Histoire du français au Québec
Section 5
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(5)
Réorientations
et nouvelles stratégies
De 1982 à nos jours
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Plan de l'article
En moins de vingt-cinq ans, l'État du Québec s'était restructuré, développé et modernisé en profondeur. L'éducation à tous les niveaux
a couvert l'ensemble du territoire; des institutions de santé ont été implantées dans tous les centres importants; les sociétés d'État se
sont multipliées et tous les grands services publics (police, routes, énergies, administration locale)
ont été assurés partout. À défaut d'être indépendant, l'État du Québec est devenu une
province francophone, entraînant dans une nouvelle révolution culturelle une transformation marquée du milieu des affaires et de l'industrie,
un milieu jusque-là traditionnellement anglophone et rébarbatif à la langue de la majorité
francophone. De plus, le Québec a même favorisé le développement du bilinguisme au sein de l'État fédéral.
1.1 L'essoufflement
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Pareille réussite aurait dû normalement devenir une source
de fierté et d'assurance pour l'avenir. Au contraire, la désillusion,
l'essoufflement et le doute ont suivi. Une nouvelle ère s'est amorcée:
elle ne sera plus centrée sur l'État, outil et moteur du
développement collectif. La Révolution tranquille terminée,
le Québec ne peut plus rien ajouter à son État à
moins qu'une éventuelle – et virtuellement impossible – révision
constitutionnelle ne lui accorde de nouveaux pouvoirs. Le nationalisme
québécois axé sur l'indépendance n'a pas réussi
à s'imposer (après deux référendums), pas plus
d'ailleurs que le nationalisme canadien n'a pu susciter un sentiment d'identification
au sein de la population francophone.
Signe des temps, les leaders charismatiques
tels que Pierre-Elliot Trudeau ou René Lévesque (aujourd'hui tous deux
décédés) ont laissé
la place à des leaders plus conciliants, des super-prudents
qui ne s'embarrassent pas des drames, des rendez-vous historiques, des
grands projets collectifs et des «appels à la foi». Après des
années de lutte, le Québec s'est essoufflé et semble maintenant s'installer
pour quelque temps dans une période de transition.
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1.2 L'échec du
référendum de 1980
Le 20 décembre 1979, le gouvernement nationaliste du
Parti québécois
fit connaître à l'Assemblée nationale le contenu de
la question référendaire portant sur la souveraineté-association.
Le gouvernement estimait avoir besoin de plus de pouvoirs que ne lui en
donnait la Constitution canadienne; c'est pourquoi il proposait aux Québécois
la «souveraineté politique assortie d'une association économique
avec le Canada», c'est-à-dire une nouvelle entente fondée
sur le principe de l'égalité des «deux peuples fondateurs».
De son côté, le premier ministre fédéral
de l'époque, le Québécois francophone Pierre Elliot Trudeau, avait promis un changement
constitutionnel si le Québec votait
NON.
Au soir du 20 mai 1980, le
NON
l'emportait avec 59,6 %, alors que le
OUI
n'obtenait que 40,4 %. L'issue du référendum décidait évidemment du sort de la
souveraineté-association, mais affaiblissait aussi le pouvoir du Québec de
négocier avec le gouvernement fédéral d'Ottawa. De fait, deux ans plus
tard, le Québec allait être exclu des négociations constitutionnelles et il ne
signerait même pas la nouvelle Constitution qui serait appliquée dans la
province.
Paradoxalement,
il est possible que le gouvernement péquiste ait lui-même
affaibli la cause de la souveraineté en exploitant presque «trop vigoureusement»
les pouvoirs de l'Assemblée nationale, comme dans le cas de la loi 101 (Charte
de la langue française), où le Québec prouvait en quelque sorte les «vertus
du fédéralisme canadien», à l'intérieur duquel
il paraissait possible de satisfaire l'un des besoins essentiels des francophones:
une plus grande sécurité linguistique.
1.3 Le rapatriement de la
Constitution canadienne
Donnant suite à sa promesse, le premier ministre du Canada,
Pierre Elliot Trudeau,
convoqua,
en juin 1980, les dix premiers ministres provinciaux pour entamer des négociations
constitutionnelles. Celles-ci aboutirent à l'impasse entre le fédéral
et les provinces: le premier ministre canadien
annonça qu'il procéderait au rapatriement unilatéral
de la Constitution canadienne. Le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec en appelèrent
à la Cour suprême, qui se prononça (28 avril 1981)
sur la validité de ce rapatriement unilatéral; celui-ci fut
déclaré «légal» bien que «le procédé
en lui-même enfreigne le principe du fédéralisme».
Au cours d'une réunion, dans un hôtel d'Ottawa, qui dura toute
une nuit et dont le Québec fut exclu, un accord intervint entre
le gouvernement fédéral et les neuf autres premiers ministres
provinciaux. Le gouvernement du Québec refusa de signer l'accord constitutionnel qui
limitait les pouvoirs de son Assemblée nationale en matière
d'éducation et de langue. La Loi constitutionnelle
de 1982
fut promulguée le 17 avril sans le consentement du Québec et fut ainsi
imposée par la partie la plus forte, les Anglo-Canadiens. C'était, en
quelque sorte, une espèce de revanche de la part des anglophones du Canada au
refus du Québec de signer la
charte de Victoria en 1971.
1.4 Le court-circuitage
de la législation québécoise
Or, la Loi constitutionnelle
de 1982 est venue changer radicalement la situation politique au
Canada et marqua la fin d'une époque pour le Québec et le début d'une autre
pour le Canada anglais. Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec
avait progressivement bâti un État en pleine expansion qui aspirait à étendre
ses pouvoirs; au lieu de s'accroître, ces pouvoirs se trouvaient maintenant diminués.
Ce fut en quelque sorte un curieux retour de l'histoire: un gouvernement fédéral à majorité de langue anglaise
qui, avec l'appui de neuf provinces de langue anglaise, demande à un parlement
étranger de langue anglaise (Londres) de réduire, sans son consentement, les
compétences du seul gouvernement de langue française en Amérique du Nord!
Le choix de la langue d'enseignement sur le territoire du Québec,
une question qui avait soulevé des controverses depuis une vingtaine
d'années, recevait une contre-solution imposée par Ottawa
et neuf gouvernements provinciaux anglophones, dont l'histoire témoigne qu'ils
ne s'étaient jamais souciés d'accorder à leurs minorités
francophones des droits que la loi 101 avait consentis à la minorité
anglophone du Québec. La Loi constitutionnelle
de 1982, dont fait partie
aussi la Charte canadienne des droits et libertés, ayant nécessairement
préséance sur la Charte de la langue française,
le Québec ne pouvait plus imposer aux citoyens canadiens venus d'autres
provinces une langue d'enseignement autre que la leur.
Spécialement conçu pour neutraliser la
Charte de la langue française,
le paragraphe 23.2
de la Charte canadienne des droits et libertés empêchait ainsi le Québec de se doter
d'une protection efficace de type territorial et rétablissait le caractère bilingue
de la société québécoise. Désormais, les frontières linguistiques du Québec
étaient de nouveau perméables à l'afflux des citoyens anglophones des autres provinces.
On craignait alors que les citoyens anglophones canadiens pourraient continuer à grossir la population scolaire anglaise du Québec
d'un nombre variant entre 5000 et 20 000 élèves par année. Certains ont parlé
«d'opération sabotage» de la part du gouvernement fédéral
à l'endroit du Québec, car la nouvelle Constitution canadienne pourrait priver la majorité francophone d'un apport normal
de nouveaux francophones par le truchement des transferts linguistiques interprovinciaux.
Soulignons qu'entre 1971 et 1981 les Anglo-Canadiens ont recruté
plus d'un million et demi de nouveaux anglophones par voie d'assimilation
linguistique, dont 115 000 recrutés au Québec même;
au cours de cette période, l'anglicisation a infligé aux
Franco-Canadiens une perte nette d'un quart de million. Bref, il semble que
seuls les anglophones aient le «droit d'assimiler les
citoyens du Canada».
En réalité, par cette opération qui visait à court-circuiter
rétroactivement la loi 101, l'objectif du gouvernement fédéral et des neuf
provinces anglaises n'a jamais été de protéger la
langue française au Québec, mais
de protéger plutôt
la langue anglaise en imposant un caractère bilingue à la
société québécoise tout en sachant très
bien que le bilinguisme avait dans le passé avantagé les
anglophones aux dépens des francophones. La nouvelle Constitution de 1982 n'avait pas
apparemment pas plus pour objectif la protection du français dans
les provinces anglaises puisqu'on n'a pas voulu imposer le bilinguisme
à l'Ontario, où survit la plus importante minorité
française du Canada: 479 285 (recensement 1991) francophones.
1.5 L'avancée des francophones hors Québec
Néanmoins, dans les vingt ans qui suivirent, après
d'innombrables luttes et procès dans tout le Canada anglais, les francophones de
ces provinces ont réussi à tirer à leur avantage les dispositions linguistiques
de l'article 23 de la Charte des droits et
libertés relativement à l'accès dans les écoles des minorités de langue
officielle. Ce sont les décisions des tribunaux, surtout la Cour suprême du
Canada, qui ont imposé aux provinces récalcitrantes — toutes au départ, à
l'exception du Nouveau-Brunswick — le respect des droits linguistiques des
francophones en matière d'accès à l'école dans leur langue et en matière de
gestion scolaire.
À l'origine, les dispositions constitutionnelles du Canada en
matière de langues ne pouvaient certainement pas être considérées comme le fruit
d'un compromis entre deux communautés linguistiques, mais plutôt comme une
mesure unilatérale décidée par la majorité anglaise du Canada. Par la suite, les
tribunaux ont interprété ces mêmes dispositions en développant une vision
beaucoup plus élargie des droits linguistiques à l'intention des minorités
francophones, droits que les premiers ministres anglophones n'avaient pas
prévus, notamment en matière de gestion scolaire. Il faut dire que la première
attitude de la plupart des provinces anglaises (hormis le Nouveau-Brunswick) fut
de refuser d'appliquer les droits reconnus en matière d'accès à l'école dans la
langue de la minorité, quitte à se faire poursuivre devant les tribunaux. Puis
ce fut le tour du droit à la gestion scolaire reconnue par la Cour suprême du
Canada. Après d'interminables procès et de très longs délais, les minorités
francophones ont obtenu, dans tout le Canada, le droit d'envoyer leurs enfants
dans des écoles françaises et le droit de gérer ces mêmes écoles au moyen d'un
conseil scolaire propre. Quant au Québec, les craintes en matière d'accès aux
écoles anglaises ne se sont pas vraiment matérialisées.
Depuis 1982, on sait maintenant
qu'il est devenu impossible de modifier la Constitution canadienne par
consentement unanime des deux grandes communautés linguistiques. Toute
modification constitutionnelle à dix impliquera dorénavant des possibilités de
chantage de la part de certaines provinces qui voudront tirer à leur avantage
leur éventuellement ralliement.
La
Charte de la langue française
(1977) avait stimulé
la fierté et donné satisfaction au plus grand nombre, au
Québec. L'entente constitutionnelle de novembre 1981, prélude
à la Loi constitutionnelle de 1982, est venue changer cet
ordre des choses. Dans les mois et les années qui ont suivi l'entente,
on a vu monter l'indignation, l'humiliation, la désillusion, puis
l'impuissance, la déroute et le recul. Ces attitudes ont d'abord
gagné le gouvernement du Québec pour se transmettre par la
suite à la population.
2.1 L'indignation et
l'impuissance
L'amertume de la défaite se manifesta au sein du gouvernement
péquiste par l'indignation verbale: «un coup de poignard dans le
dos», «la nuit des longs couteaux», «une trahison honteuse», du «banditisme»,
«du mépris à l'égard du Québec». Au soir du
4 décembre 1981, s'ouvrit un tumultueux congrès du
Parti québécois, le parti nationaliste québécois;
révoltés, les délégués votèrent
une résolution par laquelle ils rejetaient la souveraineté-association
en faveur de l'indépendance pure et simple. On assista ensuite à
une longue série de volte-face idéologiques: on passa tour
à tour de l'indépendance au «beau risque» du fédéralisme,
jusqu'à l'éclatement du parti après l'élection
fédérale qui porta au pouvoir le premier ministre canadien
Brian Mulroney (originaire du Québec) et le Parti
conservateur du Canada. La démission du chef charismatique René Lévesque,
la campagne au leadership du Parti québécois et la victoire
du Parti libéral du Québec marquèrent la fin du courant
indépendantiste comme force susceptible de mobiliser les énergies.
Brisé par la double défaite du référendum
et du rapatriement de la Constitution, le gouvernement du Parti québécois
demeura impuissant face aux coups qui continuaient de l'assaillir.
À deux reprises, il se contenta d'encaisser les coups
portés à la Charte de la langue française:
d'abord en juillet 1984, lorsque la Cour suprême a invalidé
l'article 73 de la loi 101 qui n'accordait l'accès à l'école
anglaise qu'aux enfants dont les parents avaient fait leurs études
en anglais au Québec; puis en décembre 1984, lorsque
la Cour supérieure du Québec a invalidé l'article
58 de la loi 101 interdisant l'affichage dans une autre langue que le français
en raison de la liberté d'expression consacrée dans la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne.
L'impuissance manifestée par le gouvernement après ce dernier
jugement de cour paraît particulièrement inquiétante parce que
les deux Chartes sont sous sa juridiction exclusive. Cette attitude de
laisser-faire a affaibli la cause de la francisation et a laissé
planer le doute sur la légitimité de cette francisation.
À peu près au même moment (1985), le cinéaste Pierre Falardeau
produisit le film Elvis Gratton pour faire un pied de nez aux Québécois
qui avaient voté NON au référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec. Dans
ce film, le personnage principal, Bob «Elvis» Gratton, remporte le concours
d'imitation d'Elvis Presley et gagne un voyage à l'île de Santa Banana, sous le
soleil des tropiques. Dans l'avion qui le ramène au Québec après ses vacances
d'une semaine, Bob Gratton se fait demander par un passager d'où il est
originaire. Il
répond: «Moi, je suis un Canadien québécois.» Puis il précise: «Un Français
canadien-français.» Ce n'est pas encore assez précis: «Un Américain du Nord, français. Un
francophone québécois, canadien... On est des Canadiens américains francophones
d'Amérique du Nord.» Pour beaucoup de Québécois francophones, ce monologue
résume à lui seul la difficulté de cerner avec précision leur identité
collective.
2.2
La combativité
anglophone
Un autre événement mérite d'être souligné:
la fondation d'Alliance Québec en mai 1982, une association vouée à la défense des droits
des anglophones. Dès le lendemain de l'entente constitutionnelle,
la combativité au Québec a changé de camp: ce sont
les anglophones qui occupèrent l'avant-scène du «front
linguistique» et qui accusèrent les francophones d'intolérance afin
que ceux-ci se montrent plus conciliants, voire prêts à certains
compromis dont, par exemple, un retour au bilinguisme institutionnel.
À l'époque, la position d'Alliance Québec
est apparue clairement. D'une part, l'association demandait pour la communauté
anglophone la garantie de ses services sociaux et de ses institutions scolaires
– ce qui était acquis –, d'autre part, elle exigeait non seulement des
modifications substantielles au chapitre de la langue de l'affichage, mais la
disparition de la Commission de la protection de la langue française, le libre
choix à l'école et un retour au bilinguisme généralisé, c'est-à-dire l'égalité
officielle entre les deux langues et non plus le statut juridique différencié.
Pour concrétiser ces demandes, il fallait rien de moins que d'abroger la
Charte de la langue française et modifier la
Loi constitutionnelle de
1982. En fait, les anglophones «purs et durs» se battaient pour le retour à
l'ancienne liberté, celle d'avant la loi 22 (Loi sur la langue officielle
de 1974), autrement dit, celle «du renard dans le poulailler». Il était improbable qu'un gouvernement québécois
puisse reculer à ce point et abandonne ce
qui restait, selon certains francophones, des «lambeaux» de la Charte de la
langue française. Pourtant, la réalité nord-américaine démontrait depuis
toujours que
l'anglais n'a jamais eu besoin de ce statut pour survivre au Québec; mais le
français, en revanche, avait tout à perdre.
Avec les années, le groupe d'Alliance Québec a perdu beaucoup
de sa crédibilité et la plupart des Anglo-Québécois d'aujourd'hui en ont «honte», à l'exemple
de certains francophones avec la Société Saint-Jean-Baptiste. Ces dernières
années, le
groupe de pression Alliance Québec ne compte plus que les anglophones les plus
irréductibles à la loi 101. On constate aussi qu'une majorité d'anglophones
semble reconnaître la nécessité de protéger le français et de réglementer
l'accès à l'école anglaise malgré leur répugnance instinctive pour l'aspect
symbolique de la Charte de la langue française. Beaucoup d'anglophones reconnaissent
également que cette loi n'est pas responsable pour tous les maux que leur
communauté a vécus depuis l'entrée en vigueur de la Charte.
2.3 L'ambiguïté et l'inaction
L'ambiguïté et l'inaction ont aussi gagné le nouveau
gouvernement provincial de Robert Bourassa (revenu au pouvoir après la défaite du
Parti québécois).
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Pourtant, ce gouvernement libéral avait
déjà perdu des plumes en 1974 avec une législation linguistique équivoque:
la loi 22 (Loi sur la
langue officielle). On aurait pu espérer que,
fort de cette expérience, il miserait sur la clarté et la
fermeté. Au contraire, le gouvernement
Bourassa – deuxième
manière – laissa, lui aussi, traîner les problèmes.
Ainsi, le gouvernement regarda se multiplier les accrocs à la loi
101 en matière d'affichage bilingue ou unilingue anglais sans intervenir,
il n'intenta plus de poursuites contre les contrevenants et passa l'éponge sur la présence des fameux enfants
«illégaux»
à l'école anglaise.
Le laisser-faire du gouvernement sema le doute sur l'utilité
de poursuivre la francisation au Québec. Nombreux furent les Québécois,
francophones et anglophones, qui s'attendaient à ce que l'on modifie «à la baisse» la politique linguistique. Pendant ce temps, la situation
se transforma graduellement et l'on assista à un phénomène
nouveau: le recul du français à Montréal, particulièrement sur le plan
de l'affichage et en milieu de travail. |
Cet immobilisme de la part du gouvernement
québécois reflétait une méconnaissance
flagrante de la problématique de la langue au Québec. C'est
une situation qui risquait de faire resurgir les vieux démons linguistiques.
Les francophones se montrèrent tolérants et crurent qu'ils n'avaient plus
besoin de protection maintenant que le français paraissait acquis.
La fin de la décennie quatre-vingt vit apparaître une série
de réajustements de la part des gouvernements québécois successifs.
En 1987, le pays a entrepris une autre série de rondes constitutionnelles,
puis ce fut les rebondissements de la fameuse loi 178.
3.1
La loi 178 et l'affichage commercial
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L'affichage unilingue français décrété par la Charte de la langue française
(1977) dans les articles 58, 59 et 60 a fait l'objet d'une bataille judiciaire
particulièrement ardue. Dans un premier jugement rendu le 28 décembre 1984,
la Cour supérieure du Québec a invalidé les articles interdisant l'affichage unilingue en
soutenant que la loi violait la liberté d'expression consacrée dans la Charte
québécoise des droits.
Le gouvernement du Québec en a appelé de la décision de la Cour supérieure,
mais dans un jugement rendu le 15 décembre 1988 la Cour suprême du Canada a,
pour sa part, confirmé le jugement de la cour du Québec. Selon le plus haut
tribunal du pays, le Québec avait le droit d'imposer l'usage du français,
mais ne pouvait interdire l'anglais: comme les chartes des droits, tant canadienne
(Constitution de 1982) que québécoise, garantissaient la liberté d'expression,
il était jugé anticonstitutionnel de limiter cette liberté d'expression,
y compris dans le discours commercial.
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La loi 178 ou Loi modifiant la Charte de la langue française
a été adoptée (1988) en catastrophe au lendemain
de la décision de la Cour suprême du pays afin de rendre la
Charte de la langue française conforme au jugement de cette
cour. Le Québec ne pouvait donc plus interdire l'anglais, sauf s'il se prévalait
de l'article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Cet article appelé «clause nonobstant» ou «clause dérogatoire» permet de déroger
à la Constitution canadienne. Cela signifie que le gouvernement
d'une province peut se soustraire à certaines dispositions de la
Charte des droits et libertés en invoquant cette clause dérogatoire
pour une durée n'excédant pas cinq ans. Le gouvernement Bourassa,
cédant à la pression des nationalistes québécois,
voulut conserver l'unilinguisme français, mais dut alors recourir à la
fameuse clause dérogatoire de la Constitution canadienne.
Il n'est pas surprenant que la loi 178 ou Loi modifiant la Charte
de la langue française aie été condamnée dans tout le Canada anglais parce
que le Québec supprimait alors des libertés individuelles – la liberté
d'expression – accordée aux anglophones. Un comité des droits de l'Homme des Nations unies a même
donné raison aux anglophones à ce sujet tout en précisant que la communauté
anglo-québécoise ne pouvait être considérée comme une «minorité» puisqu'elle
fait partie de la «majorité canadienne». On peut consulter le texte du Comité
(Constatations du Comité des droits de l'homme au titre du paragraphe 4, de
l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques)
en cliquant ICI, s.v.p.
La loi 178 sera la dernière manifestation importante en
matière d'intervention linguistique avant l'an 2000. De toute façon, elle ne
pouvait avoir qu'une durée de vie de cinq ans (en vertu de la
clause dérogatoire
de la Constitution canadienne). Cette loi n'est évidemment plus en vigueur
depuis le 18 juin 1993, puisqu'elle n'a jamais été reconduite par le
gouvernement du Québec. Elle fut remplacée avant de devenir caduque par la loi
86.
3.2 La loi 86
de 1993 et le retour au bilinguisme
La
loi 86 ou Loi modifiant la Charte de la langue française
a été adoptée le 17 juin 1993 et sanctionnée
le 18 juin 1993. Elle remplaçait la loi 178 (sur l'unilinguisme français)
qui, adoptée grâce à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et
libertés, était devenue caduque. La nouvelle
loi 86 illustre le revirement du gouvernement québécois en matière
de langue, car elle correspond à une «loi de normalisation».
En effet, afin de se conformer aux jugements de cour, la loi 86 élimine définitivement le
recours à la clause dérogatoire de la Constitution en permettant
l'affichage bilingue et en n'interdisant plus l'anglais. Dans les faits,
la loi 86 permet l'affichage bilingue avec prédominance
du français, mais elle vise surtout à rendre la
Charte de la langue
française en tous points conforme aux prescriptions de la
Loi
constitutionnelle de 1982 et à toutes les décisions de
la Cour suprême du Canada. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une «loi de
normalisation».
C'est pourquoi certains articles de la Charte de la langue française
ont été modifiés en conséquence: «clause Québec»
éliminée de la loi 101 et remplacée par la «clause
Canada», élargissement de l'accès à l'école anglaise, réduction des contraintes relatives à la francisation
des entreprises, réduction des pouvoirs et du rôle de l'Office
de la langue française, suppression de la Commission de protection
de la langue française, etc.
En réalité, avec la loi 86,
le gouvernement Bourassa retrouvait une sorte d'«équilibre». Cette loi se
voulait un retour du balancier après la loi 178 qui, pour un gouvernement
libéral, paraissait trop radicale. Le gouvernement avait cédé à l'époque aux
revendications des groupes nationalistes qui y étaient allés d'importantes
manifestations à Montréal. D'ailleurs, en 1988, cette loi 178 avait créé tout un
choc dans la communauté anglophone, non seulement au Québec mais dans tout le
Canada anglais. Mais, grâce à la loi 86, le gouvernement «se débarrassait» de la
fameuse clause dérogatoire si controversée – qui demeurait acceptable dans la
mesure où le Québec ne s'en servait pas contre sa minorité anglophone – et
retrouvait temporairement une sorte de «paix linguistique».
À partir de ce moment, il paraissait
évident qu'un gouvernement québécois, quel qu'il fût, allait devoir dorénavant
utiliser la «clause dérogatoire» en payant un prix politique élevé. En ce sens,
la loi 86 était bel et bien une «loi de normalisation». C'est pourquoi
l'impression laissée dans le public fut que, lorsque la Charte de la langue
française est attaquée devant les tribunaux, elle devait forcément
succomber parce qu'elle était «mauvaise».
3.3 La loi 40 modifiant la Charte de la
langue française (1996)
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Cependant, en juin 1996, le nouveau gouvernement du
Parti québécois
dirigé, cette fois, par Lucien Bouchard a présenté
un projet de loi à l'Assemblée nationale destiné à
modifier encore une fois la Charte de la langue française.
C'est la loi 40 ou Loi modifiant la Charte de la langue française.
Si l'on fait exception de la renaissance de la Commission de protection
de la langue française, on constatera que le gouvernement nationaliste de
Lucien Bouchard
en est resté à l'esprit des dispositions de la
loi 86.
L'article
58 de la loi 101 relatif à l'unilinguisme français dans l'affichage
semble avoir été définitivement mis au rancart.
En fait, n'importe quel gouvernement du Québec pourrait légalement
revenir à l'unilinguisme français dans l'affichage commercial
s'il avait recours à la clause dérogatoire de la Constitution,
mais il semble que le prix à payer était devenu trop coûteux au plan politique.
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Le
premier ministre Bourassa avait goûté à
la médecine anglo-canadienne, lui qui avait vu couler l'accord constitutionnel
du lac Meech pour cette raison, lui qui avait subi les décisions irrévocables
de la Cour suprême du Canada, lui qui s'est vu condamné publiquement
par les Nations unies, lui qui a dû être l'objet de propos
humiliants de la part de tous les médias anglophones de l'Amérique
du Nord venus à la rescousse de la «pauvre minorité» anglophone
opprimée par des «fanatiques» québécois.
En réalité, le gouvernement de Lucien Bouchard avait à
faire face à de graves difficultés sur les marchés
financiers internationaux. Il ne voulait pas miner davantage
la «réputation du Québec» en suspendant les droits de sa minorité
anglophone. Ainsi, le gouvernement n'avait qu'à baliser davantage
les pouvoirs des inspecteurs de la Commission de protection de la langue
française, lesquels n'auraient accès qu'aux endroits publics
et aux heures d'affaires des commerces. La loi a augmenté aussi les amendes maximales
pour les contraventions à la Charte de la langue française.
Ce relatif adoucissement de la politique linguistique pourrait donc être
le prix à payer pour améliorer l'image négative du
Québec – dont il n'était pas le seul responsable – dans l'opinion
publique internationale.
Grosso modo, ces mesures législatives représentèrent en quelque sorte des
concessions consenties aux anglophones, un peu comme une reconnaissance du fait
que ceux-ci faisaient partie de la collectivité québécoise, tout en maintenant les
objectifs principaux de la loi visant à assurer le caractère français du
Québec.
À partir de 1987, eurent lieu au Canada une série de rondes
constitutionnelles destinées à réparer l'«erreur»
de 1982 alors que le Québec avait été exclu de la Loi constitutionnelle de
1992. Ce fut
l'accord du lac Meech de 1987, les propositions de 1991-1992, l'entente
de Charlottetown de 1992 et L'entente de Calgary de 1997.
4.1 L'accord du lac Meech
de 1987
Le 3 juin 1987, un accord entre les
onze premiers ministres (fédéral
et provinciaux) est conclu: ce fut l'accord du lac
Meech. Selon les termes
de cet accord, le Parlement fédéral et toutes les provinces
avaient le rôle de protéger la dualité canadienne,
c'est-à-dire les «Canadiens d'expression française, concentrés
au Québec mais présents dans le reste du Canada» et les «Canadiens
d'expression anglaise concentrés dans le reste du pays mais aussi
présents au Québec»; ce qui liait nécessairement la
population du Québec au bilinguisme canadien (comme d'ailleurs au
multiculturalisme).
Quant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec,
ils avaient «le rôle de protéger et de promouvoir le caractère
distinct de la société québécoise», ce qui
ne liait ni le gouvernement fédéral ni aucune province à
l'exception du Québec.
Or, l'accord du lac Meech ne fut pas ratifié
par toutes les provinces, parce que le Manitoba et Terre-Neuve ne l'ont
pas fait adopter par leur législature respective dans les délais
prescrits par la Loi constitutionnelle de 1982. Même si personne
ne savait vraiment ce que signifiait le concept de «société
distincte», le Canada anglais a craint que le Québec se serve de
cette éventuelle disposition constitutionnelle pour «brimer» les
droits inaliénables des Anglo-Québécois en voulant «trop» se protéger.
Par ailleurs, certains ont affirmé – et
ils n'ont pas tort – que l'accord du lac
Meech a été torpillé en représailles à
l'adoption de la loi 178 par le gouvernement du Québec. Autrement dit, le
Canada anglais n'a pas accepté que le Québec protège sa langue au point de
déroger à la Constitution canadienne. Le plus insolite, c'est que le Québec
n'a jamais demandé cette clause dérogatoire, mais il s'en est apparemment
servi «contre» sa minorité anglophone.
4.2
Les propositions constitutionnelles de 1991-1992
En 1991, le gouvernement fédéral fit connaître ses
propres propositions constitutionnelles. Cette fois-ci, le concept de «société
distincte» fut défini – et forcément limité – comme «une majorité d'expression française; une culture unique
en son genre; une tradition de droit civil». De plus, le gouvernement du
Canada proposa d'insérer à l'article 2 de la Loi constitutionnelle
de 1867 une «clause Canada» qui prévoyait notamment «la reconnaissance
de la responsabilité des gouvernements de préserver les deux
majorités et minorités linguistiques du Canada», ainsi que «la contribution de peuples d'origines culturelles et ethniques diverses
à l'édification d'un Canada fort». On en revient toujours
à la promotion de la dualité canadienne dans chacune des
provinces et à celle du multiculturalisme.
Les réformes constitutionnelles prirent une nouvelle ampleur
en 1992. Ce fut d'abord la publication du Rapport Beaudoin-Dobbie qui reprit
l'essentiel des propositions fédérales précédentes
(société distincte, dualité canadienne, multiculturalisme),
mais en y ajoutant des éléments nouveaux, particulièrement
en ce qui a trait aux autochtones et au Sénat canadien.
Pour la
première fois, le Canada reconnaissait aux autochtones «le droit
inhérent de se gouverner selon leurs propres lois, coutumes et traditions
afin de protéger leurs langues et leurs cultures diverses». Quant
au Sénat, on introduisit la notion de la double majorité
en vertu de laquelle «les mesures relatives à la langue ou à
la culture des collectivités francophones devraient être approuvées
par la majorité des sénateurs et par la majorité des
sénateurs francophones».
4.3 L'entente constitutionnelle de Charlottetown (1992)
Puis, ce fut l'entente constitutionnelle de Charlottetown du 28 août
1992. Le Québec obtint notamment trois juges à la Cour suprême,
la clause de société distincte (limitée à la
langue, la culture et le droit civil), la garantie de 25 % des sièges
à la Chambre des communes, la double majorité linguistique
au Sénat (pour l'ensemble des sénateurs francophones du Canada),
un droit de veto (à l'instar des autres provinces) sur toutes modifications
aux institutions centrales. De plus, la «clause Canada», celle qui devait
servir à interpréter tout la Constitution, est revenue.
Dans
un paragraphe (1), elle précisait les caractéristiques fondamentales
du Canada dont les suivantes semblent particulièrement pertinentes
à notre propos:
c) le fait que le Québec forme au
sein du Canada une société distincte, comprenant notamment
une majorité d'expression française, une culture qui est
unique et une tradition de droit civil;
d) l'attachement [en anglais: commitment] des
Canadiens et de leurs gouvernements à l'épanouissement et
au développement des communautés minoritaires de langue officielle
dans tout le pays; [...]
h) le fait que la société canadienne
confirme le principe de l'égalité des provinces dans le respect
de leur diversité;
|
Par ailleurs, un paragraphe no 2 venait préciser le rôle du gouvernement
du Québec envers la société distincte: «La législature
et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger
et de promouvoir la société distincte.» Encore une fois,
le Québec s'est trouvé coincé entre deux clauses conflictuelles:
le concept de la société distincte et celle de la dualité
canadienne. L'entente prévoyait également une réforme
du Sénat où toutes les provinces obtenaient le même
nombre de sénateurs (soit huit).
Quoi qu'il en soit, l'entente de Charlottetown fut rejetée lors
du référendum canadien du 26 octobre 1992. En effet, non seulement
le Québec, mais la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan
et la Colombie-Britannique ont majoritairement voté NON; à
l'échelle du pays, 55 % des Canadiens ont refusé l'entente
constitutionnelle proposée par le gouvernement fédéral de Brian Mulroney,
les premiers ministres provinciaux (incluant le Québec) et les leaders
autochtones.
En somme, les tentatives de modifier la Constitution canadienne en tenant
compte des «deux peuples fondateurs» auront toutes échoué.
Le fragile consensus proposé par la classe politique canadienne
a été perçu comme un «compromis inacceptable» par une
majorité de Canadiens. Le Québec, d'une part, n'a accepté
ni les concessions de son premier ministre (Robert Bourassa) ni les gains des autres provinces,
alors que le Canada anglais, d'autre part, a refusé au Québec
le concept de société distincte et les outils de protection
qui l'accompagnaient. Le fait que l'entente de Charlottetown prévoyait qu'une
majorité de sénateurs francophones devait approuver les projets de loi
concernant la langue et la culture françaises au Canada n'a pas dû aider la
cause du français; une telle mesure aurait donné éventuellement
au Québec des moyens pour protéger les francophones hors-Québec. Le Toronto Star
du 5 octobre 1992
commentait ainsi la mesure: «This is special privilege, and a recipe for
paralysis.» C'était là un privilège particulier et une
recette pour la paralysie du Canada. Le premier ministre du Québec,
Robert Bourassa,
démissionna l'année suivante (1993) pour des raisons de santé; il devait décéder
en 1996.
4.4 L'entente de Calgary (1997)
En 1997, les neuf premiers ministres provinciaux du Canada anglais se sont
réunis à Calgary, sans le Québec, afin de proposer un «cadre de discussion sur
l'unité canadienne»: ce fut l'entente
de Calgary. Si l'on fait exception des vœux pieux du type «la
diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le
Canada sont sans pareilles dans le monde», les premiers ministres anglophones
ont déclaré que tous les Canadiens étaient «égaux» et que «toutes les provinces»
étaient également «égales». D'où la mise en garde suivante (art. 6):
Article 6
Si une future modification constitutionnelle devait
attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes
pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.
|
Malgré tout, le Canada anglais était prêt à reconnaître
certaines spécificités au Québec (art. 5):
Article 5
Dans ce régime fédéral, où
le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement
de l'unité, le caractère unique de la société
québécoise, constituée notamment de sa majorité
francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil, est fondamental
pour le bien-être du Canada. Par conséquent, l'assemblée
législative et le gouvernement du Québec ont le rôle
de protéger le caractère unique de la société
québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement.
|
On est revenu à la case de départ avec tous les problèmes
qui demeurent, dont la société distincte, la réforme
du Sénat, les autochtones, la question des chevauchements de juridiction
et du partage des pouvoirs. L'histoire est là pour démontrer
que le Canada anglais ne s'est jamais résigné à ce
que le Québec se protège «trop» sur le plan linguistique.
De plus, le Canada anglais n'acceptera jamais que le Québec dispose
de droits collectifs que les autres provinces n'auront pas obtenus et,
au surplus, que ces droits aient préséance sur les droits
individuels affirmés dans la Charte des droits et libertés,
une charte que le Canada anglais a adoptée sans le Québec.
Si ce n'était que du Canada anglais, le statut particulier pour
le Québec serait une notion nulle et non avenue.
Ainsi, toute
éventuelle modification
constitutionnelle avec l'accord du Québec n'est certainement pas
pour demain, car tout modification constitutionnelle venant du Québec, si elle
demeure théoriquement possible, est désormais, dans les faits, tout à fait
impossible. D'ailleurs, la déclaration de Calgary
n'intéressait déjà plus personne un an plus tard,
ni au Québec ni au Canada anglais.
4.5 L'échec référendaire de
1995
Tous ces échecs
constitutionnels, mais surtout accord du lac
Meech, ravivèrent l'ardeur des nationalistes québécois pour le projet
d'indépendance. En 1994, quelques mois après l'élection du
Parti québécois (PQ),
le premier ministre de l'époque, Jacques Parizeau, déposait un avant-projet de
loi prévoyant la tenue d'un référendum. La consultation portait alors sur la
question suivante : «Acceptez-vous que le Québec devienne un État souverain,
après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et
politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente
signée le 12 juin 1995 ?» Cette entente avait été conclue entre trois chefs
politiques: Jacques Parizeau, le chef du Parti québécois et premier ministre du
Québec, Lucien Bouchard, le chef du Bloc québécois (BQ), la formation
souverainiste à Ottawa, et Mario Dumont, le chef de l'Action démocratique du
Québec (ADQ).
Le taux de participation au référendum
du 30 octobre 1995 fut extraordinairement élevé: 93,52 % de l'électorat
québécois. Les résultats furent extrêmement serrés, car 49,4 % de la population
vota OUI et 50,58 % vota
NON. En réalité, le
NON ne l'emporta que par 54 288
voix. Par comparaison avec le référendum de 1980, ce résultat marquait un gain
de près de neuf points pour le OUI
en réponse à une question qui constituait un mandat pour la souveraineté, plutôt
que pour la négociation de la souveraineté-association.
Près de 60 % des francophones avaient
voté OUI (contre 50 % en 1980),
mais environ 95 % des non-francophones avaient voté
NON. En général, les francophones
ont été les plus nombreux à voter OUI
dans les circonscriptions de l'est de Montréal (66,7 %) et dans la
périphérie nord de Montréal (65,2 %) que dans le reste du Québec. Les
communautés haïtienne, sud-américaine, et maghrébine de Montréal accordèrent un
appui substantiel au OUI. Dans la
ville de Québec et dans les régions urbaines et rurales du reste du Québec, les
proportions des francophones ayant voté
OUI s'élevèrent respectivement à 57,0 %, 59,5 % et 56,9 %. Quant aux
autochtones, ils votèrent massivement pour le
NON: 96 % chez les Cris, 95 % chez
les Inuits et 99 % chez les Montagnais (même francophones).
Chose curieuse, les statistiques
compilées par le ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration ont
révélé que 43 855 nouveaux Québécois avaient obtenu la citoyenneté canadienne au
cours de l'année 1995. Comme un hasard n'arrive jamais seul, le quart des
certificats de citoyenneté, soit 11 429, fut attribué durant le seul mois
d'octobre. Or, ce phénomène se n'est jamais reproduit depuis lors.
Au soir du 30 octobre, le
premier ministre
Jacques Parizeau prononça un discours qui suscita une énorme controverse, car il
mettait en cause le vote des minorités anglophones et allophones, ainsi que les
dépenses effectuées par le camp du NON : «Nous sommes battus, c'est vrai ! Mais,
dans le fond, par quoi? L'argent et des votes ethniques.» Fortement critiqué
pour ce commentaire, Parizeau annonça son départ de la vie politique, le
lendemain du scrutin. Il fut remplacé par Lucien Bouchard qui dirigea le Québec
jusqu'en 2001.
Si le référendum de 1995 avait été gagné
par les souverainistes, les politiciens fédéraux du Québec auraient été placés
dans une situation embarrassante. À l'époque, le premier ministre du Canada, son
chef de cabinet, le ministre des Finances, le ministre des Affaires étrangères
et le juge en chef de la Cour suprême étaient tous des Québécois. De nombreux
ministres du gouvernement n'auraient jamais accepté que des Québécois
francophones négocient la séparation du Québec au nom du Canada anglais!
4.6 La Loi de
clarification
Sur la scène fédérale, le
premier
ministre Jean Chrétien fut réélu en 1997. Deux ans plus tard, son gouvernement
déposait un projet de loi appelé Loi de clarification (voir
le texte de loi). Cette loi fédérale sur la clarté était destinée à
donner des armes au gouvernement canadien dans l'éventualité d'un autre
référendum québécois. Dès lors, c'est le gouvernement fédéral qui pouvait
décider si la question est assez claire pour qu'on y respecte la réponse:
Article 1er
1) Examen de la question par les Communes
Dans les trente jours suivant le dépôt à
l’assemblée législative d’une province, ou toute autre communication
officielle, par le gouvernement de cette province, du texte de la
question qu’il entend soumettre à ses électeurs dans le cadre d’un
référendum sur un projet de sécession de la province du Canada, la
Chambre des communes examine la question et détermine, par
résolution, si la question est claire.
|
Comme il n'y a pas de
définition ni de précision sur la notion de clarté, le gouvernement a beau jeu
de décider unilatéralement et arbitrairement ce qu'est une question claire ou
non. De plus, il s'agit aussi de réclamer une «majorité claire» en faveur de la
sécession d'une province:
Article 2
2) Facteurs à considérer
Dans le cadre de l’examen en vue de déterminer
si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement
qu’elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des
communes prend en considération :
a) l’importance de la majorité des voix
validement exprimées en faveur de la proposition de sécession;
b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum;
c) tous autres facteurs ou circonstances qu’elle estime pertinents.
|
Là aussi, il n'y a pas de
limite fixée, même pas 50 % + un. C'est le gouvernement fédéral qui doit décider
si le taux d'appui à la sécession est suffisamment élevé pour être reconnu.
Toutes ces décisions seraient prises unilatéralement après le résultat
référendaire. L'ambiguïté est certainement volontaire: elle suggère que le
seuil de 50% +1 ne serait probablement pas suffisant, sans toutefois indiquer
celui qui devrait être acceptable. Il s’agit là de la seule majorité qualifiée
indéterminée au monde!
On peut deviner facilement ce qui s'en
suivrait. La question référendaire risque de n'être jamais assez claire et
l'appui à la sécession jamais assez élevé. À supposé qu'un résultat ait
atteint 53%, il devient loisible d'exiger après coup qu'il fallait
55%, voire 60%. Dans les faits, c'est simplement une arnaque, car
l'arbitraire devient trop facile à exploiter. Bref, cette loi sur la clarté
crée un cadre juridique permettant au Canada anglais de décider du sort des
Québécois.
L'Assemblée nationale du Québec répliqua avec le projet de loi 99,
appelé Loi sur l'exercice
des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois
et de l'État du Québec. Cette loi prévoit notamment que
seul le peuple québécois, par l'entremise des institutions politiques qui lui
appartiennent en propre, a le droit de statuer sur la nature, l'étendue et les
modalités de l'exercice de son droit à disposer de lui-même et qu'aucun autre
parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la
souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale.
Cour suprême du
Canada |
La Cour suprême du Canada
est la juridiction d'appel finale du pays, le dernier tribunal
auquel peuvent s'adresser les parties à un procès, qu'elles soient
des particuliers ou des gouvernements. Sa compétence comprend à la
fois le droit civil du Québec et la Common Law des autres provinces
et des territoires.
La Cour suprême a rendu, dans le passé, d'importants jugements sur
les questions linguistiques au Canada. Le Québec ne pouvait y
échapper, lui qui a légiféré beaucoup sur la langue. |
5.1
Le droit à la sécession d'une province
Ainsi, le 20 août 1998, la Cour suprême du Canada
avait rendu une décision importante sur le droit à la sécession d'une province
(«Renvoi relatif à la sécession du Québec»). Selon le plus haut
tribunal du pays, le Québec, par exemple, n'a pas le droit de
constitutionnel de déclarer unilatéralement sa souveraineté. Cependant, en
vertu de la démocratie et du fédéralisme, le reste du Canada serait
constitutionnellement obligé d'entamer des négociations avec le Québec en
vue d'apporter les modifications constitutionnelles nécessaires pour que le
Québec devienne souverain:
[...]
Le Québec ne pourrait, malgré un résultat
référendaire clair, invoquer un droit à l'autodétermination pour
dicter aux autres parties à la fédération les conditions d'un projet
de sécession. Le vote démocratique, quelle que soit l'ampleur de la
majorité, n'aurait en soi aucun effet juridique et ne pourrait
écarter les principes du fédéralisme et de la primauté du droit, les
droits de la personne et des minorités, non plus que le
fonctionnement de la démocratie dans les autres provinces ou dans
l'ensemble du Canada. Les droits démocratiques fondés sur la
Constitution ne peuvent être dissociés des obligations
constitutionnelles. La proposition inverse n'est pas acceptable non
plus: l'ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait pas
demeurer indifférent devant l'expression claire, par une majorité
claire de Québécois, de leur volonté de ne plus faire partie du
Canada. Les autres provinces et le gouvernement fédéral n'auraient
aucune raison valable de nier au gouvernement du Québec le droit de
chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la
population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps
que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits des
autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur
l'acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si
elle devait effectivement être réalisée. Il n'y aurait aucune
conclusion prédéterminée en droit sur quelque aspect que ce soit.
Les négociations devraient traiter des intérêts des autres
provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en fait, des
droits de tous les Canadiens à l'intérieur et à l'extérieur du
Québec, et plus particulièrement des droits des minorités.
[...]
Même s'il n'existe pas de droit de
sécession unilatérale en vertu de la Constitution ou du droit
international, cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration
inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de
facto. Le succès ultime d'une telle sécession dépendrait de sa
reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider
d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement
en considération la légalité et la légitimité de la sécession eu
égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada. Même si elle
était accordée, une telle reconnaissance ne fournirait toutefois
aucune justification rétroactive à l'acte de sécession, en vertu de
la Constitution ou du droit international.
|
Si, en cas de sécessions, le Québec ne
peut éviter les négociations, il en va de même pour le reste du Canada. Par
ailleurs, le principe du fédéralisme permet aux francophones de «promouvoir leur
langue et leur culture»:
Le principe du
fédéralisme facilite la poursuite d'objectifs collectifs par des
minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité
dans une province donnée. C'est le cas au Québec, où la majorité de
la population est francophone et qui possède une culture distincte.
Ce n'est pas le simple fruit du hasard. La réalité sociale et
démographique du Québec explique son existence comme entité
politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de
la création d'une structure fédérale pour l'union canadienne en
1867. Tant pour le Canada-Est que pour le Canada-Ouest, l'expérience
de l'Acte d'Union, 1840 (R.-U.), 3-4 Vict., ch. 35, avait été
insatisfaisante. La structure fédérale adoptée à l'époque de la
Confédération a permis aux Canadiens de langue française de former
la majorité numérique de la population de la province du Québec, et
d'exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables que conférait
la Loi constitutionnelle de 1867 de façon à promouvoir leur langue
et leur culture. Elle garantissait également une certaine
représentation au Parlement fédéral lui-même. |
À l'époque, la décision de la Cour
suprême fut accueillie avec satisfaction par le premier ministre du Québec
(Lucien Bouchard), qui considérait que la décision de la Cour «ajoutait a la
crédibilité du projet souverainiste».
Toutefois, la plupart des
Canadiens anglais des autres provinces éprouvèrent énormément de difficulté à
comprendre ce qui avait bien pu pousser d'aussi nombreux Québécois à prendre une
décision aussi «radicale». Après tout, non seulement le gouvernement fédéral
avait été dirigé depuis les années 1960 souvent par des Québécois
francophones, mais le bilinguisme officiel était devenu la norme dans toutes les
institutions fédérales, pas seulement à Ottawa, mais dans tout le pays. Or, les
Québécois étaient encore si mécontents qu'ils ont voulu quitter le Canada? Bref,
toutes les mesures, voire les concessions, prises par les divers gouvernements
fédéraux pour promouvoir l'unité canadienne n'avaient rien donné! D'où
l'éternelle question chez les Anglo-Canadiens: «What
does Québec want?» Comment satisfaire les demandes incessantes de cet
«enfant gâté» du Canada qu'est le Québec? En réalité, tout est une question de
point de vue. Pour la plupart des anglophones, les mêmes normes doivent
s'appliquer uniformément à toutes les provinces parce que le Canada est un pays
uni. Pour les Québécois, le Canada doit tenir compte du caractère distinct du
Québec.
5.2 L'épisode des écoles
passerelles
La Charte de la langue française
prévoyait que seuls les enfants dont l'un des parents a fréquenté l'école anglaise
au Canada pendant ses études primaires peuvent avoir accès à l'école anglaise. Par
conséquent, les immigrants et les francophones n'y ont pas droit. Toutefois, des
parents astucieux avaient trouvé un moyen de contourner la loi en envoyant leur
enfant dans une école entièrement privée (100 %) anglophone pour leur première
année. Ces enfants devenaient légalement des élèves canadiens qui
avaient reçu la majeure partie de leur instruction en anglais, ce qui leur
donnait le droit à l'école publique subventionnée en anglais, tout comme les
enfants anglophones. Au début, ce système ne touchait que quelques dizaines,
puis quelques centaines d'enfants. Ils n'avaient qu'à fréquenter une école
«spécialisée» à environ 10 000 $, 15 000 $ ou 20 000 $ par année et, de cette façon, ils
s'achetaient un droit constitutionnel linguistique pour les générations
suivantes. Avec les années, le phénomène a pris de l'ampleur: on dénombrait
quelque 2100 élèves non admissibles à l'école publique anglaise dans les EPNS («école
privée non subventionnée»).
En 2007, ils
étaient plus de 4000. Dans certains cas, les EPNS accueillaient les jeunes
élèves pour quelque mois, voire quelques semaines seulement. Ce système de
contournement a amené le gouvernement du Québec à modifier la Charte de la
langue française. Ainsi, les alinéas 2 et 3 de l'article 73 de la
Charte limitaient l'accès à l'enseignement en anglais subventionné par la
province:
Article 73
Peuvent recevoir
l'enseignement en anglais, à la demande de l'un de leurs parents,
1o les enfants
dont le père ou la mère est citoyen canadien et a reçu un
enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet
enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire
reçu au Canada;
2o les enfants
dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou
reçoivent un enseignement primaire ou secondaire en anglais au
Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet
enseignement constitue la majeure partie de l'enseignement primaire
ou secondaire reçu au Canada;
3o les enfants
dont le père et la mère ne sont pas citoyens canadiens mais dont
l'un d'eux a reçu un enseignement primaire en anglais au Québec,
pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de
l'enseignement primaire reçu au Québec;
|
6
Les états généraux sur la langue française
|
En 1998, le premier ministre du Québec,
Lucien Bouchard,
proposa à ses militants
péquistes la tenue d'«états généraux sur la
langue française». Il déclara à cette occasion: «C'est un devoir
particulier au Québec que de vérifier où nous en sommes par rapport à la
langue. Il est évident que les études existantes mentionnent que le milieu
francophone n'a pas la force d'attraction qu'il devrait avoir
par rapport aux immigrants et que l'avenir du français est hypothétique.» Lucien
Bouchard désirait réduire la «pression» au sein de
son parti et satisfaire les revendications de ses militants : par exemple, le
retour à l'unilinguisme français dans l'affichage et la fermeture du réseau
collégial anglophone aux francophones et aux allophones.
Sous
la présidence d'un ancien leader syndicaliste, Gérald Larose, la
Commission
des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue
française au Québec, formée de onze
membres, dont deux issus du milieu anglophone, reçut le mandat
suivant: |
1) préciser et analyser les plus importants
facteurs qui influencent la situation et l'avenir de la langue française au
Québec en fonction de l'évolution des principaux indicateurs, en particulier
celui du taux de transferts linguistiques, et à partir de consultations
publiques à travers le Québec;
2) procéder à l'examen d'une refonte globale
de la Charte de la langue française comprenant notamment les hypothèses
d'une révision des dispositions relatives à l'affichage public et de
l'extension de l'application du chapitre sur la langue d'enseignement
l'enseignement collégial;
3) dégager des perspectives et des priorités
d'action pour l'avenir de la langue française au Québec; présenter
des recommandations au gouvernement du Québec visant à assurer l'usage, le
rayonnement et la qualité de la langue française au Québec. |
La Commission
suggérait principalement de «constitutionnaliser» les principes fondamentaux
de la politique linguistique du Québec. Par «constitutionnaliser», on
entendait faire en sorte que ces principes bénéficiaient de droits
prépondérants sur les autres lois. Les commissaires se sont aussi attaqués à
ce qu'ils considéraient comme «la piètre qualité du français» dans les
écoles. Plusieurs de leurs recommandations visaient d'ailleurs à favoriser
une plus grande maîtrise du français, tant à l'écrit qu'à l'oral, chez les
jeunes. Pour y parvenir, ils suggéraient l'imposition d'un examen national
associé à l'octroi du permis d'enseignement, proposition qui avait laissé
tiède le ministre de l'Éducation. Les États généraux sur la situation et
l'avenir du français devaient servir de fondement et de référence à une
politique linguistique, mais il n'en fut rien.
6.1 Une approche
en douceur
Afin d'orienter la réflexion sur des sujets
précis, la commission a tenu, en janvier, février et mars 2001, un certain
nombre de journées thématiques sous forme de colloques publics durant lesquels
spécialistes et chercheurs ont partagé leurs opinions et leurs connaissances.
Le rapport fut remis au gouvernement de Bernard Landry (Lucien Bouchard ayant
démissionné en janvier 2001) en septembre 2001. À partir des recommandations
du rapport Larose, le gouvernement du Québec a pris position pour une approche en
douceur. Certaines recommandations,
assez controversées, comme la «constitutionnalisation» de la Charte de la
langue et la création d'une «citoyenneté québécoise», semblent avoir été
repoussées par Québec.
Au printemps de 2002, le gouvernement devait déposer une
série d'amendements à la Charte de la langue française dans le but de
fusionner en un seul «Conseil québécois de la langue française», les quatre
organismes créés par la loi de 1977 (l'Office, le Conseil de la langue
française et la Commission de protection de la langue française, de même que
la Commission de toponymie). En réalité, les décisions prises par Québec paraissent
sans aucune mesure avec les revendications des militants
péquistes de Montréal
en 1998 lorsque Lucien Bouchard avait songé aux états généraux sur la langue
française.
Dans la suite des modifications proposées par le rapport
Larose, le gouvernement Landry (2001-2003) opta pour une augmentation relativement
importante du temps consacré à l'apprentissage du français au secondaire. De
150 heures par année, les élèves du secondaire voyaient le temps
consacré à leur langue maternelle augmenter du tiers, soit à 200 heures. Le
ministre de l'Éducation a aussi indiqué que la maîtrise du français
deviendrait une condition obligatoire pour l'obtention d'un diplôme
universitaire. Les futurs enseignants, quelle que soit leur discipline, devront
réussir un examen de français. La commission Larose préconisait un examen
unique pour l'ensemble du Québec, mais le ministre de l'Éducation a convenu
que les universités pourraient y aller de leurs propres tests.
6.2 Une amélioration
de l'enseignement de l'anglais
Enfin, une autre
mesure importante découlant des états généraux sur la langue française
consistait en un meilleur enseignement de... l'anglais. Il est vrai que beaucoup
de parents francophones souhaitaient depuis longtemps une amélioration de
l'enseignement de l'anglais langue seconde. C'est pourquoi le ministère de
l'Éducation insistait auprès des commissions scolaires (appelées «conseils
scolaires» ailleurs au Canada dans les communautés francophones hors Québec) pour la
multiplication des programmes d'anglais intensifs en 5e et en 6e
années. Déjà, 9 % des écoles proposaient ces programmes dans lesquels
l'anglais occupait à lui seul quelques mois de l'année scolaire, les autres
matières étaient concentrées sur le reste de l'année. Enfin, un vieux problème
devait être réglé: colmater la brèche de la loi offrant possibilité pour les
parents francophones et allophones d'envoyer leurs enfants au réseau scolaire
anglophone en les inscrivant momentanément à l'école anglaise non
subventionnée.
En réalité, le gouvernement se contentait d'«ajustements» avec
comme toile de fond une ouverture des marchés commerciaux, ce qui ne pouvait
être prévue il y a 25 ans au moment de l'adoption de la Charte. Pour
l'ex-président de la commission Larose, il y a lieu de s'interroger sur le report des
propositions plus «structurantes» telles que la citoyenneté et l'introduction
dans la Charte des droits linguistiques: «Je comprends si le gouvernement
trouve ces positions délicates à l'approche d'une élection et que c'est
partie remise.»
Lors de l'élection du 14
avril 2003, Jean Charest, chef du Parti libéral, devint premier ministre du
Québec, ce qui mettait fin à neuf ans de règne
péquiste.
Il affirma détenir dorénavant un mandat pour réformer les soins de santé, geler
les frais de scolarité (universités), baisser les impôts, réduire les dépenses
et faire des réductions dans le rôle de l'État.
7.1
La
promotion des langues sous Charest (2004-2012)
Par la suite, le gouvernement de
Jean Charest
a
semblé poursuivre la politique du gouvernement précédent, c'est-à-dire ne pas
faire de vagues et ne pas toucher à la
Charte de la langue française. Au
Canada anglais, l'arrivée au pouvoir de Jean
Charest a été interprétée comme «la fin du problème québécois». C'était oublier que ce premier ministre restait, comme les autres avant lui, un
Québécois, quoique moins nationaliste.
Durant son premier mandat, le gouvernement Charest a
décidé d'introduire l'enseignement de l'anglais dès la première année du
primaire (au lieu de la quatrième) et il s'est contenté dès 2004 de réduire les
budgets alloués à la francisation des immigrants et à l'Office
québécois de la langue française. Devant le tollé de protestations de la part
des organisations communautaires, le gouvernement a réinjecté une partie des
sommes qui avaient été réduites. Le gouvernement Charest a aussi exprimé le
désir de mieux intégrer la population immigrante à la fonction publique
québécoise, en proposant un «objectif d'embauche»
de 25 % et un «objectif de représentativité» de 9 %. Malheureusement, il n'en fut
rien, sauf pour le seul ministère des Relations avec les citoyens et de
l'Immigration.
Le gouvernement de Jean Charest avait
également pris comme engagement de favoriser
la promotion de la langue française et de la culture québécoise dans le monde.
C'est pourquoi, sous la forte pression des gouvernements québécois, canadien et
français, l'UNESCO a adopté en octobre 2005 la Convention internationale sur la
diversité culturelle. Cette démarche s'inscrivait dans le cadre de la nécessité
de protéger de la
libéralisation des marchés la langue française et la culture québécoise. L'une
des caractéristiques des réalisations du gouvernement Charest en matière de
langue fut son refus systématique de modifier la Charte de la langue
française, de peur de ranimer l'opposition des anglophones et de briser la
«paix linguistique» au Québec. Devenu minoritaire en mars 2007, le gouvernement
a fait encore moins de vagues au cours de son second mandat. La question linguistique ne
fut jamais été une priorité pour le
gouvernement. D'ailleurs, au cours de ses neuf années au gouvernement, le Parti
libéral de Jean Charest a rejeté tout renforcement de la loi 101 (Charte de la langue
française). Il n'est intervenu législativement qu'à la suite d'un jugement
de la Cour suprême sur les «écoles passerelles».
Une fois redevenu majoritaire en 2008, le gouvernement
de
Jean Charest a fait adopter en 2010 par l'Assemblée nationale le projet de
loi 115 (Loi faisant suite aux
décisions judiciaires en matière de langue d'enseignement), loi qui
légalisait l'accès aux «écoles passerelles» servant de tremplin aux élèves
francophones et allophones lorsqu'ils souhaitaient accéder au réseau anglais des
écoles publiques. La loi 115 ne contient que les éléments du
projet de loi 103 qui
répondaient directement au jugement de la Cour suprême et qui devaient éviter
qu'un vide juridique ne soit créé à partir de la date butoir du 22 octobre 2010,
fixée par la Cour suprême du Canada. Cet accès au moyen des «écoles
passerelles» devrait certes être plus difficile, notamment en raison de la
complexité du processus.
En effet, la nouvelle loi 115 donnait une grande marge de
manœuvre aux fonctionnaires chargés de décider de l'admissibilité à l'école
anglaise des enfants ayant fréquenté une école non subventionnée. Les parents
qui espèrent contourner la Charte de la langue française
par ce moyen devront
dorénavant envoyer leurs enfants dans un établissement d'enseignement non
subventionné durant trois ans, sans avoir la certitude que, en bout de ligne,
leur requête sera acceptée. Néanmoins, le gouvernement s'est trouvé à légaliser
les «écoles passerelles» qui permet d'accéder à une scolarisation gratuite en
anglais, fut-ce au prix d'un séjour initial dans un établissement anglophone
privé.
7.2
Le bref gouvernement
de Pauline Marois (2012-2014)
En septembre 2012, le Québec se donnait
un nouveau gouvernement péquiste
avec Pauline Marois comme première
ministre, mais à la tête d'un gouvernement minoritaire. Dès les semaines qui ont
suivi, les nouveaux ministres se sont lancés dans une série de déclarations
fracassantes en matière de langue, le
Parti québécois étant réputé pour sa propension à la législation
linguistique : modifications majeures à la Charte de la langue française,
applications de la loi 101 dans les garderies et les collèges (cégeps), restrictions dans l'enseignement de
l'anglais au primaire, francisation des petites entreprises, interdiction des
écoles passerelles, restrictions d'accès dans les écoles privées, révision des
ententes permettant à certaines grandes entreprises d'utiliser l'anglais comme
langue de travail. Sans tenir
compte de sa situation de minoritaire, le gouvernement a semblé charger avec ses
engagements électoraux en allant vite et loin, favorisant ainsi un
climat d'insécurité et d'affrontement. C'est comme si le gouvernement n'avait
pas encore réussi à sortir de son rôle d'opposition, alors que les députés
péquistes étaient habitués à des déclarations
fracassantes, et non à des efforts destinés à rassembler et mener à bien ses
projets.
- Un autre projet de
loi modifiant la Charte de la langue française
En décembre 2012, la première ministre du Québec, Pauline
Marois, a présenté à l'Assemblée nationale le projet de loi no 14 modifiant
considérablement la Charte de la langue française:
Loi modifiant la Charte de la langue
française, la Charte des droits et libertés de la personne et d'autres
dispositions législatives. Il s'agissait d'un projet de réforme en
profondeur de la loi 101 de 1977, une réforme qu'ont toujours refusé de faire
les gouvernements précédents. Selon le gouvernement de Pauline Marois, la
Charte
de la langue française avait alors trente-cinq ans et elle n'avait pas nécessairement évolué
au même rythme que la société québécoise. Il y aurait eu des années de progrès
marqué du français, mais depuis une quinzaine d'années un glissement du français
semble avoir été observé, notamment à Montréal. C'est pourquoi le gouvernement
s'est dit dans l'obligation d'agir et de modifier la
Charte de la langue française. Étant donné que le projet de loi 14
était issu d'un
gouvernement minoritaire, il laissait de côté des éléments jugés controversés pour
adopter une certaine dose de réalisme. Ainsi, il n'était pas question de conserver
des dispositions qui, à l'évidence, se heurteraient à un refus des partis de l'opposition.
Le projet de loi 14 introduisait de nouvelles mesures concernant la protection et
la valorisation du français par l'Administration, les entreprises, les
municipalités, les universités et les collèges. Le projet de loi avait aussi pour
objectif de renforcer l'apprentissage du français chez les étudiants et de
dissuader les contournements des mesures prévues par cette charte en matière de
langue d'enseignement. Le projet actualisait les dispositions encadrant les
pouvoirs d'inspection ainsi que d'autres dispositions devenues désuètes ou
inadaptées. Il apportait de nouvelles dispositions concernant les services de
garde et l'immigration. Enfin, le projet de loi modifiait la Charte des droits
et libertés de la personne pour y consacrer de nouveaux droits en matière
linguistique.
Évidemment,
l'opposition des anglophones au projet de loi était
prévisible, notamment au sujet du statut «bilingue» des
municipalités. Cependant, si la présentation du projet de loi 14 a
laissé la population francophone dans l'indifférence
générale, plusieurs représentants de la
société québécoise se sont élevés
contre ce qu'ils estimaient excessif, parce
qu'une telle loi étoufferait les petites entreprises sous le poids
de règlements abusifs. Parmi les critiques les plus
sévères de ce projet de loi, citons le Barreau du
Québec, la Commission des droits de la personne, la
Fédération des cégeps, les associations représentant les
gens d'affaires, etc. Cependant, ce projet de loi n'avait
aucune chance d'être adopté par l'Assemblée nationale, en raison de la forte majorité
des partis d'opposition. En effet, ceux-ci étaient en mesure d'amener le gouvernement
non seulement à modifier son
projet de loi, mais aussi à le lui faire abandonner en bonne et due forme. Le
Parti libéral
(PLQ), pour sa part, avait annoncé son intention de voter contre le projet de loi «pour des raisons de
principe» : il croyait que ce ne sont pas des mesures coercitives qui feraient
faire progresser la langue française au Québec. Dès lors, tout reposait
entre les mains de la Coalition Avenir Québec (CAQ) qui soulevait des objections,
dont les mesures qui réservant l'accès aux collèges (cégeps) anglais en priorité
aux anglophones, les pouvoirs d'enquête étendus donnés au cabinet de la ministre
responsable de la Charte et la notion de «communautés culturelles» remplaçant
celle de «minorités ethniques»; la CAQ voulait réduire le projet de loi, article
par article. Devant ces difficultés, le gouvernement de Pauline Marois a
simplement laisser le projet de loi mourir de lui-même, car il n'y avait pas
suffisamment de députés pour en assurer l'adoption. Quoi qu'il en soit, les
élections d'avril 2014 ont chassé le Parti québécois du pouvoir après seulement
dix-huit mois. Le projet de loi est mort-né.
-
La controverse aux États-Unis
De plus, le projet de loi a
aussi suscité
la controverse aux États-Unis, comme en témoigne l'article paru dans le
Time Magazine du 8 avril 2013 (voir
le document en version anglaise originale et en traduction). Ce n'est
certes pas la première fois qu'un(e) journaliste américain(e) critique la
politique linguistique du Québec, comme celle de la France. Comme à l'habitude, on a interrogé uniquement
des anglophones ou des allophones, donc un seul point de vue, tout simplement
parce que la journaliste ignorait le
français. La journaliste, Hillary Brenhouse, a préféré se rabattre sur quelques anglophones, trois ou quatre
suffisant amplement. Pour les Américains, toute politique destinée à protéger
une langue nationale est ridicule... sauf s'il s'agit de
l'anglais dans leur pays!
7.3
La
politique de non-intervention sous Philippe Couillard (2014-2018)
Au moment de l'élection du 7 avril 2014
et de l'arrivée au pouvoir de Philippe
Couillard, le 23 avril, si l'on ignorait ce que ferait le
gouvernement de Philippe Couillard en matière de langue, on pouvait savoir ce qu'il ne
ferait pas.
- Les approches
anglophiles
Philippe Couillard était un francophone de
souche, anglophile et peu porté sur la défense de la langue française.
Pour lui, le fait de défendre le français apparaissait comme un réflexe de colonisé.
Il ne comprenait manifestement pas que c'était lui le colonisé, parce qu'il
avait peur de froisser la minorité anglophone et la majorité anglo-canadienne, et qu'il lui apparaissait
préférable de ne pas intervenir en faveur du français. Sauf que le Québec n'est
pas les États-Unis d'Amérique, lesquels peuvent se passer de lois linguistiques
parce que leur langue exerce un rôle hégémonique non seulement sur le contient,
mais aussi dans le monde entier.
Déjà
durant son mandat comme ministre de la Santé, M. Couillard avait donné un statut bilingue au dernier hôpital francophone
dans l'ouest de l'île de Montréal, alors qu'il s'était engagé à faire le
contraire.
Dans un débat télévisé lors de la
campagne électorale de 2014, il avait affirmé que tous les employés d'une chaîne de
montage devraient être de parfaits bilingues pour qu'ils puissent expliquer
leurs appareils aux acheteurs éventuels venus des États-Unis, de la
Grande-Bretagne ou de l'Australie. Pour lui, tous les travailleurs du Québec
devraient être bilingues pour assurer leur avenir, ce qui relèguerait le
français à l'arrière-plan. Sur les bulletins de vote du
7 avril 2014, un seul parti politique parmi tous les partis inscrits s'affichait
bilingue: «Parti libéral du Québec/Liberal Party of Quebec». Lors de la
cérémonie d'assermentation du nouveau gouvernement, certains francophones ont
pris la parole en anglais. Normalement, on se serait attendu à ce que les
députés francophones s'expriment en français; les députés anglophones, en anglais.
Tous avaient oublié que la langue officielle du Québec était le français!
- Une insensibilité
chronique au français
En novembre 2014, le premier ministre
Philippe
Couillard s'est attiré des critiques pour avoir complètement ignoré le
français dans une allocution à la conférence "Arctic Circle" à Reykjavik en
Islande. En tant que premier ministre du Québec, Philippe Couillard ne
voyait pas de mal à s'exprimer exclusivement en anglais dans des forums
internationaux. Il s'est justifié de s'exprimer uniquement en anglais en Islande
parce qu'il n'y avait pas de service de traduction simultanée pour accommoder
l'auditoire, mais il n'avait même pas prévenu le gouvernement islandais pour ce faire.
En mai 2016, Philippe Couillard déplorait que le réseau d’éducation francophone
était à la traîne en matière de réussite scolaire; il proposait d'imiter le
réseau anglophone qui fait beaucoup mieux, selon lui. Le chef libéral a souligné
que les commissions scolaires (ou conseils scolaires ailleurs au Canada) de langue anglaise affichaient un taux d'obtention
de diplôme au secondaire de 85 %, alors que les commissions scolaires
francophones, sauf exceptions, atteignaient des résultats moindres. Bien que le
fondement de cette affirmation soit vraie, ce n'est pas très diplomatique pour
une premier ministre du Québec de demander aux Québécois d'imiter les
anglophones, ce qui démontrait une insensibilité chronique en la matière et une
anglophilie un peu déplacée dans les circonstances.
De plus, en juillet 2016 alors qu'il était à Munich en mission officielle,
Philippe Couillard rédigeait un message en anglais dans le livre d'or de
l'entreprise Siemens, qui consignait le passage de toutes les personnalités. Le
message qu'il a laissé à la postérité était en anglais. Il a encore dû encore se
justifier de son anglophilie.
En août 2017, à la suite d'un débat à
Sherbrooke (en Estrie) où des jeunes libéraux avaient refusé d'affaiblir la loi 101
(Charte de la langue française), Philippe
Couillard avait jugé nécessaire de rassurer les anglophones du Québec. Lorsqu'il
s'agit de défendre une loi qui a toujours fait consensus au Québec, il faudrait
dorénavant s'excuser de protéger la langue française, alors qu'elle est parlée
par 2 % des Nord-Américains. Pour le Parti libéral de Philippe Couillard, il n'y
aura jamais de seuil assez inquiétant pour se préoccuper de l'avenir des
Québécois francophones. De toute façon, pour lui le Québec était perçu de
facto comme bilingue.
Ces quelques faits, et il y en a eu
plusieurs autres, parce qu'ils se sont accumulés, révélaient un réflexe
d'une personne totalement assimilée culturellement. Que ce soit par étourderie, par oubli ou par réflexe
automatique, une telle attitude de la part d'un premier ministre du Québec
laissait songeur, car cela signifiait que l'affirmation du français, langue
officielle du Québec, ne constituait que des mots, donc des considérations négligeables. Philippe Couillard a
développé une vision «jovialiste» de la langue française qui consiste à engourdir
les francophones du Québec dans un confort illusoire, tellement il craint les
projections négatives de ses opposants.
- La politique d'évitement
Le premier ministre
Couillard semblait
préférer nier
tout déclin du français à Montréal, pourtant mesuré par plusieurs études, qu'il
s'agisse du nombre de francophones vivant dans l'Île-de-Montréal (48,7 %), comme
de l'usage prédominant du français au travail (32,1 %). La force d'attraction de
l'anglais demeurait cinq fois supérieure, toute proportion gardée, à celle du français,
là où se concentrait la grande majorité des nouveaux arrivants (plus de 50 000 par
année) et des allophones. De plus, le pourcentage de ces employés travaillant
généralement en français était passé de 45,3 % en 1989, à 41,0 % en 1997, puis à
32,1 % en 2010.
Évidemment, le fait de laisser croire à la population que le français se portait
bien à Montréal évitait d'intervenir sur une question aussi délicate que
controversée. Pourtant,
selon les projections des démographes, la proportion des francophones de l'Île-de-Montréal passerait de 52,4
% (recensement de 2006) à 47,4 % en 2031, puis à seulement 42,3 % en 2056, ce qui constituait une baisse considérable
pour une communauté linguistique dont la mission est, entre autres, d'intégrer les nouveaux
immigrants.
Les études publiées par l'Office québécois de la langue française
(OQLF) démontraient également que Montréal ne serait plus la seule région à compter de
moins en moins de francophones, mais la banlieue nord et la banlieue sud également. Pour M. Couillard, le seul fait de
parler de «menace» au sujet du français relevait d'une mentalité de colonisés
propre au
Parti québécois,
toujours prêt, lui, à légiférer sur la question linguistique.
Cette attitude s'expliquait aisément: profitant du vote captif des anglophones,
voire des allophones, il ne saurait être question pour le premier ministre
d'admettre que le français pouvait reculer au Québec. C'est pourquoi il a déclaré
à l'Assemblée nationale, le 14 mai 2017: «Alors, ça va bien, le français, au
Québec et au Canada. Les gens sont en sécurité. Ils se sentent confiants.»
Pendant ce temps, l'anglicisation gagnait non seulement le marché du travail, mais
aussi la jeune génération des francophones et les immigrants. De plus, le
gouvernement québécois disait s'inquiéter du sort de la minorité anglophone à
l'extérieur de Montréal, c'est-à-dire les petites communautés isolées à travers
le Québec (Côte-Nord, Gaspésie, Îles-de-la-Madeleine, Estrie). Il ne lui restait plus qu'à accuser la majorité francophone
d'assimiler les anglophones!
Or, la baisse du nombre des locuteurs de l'anglais
dans les régions éloignées n'était pas due à l'assimilation, donc au transfert
linguistique tel qu'il était vécu par des milliers de francophones au Canada
anglais, mais à la dénatalité, à l'exode rural et au vieillissement de la
population anglophone. Ainsi, ce n'est pas l'anglais qui était
menacé, mais les petites communautés elles-mêmes.
En somme, comme un peu partout
dans le monde, la
protection juridique ne peut supprimer tous les inconvénients liés à la
condition minoritaire, notamment les trop petites minorités dispersées au plan
géographique. Néanmoins, cette sollicitude à l'égard de la
minorité anglophone paraissait suspecte, car elle contrastait considérablement avec
cette sérénité que le gouvernement manifestait quand il était question du français.
-
Les commissions scolaires et la volte-face devant les demandes des anglophones
Lors de la campagne
électorale de 2014, Philippe
Couillard avait promis d'abolir les commissions
scolaires (ou «conseils scolaires»). Il existait 72 commissions scolaires au Québec :
60 francophones, 9 anglophones et 3 à statut particulier (Kativik, Littoral
et Baie-James). Les commissions scolaires étaient principalement chargées
d'organiser les services pédagogiques dans les écoles primaires et secondaires,
les centres d'éducation des adultes et les centres de formation professionnelle
des territoires qu'elles desservaient. De plus, on y trouvait des services appelés
«complémentaires», tels l'orientation, les services sociaux et les services de
santé, l'orthophonie, l'orthopédagogie, etc., ainsi que les services
«particuliers» à certaines clientèles, comme les classes d'accueil pour les
enfants immigrants. La volonté du nouveau gouvernement libéral d'abolir les
élections scolaires était motivée par la très faible participation de la
population: en 2014, seuls 4,86 % des Québécois aptes à voter s'étaient exprimés.
Et encore, ce taux avait été tiré à la hausse par celui de la communauté anglophone,
qui avait été de 17,23 %. Donc, les élections scolaires laissaient les Québécois
francophones totalement indifférents.
Toutefois, devant
l'opposition des communautés anglophones (l'électorat assuré au Parti libéral),
ainsi que de certaines régions du Québec, à l'abolition des élections scolaires,
le premier ministre s'est dit soudainement «en réflexion».
Il a alors déclaré au journal La Presse en avril 2016: «On a entendu les
représentations et les soucis de la communauté de langue anglaise au Québec, qui
voit dans son réseau scolaire comme un facteur d'identité absolument essentiel.»
Du coup, il ne fut plus question d'abolir les commissions scolaires! Ainsi, non seulement
le Québec conserverait les commission scolaires, mais également les élections scolaires.
On peut
croire aussi que les commissions scolaires constituaient un excellent pare-feu,
très utile pour un gouvernement. Si celui-ci les abolissait, il ne pourrait plus
blâmer qui que ce soit en matière d'éducation. Il demeurerait l'unique
responsable des problèmes! En ce sens, les commissions scolaires demeuraient
un bon alibi.
-
La résistance des multinationales
|
Deux jours après le
scrutin du 7 avril 2014, la Cour supérieure du Québec donnait raison à des
multinationales du commerce contre l'Office québécois de la langue française (OQLF).
L'organisme voulait imposer à certaines de ces entreprises l'ajout d'un
générique en français sur leurs enseignes commerciales : Best Buy, Curves,
Costco, Wall-Mart, Old Navy, Guess, Toy «R» Us, Home Depot, BulkBarn, etc.). L'OQLF avait
menacé ces entreprises, au nombre de 215 au Québec, de révoquer leurs
certificats de francisation et d'imposer des sanctions importantes.
Les
entreprises concernées avaient plaidé qu'elles respectaient les lois
linguistiques (Charte de la langue française,
1977) dans leur état actuel, laissant entendre que l'OQLF en présentait
une interprétation différente. On estimait que 20% des entreprises au Québec
avaient
une marque de commerce unilingue anglaise. |
Or, la voie judiciaire choisie par l'OQLF était vouée à
l'échec du fait que l'organisme avait toujours avalisé cette pratique avant de
changer son interprétation en la matière. De fait, durant une trentaine d'années
(de 1974 à 2010), l'OQLF
avait accepté que les marques de commerce n'ayant qu'une version anglaise
puissent être affichées telles quelles, sans l'ajout d'un générique français. À
partir de 2010, à la suite notamment des plaintes reçues de la part des citoyens concernant l'affichage
public et commercial, l'OQLF a commencé à donner une interprétation différente
aux dispositions de la Charte de la langue française. Elle s'est mise à
considérer que l'affichage d'une marque, sur la devanture d'un commerce,
constituait l'emploi d'un nom d'entreprise et nécessitait alors l'ajout d'un
générique en langue française.
Selon la Cour d'appel
du Québec, il revenait au législateur
québécois d'imposer, par la voie législative au besoin, les solutions qu'il juge
adéquate. Et ce choix relève du pourvoir politique et non du pouvoir judiciaire. En
avril 2015, cinq juges de la Cour d'appel avaient débouté le
gouvernement québécois qui voulait voir invalider un verdict de la Cour
supérieure d'avril 2014. La Cour d'appel maintenait la décision qui avait conclu
que la
Charte de la langue française
(1977) n'autorisait pas l'Office québécois
de la langue française à imposer le recours à un terme descriptif en français à
des détaillants dont la marque de commerce est exclusivement en anglais. Les
multinationales qui ont eu gain de cause sont les suivantes: Walmart, Costco,
Best Buy, Curves, Guess, Gap, Old Navy et Toys «R» Us. Bref, le tribunal a
estimé que les marques de commerce en anglais ne contrevenaient pas à la loi,
car elle n'autorisait pas à imposer un descriptif (générique) en français:
Restaurant, Café, Bistro, Magasin, Supercentre, Quincaillerie, etc.
Le débat autour des raisons sociales anglaises perdure depuis des décennies; il est
venu hanter épisodiquement tous les gouvernements qui se sont succédé à Québec.
Il
n'en demeure pas moins que
l'omniprésence de grandes marques de langue anglaise indispose
beaucoup de Québécois et présente un visage linguistique ambigu du Québec, non
seulement à Montréal.
Cependant, tous les gouvernements ont eu peur d'attaquer le problème de front afin de ne pas briser la «paix
linguistique» avec comme résultat que la question n'est toujours pas réglée et
que les marques de commerce en anglais se sont multipliées au fil des ans pour
devenir omniprésentes.
-
La prétendue « souplesse » du gouvernement Couillard
En commentant le
verdict des tribunaux, Philippe
Couillard, qui s'est toujours opposé à ce qu'on
renforce la
Charte de la langue française de 1977, espérait que les entreprises agissent de façon
volontaire. Il a affirmé regretter que les détaillants «fautifs»
n'aient pas eu «la politesse élémentaire», vis-à-vis de leur clientèle,
d'indiquer un petit rappel de leur connaissance de la réalité française du
Québec : «J'aurais souhaité que toutes les entreprises le fassent
volontairement. Il y en a un très petit nombre qui le ne font pas, alors on est
en fin d'analyse.» M. Couillard ne pouvait comprendre que l'autorégulation librement consentie par les
entreprises privées ne pouvait pas donner des résultats probants en matière de protection
linguistique. C'était méconnaître totalement les mesures de protection dans
lesquelles le libre choix ne peut être une option. En aménagement linguistique,
il faut le bâton et la carotte!
Le gouvernement a assuré à plusieurs reprises qu'il ferait preuve d'une «certaine
souplesse dans les possibilités» avec les grandes compagnies et les petits
commerces. Il n'y aurait aucune mesure de contrainte ni de surveillance, ni de
dispositions pénales en cas de non-respect de la réglementation. Bref, rien pour faire
peur à qui que ce soit, et ce, d'autant plus que les marques de commerce sont de
compétence fédérale (cf. la
Loi sur les marques de commerce! Étant
donné que la
Charte de la langue française
de 1977 était perçue comme une
boîte de Pandore qui ne profiterait qu'à l'opposition
péquiste, il ne fallait pas
s'attendre à ce que le gouvernement libéral de M. Couillard ait l'intention de rouvrir
cette loi.
Le gouvernement québécois considéré comme pro-anglais se trouvait devant les choix suivants:
1) Modifier
la Charte de la langue française pour imposer un descriptif en français;
2) Ne pas modifier la loi et ne pas intervenir;
3) Changer la réglementation sans imposer un descriptif en français.
Comme il fallait s'y
attendre, la non-intervention et la modification de la Charte paraissaient
toutes deux trop risquées pour ce gouvernement. Il jugea préférable de
changer plutôt la réglementation de l'article 25 du
Règlement sur la langue du commerce et des affaires
(2006), sans même oser imposer un descriptif en français. D'après le nouveau règlement (voir
le document de 2016), annoncé par la ministre responsable de la Protection et de la
Promotion de la langue française doit exiger la présence de mots en français,
non pas un descriptif, mais juste des mots quelque part, qu'il s'agisse d'un slogan reflétant leurs activités, de l'annonce de leurs
produits offerts ou d'un descriptif, tout en respectant les marques de commerce
en anglais, protégées par une loi fédérale (voir
le document de 1985) qui d'ailleurs ne traite pas de cette question. Les
critères d'affichage du règlement de 2016 sont les suivants:
Article 25.1.
Lorsqu'une marque de commerce est affichée à l'extérieur d'un
immeuble uniquement
dans une autre langue que le français
en application du paragraphe 4 de l'article 25, une
présence suffisante du français
doit aussi être assurée
sur les lieux, en conformité avec les dispositions du présent
règlement.
Aux fins du premier
alinéa, la présence du français fait référence à l'affichage :
1° d'un générique
ou d'un descriptif des produits ou des services visés;
2° d'un slogan;
3° de tout autre terme ou mention, en privilégiant l'affichage
d'information portant sur les produits ou les services au
bénéfice des consommateurs ou des personnes qui fréquentent les
lieux.
|
La
réglementation prévoyait ainsi un nouveau concept: la «présence suffisante du
français», l'objectif étant d'augmenter la visibilité du français dans l'affichage
commercial. Les commerces existants auraient trois ans pour se conformer, tandis
que les nouveaux devraient le faire dès leur ouverture. Cette présence du
français peut donc être assurée de l'une des trois manières mentionnées dans le
texte:
1. un
générique ou un descriptif des produits ou des services visés;
2. un slogan en français; ou
3. tout autre terme ou toute autre mention privilégiant l'affichage
d'information portant sur les produits ou les services au bénéfice des
consommateurs ou des personnes qui fréquentent les lieux.
Le
Règlement exige en outre que
les génériques, les slogans et les autres descriptifs français soient visibles en
permanence et qu'ils apparaissent dans le même champ visuel que celui de
l'affichage de la marque dans une autre langue que le français. Celui-ci doit
avoir une visibilité permanente —
l'affichage en français ne doit pas être facilement enlevé ou arraché en raison
des matériaux ou des conditions suivant lesquelles il est fixé —,
similaire à celle de la marque de commerce affichée, et doit aussi être lisible
dans le même champ visuel que celui qui est principalement visé par l'affichage
de la marque de commerce.
Pour
apprécier si le contenu en langue française a une « présence suffisante », les
modifications proposées prévoyaient que l'endroit d'où l'affichage serait vu
devait constituer un facteur pertinent. Par exemple, dans le cas d'un endroit situé
dans une rue longée de trottoir, l'affichage sera apprécié de la perspective
d'un individu se tenant sur le trottoir. En revanche, dans le cas d'un affichage
visible d'une autoroute, le contenu en langue française devait être suffisamment
lisible de l'autoroute.
- Une attitude timorée
Dans les
faits, le gouvernement Couillard s'est montré très timoré dans son devoir de
protéger le français au Québec, comme ce fut le cas de 1867 à 1969. La modification
réglementaire annoncée en mai 2016 laissait une grande marge discrétionnaire aux
entreprises; elle accordait à des compagnies multinationales le soin de franciser
leur affichage comme il leur plaisait, alors qu'elles étaient manifestement peu
enclines à respecter la langue nationale ou officielle des pays où elles font affaire.
Ce règlement pourrait même créer deux
catégories de commerce. D'une part, il y aurait les «grandes» corporations,
c'est-à-dire des multinationales qui présentent une marque unilingue anglaise et
qui pourraient se soustraire à l'exigence de la «nette prédominance du français»
en échange d'une «présence suffisante» du français. D'autre part, il y aurait
les «petits» commerçants, généralement des entreprises locales, qui n'ont pas de
marque de commerce anglaise et qui devront se soumettre à la règle de la
«nette prédominance du français».
L'ajout d'un descriptif en français devait
demeurer un vœux pieux, car les grandes chaînes ont toujours refusé d'ajouter un
descriptif en français, il était possible que le nouveau règlement ouvre une
nouvelle vague de contestations judiciaires, dans la mesure où l'ajout d'un
générique, d'un slogan ou de tout autre terme français pourrait constituer une
altération à la marque de commerce enregistrée. De plus, la question des mots
inventés, les néologismes, n'était pas prévue; elle pouvait laisser une autre
marge d'interprétation, ce qui constituerait une voie d'évitement.
Manifestement, le gouvernement accouchait d'un règlement molasse et
irrespectueux pour la majorité francophone du Québec, mais il n'y avait
apparemment pas péril en la demeure. Il ne paraissait donc pas
nécessaire de demander à des entreprises étrangères d'assurer le respect de la
langue de la majorité à la place des gens du pays.
-
La langue: un épine perpétuelle au pied du gouvernement
Sur la question linguistique,
Philippe
Couillard devait constamment ménager la chèvre
et le choux, c'est-à-dire les francophones, puis les anglophones et les
allophones, ces deux dernières communautés appuyant indéfectiblement son parti.
Lors de la campagne électorale de 2014, avec 41,5 % des voix exprimées, dont
celles de seulement 29 % des francophones, mais de 93 % des non-francophones, le
Parti libéral est redevenu majoritaire à l'Assemblée nationale. Autrement dit,
71 % des francophones du Québec ont perdu leurs élections en 2014, mais 93 % des
non-francophones les ont gagnées. Le gouvernement libéral de Philippe Couillard n'avait l'appui que
d'un francophone sur quatre. Il s'agissait d'une situation exceptionnelle. En effet,
comment un parti répudié par près des trois quarts des électeurs du groupe
linguistique majoritaire peut-il rester au pouvoir? C'est simple: il pouvait compter sur
la quasi-totalité des électeurs des groupes linguistiques minoritaires. Le Parti
libéral de Philippe Couillard savait où se situait son intérêt. Fortement impopulaire
auprès des francophones depuis près de dix ans, il devait notamment ses victoires
électorales aux quelques poches anglophones et allophones qui existaient dans
certaines régions.
Philippe Couillard
semblait ignorer que
28 États américains n'ont pas
hésité à légiférer pour protéger l'anglais dans leur État, alors que cette
langue n'est pourtant nullement menacée aux États-Unis. Contrairement au
Québec, la plupart des électeurs américains vont toujours appuyer leur
gouvernement local d'intervenir pour protéger la langue de la majorité. S'il
faut parfois
avoir le courage d'intervenir, il n'est pas certain que Philippe Couillard
aurait eu un telle attitude pour ce genre de cause, sauf en cas de crise politique majeure.
Pour le Parti
libéral de Philippe Couillard, le dossier linguistique est toujours demeuré un sujet litigieux
et difficile, une épine au pied. Rien ne laissait croire
que ce premier ministre pouvait rompre avec la non-intervention législative pour revenir à une attitude
plus protectionniste, comme l'était l'ancien premier ministre libéral
Robert
Bourassa. Ce dernier croyait que tout premier ministre du Québec devait être
le premier défenseur du français au Québec. Ce n'est certainement pas le cas
avec Philippe Couillard dont l'attitude était sans nul doute d'intervenir le moins
possible sur une question qui semblait le laisser totalement froid, sinon
l'importuner terriblement. La non-intervention devait être la caractéristique du
gouvernement de Philippe Couillard en matière de langue. Il allait le payer cher
aux élections suivantes!
- L'échec de la
francisation des immigrants
La francisation des immigrants au Québec
était un échec, selon la vérificatrice générale du Québec dans un rapport rendu
public en 2017. Seulement le tiers des immigrants auxquels est destinée la
procédure de francisation s'étaient inscrits aux cours offerts par le ministère de
l'Immigration, entre 2010 et 2013. De plus, plusieurs s'inscrivaient au cours,
mais abandonnaient en chemin, sans qu'aucun suivi ne soit effectué par le
Ministère.
Un constat encore plus troublant: plus de
90% de ceux qui complétaient le cours de francisation étaient incapables de
fonctionner dans la vie quotidienne en français. Selon les données de 2015, pour ce qui est
de l'expression orale, seulement 9% avaient atteint le «seuil d'autonomie
langagière» fixé par le Ministère. À l'écrit, c'était encore pire : 3,7% avaient
passé le test en «compréhension écrite» et 5,3% en «production écrite». Le
«seuil d'autonomie langagière» est le seuil minimal de maîtrise du français
déterminé pour accéder au monde du travail ou entreprendre des études
postsecondaires, selon l'évaluation faite par le Ministère.
Dans son rapport annuel 2017-2018 déposé à
l'Assemblée nationale, la vérificatrice générale notait que, malgré une
performance fort discutable, le Ministère n'avait procédé à aucune évaluation de son
programme de francisation au fil des ans. Entre 2010 et 2016, quelque 100 000
immigrants se s'étaient installés au Québec sans connaître un mot de français, mais
en s'engageant à l'apprendre.
Le premier ministre du Québec, Philippe
Couillard, fut contraint d'admettre que l'échec de la francisation, c'était
l'échec de son gouvernement. Il a promis de faire mieux.
-
La question de l'identité nationale
Dans le contexte nord-américain, la capacité d'attraction de la langue anglaise
est plus forte que celle de la langue française. La défense de
l'identité linguistique au Québec est un combat toujours constant pour la préservation
des générations futures. La défense de la langue française devrait être une
question préoccupante non seulement pour les Québécois, mais aussi pour tous les
gouvernements provinciaux et même pour le gouvernement fédéral. Les Québécois ont
peur de disparaître ou ont peur de perdre leur identité avec des immigrants anglophiles
ou assimilables.
Si le gouvernement du Québec ne comprend pas lui-même le problème, qui le fera?
Or, les Québécois ont élu un gouvernement
dirigé par un premier ministre réfractaire à toute notion identitaire
québécoise. Le premier ministre Couillard semblait totalement étranger à la
sensibilité populaire québécoise sur cette question. Il paraissait davantage fasciné par les élites financières que sa
fonction permettait de fréquenter, que ce soit à Davos (Suisse) ou ailleurs. Dans cette
perspective, Philippe Couillard apparaissait plutôt comme le défenseur des médecins
et des multimillionnaires. À
ses opposants politiques, le premier ministre les accusait d'agiter soit «le
chiffon identitaire», soit «le chiffon linguistique». Pour lui, tous ceux qui ne
partageaient pas son multiculturalisme sans limites étaient des intolérants et des
«crypto-racistes». Ainsi, le premier ministre a accusé la
Coalition Avenir
Québec (CAQ) de «souffler sur les braises de l’intolérance» parce que ce parti
remettait en question l'accueil d'immigrants supplémentaires au Québec.
Philippe Couillard et son gouvernement
furent souvent accusés de défendre mollement la place du français au Québec. Au
cours de l'année 2017, le gouvernement se voulut plus «proactif» en matière de
francisation des immigrants. Il rappela qu'il avait procédé à des
«investissements historiques» de 170 millions de dollars en francisation en
2016-2017, auxquels s'ajouteraient les 104,5 millions sur cinq ans prévus dans
le budget. Le poids démographique des francophones étant en baisse, il fallait
éviter de tergiverser pendant des années pour faire les ajustements nécessaires.
Mais le premier ministre n'oubliait jamais les anglophones, sa base électorale
inamovible. Lors de son remaniement ministériel d'octobre 2017, il créa un
Secrétariat aux affaires anglophones et nomma une ministre responsable des
Relations avec les Québécois de langue anglaise. Philippe Couillard avait sans doute
senti que la loyauté de son électorat anglophone était «désormais à risque» et
qu'il fallait faire quelque chose pour le récupérer.
- Les accusations de
racisme et de xénophobie
Quoi qu'il en soit, le malaise de la
population francophone face à l'immigration et à l'identité était réel; elle
méritait mieux que les accusations à peine voilées de racisme et de xénophobie de
la part d'un premier ministre qui voyait les sensibilités nationalistes comme des
sources de xénophobie et de racisme. Ce que le
premier ministre semblait ignorer, c'est que, lorsqu'on culpabilise et diabolise
l'inquiétude populaire, on favorise forcément l'émergence de l'extrême droite.
Il appartiendrait plutôt à tout premier ministre du Québec de calmer le jeu et de répondre aux
questions, même maladroites, et aux inquiétudes, même non fondées, plutôt que de
laisser entendre que le Québec sombre dans la xénophobie. Il fallait rassurer les gens qui
avaient peur et non seulement leur dire qu'ils avaient tort
d'avoir peur. Ce serait aujourd'hui devenu «politiquement correct» de faire
passer la défense du français pour de la discrimination dans une société marquée
par un individualisme et un multiculturalisme à tout crin. Dans cette
perspective,
on peut au moins douter que les Québécois aient encore
collectivement cette volonté de vivre en français, surtout à Montréal.
Quoi qu'il en soit, la
plus grande faiblesse du premier ministre Couillard résidait dans son rôle de
«défenseur du français» et de la «réalité culturelle» unique du Québec; il s'est révélé
le moins nationaliste des premiers ministres du Québec depuis
Adélard Godbout
(1892-1956).
Les questions identitaires ne l'intéressaient manifestement pas, car au contraire il
les méprisait, seul le multiculturalisme canadien lui paraissait crédible. L'une des grandes
caractéristiques du gouvernement de Philippe Couillard (2014-2018) aura été son
inaction indéboulonnable sur les questions linguistiques et identitaires.
Parce que M. Couillard
a toujours tenté d'associer les peurs existentielles légitimes des francophones
à de l'intolérance et au repli identitaire, ces derniers se sont sentis
dépréciés aux yeux de leur premier ministre qui n'a jamais compris que les
francophones du Québec ne constituent qu'une minorité de 2% en Amérique du
Nord. Ils n'ont jamais perçu chez Philippe Couillard la moindre ferveur quand
venait le temps de défendre leur statut de minorité francophone dans le
fédéralisme canadien.
- La chute
Le 1er
octobre 2018, les électeurs québécois ont jugé durement l'unique mandat du
premier ministre Philippe Couillard en chassant son parti du pouvoir. Celui-ci a
subi la pire défaite électorale de l’histoire du PLQ
(Parti libéral du Québec) en termes de voix. La
Coalition Avenir Québec (centre droit autonomiste) dirigée par François
Legault remportait la majorité absolue avec 74 sièges (sur 125) et 37,4% des
voix et pouvait ainsi former un gouvernement majoritaire. Le Parti libéral du
Québec n'obtenait que 31 sièges avec 24,8 % des voix et formait ainsi
l'opposition officielle à l'Assemblée nationale. Le Parti libéral fut perçu comme le «parti des
anglophones» et aussi celui des allophones; il est d'ailleurs resté pratiquement confiné à l'île de Montréal, où sont
concentrés une grande partie des anglophones et allophones du Québec.
En 2018, le
Parti libéral du Québec était devenu un parti ghettoïsé et n'avait plus l'appui de la
majorité francophone puisque seulement 17% des francophones ont alors voté pour ce
parti. Or, le PLQ a déjà été le moteur de nombreuses réussites collectives, mais
il semblait devenir à la fois le parti des minorités et un parti de
second ordre. Il devait et doit encore sa survie à son électorat anglophone et allophone.
Cependant, ce même électorat est manifestement opposé aux attentes plus nationalistes
de la majorité francophone. D'où le dilemme: la possibilité de reconquérir un
jour le pouvoir repose sur un retour au nationalisme et aux préoccupations
identitaires de la majorité francophone ou s'aliéner son électorat anglophone
auquel il doit beaucoup.
7.5
Le gouvernement nationaliste de François Legault (2018)
Le 18 octobre 2018,
François Legault, chef de la
CAQ (Coalition Avenir
Québec), devenait premier ministre du Québec. Durant la campagne électorale,
il avait promis d'intervenir sur la laïcité de l'État, l'immigration et la
langue française. Se montrant résolument nationaliste par comparaison à Philippe
Couillard, il s'engageait ainsi à protéger la majorité francophone du Québec. Le
début de mandat du
gouvernement caquiste allait être marqué par une popularité qui allait
dépasser rapidement celle de tous les autres premiers ministres provinciaux du
Canada.
- La laïcité de
l'État
La popularité du
gouvernement Legault à ce moment-là était due notamment à l'adoption de la
Loi sur la laïcité
de l'État et, plus tard, par la gestion de la pandémie de Covid-19. François
Legault avait promis de préserver la langue française et les valeurs québécoises
communes. Par opposition au Parti libéral du Québec, le parti de la
CAQ se
devait de «prendre soin de sa majorité francophone». Cependant, entre les promesses et la réalité, l'écart peut être important
en politique.
En juin 2019, le gouvernement a fait
adopter
Loi sur la laïcité
de l'État, une loi non linguistique qui énonce
que l'État du Québec est laïc. En confirmant le statut laïc de la province, elle
interdit le port de signes religieux aux membres de l'État en position
d'autorité, ainsi qu'aux enseignants du réseau public. La loi ne s'applique pas
aux étudiants en enseignement; elle prévoit un droit acquis (familièrement
appelée «clause grand-père») pour ceux et celles en poste avant l'adoption de la
nouvelle législation.
Cette loi soulevait la controverse non
seulement de la part des groupes religieux québécois, mais également chez la
plupart des politiciens du Canada anglais. Pourtant, un sondage de la firme
Léger pour le journal La Presse mené en avril 2019 indiquait que 46 % des
Canadiens (en incluant l'avis des Québécois) approuvaient la loi, tandis qu'ils
étaient 42 % à être contre. Autrement dit, au moins 40% des Ontariens, des
Albertains, des Néo-Écossais anglophones verraient d’un bon œil une telle loi
chez eux! En dépit des contestations et des protestations publiques venant
principalement du Canada anglais, la population québécoise s'est montrée
favorable à la
Loi sur la laïcité
de l'État. En décembre 2018, un sondage mené sur
400 Québécois montrait que le taux d'appui était de 65%.
Pour le gouvernement, la
Loi sur la laïcité
de l'État
constituait une réponse à la
fois «modérée» et «raisonnable» aux débats sociétaux qui ont enflammé le
Québec durant plus de deux décennies; elle se voulait une réponse en continuité
avec la Révolution tranquille des années 1960. Par le truchement de cette loi,
le gouvernement du Québec affirmait exercer son «droit à la différence» dans un
domaine de première importance. Toutefois, aussitôt adoptée, la
Loi sur la laïcité
de l'État fut contestée devant les tribunaux pour finalement être validée
par la Cour d'appel du Québec le 29 février 2024.
- L'immigration et la
francisation
La question de
l'immigration fut l'un des thèmes élaborés par la
CAQ de François Legault.
Celui-ci
réitéra sa volonté d'assujettir «tous les nouveaux arrivants» à la fois à un
«test de français» et à un «test de valeurs». M. Legault jugeait aussi «inquiétant»
de constater que 41 % des quelque 50 000 immigrants soient incapables de
s'exprimer en français. Il proposait notamment un parcours de francisation
obligatoire prévoyant un «volet d’initiation aux réalités québécoises ainsi qu'à
sa culture, ses institutions sociales et politiques, son système électoral et
politique, son système légal, les valeurs québécoises, la législation du
travail, ses programmes sociaux, son système d’éducation, de santé, etc.».
D'ailleurs, la francisation obligatoire des immigrants faisait partie des
engagements électoraux de la
Coalition Avenir Québec.
Le gouvernement voulait aussi
rendre obligatoires des tests de français, ce qui signifierait que les
immigrants n’auraient d’autre choix que de suivre des cours de francisation. Mais le gouvernement
devait d'abord s’entendre avec Ottawa dans ce dossier. La
réussite du test de français, après trois ans au Québec, serait essentielle pour
pouvoir y demeurer et obtenir la citoyenneté.
Sans vouloir verser
dans le catastrophisme, il est clair que si moins de 85% des immigrants
allophones choisissent de faire leur vie en français, bien qu’ils puissent
connaître cette langue que l’on voudrait commune, l’immigration devrait faire
diminuer petit à petit le poids des francophones et affaiblirait la culture
québécoise. C’est précisément ce qui se passait : quelque 30% des immigrants
optaient pour l’anglais, ce qui démontrait une lente érosion.
- La promotion de la
langue française
Après la
laïcité et l'immigration, le premier ministre François Legault s'est attaqué à
un troisième enjeu identitaire en moins d'une année : la promotion de la langue
française. Il a d'abord procédé à un mini-remaniement ministériel visant à
revoir la gestion du dossier linguistique, en rapatriant au ministère de
l'Immigration toutes les activités reliées à la défense de la langue française
et à la francisation des immigrants, obligatoire ou non, devenue une des grandes
priorités du gouvernement. Ainsi, le ministère de l’Immigration, de la Diversité
et de l’Inclusion s'est changé en ministère de l’Immigration, de la Francisation
et de l’Intégration.
Devant les problèmes
soulevés par les dangers qui mettent en péril le français au Québec, Le premier
ministre évoquait la possibilité de renforcer la loi
101 (Charte de la langue française
de
1977).
Les principaux problèmes, outre l'immigration, concernaient notamment
l'affichage commercial, la reconnaissance des diplômes étrangers, la langue de
travail, la communication avec les personnes morales, les municipalités «à
statut bilingue», les collèges d'enseignement général et professionnel, les
universités anglaises, la bilinguisation
de la fonction publique québécoise. On peut prendre connaissance des
informations sur ces question en
cliquant ici s.v.p.
- La Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français
La
Loi sur la langue officielle et
commune du Québec, le français, a été adoptée par l'Assemblée nationale du
Québec le 24 mai 2022 et sanctionnée le 1er
juin 2022. Cette loi modifie considérablement la
Charte de la
langue française de 1977, mais ne l'abroge pas. Cette version de 2022 de la
Charte de la langue française
(voir le texte) poursuit quatre
grands objectifs:
1) Consacrer le français en
tant que seule langue officielle et langue commune au Québec par la
bonification des droits fondamentaux qui deviennent exécutoires;
2) Renforcer le statut du français dans toutes les sphères de la
société du Québec, par la bonification et la modification de tous les
chapitres de la Charte de la langue française
et par l’ajout d’une nouvelle
section sur la langue commune et sur la création de Francisation Québec;
3) Assurer l'exemplarité de l’État en matière d’utilisation du
français, un devoir de rôle moteur qui incombera à l'ensemble des ministères
et des organismes gouvernementaux comme municipaux, et qui s'appuiera sur
une nouvelle Politique linguistique de l’État;
4) Aménager une gouvernance linguistique à la fois neutre et forte
par la création d’un ministère de la Langue française et d’un commissaire à
la langue française.
Au moment de son dépôt
à l'Assemblée nationale, le projet de loi 96 (Loi
sur la langue officielle et commune du Québec, le français) comprenait les
mesures suivantes qui ont été intégrées dans la
Charte de la langue française (version de 2022):
1. Concernant la
législation et la justice,
l'article 5, qui modifie la Charte de
la langue française, prévoit que les lois continueront d'être adoptées
conjointement en français et en anglais, mais qu'en cas de malentendu entre les
deux versions la version française prévaudra. Ce même article énonce aussi que les
jugements des tribunaux rendus en anglais devront être traduits en français.
Tout acte de procédure rédigé en anglais émanant d’une personne morale doit être
suivie d'une traduction en français, certifiée par un traducteur agréé; la
personne morale doit assume les frais de la traduction (art.
5). De
plus, on ne pourra exiger la connaissance d'une autre langue que le français au
moment de la nomination d'un juge provincial, à moins que le ministre de la
Justice ne l'estime nécessaire. Par ailleurs, les règlements du Québec ne seront
plus rédigés en anglais, car l'obligation de bilinguisme législatif de l'article
133 de la Loi constitutionnelle de 1867
ne fait pas mention des règlements.
2. La loi prévoit la
création d'un commissaire à la langue française (art.
19 et art. 185 à 204),
dont la désignation devra obtenir l'accord des deux tiers des membres de
l'Assemblée nationale. Le projet de loi crée également un ministère de la Langue
française. De plus, la loi abolit le Conseil
supérieur de la langue française (art.
131).
3. Dans le domaine
scolaire, il est imposé un «plafond» aux étudiants admis aux cégeps et aux
universités de langue anglaise. L'article
60 prévoit que ceux-ci ne pourront plus accueillir plus de 17,5% de
l'ensemble des collégiens québécois. De plus, les étudiants non anglophones des
cégeps anglophones devront réussir l'«épreuve uniforme de français» pour obtenir
leur diplôme au même titre que l'ensemble des étudiants des cégeps francophones.
Bien que le texte de la loi mentionne les universités McGill, Bishop's et
Concordia dans les établissements anglophones, cette restriction du nombre
d'étudiants ne s'applique qu'aux «établissements anglophones offrant
l'enseignement collégial», ce qui signifie que le quota ne vaudrait pas pour les
universités de langue anglaise.
4. En matière
d'immigration, le projet de loi prévoit que la période pendant laquelle un
immigrant peut communiquer avec le gouvernement dans une langue autre que le
français est de six mois seulement (art.
15). La loi crée l'organisme «Francisation Québec» (art.
64), qui devient l’unique point d’accès gouvernemental à ses services et
doit faciliter l'accès aux services d'apprentissage du français pour les
adultes.
5. Dans le domaine de
l'économie, les entreprises de 25 employés et plus (art.
77 et suivantes) devront obtenir un certificat de francisation au même titre
que celles de 50 employés et plus; la loi encadre
l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français à l’embauche.
La Charte de la langue française
s'appliquerait également aux entreprises à charte fédérale. Dans l'affichage
public, la loi rétablit la nette prédominance du français (art.
48).
6. Dans les municipalités, l'article
19 de la loi prévoit la révocation du «statut bilingue» (expression
inexistante dans la Charte) des municipalités, officiellement appelés
«municipalité reconnues», dont la population n'est plus composée d'une majorité
absolue d'anglophones, c'est-à-dire 50% plus un. Le conseil municipal des
municipalités concernées pourra toutefois, par résolution, demander le maintien
de ce statut.
7. En matière de droit civil, la nouvelle loi énonce de nouvelles règles (art.
141-145). Il est devenu obligatoire de faire traduire les actes d'état civil
obtenus en anglais dans une autre province canadienne. Auparavant, l'obligation
de traduction existait seulement pour les actes d'état civil dans une langue
autre que le français et l'anglais, donc pour des actes d'état civil provenant
essentiellement de l'extérieur du Canada. Le Code civil du Québec se trouve
modifié afin d'affirmer qu'il est interprété en harmonie avec la
Charte de la langue française et non
plus seulement la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Dans le domaine du
droit des professionnels, la loi modifie le Code des professions (art.
146) pour affirmer que le défaut de maintenir une connaissance appropriée du
français (art. 23)
constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession.
8. En matière constitutionnelle, la loi modifie unilatéralement la
Loi constitutionnelle de 1867, pour y
insérer la reconnaissance de la nation québécoise et le statut du français comme
seule langue officielle du Québec (art.
166).
9. En matière
d'application de la loi, l'article
114 de la loi donne aussi le pouvoir aux inspecteurs de l'Office québécois
de la langue française chargés d'application de la loi de «pénétrer, à toute
heure raisonnable, dans tout endroit, autre qu’une maison d’habitation, où
s’exerce une activité régie par la présente loi». |
Tout comme la
Loi sur la laïcité
de l'État adoptée en 2018, la Loi
sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96) recourt aux
clauses dérogatoires de la
Charte canadienne des droits et libertés
(art. 33) et de la
Charte des droits et libertés de la personne. En matière pénale réglementaire,
cet emploi de la clause dérogatoire (appelée aussi clause «nonobstant») de la Constitution canadienne vise à empêcher toute
contestation fondée sur les Chartes des amendes imposées en vertu de la
Charte de la langue française
(version de 2022).
Comme il fallait s'y attendre, ces dispositions de la loi 96 pouvaient
constituer des «irritants» pour la communauté anglophone qui l'a contestée
devant les tribunaux.
Quoi qu'il en soit, il
est illusoire de croire qu'on peut protéger les francophones au Canada, y
compris au Québec, avec l'accord sans condition des anglophones du pays.
L'histoire canadienne est témoin d'innombrables cas de contestations et de
colères de la part d'anglophones, que ce soit des personnes morales ou des
personnes physiques. C'est d'ailleurs une manifestation généralisée dans tous
les pays (Espagne, Royaume-Uni, Italie, Canada, Afrique du Sud, Chine, Inde,
Russie, Serbie, etc.)aux prises avec des minorités linguistiques qui veulent
«trop» se protéger de la majorité, dont les membres ne tiennent surtout pas à
apprendre la langue minoritaire.
7.6
Les inquiétudes
des Québécois francophones
Joshua Fishman (1926-2015) fut l'un des
rares propagandistes américains du pluralisme linguistique et culturel.
Pourtant, dans son livre
Reversing Language Shift (1991) — «Renversement du transfert
linguistique» —, Fishman croit qu'il est fondamental de préserver son identité
d'origine et que le rejet de sa culture et de cette identité risque
d'entraîner l'étroitesse d'esprit et l'intolérance. Effectivement, lorsqu'une
communauté sent que son identité collective est menacée, le fait de la
réaffirmer davantage devient une façon de se protéger. Effectivement, à partir du
moment où un symbole identitaire est fragilisé ou marginalisé, parfois interdit,
on aura tendance à le revendiquer de façon plus importante. En somme, si les
francophones du Québec ont l’impression que l’identité québécoise est menacée
par l'ensemble nord-américain qui prend de plus en plus d’importance en raison
de la mondialisation, ils
peuvent revendiquer des symboles identitaires de façon encore plus présente
comme une façon de se défendre.
Les inquiétudes des Québécois
ne sont pas dénuées de fondement au sujet de l'immigration. Si les Allemands s'en inquiètent
avec leur population qui atteint 80 millions, si les Américains ont
le même réflexe avec 329 millions d'habitants, que penser de la population du Québec avec
seulement 8,3 millions? Toute proportion gardée, le Québec est l'une des
sociétés qui reçoivent le plus d'immigrants en Occident. Le tableau ci-dessous
présente le nombre d'immigrants pour l'année 2016 dans six pays: Canada,
États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Allemagne et Australie.
Pays |
Nombre d'immigrants
(2016) |
Population totale |
Pourcentage de la
population |
Par 100 00
habitants |
Québec |
50 250 |
8,3 M |
0,60 % |
605
(4) |
Canada |
272 000 |
36 M |
0,75 % |
750
(3) |
États-Unis |
1 050 000 |
329 M |
0,31 % |
310
(7) |
France |
256 000 |
66,3 M |
0,38 % |
380
(6) |
Royaume-Uni |
380 000 |
64,7 M |
0,58 % |
580
(5) |
Allemagne |
700 000 |
81,1 M |
0,86 % |
860
(2) |
Australie |
226 000 |
25 M |
0,90 % |
900
(1) |
Un nombre absolu, les
États-Unis sont le pays qui a reçu le plus d'immigrants avec un million
d'arrivants. Ils sont suivis par l'Allemagne (700 000), le Royaume-Uni (380
000) et le Canada (272 000). Toutefois, en regard avec leur population
respective, les États-Unis sont ceux qui en ont reçu le moins (310 par 100
000 habitants). L'Australie arrive en premier et elle est suivie par
l'Allemagne, le Canada et le Québec. Or, ce dernier ne compte qu'une petite
population de 8,3 millions d'habitants. Bref, le Québec semble recevoir des
immigrants bien au-delà de ses capacités d'intégration.
Ces chiffres, tout
incomplets qu'ils soient, illustrent qu'il n'existe pas vraiment de
corrélation entre le nombre d'immigrants dans un pays et la réaction contre
l'immigration dans ce même pays. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France
et l'Allemagne demeurent très divisés sur cette question, alors que le
Canada (incluant le Québec) et l'Australie conservent une attitude plutôt
accueillante et conciliante. De façon évidente, certains politiciens (p. ex.,
l'ex-président
Donald Trump)
ont recours à la crainte des étrangers pour mousser leur popularité et pour
les accuser de tous les problèmes de leur pays. En même temps, les
conditions socio-économiques étant ce qu'elles sont, entraînent des
situations de plus en plus précaires chez les classes moyennes. Grâce aux nouveaux moyens de communication, les immigrants se fondent de
moins en moins dans leur société d'accueil. Ils peuvent conserver longtemps
des traits culturels jugés inacceptables dans certaines démocraties
modernes, tels le fondamentalisme religieux.
8
La langue des Québécois francophones d'aujourd'hui
Depuis le début des années 1970, le français
du Québec a beaucoup évolué dans le sens d'une certaine
standardisation. Dans la langue parlée, les prononciations les plus
stigmatisées, celles qui sont les plus éloignées du
français dit standard, ont commencé à régresser.
Le vocabulaire du Québécois moyen s'est considérablement
enrichi et les anglicismes ont aussi diminué. Néanmoins,
les études menées par deux professeurs de l'Université
de Sherbrooke, Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière,
montrent que la perception qu'ont les Québécois de leur langue
révèle un bilan assez négatif:
Le dossier est noir et continue d'être noirci,
de façon cyclique, par certains journalistes et par une partie de
notre élite. La piètre qualité de notre langue est
un «problème de société», clament ces derniers!
|
8.1 Une variété régionale de français
Il semble que le français écrit et parlé au Québec
ne corresponde pas toujours à un français de qualité.
De nombreuses plaintes s'élèvent quant à la formation
insuffisante des nouveaux diplômés à ce sujet. D'ailleurs,
plusieurs d'entre eux éprouvent de grandes difficultés à
s'exprimer de façon claire, que ce soit par écrit ou oralement.
Il en est ainsi pour beaucoup de personnes déjà actives sur
le marché du travail. Cette lacune est actuellement ressentie par
les intéressés eux-mêmes, qui la perçoivent
souvent comme un véritable handicap dans le cheminement de leur
carrière. On peut donc croire à un consensus social sur la
nécessité d'améliorer le français parlé
et écrit du Québec. Le français des Québécois
s'est adapté à leur réalité nord-américaine
et il exprime parfaitement leur monde, leurs valeurs, souvent différentes
de celles des Français.
Pour les linguistes Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière,
le français québécois est une «variété
nationale de français». On observerait dans ce français régionalisé
non seulement des mots de niveaux de langue familière et populaire, des
anglicismes et des emplois critiqués, mais également un niveau
standard, qu'on appelle le français québécois standard
et qui, en principe, sert de modèle, de norme, à l'oral comme à
l'écrit, pour tous les Québécois. Le problème, c'est que ce français québécois standard
n'a jamais été défini, ni étudié ni décrit. Il demeure une vue de l'esprit, plus
qu'une réalité, mais les nationalistes québécois apprécient cette expression
parce qu'elle permet de particulariser le français du Québec.
Autrement dit, il n'existe pas au Québec un seul usage réel
propre aux Québécois, mais deux. L'un est le français standard international que
les Québécois partagent avec les autres francophones du monde. L'autre est le
français vernaculaire parlé que tout le monde connaît, mais que tous utilisent
de façons différentes, selon les circonstances. C'est ce qu'on appelle la
diglossie, c'est-à-dire un état dans lequel se trouvent deux systèmes
linguistiques coexistant sur un territoire donné, et dont l'un occupe un statut
social inférieur, l'autre un statut social supérieur. Ce phénomène donne lieu à
des situations de tension linguistique généralement caractérisées par
l'apparition de variétés dites «hautes» et «basses» de la langue. En général,
les deux formes sont en concurrence. De façon générale, le français standard
international est parfaitement compris, mais non utilisé par la plupart; c'est
le français vernaculaire parlé qui est employé par tous, à des degrés divers.
8.2 Les formes du français standard en
québécois
Le français standard
international est la langue officielle du Québec. C'est
la variété utilisée par le gouvernement québécois, le gouvernement du
Nouveau-Brunswick et le gouvernement fédéral, sans compter celle qui est
employée occasionnellement par les autres gouvernements des provinces anglaises. Tous les textes
officiels sont rédigés dans ce français standard. C'est aussi ce français qui
est la langue de travail des fonctionnaires, des écoles, des universités, des
médias, des conférences, des débats, des maisons d'édition, des événements
officiels, des autorités religieuses, des organismes culturels, des grandes
entreprises, des sociétés publiques, etc. Le français standard est aussi la
langue du patrimoine littéraire commun avec les autres littératures de la
francophonie.
L'emploi des formes du français standard est sanctionné
socialement. La mauvaise qualité de la langue dans les situations formelles de
communication est ouvertement critiquée. L'emploi de termes ou de prononciations
jugées trop populaires apparaîtra inacceptable dans des situations formelles de
communication, particulièrement à l'écrit. Les Québécois ont souvent le choix
d'utiliser le français standard ou le français vernaculaire., mais pas n'importe
comment ni dans n'importe quelle situation de communication.
8.3
Le français vernaculaire populaire
Toute langue peut être décrite par ses caractéristiques
phonologiques, phonétiques, morphologiques, syntaxiques et lexicales. Le
français parlé au Québec ne fait pas exception. Malgré des différences plus ou
moins importantes, les Québécois parlent un français certes régionalisé et
teinté d'archaïsmes, mais il s'agit bel et bien du français.
- Les variantes phonétiques
On peut affirmer que le
système phonologique du français québécois et celui du français standard
sont pratiquement identiques, sauf pour quelques rares exceptions. Il existe
aussi plusieurs
variantes phonétiques dans le français québécois: ce sont généralement des
formes archaïsantes originaires des parlers populaires urbains de la France des
XVIIe et XVIIe
siècles. Mais des paramètres interviennent dans ces
variantes en fonction du sexe, de l'âge ou du niveau d'études des locuteurs. Plus
un individu est scolarisé, moins sa prononciation sera marquée par des
particularismes phonétiques locales. Mais tous les Québécois se distinguent, comparativement au
«français de France», par un accent distinctif. Le rythme de la parole est aussi
un trait particulier des Québécois : il est plus lent et plus monocorde par
comparaison à celui
des Français, lequel peut paraître plus rapide et plus
chantant. Le choix de recourir aux
formes du français standard ou à celles du français vernaculaire est fixé par la
situation de communication.
Dans certains cas, il existe des variables phonétiques dues à la
géographie. Une oreille attentive peut discerner la langue d'un Montréalais par
rapport à un Saguenéen ou un Gaspésien. Encore là, le degré
d'instruction peut jour un rôle déterminant.
- Les particularismes
morphologiques ou grammaticaux
La grammaire (notamment
la morphologie) révèle un nombre peu élevé de
particularismes par rapport au français standard. De façon générale, ces
variantes correspondent à du français parlé populaire et tirent leur origine des
formes archaïsantes ou vieillies par comparaison au «français de France». L'un des traits fréquents concerne, par
exemple, la confusion entre les genres masculin et féminin dans les mots
commençant par une voyelle orale (avion, autobus, abat-jour, etc.). On emploie
souvent
une avion, une autobus, une abat-jour, etc. La plupart
de ces particularismes n'apparaissent pas en français québécois écrit, mais
uniquement en situation informelle.
Beaucoup de Québécois semblent avoir une
immense difficulté à faire accorder les règles concernant l'emploi du féminin et
du pluriel dans les pronoms et adjectifs. Au pluriel, le pronom personnel est
souvent ils au lieu de elles: «Les femmes, ils croient
toujours que...», parfois prononcé [i]. Contrairement à la morphologie, les traits
particuliers du français québécois en syntaxe sont relativement élevés. Il
s'agit de formes anciennes, populaires ou influencées par l'anglais. Là encore,
plus un individu est instruit, plus sa syntaxe se rapprochera de celle du
français standard. À l'écrit il serait difficile de relever des variantes
typiquement québécoises parce que les Québécois se conforment aux règles de la
grammaire et de la syntaxe françaises. Les différences à l'écrit entre le
français des Québécois et celui des Français sont quasi inexistantes. On
identifie un texte québécois presque uniquement par l'emploi des unités de mesure (anglaises), la
monnaie canadienne, les toponymes, la faune, la flore, etc.
- Le
lexique
C'est dans le
lexique que les différences se font
davantage sentir dans la langue québécoise. Le français vernaculaire des
Québécois contient beaucoup d'archaïsmes issus des
«patois» français, un petit nombre d'amérindianismes, ainsi que de nombreux québécismes
(ou canadianismes) et anglicismes. Bien qu'on puisse dresser une liste
importante de tous ces particularismes lexicaux, sûrement quelques milliers de
mots, le fond lexical demeure celui du français standard. Néanmoins, un étranger parlant le
français standard peut être surpris de constater que certains mots français
qu'il connaît portent un sens différent chez son interlocuteur québécois.
Cependant, il faut tenir compte de
l'ensemble du lexique et de la fréquence d'usage des mots dans une conversation.
Certains archaïsmes, québécismes et anglicismes sont fréquents, alors que
d'autres sont rarement employés. La plupart des particularismes québécois
relèvent du registre familier ou populaire. Ces mots sont généralement employés
en concurrence avec les termes du français standard. La plupart des Québécois
sont capables d'utiliser les deux termes, celui du français québécois, celui du
français standard, mais le degré d'instruction peut jouer un grand rôle. De plus,
le lexique n'est pas employé de la même façon par tous les Québécois,
ni dans toutes les circonstances, ni qu'il la même
fréquence. Là aussi,
divers paramètres interviennent comme le sexe, l'âge, le degré d'instruction, la
situation de communication, etc.
En général, la plupart des Québécois ignorent qu'ils emploient
couramment des archaïsmes, des québécismes ou même des anglicismes. Les
locuteurs ne sont pas des historiens de la langue. Comme pour tous les autres
francophones du monde, ils ignorent qu'ils emploient des mots d'origine
germanique (allemand, anglais, attraper, banc, etc.), grecque (anonyme,
dédale, oasis, klaxon, etc.), italienne (arsenal, police, banquet,
brigade, etc.), espagnole (avocat, matamore, mélasse, nègre, etc.), etc.
- Les anglicismes
Ajoutons également que beaucoup de
Québécois unilingues francophones emploient des anglicismes sans même savoir
qu'il s'agit de mots anglais. Le cas est particulièrement fréquent pour les
emprunts naturalisés ou les calques (traductions littérales):
Emprunts naturalisés |
Calques |
patenté < patented
: breveté
pinotte < peanut :arachide
gradué < graduate : diplômé
gravelle < gravel : gravier
filière < file : dossier, chemise |
année fiscale < fiscal year :
année financière
compagnie de finance < finance compagny : société de crédit
prime de séparation < separation pay :
indemnité de départ
dépôt direct < direct deposit : versement
bloc à appartements <apartment block : immeuble d'habitation |
Les
Québécois peuvent utiliser des
anglicismes parce qu'ils ignorent les équivalents français, y compris chez les
artistes, notamment les musiciens (musique populaire). De façon consciente, les
Québécois peuvent aussi préférer certains anglicismes fréquents et familiers à
des fins strictement expressives lorsqu'ils se parlent entre eux.
Lorsqu'ils
constatent qu'ils emploient des anglicismes et connaissent l'équivalent français,
certains cherchent à les éviter; d'autres, pas du tout.
8.4 La diglossie québécoise
Dans les faits, les termes du français standard et les termes du
français québécois sont en concurrence : maïs / blé d'Inde, haricot / fève,
aspirateur / balayeuse, dépanneuse / towing, robinet / champlure, pneu / tire,
poêle / cuisinière électrique, réfrigérateur / frigidaire, etc.
Dans certaines circonstances, le terme standard peut être plus fréquent; dans
d'autres, le terme non standard. La répartition des termes standards et non
standards n'est pas arbitraire, car elle se fait selon des règles sociales
précises. À l'écrit les formes standards sont généralement employées, de même
que dans les situations formelles de communication, ce qui inclut la publicité
télévisée. Par contre, la langue parlée des feuilletons télévisés, du cinéma,
des humoristes, de certaines émissions de radio sera celle du français
vernaculaire populaire. Dans les situations informelles, les formes non standards ont
tendance à être nettement plus fréquentes, surtout entre Québécois. Lorsqu'ils ignorent les
termes standards, les Québécois recourent nécessairement aux termes non standards.
Lorsqu'ils les connaissent, ils les utilisent dans des
communications soutenues.
Il est vrai que l'emploi
des particularismes québécois joue un rôle fortement identitaire, mais il ne
faudrait pas croire que les Québécois ne s'identifient guère au français
standard. Dans les faits, ils s'identifient aux deux formes de français, mais
cela dépend des circonstances. Dans certaines situations orales formelles et
toujours à l'écrit, les Québécois s'identifient avant tout au français standard,
mais, il faut l'avouer, pas du tout au «parler pointu» des Français dans le cas
de l'oral. Dans les
situations informelles, il peuvent s'identifier davantage au français québécois,
mais encore là ce peut être par des choix particuliers dans la prononciation
et/ou le vocabulaire, selon des buts expressifs ou strictement informatifs. Peu
de Québécois seraient prêts à sacrifier l'une des deux formes de français. Pour
des raisons différentes, ils tiennent aux deux variétés de français. Autrement dit, ils parlent tous en québécois,
mais
écrivent tous en français, et nul n'accepterait de perdre l'un des deux. Les
individus les plus instruits sont ceux qui possèdent le mieux les deux systèmes.
Par contre, les Anglo-Québécois et les allophones québécois vont préférer
employer le français standard; ils peuvent comprendre certains aspects du
français vernaculaire, mais ne l'emploient guère eux-mêmes, sauf si ces
locuteurs sont
socialement bien intégrés.
Pour résumer, nous pouvons affirmer que les Québécois croient
qu'ils parlent davantage le français vernaculaire que le français standard, que
le premier est différent du second, que le français écrit est similaire des deux
côtés de l'Atlantique, que les ressemblances sont plus grandes que les
différences, et que le français qu'ils parlent se rapproche de plus en plus de
celui des Français. Quoi qu'il en soit, les Québécois ne s'exprimeront jamais
comme les Français, pas plus qu'un Wallon parlera comme un Parisien ou un
Sénégalais comme un Haïtien.
Bref, les Québécois francophones ont une double appartenance
linguistique, l'une au français québécois, l'autre au français international.
Quand il s'agit d'identité, les Québécois préfèrent le français vernaculaire; quand
il s'agit de norme, c'est le français standard. Toutefois, dans certaines
situations, la forme vernaculaire peut servir de norme aux dépens du français
standard. Cette double identité
linguistique des Québécois pourrait n'être pas étrangère à leur double appartenance
politique à
la fois au Canada et au Québec.
Finalement, même si les Québécois ont cessé de considérer
leur français comme un «jargon inintelligible», si leur français
n'est plus une «catastrophe», il ne constitue pas encore, du moins à leurs
yeux, une véritable «réussite».
Dans l'ensemble, on pourrait dire que ce français se situe à
mi-chemin sur une échelle comprenant les deux extrêmes entre «mauvais»
et «excellent». Il est vrai que, par rapport à au chemin parcouru,
le français québécois s'est rapproché considérablement du
français international. Contrairement à ce qui s'est passé
depuis la Conquête anglaise, il est certain que, dans les années
à venir, le français québécois ne pourra plus
évoluer en vase clos, mais il ne sera jamais identique au «français de France».
8.5
Le marché québécois au sein de la
francophonie
Le Québec est géographiquement éloigné des sociétés francophones
de l'extérieur. Le centre de gravité de la francophonie est en effet en Europe,
c'est-à-dire en France, en Belgique et en Suisse. La francophonie européenne représente près
de 70 millions de locuteurs, c'est-à-dire au moins 90 % de l'ensemble des
francophones. Il faut compter 12 francophones européens pour un francophone
québécois. Il faut aussi 11 Français pour un Québécois. Sur 100 francophones, on
compte 91 Européens, dont 82 Français, et 7 Québécois.
En Amérique du Nord, seul le Québec constitue une majorité
francophone. Les autres francophones nord-américains sont concentrés surtout en
Ontario et au Nouveau-Brunswick, alors que partout ailleurs, que ce soit au
Canada anglais (surtout en Ontario et au Manitoba), en Nouvelle-Angleterre ou en Louisiane, ils forment de petites
communautés dispersées et isolées au sein d'un monde massivement unilingue
anglophone. On peut même affirmer que tous les francophones d'Amérique
constituent des isolats linguistiques et culturels au milieu d'une grande
communauté anglophone. Rester francophone en Amérique peut se révéler une lourde
tâche.
Le Québec demeure, avec ses
neuf millions d'habitants (estimation 2024), une
petite société avec un marché linguistique limité, ce qui entraîne des
conséquences pour les producteurs et les consommateurs de produits linguistiques
et de produits culturels. De plus, comme son économie est totalement intégrée au marché
nord-américain, la plupart des échanges extérieurs se font en anglais.
Cette situation ne peut que favoriser une certaine insécurité
culturelle et linguistique, surtout que, depuis trois décennies, le Québec voit
diminuer son poids relatif au Canada, alors que la nouvelle immigration est
souvent perçue comme une menace à ses valeurs et à son identité.
Toute l'histoire de la langue française du Québec montre
un incessant combat pour assurer la survie du peuple francophone de la seule province
française du Canada. La langue et le peuple sont tellement imbriqués
l'un dans l'autre qu'il est impossible de parler des Québécois
sans parler de leur langue. Depuis la Conquête britannique, on peut
dire qu'un décalage, sinon un fossé, a toujours existé
entre le français du Québec et le français de France.
Ce décalage s'est amplifié au cours du siècle suivant
la Conquête au point où les anglicismes ont fini par creuser
un véritable fossé entre les deux variétés
de français. Toutefois, il semble bien que cet écart soit
définitivement arrêté pour amorcer un certain rapprochement. Pour les
Français, le parler québécois, au demeurant «charmant» avec son «joli
accent», est souvent perçu comme «exotique» mais pas mauvais. Pour les
Québécois, il est souvent considéré comme allant de «correct» à
«mauvais», mais auxquels ils s'identifient sans aucun doute.
L'augmentation de la scolarisation a sûrement été
l'un des causes majeures de la standardisation du français, mais ce ne fut pas la
seule. Le développement des médias électroniques et
celui des communications internationales ont aussi contribué à
rétrécir les écarts entre le français du Québec
et le français de France. Mais il a fallu compter surtout sur la
mainmise de l'État québécois dans le développement
de l'identité collective et sur la progression économique
des francophones dans les activités industrielles et commerciales.
Non seulement les Canadiens français de 1960 sont devenus en l'an 2024 des Québécois
nés pour autre chose que pour «un petit pain», mais ils réclament
maintenant leur juste part du gâteau.
Quant aux
batailles linguistiques sur le plan politique, celles-ci ne semblent plus aussi
nécessaires qu'auparavant au Québec, mais elles demeurent une fatalité avec le
gouvernement fédéral. Si l'objectif des francophones du Québec était
de rendre le Québec aussi français que l'Ontario était anglais, les résultats
semblent maintenant assez positifs dans la mesure où le Québec était
très assujetti à l'anglais et au monde anglo-saxon. Les résultats les
plus manifestes concernent sans nul doute la scolarisation en français des
nouveaux immigrants, la francisation du monde du travail et de l'affichage commercial,
sans compter la bilinguisation des organismes fédéraux. Les progrès depuis
cinquante ans ont été considérables à un point tel qu'on peut affirmer que
le français est moins en péril au Québec. Au contraire, il se porte plus
fort qu'il ne l'a jamais été.
Cette force relative du français au Québec est pour
plusieurs analystes l'une des principales raisons pour lesquelles le mouvement
souverainiste s'affaiblit depuis quelques années. Certes, les sentiments
nationalistes constitueront toujours un facteur important, surtout en période
de crise, mais pour le moment la confiance des Québécois à l'égard de leur
langue n'a cessé de croître. Paradoxalement, au fur et à mesure que la langue
française s'affirme, le mouvement souverainiste perd de ses appuis.
Toutefois, malgré les lois linguistiques et les succès
indéniables du français au Québec, la majorité francophone n'est pas encore
au bout de ses peines; elle ne le sera jamais. Les problèmes liés à la dénatalité et à l'immigration
constituent des défis de taille, et ils n'ont rien à voir avec «les Anglais»!
Le défi démographique est plus grave que les questions d'ordre économique et
constitutionnel. Si la société francophone du Québec refuse d'y faire face,
elle aura perdu dans quelques décennies le «caractère distinct» qui a
contribué à sa survie au Canada. Comme les droits constitutionnels
résident en partie dans le poids démographique qu'ils représentent au
Canada, les francophones risquent de revivre avant longtemps les conflits
linguistiques. Lorsque les Québécois commenceront à représenter moins de 20
% de la population canadienne, le rapport de force diminuera encore entre
francophones et anglophones (à la faveur de ces derniers), tant au Canada qu'au
Québec. Dans le cadre de l'actuelle fédération canadienne, les conflits
sont là pour durer et la marmite linguistique risque de renverser au cours des
prochaines décennies. Même si la langue française se portait bien, son
statut, lui, sera vraisemblablement toujours réévalué... à la baisse par la majorité
anglophone du Canada. Toutefois, si le Canada et le Québec restent un foyer de
tensions linguistiques, rien n'est comparable au mur qui sépare francophones et
néerlandophones à Bruxelles en Belgique. Par comparaison, les rapports entre francophones et
anglophones au Canada semblent un «véritable jardin de roses».
Cela étant dit, on peut croire, à la
lecture de l'histoire du français au Québec, que la langue française, dans le
contexte géographique canadien et nord-américain, aura toujours besoin d'être
soutenue par des mesures particulières, politiquement interventionnistes,
parfois coûteuses, et pouvant entraîner aussi des bénéfices dans la mesure où
le français devient de plus en plus utile, indispensable et rentable au
plan économique. Quoi qu'il en soit, le Québec continuera inévitablement
d'évoluer dans un environnement continental fortement marqué par la présence
de l'anglais. Ce constat fait partie du destin du Québec et il vaut mieux
apprendre à composer avec cette réalité que de la nier.
En fait, il sera toujours difficile pour
le Québec de légiférer sur le français, une langue minoritaire au Canada et en
Amérique du Nord. Dans un monde idéal, il faudrait des lois incitatives qui ne
font mal à personne et qui bénéficieraient aussi de l’accord des anglophones
majoritaires et minoritaires, tout en étant rentables au point de vue
économique. C’est là réussir la quadrature du cercle!
Le Québec est dans une situation où il ne
peut «trop» protéger sa langue officielle, sans risquer de soulever la
réprobation du Canada anglais. Que ce soit en Espagne, en France, en Chine, en
Russie ou au Canada, les autorités centrales ont tendance à agir en «agent
colonial» lorsque les minorités désirent «trop» se protéger, de peur que les
membres de la majorité «perdent» des droits, sinon des avantages dus à leur
statut.
Il ne faut jamais oublier que la politique
linguistique fédérale consiste à protéger la langue anglaise au Québec comme si
elle était menacée, afin de tenter de sauvegarder le français hors Québec,
puisque ce serait le prix à payer. En réalité, ce qu'on comprend, c'est que le
Canada anglais vise surtout à protéger sa langue! C'est là une attitude normale,
bien que colonialiste, pour une majorité souveraine!
L’histoire canadienne est témoin
d’innombrables cas de contestations et de réprobations de la part d’anglophones,
que ce soit des personnes morales ou des personnes physiques. C’est d’ailleurs
une réaction généralisée, car il semble difficile pour une majorité de
comprendre que, sein d’un même pays, on puisse avoir une vision différente de la
société, tout aussi acceptable et juste que la sienne. Le Québec doit composer
avec cette réalité, et ce, d’autant plus que sa minorité fait partie de la
toute-puissante majorité anglo-saxonne nord-américaine. Bien qu'une éventuelle
indépendance politique puisse constituer un puissant levier pour la protection
linguistique, elle ne pourrait changer la situation géopolitique en Amérique du
Nord.
Dernière mise à jour:
05 mars, 2024
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(5) Réorientations
et nouvelles stratégies (de 1982 à
aujourd'hui)
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