisés ont été créés au sein des chaînes publiques de radio et de télévision. La chaîne publique de radio et de télévision Krym, par exemple, produit et diffuse des émissions en allemand, arménien, tatar (Crimée) et russe (1154 heures par an). La chaîne de radio et de télévision de l’oblast de Transcarpathie diffuse des émissions en hongrois, roumain et allemand; celle d’Odessa en roumain, bulgare et gagaouze; celle de Tchernivtsi en roumain et en hébreu; et celle de Jytomir en polonais. Cela dit, toutes les chaînes publiques régionales de radio et de télévision diffusent une proportion importante d’émissions en russe.
Depuis 2016, les stations de radio sont obligées de passer au moins un quart de chansons ukrainiennes et au moins 50 % d’émissions en cette langue. Depuis mars dernier, une seconde loi contraint les télévisions à diffuser leurs informations en ukrainien à 75 %. De nombreux médias exclusivement russophones ont dû s’adapter en conséquence, au grand dam des partisans de la Russie qui dénoncent une attaque contre la langue russe. En cas de violation de la loi sur l'utilisation de la langue officielle sera établie la responsabilité administrative, qui prendra effet trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, soit à partir du 16 juillet 2022. En général, les émissions de télévision et de radio sont produits par la Compagnie nationale publique de diffusion d'Ukraine, la Suspilne, dans les langues suivantes : gagaouze, bulgare, moldave, roumain, allemand, rom, russe, hongrois et slovaque, polonais, tatar de Crimée. La branche transcarpathique de la Suspilne compte cinq rédactions qui publient des émissions en allemand, en rom, en russe, en roumain, en slovaque et en hongrois; à Odessa, en bulgare, en gagaouze et en moldave; à Tchernivtsi, en moldave.
- Les interdictions en langue russe
Le 19 juin 2022, le Parlement ukrainien a adopté une loi portant modification de certaines lois ukrainiennes sur le soutien du produit musical national et la restriction de l’usage public du produit musical de l’État agresseur — le projet de loi n ° 7273-d —, qui interdit la musique russe dans les médias et l’espace public. Le lendemain, le projet de loi fut envoyé au président Volodymyr Zelenskyy qui l'a signé. Selon cette loi, les chansons d’artistes russes (de Russie) sont interdites en Ukraine dans les lieux publics et dans les médias. Cette loi interdit également la distribution en Ukraine de la musique, de films dans les autobus, ainsi que dans les taxis sans le consentement de tous les passagers. L'interdiction ne s'applique pas aux chanteurs russes qui condamnent la guerre de la Russie contre l'Ukraine.
Ce n’est pas un secret de polichinelle qu’avant l'invasion russe la musique en provenance de Russie était et parfois dominait dans les habitudes de nombreux Ukrainiens. Il suffisait de l'entendre dans les écouteurs, les transports en commun, les établissements alimentaires, etc., sans oublier les voitures des particuliers. La situation a changé après le 24 février 2022.
Depuis, la plupart des citoyens ukrainiens ont une attitude extrêmement négative envers la musique et les artistes russes, ainsi qu’envers les chanteurs et les chansons russophones. Beaucoup ont un réel dégoût et une haine pour tout contenu du pays tueur. Cela s’applique non seulement aux chansons, mais aussi aux films russes et aux films avec doublage russe. Les gens écrivent qu’ils ignorent délibérément la langue russe s’ils entendent.
Les interdiction touchent aussi les livres russes. Les députés ont approuvé l'introduction d'amendements à certaines lois concernant l'établissement de restrictions à l'importation et à la distribution de produits d'édition en provenance de Russie, de Biélorussie et du territoire ukrainien temporairement occupé (le Donbass). Cette interdiction ne s'applique pas aux livres publiés en Ukraine avant le 1er janvier 2023. Après cette date, les livres seront publiés et distribués en Ukraine uniquement dans la langue ukrainienne officielle, dans les langues des peuples autochtones d'Ukraine et dans la langues officielles de l'Union européenne.
Dans tout État, la connaissance de la langue officielle constitue un facteur de cohésion sociale et d’intégration. Il paraît donc légitime pour un État de faire la promotion de l’apprentissage de cette langue et de demander qu'elle soit la langue d'enseignement pour tous. Cette mesure doit aller de paire avec d'autres mesures visant à protéger et à promouvoir les langues des minorités nationales. Si ce n'est pas le cas, le résultat sera l’assimilation, non l’intégration.
La législation relative à l'éducation concerne plus particulièrement les lois suivantes:
- l'article 53 de la Constitution (1996);
- l'article 21 de la Loi sur la langue (2019);
- la Loi sur l'éducation (2017-2019);
- la Loi sur l'enseignement secondaire général complet (2020-2023);
- la Loi sur l'enseignement supérieur (2014-2019)
- la Loi sur les minorités (communautés) nationales (2022);
- la Loi sur les peuples autochtones (2021).
Le principe fondamental qui façonne la politique scolaire de l'Ukraine repose sur l'égalité d'accès à une instruction de qualité, quelle que soit l'origine ethnique des élèves, donc peu importe que l’élève d’une école soit d’origine ethnique, par exemple, ukrainienne, polonaise ou hongroise. Tous les citoyens de ce pays ont le droit de bénéficier de chances égales.
4.1 Rappel du système d'éducation ukrainien
|
|
Malgré ces catégories (niveaux I à III), les élèves étudient généralement dans le même établissement scolaire tout au long de leurs études primaires et secondaires. La plupart des établissements possèdent en effet les trois niveaux d'enseignement. Les établissements d’enseignement privés scolarisent environ 1% des élèves dont l’âge est compris entre 15 et 17 ans et 7% environ des élèves au niveau de l’enseignement supérieur. À partir de 2018, l'éducation primaire et secondaire se déroule sur douze ans, contre onze ans auparavant. Quant à l'enseignement préscolaire, il est offert dans les crèches, les jardins d'enfants et la famille. Selon la loi ukrainienne sur l'éducation, les citoyens ukrainiens ont le droit de recevoir leur instruction sous diverses formes: à temps plein (à temps plein), en soirée, par correspondance ou en externat.
4.2 Les trois modèles linguistiques
Les autorités ukrainiennes ont prévu trois modèles d'établissements pour les minorités, lesquels varient en fonction des groupes linguistiques, puisque les différents groupes peuvent avoir des besoins différents pour apprendre leur langue maternelle :
|
4.3 Les droits scolaires reconnus
Les droits linguistiques des minorités nationales sont d'abord formulés à l'article 53 de la Constitution (1996), ce qui se résume au droit d'étudier dans la langue maternelle:
Article 53
1)
Tous ont droit à l'instruction. |
L'article 21 de la Loi sur la langue (2019) prescrit bien que «la langue du système d'éducation dans les établissements d'enseignement est la langue officielle» tout en précisant que «les membres appartenant à des minorités nationales d'Ukraine se voient garantir le droit d'étudier dans les établissements d'enseignement municipaux pour l'enseignement préscolaire et primaire, ainsi que la langue officielle et la langue de la minorité nationale concernée en Ukraine»:
Article 21 Langue officielle dans le domaine de l'éducation 2) Les établissements d'enseignement doivent assurer l'étude obligatoire de la langue officielle, en particulier les établissements d'enseignement professionnel (technique / professionnel) et d'enseignement supérieur dans la mesure où il est possible d'exercer une activité professionnelle dans le domaine choisi en utilisant la langue officielle. |
Donc, c'est le secondaire qui serait exclus aux minorités, sauf pour les autochtones, tandis que, de son côté, l'article 7 de la Loi sur l'éducation (2017-2019) offre les mêmes garanties, c'est-à-dire que les membres des minorités nationales peuvent étudier dans leur langue nationale ainsi que dans la langue officielle dans les établissements d'enseignement municipaux aux niveaux de l'enseignement préscolaire et primaire :
Article 7
Langue d'enseignement |
Quant à l'article 5 de la Loi sur l'enseignement secondaire général complet (2020-2023), il reconnaît aux minorités nationales et aux peuples autochtones le droit d'étudier dans leur langue maternelle au secondaire, ainsi que la langue officielle:
Article 5
Langue d'enseignement dans les
établissements d'enseignement secondaire général 2) Tout élève se voit garantir le droit de terminer leur enseignement secondaire général dans la langue officielle dans les établissements d'enseignement publics, municipaux et corporatifs, ce qui est assuré par l'organisation de l'enseignement de toutes les matières (cours intégrés) dans la langue officielle, sauf dans les cas spécifiés par la présente loi.
3)
Les membres appartenant aux peuples autochtones ou aux
minorités nationales d'Ukraine se voient garantir et voir
reconnaître le droit d'étudier la langue du peuple autochtone ou
celle de
la minorité nationale respective dans les établissements
d'enseignement secondaire général de l'État, des municipalités et des
entreprises ou par l'intermédiaire des sociétés culturelles
nationales.
Quiconque appartient à d'autres minorités nationales d'Ukraine acquièrent un enseignement secondaire de base et spécialisé dans la langue officielle dans des établissements d'enseignement publics, municipaux ou corporatifs représentant au moins 80 % du temps d'études annuel. |
La Loi sur les peuples autochtones (2021) dans son article 5 accorde aussi le droit de créer leurs propres établissements scolaires pour étudier leur langue:
Article 5
Les droits scolaires et linguistiques des peuples autochtones
d'Ukraine 4) L'État garantit la recherche, la préservation et le développement des langues des peuples autochtones d'Ukraine, qui sont menacées d'extinction. |
Rappelons que les autochtones dont il est question sont les Tatars de Crimée, les Karaïtes et les Krymchaks, donc toutes des minorités vivant dans l'actuelle Crimée sous le contrôle de la Russie.
Pour ce qui est de la Loi sur les minorités (communautés) nationales (2022), l'article 11 reprend les dispositions de protection en éducation pour les petites minorités nationales excluant les russophones:
Article 11
Le droit à
l’éducation |
Enfin, l'article 45 de la Loi sur l'enseignement supérieur (2014-2019) autorise l'emploi d'une autre langue que l'ukrainien, particulièrement dans une langue régionale ou minoritaire:
Article 45
Évaluation externe
indépendante 11) Les tâches du
travail de certification de l'évaluation externe
indépendante doivent être achevées
dans la langue officielle.
À la demande de l'individu,
les travaux sont
traduits dans les langues régionales ou minoritaires
si le système d'enseignement secondaire (à
l'exception de la langue et de la littérature
ukrainiennes et des langues étrangères) est enseigné
dans cette langue. |
En résumé, voici la situation:
- Les minorités autochtones de la Crimée sont assurés (théoriquement) de recevoir un enseignement dans leur langue au primaire et au secondaire dans les écoles publiques municipales, tout en apprenant aussi la langue nationale. - Les minorités nationales dont la langue fait partie des langues officielles de l'Union européenne peuvent recevoir un enseignement au primaire dans leur langue, mais la langue officielle doit atteindre 20% du temps d'étude annuel jusqu'en 5e année, pour passer à 40% jusqu'en 9e année. Au secondaire, cette proportion de la langue officielle doit augmenter à 80%. - Pour les russophones et les biélorussophones, l'école primaire doit également enseignée la langue maternelle des écoliers tout en étudiant l'ukrainien jusqu'à la fin de leurs études primaires. À partir de la 5e année, au moins 80% du temps d'enseignement doit être offert dans la langue officielle. |
- La situation antérieure
Jusqu'à récemment (2018-2019), l'instruction offerte aux minorités nationales se faisait dans 735 écoles primaires et secondaires du pays. Près de 400 000 écoliers employaient leur langue maternelle comme moyen d'instruction à l'école. Les langues les plus répandues, au primaire et secondaire réunis, étaient l'ukrainien, le russe, le roumain, le hongrois, le polonais, l'anglais, le slovaque, le bulgare et le moldave. Le tableau ci-dessous montre le nombre total d'écoliers dans les écoles de niveaux I (primaire) et II (secondaire de base) à la rentrée scolaire de 2016-2017:
Langue | Ukrainien | Russe | Roumain | Hongrois | Polonais | Anglais | Slovaque | Bulgare | Moldave |
Total | 3 376 785 | 355 955 | 16 139 | 16 020 | 1 785 | 379 | 145 | 61 | 2 693 |
Le plus grand nombre d'écoles non ukrainophones concernait les écoles russes au nombre de 581 pour 356 000 enfants. Quelque 30 langues étaient enseignées comme matière dans les écoles en Ukraine, dont l'ukrainien, le russe (581 écoles), le bulgare (12), le moldave (3), le polonais (5), le roumain (75), le slovaque (2) et le hongrois (71). On peut consulter la répartition des écoliers par langue d'enseignement dans chacune des régions (2016-2017) en cliquant ICI s.v.p.
Dans tous les établissements d'enseignement général ayant un enseignement dans les langues minoritaires, la langue et la littérature de la minorité sont étudiées en tant que matière distincte. Depuis 2014, les écoles russes d'Ukraine ont triplé pour se réduire après 2019. Selon le ministère de l'Éducation et des Sciences, au cours de l'année scolaire 2014-2015, on en comptait 621, mais en 2018-2019, ce nombre avait baissé à 194 (dont 43 privés). La plupart des écoles de langue russe restent à Kharkiv (66), à Zaporijjia (35), à Odessa (34) et à Dnipropetrovsk (31). Il n'y a maintenant à Kiev que quatre écoles russophones.
Le tableau qui suit présente les langues d'enseignement pour l'année 2020, donc juste avant la réforme prévue pour 2023.
Établissements d'enseignement secondaire général
Langue d'enseignement 2020 | Nombre d'établissements | Nombre de classes |
Nombre d'élèves étudiant dans cette langue + langue officielle |
Nombre d'élèves étudiant cette langue comme matière |
Nombre d'élèves étudiant cette langue en option |
Ukrainien | 13 611 | 200 937 | 3 980 305 | 168 728 | 25 695 |
Russe | 55 | 5 421 | 130 778 | 588 380 | 65 083 |
Roumain | 69 | 1 034 | 16 302 | 2 427 | 274 |
Hongrois | 73 | 1 044 | 17 601 | 2 353 | 1 091 |
Tatar de Crimée | - | 5 | 64 | 347 | 125 |
Moldave | 1 | 158 | 2 388 | 2 803 | 73 |
Polonais | 4 | 57 | 1 086 | 77 281 | 14 866 |
Anglais | - | 14 | 165 | 4 042 915 | 48 100 |
Slovaque | - | 4 | 138 | 339 | 997 |
Bulgare | - | 2 | 46 | 8313 | 1075 |
Gagaouze | - | - | - | 902 | 13 |
Allemand | 1 | 13 | 160 | 624 947 | 20 582 |
Grec moderne | - | - | - | 2 527 | 589 |
Hébreu | - | - | - | 4 745 | 154 |
Espagnol | 16 409 | 1 003 | |||
Latin | 1 008 | 242 | |||
English | 131 584 | 6 135 | |||
Japonais | 876 | - | |||
Autres langue | 6 820 | 2 260 | |||
Plusieurs langue d'enseignement | 672 | 15 105 | 373 114 | 0 | |
Total | 14486 | - | 4 149 233 | 5 683 365 | 187 360 |
Depuis 2014, il y a eu trois fois moins d’écoles russes en Ukraine. Selon le ministère de l’Éducation et des Sciences, au cours de l’année scolaire 2014-2015, il y en avait 621, et en 2018-2019, il y en avait 194 (dont 43 écoles privées). La plupart des écoles dont la langue d’enseignement est le russe restent situées à Kharkiv (66), Zaporijjia (35), Odessa (34) et Dnipropetrovsk (31). Il À Kiev, il ne restait que quatre écoles entièrement de langue russe.
Ainsi, les récentes modifications de la Loi sur l'éducation entraînent une réduction de certains droits reconnus jusque-là aux minorités nationales en ce qui concerne l’instruction qu'elles pouvaient recevoir dans leur langue maternelle. Ces minorités avaient le droit de disposer d’établissements scolaires unilingues et de programmes pédagogiques complets offerts dans leur langue maternelle, tant au préscolaire et au primaire qu'au secondaire, voire à l'université (pour les russophones). Or, ces minorités se retrouvent maintenant dans une situation où l’instruction dans leur langue ne peut être assurée que conjointement à l’apprentissage de l'ukrainien et seulement jusqu’à la fin du primaire (de la première à la quatrième année inclusivement), à l'exception des minorités autochtones de la Crimée et des petites minorités nationales qui peuvent poursuivre leurs études au secondaire et dont la langue maternelle est l'une des langues de l'Union européenne. À partir de la 5e année, tous les cours offerts dans les établissements publics doivent être en ukrainien.
Selon les autorités ukrainiennes, les zones densément peuplées des minorités nationales favoriseraient le maintien de milieux fermés où les enfants grandissent en parlant exclusivement leur langue maternelle de sorte qu'ils n'apprennent que rarement la langue officielle. Il s'agit en particulier d'une situation traditionnelle dans les communautés des minorités russe, hongroise et roumaine. Pendant des années, des écoles des minorités nationales ont offert un enseignement dans la langue minoritaire, tandis que la langue ukrainienne n'était souvent enseignée que deux heures par semaine en tant que matière. Or, l'Ukraine n'est plus intéressée à préserver les ghettos linguistiques.
Les «Dispositions finales et transitoires» de la Loi sur l'éducation prévoient une période de transition pour les enfants qui se sont inscrits avant le 1er septembre 2018 et qui étudient maintenant dans une langue minoritaire jusqu'au 1er septembre 2020. À partir du 1er septembre de l'année suivante (2022), l'enseignement préscolaire et primaire peut être donné dans la langue de la minorité nationale tout en apprenant simultanément la langue officielle. En 2023, les membres des minorités nationales ont le droit de recevoir uniquement un enseignement préscolaire et primaire dans leur propre langue. Quant à l'enseignement secondaire, ils ont le droit d'étudier leur propre langue comme matière, tandis qu'une ou plusieurs autres matières peuvent être enseignées en anglais ou dans l'une des langues officielles de l'Union européenne. Les membres des minorités nationales qui ne parlent pas une langue officielle de l'Union européenne (biélorusse, gagaouze, hébreu et russes) peuvent étudier leur langue au niveau secondaire uniquement en tant que matière.
Le ministère de l'Éducation et des Sciences a élaboré un projet de programme de base, lequel prescrit le nombre d'heures d'étude des langues des minorités nationales dans les classes du primaire. Le second programme concerne les écoles offrant un enseignement dans les langues des minorités nationales; celui-ci est divisé en trois parties: Langue ukrainienne, Langue de la minorité nationale et Langue étrangère. Le programme de base des écoles des minorités nationales dans la partie invariante prévoit :
1. pour la langue ukrainienne : en 1re année = 4 heures; en 2e - 4e année = 5 heures;
2. pour la langue d'une minorité nationale : 3 heures;
3. pour une langue étrangère : 2 heures.
De plus, une heure supplémentaire est prévue pour apprendre soit la langue de la minorité nationale, soit une langue étrangère. Selon le sous-ministre, les parents pourront influencer où exactement cette heure devrait être attribuée.
Au début de 2023, l'analyse des données disponibles des services de l'éducation dans différentes régions d'Ukraine montre qu'après une année de guerre à grande échelle, il n'y a presque plus d'écoles où les enfants étudient la langue et la littérature russes. Les matières scolaires dans les établissements d'enseignement secondaire et les jardins d'enfants sont maintenant offertes en ukrainien. Cependant, dans certaines écoles des régions de Kirovohrad et d'Odessa, les écoliers apprennent encore le russe. Toutefois, dans les conditions de la guerre avec la fédération de Russie, il apparaît inapproprié de mener à bien le processus éducatif et d'étudier la langue russe dans les établissements d'enseignement préscolaire et secondaire appartenant à une propriété municipale.
- Les tests d'admission en ukrainien
Par ailleurs, la Loi sur l'enseignement supérieur (2014-2019) impose un test d'admission pour accéder à une université ukrainienne. Ces tests doivent être effectués dans la langue officielle:
Article 45
Évaluation externe indépendante Langue de
la pratique
pédagogique dans les établissements d'enseignement
supérieur 3) L'établissement d'enseignement supérieur a le droit de décider de l'enseignement d'une, de plusieurs ou de toutes les disciplines, de l'achèvement des tâches individuelles et de la conduite des mesures de contrôle en anglais, à la condition que tous les candidats à l'enseignement dans les disciplines respectives parlent l'anglais. S'il y a une demande écrite d'un ou de plusieurs étudiants, l'établissement d'enseignement supérieur assure la traduction dans la langue officielle. |
La
Loi sur l'éducation
vise précisément
à corriger cette situation préjudiciable
qu'est la méconnaissance de l'ukrainien. En
augmentant progressivement un certain nombre
de matières enseignées en ukrainien, le
ministère de l'Éducation espère améliorer la maîtrise de la langue
officielle pendant toute la période
scolaire.
De la première à la quatrième année, les
enfants doivent étudier dans leur langue
maternelle avec des heures supplémentaires
d'ukrainien comme matière.
L'enseignement bilingue à part entière doit commencer en 5e année. Cet enseignement sera partiellement offert dans la langue officielle tandis qu'un certain nombre de matières seront toujours enseignées dans la langue maternelle de la minorité. Le rapport entre les matières en ukrainien et en langue maternelle passera progressivement de la cinquième à la douzième année. Idéalement, il devrait atteindre un rapport de 60% / 40% après la neuvième année. En somme, l'Ukraine s'oriente vers une éducation bilingue pour les enfants des minorités linguistiques, y compris les russophones. |
En vertu de la nouvelle législation, les enfants des minorités nationales continueront d'apprendre leur langue maternelle dans les jardins d'enfants et les écoles primaires, tout en commençant à étudier la langue officielle. Les écoles secondaires deviendront pratiquement bilingues: à partir de la cinquième année, les enfants des minorités nationales commenceront à apprendre la langue officielle tout en continuant à apprendre leur langue maternelle. Si la langue minoritaire fait référence aux langues de l'Union européenne, il est possible d'enseigner quelques disciplines supplémentaires, qui seront réglementées.
Toutefois, cette nouvelle législation pourrait être justifiée pour deux raisons :
(1) Tout d’abord, l’Ukraine a toujours été partagée entre divers empires et États, chacun s’étant efforcé d’assimiler les Ukrainiens en voulant éliminer leur langue. En quelque 300 ans de domination étrangère, la langue ukrainienne a été frappée par 60 interdictions.
(2) L’autre raison correspond à «l'isolement actuel des minorités ethniques». D’après des chiffres fournis par le ministère de l’Éducation, en 2016, quelque 36% des bacheliers dans l’oblast de Transcarpatie ont raté leur examen d’ukrainien. Ce pourcentage est de 75 % dans la région de Berehove (oblast de Transcarpatie), majoritairement peuplée de Hongrois. De plus, 60,1% des bacheliers issus des minorités roumaine et hongroise ont également échoué à l’épreuve finale d’ukrainien. Dans certaines écoles, le taux d'échec atteint les 100%.
Pour les autorités ukrainiennes, déjà aux prises avec un mouvement sécessionniste dans le Donbass, cette politique de bilinguisme vise à promouvoir l’unité du pays et à favoriser l’intégration des minorités polonaise, hongroise, roumaine, etc. Mais dans les pays voisins, la nouvelle loi sur l'éducation a suscité un tollé. La Hongrie, la Roumanie et à un degré moindre la Pologne se sont élevées contre cette réforme qui menace, selon eux, les nombreux établissements privés aux frontières de l’Ukraine.
Tout candidat ou toute candidate doit nécessairement réussir un test de connaissance de l'ukrainien lors de la passation d'un test d'admission. La non-connaissance de l'ukrainien ferme nécessairement les portes des universités. Par exemple, 55% des enfants de la minorité nationale roumaine et 62% de la minorité hongroise ont échoué au test indépendant externe en 2017. La Loi sur l'enseignement supérieur mentionne que les tests d'admission peuvent être effectuées dans une autre langue enseignée dans cet établissement d'enseignement supérieur. À part l'ukrainien et l'anglais, il n'y a guère d'autres langues enseignées, puisque, selon l'article 48 de la même loi, «la langue de la pratique pédagogique dans l'enseignement supérieur est la langue officielle». Selon les indications du Comité officiel de l'Ukraine pour les affaires des minorités nationales et de la migration, la langue d'enseignement des universités du pays était, en 1997, le russe pour 55,6 % des étudiants. Dès l'année universitaire 1998-1999, ce taux fut ramené à 28 % et à 34 %, selon les établissements supérieurs.
Ainsi, les résultats précédents signifient que plus de la moitié des enfants des groupes minoritaires n'ont aucune chance d'entrer à l'université en Ukraine. Par conséquent, ils sont privés de la possibilité d'obtenir un emploi dans la fonction publique, les autorités locales ou dans des bureaux supérieurs dans toutes les régions de l'Ukraine. Ces jeunes se retrouvent de facto coupés de la société ukrainienne. Non seulement une telle situation favorise l’isolationnisme et le séparatisme, mais cela ne peut que les pousser à émigrer vers le pays dont ils parlent la langue.
- L'enseignement supérieur
En ce qui a trait à l'enseignement supérieur, les établissements universitaires offrant un enseignement entièrement en russe ont toujours été nombreux avant 2014. La plupart étaient situés principalement à Lougansk, à Donetsk, à Kharkiv, à Dnipropetrovsk et à Odessa. En 2008-2009, le nombre d'étudiants des établissements d'accréditation de premier et deuxième niveaux de langue russe était de 45 907 — à titre de comparaison, ils étaient 123 560 en 1999-2000 —, tandis que le nombre d'étudiants d'accréditation de troisième et quatrième niveaux étudiant le russe langue s’élevait à 280 767 — à titre de comparaison, en 1999-2000, il y en avait 395 605. Autrement dit, cette année-là, 326 674 étudiants avaient étudié en russe. L'une de leurs options d'emploi est l'enseignement; les enseignants sont formés dans des écoles où l'enseignement de la langue russe était assuré par 12 établissements d'enseignement supérieur de premier et deuxième niveaux d'accréditation et 34 établissements d'enseignement supérieur de troisième et quatrième niveaux d'accréditation. Bref, un russophone pouvait étudier de la maternelle à l'université en ignorant complètement l'ukrainien. Ce ne sera plus possible désormais!
- Les enseignants
Quant aux enseignants, le ministère de l'Éducation a prévu de nombreux établissement d'enseignement supérieur financés par l'État afin de former adéquatement le corps enseignant. Ce sont les suivants:
- l’Institut pédagogique national de la Faculté de philologie de Ternopil (enseignants de langue et de littérature polonaises);
- l’Institut pédagogique de Zakarpattia (Transcarpathie) à Berehove (personnel enseignant pour les établissements d’enseignement en hongrois);
- l’Université d’État Ivan Franko de Lviv (enseignants de polonais); l’Institut pédagogique d’Izmail (enseignants de bulgare et de moldave);
- l’Université d’État d’Uzhhorod (enseignants de slovaque, de hongrois et de roumain);
- l’Université d’État Lesia Ukrainka de Volyn (enseignants de polonais);
- l’Institut pédagogique de Zhytomyr (enseignants de polonais);
- l’Institut de Mariupol (enseignants de la langue et de la littérature grecques modernes);
- l’Université d’État de Tcherkassy (enseignants de langue et de littérature russes);
- l’Université d’État de Tchernivtsi (formation des enseignants des écoles de langue roumaine);
- l’École pédagogique supérieure de Tchernivtsi (spécialistes de la langue roumaine);
- l’Université d’État de Prykarpattia (spécialistes de philologie slave);
- l’École pédagogique de Mukacheve (formation des enseignants des écoles primaires et maternelles de langues roumaine et hongroise).
Le personnel spécialisé des établissements d’enseignement destinés aux minorités ethniques d’Ukraine est aussi formé dans des institutions privées comme l’Université internationale Solomon et l’Institut de Kiev appelé Université slave. En outre, l’article 54 de la Loi sur l'éducation (2017-2019) prévoit que le personnel scientifique et celui du corps enseignant sont tenus de former les élèves et les étudiants dans un esprit de compréhension mutuelle, de paix et d’harmonie entre tous les peuples et tous les groupes ethniques, nationaux ou religieux. Évidemment, il s'agit là d'une formule stéréotypée, car la réalité n'est pas toujours aussi idyllique.
La législation ukrainienne reconnaît aux minorités des droits individuels et collectifs réels. D’ailleurs, la politique linguistique menée par l’Ukraine a fait l'objet d'un intérêt considérable au plan international. On peut se demander toutefois comment ces mesures, qui changent régulièrement d'orientation selon les gouvernements, peuvent se transposer dans la réalité, surtout que les appuis financiers ne sont pas toujours au rendez-vous. Si les minorités géographiquement concentrées, comme les Russes, les Juifs, les Moldaves, les Bulgares, les Polonais, les Hongrois, les Roumains et, avant 2014, les Tatars de Crimée, peuvent se prévaloir sans trop de difficulté des dispositions prévues dans la législation, il n’en est pas ainsi pour certaines petites minorités géographiquement dispersées (Roms, Grecs, Arméniens, Gagaouzes, Tchouvaches, Lituaniens, etc.), qui peuvent difficilement bénéficier des mêmes avantages. Par exemple, pendant que les russophones disposent d'universités, les Tchouvaches doivent se contenter des «écoles du dimanche».
4.1 La normalisation de l'ukrainien
Force est de reconnaître que l’Ukraine a fait des efforts remarquables à l’égard de ses minorités nationales. Depuis quelques années, ces efforts ont été réduits parce que la reconnaissance de nombreux droits linguistiques a eu pour effet de rendre la langue officielle moins attractive; plus les droits linguistiques sont étendues pour les minorités plus fortes (comme pour les russophones), moins il apparaît nécessaire pour ces minorités d'apprendre la langue officielle. Si certaines minorités, surtout celles qui parlent le russe, le hongrois, le polonais ou le bulgare, peuvent vivre toute leur vie en Ukraine sans jamais avoir appris l'ukrainien, c'est que la politique linguistique se révèle incomplète.
- L'avis de la Commission de Venise
En décembre 2019, la Commission de Venise du Conseil de l'Europe — qui fournit des conseils juridiques aux États membres et aide ceux qui souhaitent mettre leurs structures juridiques et institutionnelles en conformité avec les normes et l'expérience internationales — a publié ses commentaires concernant la Loi sur la langue de 2019. La Commission a fait valoir qu'en général la loi paraît démocratique et ne violerait les droits de personne si elle est correctement appliquée. En somme, l'essentiel dans la décision de la Commission de Venise est la reconnaissance de la légitimité de la politique de protection de la langue ukrainienne en Ukraine après des siècles de russification; la Commission est en accord avec les principaux buts et objectifs de la Loi sur la langue et elle ne ne remet pas en cause la loi dans son ensemble ni son importance: «Il est donc louable que la Loi sur la langue officielle prévoie des mesures positives à cette fin en obligeant l'État à donner à chaque citoyen ukrainien la possibilité de maîtriser la langue à travers le système d'éducation, d'organiser des cours de langue gratuits, et de promouvoir l'accès aux films et autres produits culturels en ukrainien.» |
Cependant, la Commission émet des réserves du fait que la loi ne semble pas favoriser l'équilibre entre la protection de la langue ukrainienne et les droits des minorités nationales: «Pour éviter que le problème linguistique ne devienne une source de tensions interethniques en Ukraine, il est d'une importance cruciale de parvenir à un équilibre approprié dans sa politique linguistique. Jusqu'à présent, les autorités ne l'ont pas fait.»
La Commission propose donc d'adopter une loi supplémentaire qui protègerait davantage les droits des minorités nationales, de consulter ses différentes parties prenantes lors de son élaboration, d'imposer des sanctions pour violation de la loi sur la langue officielle, mais uniquement après l'adoption d'une telle loi. De plus, la Commission de Venise insiste pour que la langue russe en Ukraine soit protégée de la même manière que, par exemple, le bulgare ou le polonais.
- L'ukrainien obligatoire
Cela dit, la Commission de Venise admet qu'il est légitime que la loi impose l'ukrainien comme la langue du système d'éducation, ce qui correspond également à l'arrêt du 14 décembre 1999 de la Cour constitutionnelle ukrainienne, qui déclare que la langue ukrainienne en tant que langue officielle est un moyen de communication obligatoire sur tout le territoire ukrainien lors de l'exercice des pouvoirs par les autorités, mais que «le russe et d'autres langues des minorités nationales peuvent être employés dans l'exercice de leurs pouvoirs par les organismes exécutifs locaux» :
Рішення Конституційного Суду України від 14 грудня 1999 року
1. Положення частини першої статті 10 Конституції України,
за яким "державною мовою в Україні є українська мова", треба
розуміти так, що українська мова як державна є обов'язковим
засобом спілкування на всій території України при здійсненні
повноважень органами державної влади та органами місцевого
самоврядування (мова актів, роботи, діловодства, документації
тощо), а також в інших публічних сферах суспільного життя, які
визначаються законом (частина п'ята статті 10 Конституції
України). |
Arrêt du 14 décembre 2019 de la Cour constitutionnelle d'Ukraine
1. Les dispositions de l'article
10.1 de la
Constitution de l'Ukraine, selon
lesquelles «la langue
officielle de l'Ukraine est l'ukrainien»,
doivent être comprises de manière à ce que
la langue ukrainienne en tant
que langue officielle soit un
moyen de communication obligatoire sur tout le territoire
ukrainien lors de l'exercice des pouvoirs par les autorités
nationales et locales d'autonomie gouvernementale (langue des
actes, des travaux, de la gestion des documents, de la
documentation, etc.), ainsi que dans d'autres sphères de la vie
publique définies par la loi (paragr. 5 de l'article 10 de la
Constitution de l'Ukraine). |
- Les résistances à l'ukrainisation
Bref, il est normal que la langue officielle soit employée par l'État et toutes ses institutions. Cependant, la particularité de la situation linguistique en Ukraine consiste dans la difficulté de définir clairement le territoire de la «minorité linguistique» qui parle le russe, car cette langue n'est pas parlée de façon extrêmement concentrée dans les oblasts (régions) et aussi parce que c’est la langue de l’ancienne métropole. Encore aujourd'hui, beaucoup d’Ukrainiens accordent un statut plus élevé au russe qu'à l’ukrainien. Pour cette raison, le fait d'accorder la parité des langues ukrainienne et russe équivaudrait à un bilinguisme qui affaiblirait l'ukrainien. Même avec la Loi sur la langue de 2019, l'ukrainisation du pays se heurte à une très forte résistance non seulement de la part des russophones, mais aussi de la part des ukrainophones russophiles. Par ailleurs, sous la pression des facteurs de russification, de nombreux Ukrainiens qui considèrent l'ukrainien comme leur langue maternelle ne le parlent pas ni à la maison ni au travail. Cette situation, certainement anormale, menace l'identité linguistique des Ukrainiens et la sécurité nationale de l'État. Le seul véritable objectif de la législation linguistique est de protéger la langue ukrainienne en situation de vulnérabilité, ainsi que les droits des citoyens de créer un espace culturel ukrainien cohérent en Ukraine.
Le mouvement "Freedom Space" analyse chaque année la situation de la langue ukrainienne. L'objectif est suivre le niveau de son emploi dans le domaine public. En 2016, "Freedom Space" présentait cette étude pour la sixième fois. Selon le coordinateur du mouvement, Taras Shamaida, la langue ukrainienne, malgré son statut officiel, ne remplit pas un certain nombre de fonctions.
Bien que l'emploi de l'ukrainien se soit en principe renforcé depuis l'indépendance (1991), la politique linguistique menée par les différents gouvernements n'a pas contribué, en dépit de certains succès, à une augmentation substantielle de l'usage de la langue ukrainienne dans les zones russophones du pays. Il en est ainsi de la principale langue de communication, le russe demeurant encore manifestement la langue de prestige en Ukraine.
4.2 La place du russe en Ukraine
La langue russe demeure encore très puissante en Ukraine, bien qu'elle ne soit la langue maternelle que de 17,2 % de la population contre 75,5 % pour l'ukrainien. Différentes enquêtes et études en sont arrivées à la même conclusion: le russe continue d'assurer sa dominance en Ukraine, alors qu'il est une langue numériquement minoritaire. Mais ce n'est pas une langue minoritaire comme les autres: c'est la langue officielle de l'ancienne métropole qui livre une solide concurrence à la langue officielle de l'Ukraine au point de la déloger de son rôle de langue dominante.
- La langue russe parlée à la maison
Quand nous prenons conscience de la proportion des ukrainophones qui emploient la langue russe à la maison, nous ne pouvons qu'être frappés par le haut degré de russification touchant un grand nombre d'Ukrainiens. Selon la façon obtenue pour calculer la proportion des ukrainophones par rapport aux russophones, les premiers forment 75,5 % ou 78,1 % de la population contre 17,2 % pour les seconds.
Normalement, on s'attendrait à trouver plus ou moins la même proportion pour les langues parlées à la maison. Or, ce n'est pas du tout le cas. Selon un sondage effectué entre le 6 septembre et le 10 octobre 2019 par le Service de sociologie «Évaluation» (en ukrainien: соціологічної служби "Рейтинг" : sotsiolohichnoyi sluzhby "Reytynh") dans les centres régionaux, 52% des Ukrainiens, qu'ils soient russophones ou ukrainophones, utilisent le russe à la maison et au travail; ce pourcentage comprend également les personnes qui parlent les deux langues. Le sondage a été réalisé par les quatre plus grands centres sociologiques d'Ukraine. Il réunissait 14 000 personnes interrogées, 500 dans chaque région et 1000 dans les régions de Kiev, de Kharkiv et d'Odessa.
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Dans les médias électroniques, la part de la langue ukrainienne aux heures de grande écoute des chaînes de télévision pour l'année 2018-2019 a diminué de 64% à 40%, tandis que le russe est passé de 7% à 27%. Le reste du temps est occupé par des programmes bilingues russo-ukrainiens. Un tel revers est possible grâce à des formules de compromis dans la Loi sur la télévision et la radio, ce qui crée des lacunes pour la russification de la télévision. Si la langue ukrainienne domine l'éducation, le cinéma, l'édition de livres et la radio, elle régresse à la télévision. Aux heures de grande écoute des sept chaînes de télévision les plus cotées, l'ukrainien ne se voit alloué que 30,6% du temps d'antenne, le russe récolte 34,4%. Les 35% restants sont occupés par des locuteurs bilingues, durant lesquels le russe est également la langue dominante. Pour ce qui est des journaux, la part de ceux-ci publiée en ukrainien est de 33% de la diffusion totale, contre 61,4 % pour le russe.
En raison de la pression continue de la langue russe, de nombreux Ukrainiens, en particulier dans les grandes villes, ne veulent pas parler l'ukrainien, même lorsque c'est leur langue maternelle. Certes, il n'est pas facile de s'opposer aux habitudes linguistiques d'une population. La plupart des locuteurs de l'ukrainien passent au russe dans les communications inter-ethniques. Par conséquent, les grandes villes demeurent de puissants centres de russification et de désukrainisation chez les ukrainophones. À cet égard, les auteurs de l'étude soulignent qu'il leur semble nécessaire de surmonter la dépendance linguistique, culturelle et mentale à l'égard de la Russie, sans laquelle l'État ukrainien restera une structure fragile sans fondations solides. Le principal auteur de l'étude, Taras Shamaida, est un ukrainophone qui croit que les Ukrainiens doivent «passer de la décommunisation externe à la décolonisation mentale interne».
En mars 2017, Yuri Shevchuk, un professeur de langue ukrainienne à l'Université Columbia de New York (département des langues slaves), apporte la réponse suivante (en russe) à la question «Le bilinguisme peut-il toujours être utile?» :
Может. Если не идет речь о колониальной ситуации. В колониальной ситуации более сильный язык подминает под себя, душит и ассимилирует более слабый. Это социолингвистическая аксиома. Поэтому двуязычие для Украины — это поцелуй смерти. Оно ведет к вымиранию украинского. Особенно вредно двуязычие в нашем случае потому, что русский и украинский более близки, родственны, чем какие-либо другие языковые пары. Поэтому русификация-ассимиляция ускоряется. | Peut-être. Si ce n'est pas une situation coloniale. Dans une situation coloniale, une langue plus forte écrase, étouffe et assimile une langue plus faible. Il s'agit d'un axiome sociolinguistique. Par conséquent, le bilinguisme pour l'Ukraine est un baiser de mort. Cela conduit à l'extinction de l'ukrainien. Dans notre cas, le bilinguisme est particulièrement nocif, car le russe et l'ukrainien sont plus proches, plus liés que toute autre paire de langues. Par conséquent, la russification-assimilation s'accélère. |
Pour le professeur Yuri Shevchuk, l'Ukraine vivait jusqu'à récemment encore une situation de nature coloniale. Cela semble évident, par exemple, lorsqu'un citoyen ukrainophone quittait les oblasts de l'ouest du pays, en particulier à l'extérieur de la Galicie et de la Volhynie. Si cette personne commençait à parler ukrainien, elle était simplement ignorée si elle ne passait pas au russe. Quand un étranger essayait de communiquer de façon sommaire en ukrainien, on lui demandait de parler russe. Même Kiev est une ville très russifiée et entendre l'ukrainien dans la rue était presque insolite. Cela c'était avant l'invasion russe de février 2022.
- Les récriminations des russophones
La langue russe est répandue dans presque toutes les régions de l'Ukraine. Par ailleurs, beaucoup de russophones se plaignent de l’arbitraire de certains pouvoirs locaux quand ils veulent exercer leurs droits. Il semble que, pour plusieurs minorités, les lois et décrets en vigueur, bien qu’ils soient tolérants à leur égard, ne soient pas toujours appliqués par les administrations locales. Des restrictions de la part du gouvernement central interviendraient aussi, surtout d’ordre financier, ce qui a souvent pour effet de rendre inopérantes certaines dispositions juridiques de protection.
L'hypothèse selon laquelle les russophones ne sont pas à l'aise de vivre en Ukraine a également fait l'objet de recherches répétées. Selon, des sondages linguistiques effectués à Kiev, seulement 11,9% des russophones sont victimes de discrimination, tandis que les ukrainiens de Kiev connaissent un niveau de discrimination beaucoup plus élevé, soit 54,8%.
En somme, pendant des siècles, les Russes ont persécuté, assimilé, opprimé les Ukrainiens sur les plans politique, économique, culturel et linguistique, alors que les descendants de ces mêmes Russes affirment aujourd'hui qu'ils sont des victimes : les Ukrainiens les forceraient à s'ukrainiser. Pourtant, compte tenu de la situation linguistique de l'Ukraine, il est difficile de croire que les russophones sont victimes de pratiques discriminatoires. De plus, ils bénéficient d'intervenants puissants engagés dans la défense de la langue russe en Ukraine : les associations russes, les partis politiques pro-russes et la Russie elle-même par l'intermédiaire du gouvernement, de la Douma, de la mairie de Moscou, etc.
La plupart des associations russophones s'appuient sur une interprétation
de l'histoire ukrainienne qui a été transmise par la tradition tsariste et
soviétique. Leur idéologie repose sur une vision impérialiste du rôle de la
Russie qui rejette l'idée d'une nation ukrainienne. Certains nationalistes
russes remettent même en question la légitimité des frontières actuelles et
vont jusqu'à reconsidérer l'indépendance de l'Ukraine en tant qu'État. Bref,
ce genre de revendication n'a rien à voir avec la défense des droits
linguistiques des russophones.
La défense de la langue russe trouve également des alliés auprès de certains
partis politiques, notamment les les partis pro-russes (Parti des régions)
et les partis d'extrême gauche (Parti communiste). Le cas du Parti des
régions est intéressant, car ses revendications portent sur quelques thèmes
fondamentaux tels la défense de la langue russe, l'octroi de la double
citoyenneté aux russophones (avec la Russie) et la création d'une union de
l'Ukraine avec la Russie et la Biélorussie. Dans cette perspective, la
défense de la langue ne devient qu'un instrument parmi d'autres visant au
rapprochement de l'Ukraine et de la Russie. En réalité, les partis
politiques favorables aux russophones militent moins pour le bilinguisme que
pour la consolidation du monde russe dont l'objectif ultime serait la
dissolution de l'État ukrainien au sein d'un ensemble plus vaste et
résolument russophone.
Enfin, pour ce qui est de la Russie, la question linguistique sert de
prétexte pour s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Ukraine, surtout
lors des périodes électorales. La Russie se sert de la question linguistique
pour déstabiliser l'Ukraine en déclenchant les hostilités entre pro-Russes
et pro-Ukrainiens et en insistant sur le nécessité du développement libre
des deux langues, ce qui favoriserait la langue russe. Par exemple, le
président Leonid Kravtchouk
s'est fait élire en 1991 par les ukrainophones en se présentant comme le
chantre de l'unité nationale et le défenseur de la langue et de la culture
ukrainiennes, mais son successeur en 1994, le président
Leonid Koutchma, quant à lui,
s'est érigé en protecteur de la culture et de la langue russes, et en
s'engageant à accorder à celle-ci le statut de langue co-officielle, ce qui
lui valut l'appui des régions russophones. Étant donné que toutes ces promesses
n'ont pu être tenues, les politiciens ont réussi à exacerber le clivage
linguistique en accentuant les divisions du pays. Cette stratégie a servi à
plusieurs reprises par la suite, notamment par les président
Viktor Ianoukovytch
(pro-russe) et Petro Porochenko
(pro-ukrainien), et vraisemblablement par le président
Volodymyr Zelensky
(pro-russe).
- La question de la «libre concurrence» des langues
Du fait que garantir l'emploi de l'ukrainien dans la sphère officielle soit automatiquement perçu comme une «interdiction du russe» est en soi révélateur. C'est pourquoi beaucoup d'Ukrainiens russophones invoquent l'argument de la «libre concurrence» entre les langues de sorte que le russe puisse assurer sa prédominance traditionnelle dans le pays. D'autres préconisent encore de donner à la langue russe un statut de co-officialité ou de revenir au statut des «langues régionales» instauré en 2012 par la Loi sur la politique linguistique de l'État, ce qui équivalait dans les faits à rendre toute autre langue aussi officielle que l'ukrainien. En réalité, il y a encore des russophones qui croient que la langue ukrainienne n'est qu'un dialecte du russe dont l'existence n'atteint pas 150 ans; ils croient en même temps que l'ukrainien ne dispose que d'un potentiel culturel et intellectuel peu développé par comparaison à la grande richesse du russe. Enfin, d'autres pensent que des forces étrangères, par exemple les États-Unis, financeraient la promotion de la langue ukrainienne et soutiendraient une politique qui consisterait à affaiblir le rôle international du russe en Occident et donc à saper l'unité des pays de langue slave.
Dans plusieurs régions, une dizaine d'oblasts sur 24, la langue russe continue pourtant de dominer la communication quotidienne avec les autorités de l'État. Cette langue peut être détestée, aimée ou traitée de manière assez indifférente, mais cela ne changera pas son rôle qui est répandu en Ukraine. Il est très probable que la langue russe restera dans l'État ukrainien pendant les 30, 50 ou même 100 prochaines années, sinon davantage.
4.3 Le rôle des autres langues minoritaires
Nous savons qu'il existe plus d'une centaine de langues en Ukraine. Le problème pour leur protection n’est pas d’ordre juridique, mais d’ordre numérique, car il est impossible de tenir copte de toutes les langues. On voit mal, par exemple, que dans tout le pays il se trouverait des juges qui pourraient rendre leurs sentences tantôt en arménien, tantôt en grec, tantôt en romani, tantôt en polonais, etc. Même dans les pays seulement bilingues — et non pas multilingues —, la disponibilité des juges parlant les deux langues officielles pose déjà des problèmes dans certaines régions ou provinces. Alors, que penser des juges multilingues parlant éventuellement sept ou huit langues? C'est pourquoi les autorités ukrainiennes préfèrent que toute la procédure judiciaire se déroule dans la langue officielle, quitte à faire appel à des interprètes pour assurer la communication entre le juge, les avocats et le justiciable.
- Les langues reconnues
Dans les faits, il est impossible d’exécuter pleinement les obligations découlant de la législation ukrainienne à l’égard de plus de 100 groupes ethniques qui résident sur le territoire et qui, en vertu de la législation en vigueur, peuvent être considérés comme des minorités nationales. D’ailleurs, lorsque le gouvernement a décidé d’adhérer à la Charte des langues régionales ou minoritaires, il a dû «limiter provisoirement» le nombre des langues protégées. À partir des critères concernant le territoire où les langues sont traditionnellement pratiquées et en tenant compte du nombre des locuteurs justifiant l’adoption des différentes mesures de protection et de promotion prévues par la Charte, le gouvernement ukrainien a retenu 10 langues destinées à être soumises à l’application des dispositions de la Charte: le bulgare, le grec, le gagaouze, l'hébreu, le tatar de Crimée, le moldave, le polonais, le russe, le roumain et le hongrois. Par la suite, trois autres langues furent été incluses dans la liste: l’allemand, le biélorusse et le slovaque. Il semble que, avant même l’entrée en vigueur de la Charte, des mesures de protection s’appliqueront à 13 langues des minorités nationales, dont celles de toutes les minorités autochtones d’Ukraine (le tatar de Crimée, le karaïte, l'ourum des Grecs de l'Azov, le gagaouze et le krymchak). Il serait donc plus réaliste de ne retenir que ces 13 langues, mais il probable qu'avec le temps ce sont ces langues qui recevront une réelle protection qui se transposera plus durablement dans la réalité.
La Commission de Venise confirmait en 2019 que les parents, en collaboration avec les autorités locales, peuvent créer des classes ou des groupes séparés avec une langue d'enseignement différente de l'ukrainien: la Constitution et la loi autorisent l'enseignement dans des langues minoritaires au niveau préscolaire et primaire. Outre le biélorusse, le bulgare, le gagaouze, le grec, le roumain et plusieurs autres langues, le russe est considéré comme une langue minoritaire en Ukraine.
- La maîtrise de l'ukrainien
Au secondaire, presque toutes les matières vont dorénavant être enseignées en ukrainien, mais certaines peuvent être données dans les langues minoritaires. Pour le ministère de l'Éducation, le fait d'apprendre une langue minoritaire, que ce soit le russe ou une autre langue, ne signifie pas que toutes les matières seront enseignées dans cette langue. En dernière analyse, les enfants des minorités doivent aussi apprendre la langue officielle. Les parents peuvent aussi décider d'envoyer leurs enfants dans des écoles unilingues ukrainiennes. Quoi qu'il en soit, si dans le passé les enfants de certaines minorités, surtout les russophones dans les régions de l'Est et du Sud, pouvaient fréquenter «l'école russe», puis s'instruire à l'université en russe et obtenir un diplôme d'enseignement supérieur sans maîtriser la langue ukrainienne, il sera désormais impossible de poursuivre ce cheminement. Il ne paraît pas normal que plus de 90% des diplômés d'un certain nombre d'écoles roumaines dans l'oblast de Tchernivtsi, à la frontière avec la Roumanie, ne connaissent pas du tout la langue officielle de leur pays. La situation s'est répétée dans des écoles hongroises de l'oblast de Transcarpathie où 100% des élèves ont échoué en 2017 au test de connaissance de l'ukrainien.
Par ailleurs, il n'y aura pas de «police linguistique», qui patrouillerait dans les rues et infligerait des amendes aux passant qui prononceraient des mots en russe. L'article 49 de la Loi sur la langue prévoit plutôt l'instauration d'un commissaire aux langues, qui peut recevoir et examiner les plaintes des personnes physiques et morales sur les actions et les omissions des autorités de l'État, des organismes d'autonomie locale, des entreprises, des institutions et des organismes concernant le respect des exigences de la législation linguistique de l'État. Bien sûr, tout citoyen peut se plaindre s'il ne reçoit pas de réponse en ukrainien, mais il peut aussi réclamer qu'on respecte ses droits linguistique en tant que membre d'une minorité reconnue.
4.4 L'omniprésence du russe dans le Donbass
Au lendemain du coup d’État en février 2014, qui a renversé le président russophone originaire du Donbass, Viktor Ianoukovitch, la région ̶ en russe, le terme Донбасс ou donbass signifie «bassin houiller» ̶ s'est transformé en deux républiques autoproclamées autonomes: la République populaire de Donetsk (RPD) et la République populaire de Louhansk (RPL). Ces deux républiques rebelles n'occupent pas toute la superficie de leur oblast d'origine (voir la carte ci-dessous).
Ces républiques ont annoncé unilatéralement leur indépendance à la suite d'un
référendum, ce qui entraîné un conflit entre les nouvelles autorités
centrales de Kiev et les rebelles russophones
du Donbass, appuyés et armés par la Russie. Puis des régimes
autoritaires se sont installés à Donetsk et à Louhansk, qui ne
permettent ni les partis d'opposition (seul le Parti communiste est
autorisé) ni l'existence de médias libres. Dans les faits, c'est
l’élite politique et économique du Donbass qui a décidé de préserver
son capital monopolistique en se retranchant dans son bastion dans
le but de conserver son pouvoir: il lui fallait alors imposer
l’autonomie de la région, cette fois-ci de manière politique,
prendre l’appui sur l’impérialisme russe et, avec son appui
militaire, au besoin organiser la sécession.
Mais le Donbass se trouvait dans une région industrielle qui n'avait pas mené de réformes économiques et qui ne s'était pas modernisée ni réformée. Tôt ou tard, le Donbass allait se marginaliser, tandis que des oligarques russes en profiteraient pour renforcer leur pouvoir dominant. Dans de tels cas, il y a toujours des groupes qui maintiennent la population locale dans l’obéissance parce qu'elle y voit une promesse de sécurité et de stabilité. Dans l’attente d'un règlement politique qui ne vient jamais, la Russie a fini par reconnaître les passeports, les actes de naissance, de mariage et de décès, et les diplômes émis sur ces territoires, ainsi que les enregistrements de véhicules de transport, le rouble russe servant de monnaie officielle. Actuellement, le Donbass est une région majoritairement russophone, avec une majorité d'Ukrainiens ethniques et une forte minorité de Russes ethniques. |
- Le caractère factice des langues officielles Les langues officielles sont le russe et l'ukrainien, mais celui-ci est laissé pour compte, tandis que la simple possession d’un drapeau ukrainien est considérée comme un acte criminel, la police locale ayant ordre de tirer à vue sur tout manifestant arborant ce drapeau. Les résidents d'origine russe sont concentrés dans les grands centres urbains; dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, ils utilisent le russe, leur langue maternelle, et qui, étant parlé par de nombreux Ukrainiens, sert de langue véhiculaire. Le Donbass compte aussi une importante communauté musulmane, représentant jusqu'à 20% de la population dans certaines zones, notamment autour de Mariupol. |
En 2014, donc avant le conflit, les habitants de
l'oblast de Louhansk parlaient l'ukrainien comme langue
maternelle dans une proportion de 30%, alors que dans l'oblast
de Donetsk c'était 24,1%, et 20% parlaient une langue turque,
surtout autour de Marioupol près de la mer d'Azov. La proportion
des russophones dépassait celle des Russes dits «ethniques» :
74,9% dans le Donetsk, 68,8% à Louhansk, tandis que dans les
zones ukrainophones les minorités de russes ethniques
représentaient 39% des habitants dans l’oblast de Louhansk et
38,2% dans celui de Donetsk. Les russophones étaient concentrés
dans les villes du Sud-Est, les ukrainophones dans les zones
rurales du Nord-Ouest. L'écrasante majorité de la population de
la partie nord de la région de Louhansk et de Donetsk est demeurée ukrainienne.
- La dépopulation Après l'invasion russe, les tendances démographiques du Donbass ont radicalement changé en raison d'une diminution importante de la population. Des tendances ont été observées sur trois facteurs qui causent normalement la dépopulation: l'émigration, la sous-fécondité et la mortalité élevée. La première conséquence de l'occupation russe a été la vague de réfugiés. De nombreuses personnes ont eu des motifs de craindre pour leur vie en raison notamment de leur orientation pro-ukrainienne. Pour les jeunes familles, le motif le plus important de partir fut d'assurer la survie de leurs enfants. De plus, de nombreux hommes ont cherché à éviter la mobilisation forcée de l'armée d'occupation. Des motifs économiques se sont ajoutés, car de plus en plus de personnes ont perdu leur emploi. En outre, des agences gouvernementales furent évacuées des régions occupées de Donetsk et de Louhansk, tandis que leurs employés à plein temps ont été transférées en zones plus sûres. |
Quant aux établissements d'enseignement supérieur, ils ont également été évacués, ce qui a forcé de nombreux étudiants à quitter la région. Parmi ceux qui ont quitté les territoires occupés, il faut désigner surtout les jeunes et les personnes d'âge moyen (y compris les enfants d'âge préscolaire et d'âge scolaire), la proportion des personnes en préretraite et de personnes âgées étant relativement faible.
En date de janvier 2019, la guerre du Donbass avait fait quelque 13 000 morts, 30 000 blessés et un million de réfugiés. La RDP (République populaire de Donetsk) et la RPL (République populaire de Louhansk) sont devenues aujourd'hui des «protectorats» russes. Un grand nombre d’usines qui faisaient la force de l’économie locale ont été démontées et transportées en Russie. En même temps, les infrastructures dans le Donbass sont devenues déplorables, les destructions sont innombrables et constituent un défi quotidien pour la population qui se retrouve isolée et confrontée à d’énormes difficultés, que ce soit pour s'approvisionner en nourriture ou pour accéder à des services médicaux.
Dans une situation de conflit militaire, il est difficile d’estimer la population restée dans les deux républiques autoproclamées. Celles-ci couvrent des territoires urbanisées dans une zone où vivaient avant la guerre de 2014 une population de 6,5 millions d’habitants, ce qui représentait 16 % de la population du pays. Le problème est de savoir maintenant combien de citoyens ukrainiens sont restés dans les territoires occupés de la région de Donetsk et de la région de Louhansk. Selon une compilation sommaire au 1er janvier 2017 du Service national des statistiques de l'Ukraine, 3,8 millions de personnes vivaient dans les territoires occupés. Cependant, ce nombre serait clairement surestimé, ce qui est reconnu par le Service national des statistiques. Pour leur part, les autorités d'occupation ont établi leurs propres statistiques. Il s'ensuit qu'au 1er janvier 2017 les régions de Donetsk et Louhansk étaient habitées par 3,8 millions de personnes avec un écart de seulement 38 000 individus de moins que les statistiques ukrainiennes; bien entendu, ce nombre est également surestimé. Selon les observateurs, une estimation plus précise serait une compilation de 3,2 millions de personnes, ce qui équivaut à une dépopulation de 50 %. Selon les Nations unies, la Donbass compterait actuellement au moins 2,3 millions de personnes ayant un grand besoin d’une aide humanitaire.
- La russification forcée
En même temps, dans les territoires occupés de la région de Donetsk et celle de Louhansk, sans oublier la Crimée qui était auparavant ukrainienne, une russification forcée et rapide est en cours, la langue ukrainienne étant supplantée dans tous les domaines de la vie publique. Dans les constitutions des républiques autoproclamées de la RPD et de la RPL, bien que la langue ukrainienne ait le statut de «deuxième langue officielle» et qu'elle a bénéficié d'un régime de tolérance entre 2014 et 2016, elle vu depuis lors son enseignement disparaître progressivement au point d'avoir pratiquement disparu aujourd'hui.
Une étude de 2012 a démontré qu'à la radio 3,4% des chansons étaient en ukrainien, tandis que 60% étaient en russe, que plus de 60% des journaux, 83% des revues et 87% des livres étaient en russe et que 28% des programmes télévisés étaient en ukrainien, même sur les chaînes publiques; les émissions en russe étaient parfois sous-titrées en ukrainien, et les publicités des émissions en russe étaient en ukrainien sur les médias ukrainiens.
C'est une situation qui soulève certaines interrogations quand on sait que les russophones du Donbass ont fait appel à la Russie parce qu'ils se sentaient «brimés» par la promotion de la langue ukrainienne en Ukraine, un élément prétendument déclencheur du sécessionnisme donbassien. De plus, les dirigeants dans le territoire contrôlé par les deux républiques autoproclamées ont abandonné le terme de "Donbass" pour "Novorossia" (la «Nouvelle Russie»), dont les partisans ont affirmé que le territoire appelé «Donbass» est une région historique de la «Novorossia». Évidemment, les russophones tiennent à leurs statues de Lénine et aux autres symboles de l'ère soviétique, qui ont tous disparu dans l'ouest du pays. La toponymie a toujours été un outil idéologique: désigner le territoire avec ses toponymes et obliger les autres à les accepter revient à assurer son autorité et à légitimer ses droits. Évidemment, la plupart des toponymes dans le Donbass sont des dénominations russes. Le refus des russophones de couper le cordon ombilical de l'ère soviétique reflète une nostalgie d'une époque dorée où tout était plus facile pour eux, en espérant que tout peut être rejoué «comme avant».
- Le sort des républiques autoproclamées
Les deux républiques autoproclamées du Donbass sont administrées de manière complètement autonome, avec un chef d’État, un parlement et une armée. Rien ne permet de penser que cette situation va se dissiper et que ces régions vont pouvoir réintégrer l’Ukraine. Pour beaucoup de résidents du Donbass, la rupture avec l’Ukraine est définitive.
L'indépendance des deux républiques rebelles n'est reconnue par aucun pays membre de l’Organisation des Nations unies, pas même la Russie. Devant le pourrissement de la situation, les perspectives d'un rattachement à l'Ukraine deviennent de moins en moins probables. D'ailleurs, les représentants séparatistes ont déjà indiqué qu'ils rejetaient toute offre de Kiev pour accéder à une plus grande autonomie: ils réclament leur indépendance. Pour les russophones du Donbass, la sécession apparaît une solution logique. Il reste à savoir s'il est préférable de se rattacher à la Russie ou de devenir un État indépendant. Cependant, la Russie ne peut pas vraiment annexer le Donbass, car ce serait un cadeau empoisonné qui pousserait l'Ukraine à intégrer l’OTAN et l’Union européenne, ce qui justifierait par la suite à ukrainiser tout le pays. Or, la Russie n'a aucun intérêt à se retrouver avec des missiles de l’OTAN en Ukraine. Il apparaît préférable de laisser pourrir la situation et d'empêcher ainsi l’Ukraine de fonctionner normalement et de s'intégrer à l'Occident. |
De fait, le principal objectif de la Russie, qui a créé et soutient activement les formations séparatistes consiste essentiellement à affaiblir l'Ukraine de façon à la rendre moins attrayante pour l'Europe et les États-Unis.
Il reste la possibilité que le Donbass devienne complètement indépendant. Avec une population de six millions d’habitants, avec ses mines de charbon, son accès à la mer Noire et une bonne entente avec la Russie, un tel État pourrait être viable, le droit international finissant par se conformer à la réalité, comme ce fut le cas pour le Kosovo en 2008. Toutefois, avec une population de seulement deux ou trois millions d'habitants avec des mines désuètes et peu entretenues, le scénario pourrait changer. Si, de plus, il ne restait que des parcelles autonomes des oblasts de Louhansk et de Donetsk, comme c'est le cas aujourd'hui, la viabilité semble presque nulle avec une si petite population et un si petit territoire enclavé.
Puisque la réconciliation entre Kiev et Donetsk apparaît pour le moment impossible, il est probable que ce serait l'impasse et qu'on en arrivera au même sort que d'autres nations sécessionnistes comme l'Ossétie du Sud (Géorgie), l'Abkhazie (Géorgie), le Haut-Karabagh (Azerbaïdjan), la Transnistrie (Moldavie), Taïwan (Chine), la Palestine (Israël), le Kosovo (Serbie), la République turque de Chypre du Nord (Chypre). Ce n'est pas un hasard si, parmi ces dix territoires (incluant deux en Ukraine), six d'entre eux impliquent la Russie et ses anciennes républiques soviétiques. L'objectif est toujours le même: affaiblir des anciennes républiques soviétiques devenues des États souverains en appuyant les rebelles sécessionnistes. En encourageant les séparatistes de certaines régions irréductibles à se rebeller contre leurs gouvernements, la Russie s'impose comme arbitre dans les conflits. Sans rien résoudre, comme c'est souvent le cas, sauf imposer son idéologie autoritariste et augmenter son influence dans le monde!
Certes, la législation ukrainienne, pas plus qu’aucune autre dans le monde, ne résoudra pas tous les problèmes reliés à ses minorités nationales, surtout lorsqu'elles sont nombreuses. Elle ne peut protéger les trop petites minorités dispersées géographiquement, elle ne peut éliminer des mentalités certaines réactions comme l’antisémitisme, ni éviter le harcèlement, l’emploi excessif du russe chez les Ukrainiens russifiés, ni les russophones qui méprisent les ukrainophones jugés trop nationalistes, ni ceux pour qui la politique d'ukrainisation est le résultat de l'action des forces russophobes de l'Ouest, dont les États-Unis. La loi ne peut pas davantage ignorer l'importante minorité russophone et la considérer comme une minorité comme les autres. Prédominants dans l'est et le sud du pays, ceux-ci se plaignent de la place croissante de l'ukrainien dans l'enseignement et les médias, tout en oubliant qu'ils font la pluie et le beau temps dans un grand nombre de domaines de la vie publique. En réalité, la loi ne pourra jamais satisfaire tous les groupes ethniques, mais elle doit rassurer les russophones et surtout rétablir une certaine paix dans le pays.
Enfin, l’État n’ignore pas que les Ukrainiens ne parlent pas tous l'ukrainien; pour beaucoup de ceux-ci, c'est encore la langue des villages ou celle de leur grand-mère. Bref, l’État ukrainien ne peut tout miser sur la langue ukrainienne, car ce serait irréaliste. Il doit choisir la voie d'un certain multilinguisme stratégique tout en accordant la préséance à la langue officielle du pays. N'oublions pas que, exception faite de l’école et des organismes publics, toute l'économie est restée largement aux mains des russophones, ainsi qu'aux Ukrainiens russifiés.
Certes, il est légitime pour
l'État de promouvoir le renforcement de la langue officielle et son acquisition
par tous les citoyens afin de favoriser une intégration plus efficace dans la
société des membres appartenant à des minorités nationales. Toutefois, il reste
à établir un juste équilibre entre l’objectif légitime de renforcer la langue
ukrainienne et une protection adéquate des droits linguistiques des minorités,
mais plusieurs dispositions juridiques restreignent des droits fondamentaux,
tels que la liberté d’expression et d’association. Selon le lieu de résidence,
il faudrait permettre à chacun d’employer sa langue minoritaire en public et
d’examiner les conditions d’emploi des langues minoritaires dans les
communications avec les représentants de certains services publics, en
particulier avec les services ambulanciers, la police, les pompiers ou le
personnel hospitalier. Il est également nécessaire de prévoir la possibilité
d’imprimer des médias exclusivement dans une langue minoritaire et de marquer
les lieux géographiques dans une langue minoritaire.
En somme, les ukrainophones ont encore du travail à
faire pendant que les russophones devront, un jour ou l'autre, accepter leur condition de
minoritaires! Toute solution qui consisterait à bilinguiser l'Ukraine au
profit du russe équivaudrait à renverser le système constitutionnel et à
larguer l'ukrainien au rang de langue assujettie au russe.
Il faudra résoudre la quadrature du cercle,
c'est-à-dire maintenir la suprématie de l'ukrainien tout en garantissant aux
minorités bien organisées des droits
linguistiques qui feront en sorte qu'ils seront des citoyens égaux. La
législation ukrainienne devra aussi contribuer à accroître le développement de la récente démocratie
dans ce pays. Finalement, il faudra que les ukrainophones et les russophones,
surtout après la guerre d'invasion de la Russie, apprennent à être partenaires.
Même si la Russie s’est lancée dans une guerre totale contre l’Ukraine, le président Zelensky sait que beaucoup d’Ukrainiens, tel lui-même, ont l'habitude de parler russe à la maison. Il comprend bien que, si des Ukrainiens parlent le russe comme langue maternelle, c’est parce qu’ils ont été élevés et éduqués dans cette langue. Toutefois, la Loi sur la langue énonce clairement que la langue ukrainienne prévaut sur le russe dans le domaine public, et qu’il ne saurait être question de revenir dessus. Il n'en demeure pas moins que, si l'Ukraine sort de cette guerre en demeurant un pays indépendant, sa diversité linguistique n’aura pas disparu par magie. Il est difficile de prédire ce à quoi l’Ukraine d’après-guerre ressemblera, mais après une période transitoire il est possible que la communauté russophone en vienne à réclamer des droits linguistiques légitimes. Il faudra alors trouver un équilibre permettant à l’Ukraine de développer davantage son identité propre et de consacrer sa rupture avec «le monde russe», tout en protégeant les droits de ses citoyens russophones. Il ne devrait pas être nécessaire pour une Ukraine plus démocratique de discriminer une proportion importante de ses propres citoyens.
Ukraine |
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1) Données démolinguistiques |
2) Données historiques |
3) Politique relative à la langue ukrainienne |
4) politique linguistique relative aux minorités nationales |
5) Bibliographie |